Rencontre nocturne [Hiver 2009-2010]
[Cette fanfic aurait gagné le concours si je n'avais pas intégré le comité de lecture, je tiens à le préciser ! *modeste et fière de l'être*]
Il neigeait cette nuit-là. La ville dormait, inconsciente du manteau de neige qui se formait progressivement sur son relief irrégulier. Pas une voiture ne venait creuser des ornières dans ce beau tapis blanc. Le calme était absolu. La lumière blafarde émise par la lune venait se réverbérer sur la neige. Le spectacle était magnifique. Malheureusement, personne ne pouvait en profiter, puisque tous étaient bercés par les bras de Morphée, et se prenaient à rêver d'un monde où les aléas de la vie n'avaient pas leur place. Un jeune enfant, néanmoins, se libéra de l'étreinte du Sommeil, et s'en retrouva allongé dans son lit. La première chose qu'il vit fut le plafond. D'un blanc sale, celui-ci n'avait rien à lui apporter. Le garçon tourna alors la tête. Il put apercevoir le parquet, sur lequel se dessinait une large tâche de lumière rectangulaire, vraisemblablement issue de la fenêtre. Il vit d'ailleurs aussi la fenêtre. Celle-ci montrait un ciel sans nuages, tacheté d'étoiles comme d'autant de paillettes. Mais ce qu'il cherchait à voir, avant tout, était son réveil. Il put ainsi voir qu'il était deux heures du matin.
« On est demain. » songea-t-il avec amusement.
Puis il se tourna contre le mur, ramenant ses jambes sous son corps, serra les bras autour d'un quelconque objet invisible, et ferma les yeux. Le temps passa. Le silence était total, troublé seulement par l'infime bruit que produisait la respiration de l'enfant. Il attendit le sommeil. Qui ne vint pas. Incommodé par cette position, le garçonnet s'étendit sur le dos, un bras hors du lit, la tête penchée sur l'oreiller. Sans rouvrir les yeux, il poursuivit sa recherche du sommeil. Décidément, celui-ci se cachait bien ! Le temps passa, et l'enfant ne dormait toujours pas. En vérité, plus il essayait de dormir, plus il se sentait éveillé. Rageusement, il se retourna sur le ventre, serrant son oreiller entre ses petits bras. Et le sommeil ne vint toujours pas. Il fut tenté de changer encore de position.
« Non, s'intima-t-il, non, je ne dois pas bouger. »
C'est bien sûr à ce moment que son nez fut assailli de terribles démangeaisons.
« Ne pas bouger, ne pas bouger... »
Après un certain effort mental, les démangeaisons cessèrent. Et l'enfant poursuivit sa partie de cache-cache immobile avec le sommeil. Le temps passa, et l'enfant ne dormait toujours pas. Il finit par abandonner la partie, et se leva. Il put ainsi être le premier à admirer le spectacle de la ville enneigée. Il avait beau être déjà calme, cette vision l'apaisa. Les flocons descendaient sur terre, légers comme des plumes, pour aller se déposer sur le tapis blanc formé par leurs congénères. L'enfant voulut en suivre un du regard. Mais le flocon virevoltait tant et si bien qu'il dut abandonner la partie. Encore. Cela faisait deux fois en quelques minutes qu'il perdait à un jeu. Bon perdant, il continua de regarder la neige tomber. Ce spectacle l'hypnotisait.
Sans même s'en rendre compte, il ouvrit la fenêtre et caressa les flocons du bout des doigts. C'en était trop.
