Chapitre 12 : Sous la surface
Cela faisait maintenant deux heures que Julien et Morgane arpentaient en vain la vaste forêt qui s'étendait à l'ouest de Bonaugure, accompagnés du son des gouttes de pluies qui s'écrasaient sur la voûte des arbres, puis qui glissaient le long de leurs feuilles pour venir humidifier la terre molle de ces bois. Il faisait froid, leurs vêtements commençaient à être trempés, et ils n'avaient encore rien trouvé qui pût leur signifier qu'un jour, un peuple avait habité ces terres. Il ne subsistait pas la moindre trace d'un passage d'êtres humains. La nature avait repris ses droits ici et la végétation était florissante. Si un élément manquait en ce cadre, en plus d'éventuelles ruines, c'était bien la présence de Pokémon.
-Nous ne trouverons jamais rien, finit par dire Julien, dépité.
-Pas si on baisse les bras, confirma Morgane. Alors cherchons.
-Écoute Morgane… commença Julien. C'est à moi qu'est confiée cette tâche. Il pleut, il fait froid. Retourne au village, et écoute ce que cette personne âgée a à nous dire pendant que je cherche. Je ne veux pas que tu sois malade à cause de moi.
Il renifla. Il allait avoir un bon rhume.
-Non, nous devons aller voir cette femme ensemble. Et puis, moi aussi j'aime bien les chasses au trésor, ajouta-t-elle en esquissant un sourire.
Et qu'est-ce que ce sourire était beau, aussi léger fusse-t-il. Maintenant qu'il y repensait, Julien n'avait jamais vraiment vu Morgane sourire. Elle avait toujours cet air sérieux, et une détermination d'acier. Et lui, à côté, toujours prêt à flancher. Sans elle, il ne serait sans doute jamais parvenu jusque-là. En fait, il serait même mort sur le bateau qui quittait Frimapic. Si seulement il pouvait lui montrer à quel point il appréciait sa présence…
-Pourquoi me regardes-tu ? demanda Morgane.
-Hein ? Oh ! Pour rien… Je me disais simplement que j'étais très content que tu sois là avec moi… avoua-t-il.
Encore ce sourire.
-Et je suis moi-même très contente que tu m'aies laissée t'accompagner. Avant, à Frimapic, j'étais toujours seule… Il n'y avait que Gladys qui passait me voir, quand elle pouvait.
Autour d'eux résonnaient les flic et les floc des gouttes d'eau qui s'immisçaient à travers le feuillage dense de la forêt, comme une douce mélodie naturelle, chargée d'une mélancolie poétique. La pluie faisait remonter l'odeur du bois humide et de la terre fraîche, qui embaumait mollement l'esprit de qui voudrait la sentir. Ici, où rien d'autre ne bougeait que les feuilles des arbres sous les poids des gouttes, le Temps semblait s'être arrêté. Ou plutôt, on avait l'impression que cet endroit se trouvait hors du Temps.
Et qu'est-ce qu'elle était belle, avec ses cheveux trempés qui lui tombaient sur le front et les épaules, et qu'est-ce qu'il avait besoin d'un contact humain. Lentement, sans bruit, Julien s'avança d'un pas dans sa direction ; puis d'un autre. Elle en fit autant, son regard accroché au sien. Il la prit dans ses bras, elle se cala contre son torse. Elle ne lui rendit pas son étreinte, mais elle ne s'en dégagea pas non plus. Puis, délicatement, il vint déposer ses lèvres sur les siennes. Et, sous la pluie des jours sombres à venir, dans les bois où dormaient mille secrets, ils s'embrassèrent. Sa peau était froide, ses lèvres étaient douces, et la présence de son corps mince qui tremblait contre le sien était infiniment agréable.
Les yeux fermés, ils oublièrent le poids du destin qui pesait sur eux l'espace d'un court et délicieux instant. Puis le destin revint à eux.
Ni l'un ni l'autre n'avait remarqué la façon dont le sol s'était enfoncé sous le poids de leurs deux corps. C'est pourquoi ni l'un ni l'autre ne s'était attendu à ce trou qui s'ouvrit sous eux. C'était arrivé brusquement, les tirant brutalement du cocon dans lequel ils s'étaient enfermés, à l'abri du Temps. Ils avaient tous les deux crié de surprise. Puis ils s'étaient retrouvés par terre, huit mètres plus bas. Heureusement pour eux, le sol était extrêmement mou, et plus spécialement à l'endroit où ils atterrirent, comme si cela avait été prévu. Mais le choc fut quand même rude, et ils restèrent sonnés quelques minutes avant que Julien ne recouvre ses esprits.
-Ca va ? demanda-t-il, alarmé.
Morgane gémit. Prenant appui sur un coude, elle se redressa, en position assise.
-A peu près, dit-elle.
Puis, tournant la tête vers l'endroit d'où ils venaient.
-Nous avons fait une sacré chute. Où sommes-nous ?
Elle avait posé la question par simple formalité, parce que quelque part, elle savait la réponse. Cependant, difficile de s'en assurer, car autour d'eux tout était sombre, leur seule source de lumière étant le trou qu'ils avaient du mal à distinguer, plusieurs mètres au-dessus de leurs têtes. Il fallait dire que les bois eux-mêmes n'étaient pas bien éclairés, ce qui n'était pas fait pour les aider. Le seul avantage était qu'ici, au moins, ils se trouvaient à l'abri de la pluie.
Comme pour leur signaler que leur intuition commune était bonne, le Symbole sur la main de Julien s'illumina. Il se mit à briller intensément, créant une lumière prodigieuse qui éclaira les alentours sur un rayon d'au moins vingt mètres. Et ce qu'ils virent étaient tellement impressionnant qu'ils en restèrent bouche bée, rendus muets par tout l'ébahissement et le respect que pouvait provoquer une telle vision.
Ils se trouvaient au centre de ce qui avait dû autrefois être le forum d'une ville immense. Sur les deux côtés les plus longs s'alignaient de petits bâtiments de taille égale, collés les uns