En silence, le garçon s'habilla, puis sortit de sa chambre, enfila des bottes, des moufles, une écharpe, et un bonnet péruvien qu'il prit soin d'enfoncer sur sa tête pour que ses oreilles - très sensibles, comme aimaient à le rappeler ses parents - ne prennent pas froid. Et il sortit. Le froid lui mordit les joues. L'enfant n'en avait cure ; il tira la langue et attendit, patient, qu'un flocon vienne mourir sur sa langue. Le malheureux arriva, en fondit aussitôt au contact de la chaude langue de l'humain qui lui avait tendu un piège. Un soupir de satisfaction sortit de la bouche de l'enfant, sous forme d'une vapeur scintillante, qui se dispersa dans l'air glacé de la nuit. Alors, le garçon fit un pas. La neige crissa sous sa botte. Lorsqu'il la retira, une empreinte s'était formée. La première empreinte de la ville, songea-t-il. On pouvait parfaitement discerner les différents composants de la semelle. Le garçon n'avait pas de jardin. Lorsque la ville s'éveillerait, des dizaines, des centaines, des milliers d'empreintes sillonneraient ce trottoir et, si elle subsistait, l'empreinte du garçon passerait inaperçue. Les routes seraient salées, et la possibilité de faire un bonhomme de neige s'évanouirait. Oui, à présent, l'enfant bénissait le sommeil de ne pas s'être montré.
Il courut. Sans raison particulière, peut-être juste pour marquer son territoire dans la neige, ou simplement pour libérer la joie qui brûlait dans son petit corps. Peut-être, enfin, un peu des deux à la fois. L'enfant ramassa un petit tas de neige, qu'il tassa entre ses moufles pour en faire une sphère parfaite. Une boule de neige. La ville était déserte, et il n'avait personne sur qui la lancer. Mais il ne l'avait pas formée pour ça. Avec une délicatesse infinie, il déposa la boule au sol et la fit rouler. Et alors, comme dans les dessins animés de son enfance, qu'il n'avait pas encore quittée, la boule grossit, grossit encore, laissant de grosses traînées dans la neige. L'enfant forma alors une seconde boule, en touts points semblable à la première, et la roula également. Il la fit cependant moins grosse. Puis, ressemblant toutes ses forces, il la saisit à pleines mains et, titubant sous le poids de l'engin, alla la placer sur la première boule. L'enfant n'avait ni branches, ni carotte, ni boutons à sa disposition. Ils étaient pourtant les accessoires indispensables à la finalisation d'un bonhomme de neige digne de ce nom. Mais le garçon était plein de ressources. Il ôta une moufle, et creusa deux petits trous, à l'aide de son index, en guise d'yeux. Puis, un peu plus bas, il traça un arc de cercle tourné vers le haut, en guise de sourire. Il ne fit pas de nez au bonhomme. C'était un service qu'il lui rendait, puisque le froid piquant n'irait pas le lui geler. Les autres enfants qui pourvoyaient leurs bonshommes d'un nez étaient cruels. C'était ce que venait de décider le garçon. Lequel ramassa encore deux autres tas de neige - après avoir remis sa moufle, bien sûr - auxquels il ne donna pas, cette fois-ci, la forme d'une sphère parfaite. Il les tassa grossièrement, avant de les coller de part et d'autre de la boule qui servait de corps à son bonhomme. Ainsi, sa création avait les bras le long du corps, et n'avait pas à les garder tendus toute la sainte journée. Les enfants qui pourvoyaient leurs bonshommes de bras horizontaux étaient cruels. Telle était la nouvelle décision du garçon, qui s'aperçut que les Droits du Bonhomme de neige facilitaient grandement la tâche des constructeurs. L'enfant aurait bien prêté son bonnet péruvien à son bonhomme, mais celui-ci n'avait pas d'oreilles, ce n'était donc pas indispensable. De plus, ses parents n'auraient pas apprécié cet élan de générosité. Les adultes n'accordaient d'importance qu'à ce qui touchait à leurs intérêts, et se fichaient pas mal qu'un bonhomme de neige ait froid ou non aux oreilles. C'est pour cette raison que son jeune créateur ne lui en avait pas pourvu. Et un peu, aussi, parce qu'un bonhomme de neige avec des oreilles aurait été vraiment ridicule.
Des petites pattes formaient lentement leurs empreintes dans la neige. La chaleur qui s'en dégageait la faisait fondre, et des ronds de bitumes apparaissaient progressivement. Leur propriétaire, affaibli, avançait très lentement, et dans un silence total. Absorbé par la conception de son bonhomme de neige, l'enfant n'avait rien remarqué. Mais, à présent qu'il tournait la tête à droite et à gauche, en quête d'un nouveau jeu, il aperçut le pokémon qui se dirigeaient vers lui. Sa fourrure rousse contrastait avec le blanc immaculé de la neige. Ses six queues traînaient lamentablement sur le sol, comme s'il n'avait pas la force de la lever. Oui, ce goupix semblait très mal en point. L'enfant, en le voyant, se précipita à sa rencontre, manquait de trébucher contre le rebord du trottoir qu'il n'avait pu discerner. Le goupix, craintif, aurait volontiers fui, mais il n'en avait plus la force. Les efforts de son corps pour le maintenir à une température correcte avaient consumé toute son énergie. Et puis, peut-être ce garçon était-il celui qu'il cherchait. L'enfant s'accroupit devant le pokémon.
« Salut toi ! T'as pas l'air très en forme.
- Piiiix... » se contenta de répondre son interlocuteur.
Ce qui n'apprit rien à l'enfant, la barrière du langage l'en empêchant. Il crut néanmoins comprendre que le pokémon voulait qu'il le suive. Le garçon prit le goupix dans ses bras.
« Pas question de marcher dans la neige dans ton état ! proclama-t-il. Il faut te ménager. Montre-moi juste où tu veux que j'aille.
- Piiiix... » réitéra le renardeau en désignant du museau la direction d'où il venait.
Le garçon courut dans la neige, dans la direction que lui indiquait le pokémon. À chaque croisement, celui-ci lui indiquait le chemin du museau, en accompagnant l'information d'un Piiiix... déchirant. La course folle dans les rues de la vile se poursuivit, inlassablement. Le pokémon semblait avoir traversé la ville entière pour chercher de l'aide. Comment était-il capable, dans son état, de retrouver son chemin ? Sans doute avait-il laissé une trace olfactive, mais le garçon, à cause de son jeune âge, ne savait pas que les pokémons avaient un odorat développé. Il commençait à fatiguer. Le goupix finit par lui faire prendre une petite ruelle, peu commode. Il y faisait sombre, malgré l'éclatante blancheur de la neige.
« Pas très joyeux, ici... » murmura l'enfant, essayant d'oublier ses craintes en faisant de l'humour.
Le pokémon le fit s'arrêter devant un carton détrempé par la neige. Dedans, cinq petits corps, roulés en boule les uns contre les autres, pour se protéger du froid, grelottaient. Des filets de vapeur s'échappaient en continu de leurs museaux engourdis.
« Ce sont tes petits ? s'enquit l'enfant. Tu es une fille ? »
Le goupix acquiesça, puis poussa ses enfants du bout du museau pour les réveiller. L'un ne bougea pas. L'enfant ramassa le petit corps inerte, l'étendit sur le dos, dans la neige, et posa son doigt à l'emplacement présumé de son coeur. Il ne battait pas. Comme à la télé, il effectua de petites pressions sur son torse.
« Vis ! Vis ! »
Mais le bébé resta insensible aux supplications de l'enfant. Le froid lui avait ôté la vie. Il n'était plus qu'une vulgaire poupée, qui n'allait pas tarder à se raidir. Les autres petits, eux, se blottissaient contre le corps de leur mère, espérant y trouver un peu plus de chaleur. Mais ils avaient beau être des pokémons de type feu, le froid les tenaillait, et menaçait de leur faire subir le même sort qu'à leur frère.
« Qu'est-ce que tu veux de moi ? » gémit l'enfant, les yeux embués de larmes.
Pour toute réponse, la goupix mordit son écharpe et la tira à elle. Le garçon comprit. Il ôta son écharpe, ses moufles, et même son bonnet péruvien. Les bébés étaient si petits qu'ils tenaient dans les moufles. L'enfant en déposa un dans chaque moufle. Il enroula le bonnet péruvien autour des deux autres. Enfin, il emmitoufla la mère dans son écharpe.
L'enfant rentra chez lui, les doigts et les oreilles engourdis par le froid, le cou à découvert. Ses parents lui en voudraient sûrement. Mais il n'en avait que faire : il avait sauvé des vies cette nuit, et c'était tout ce qui comptait.
FIN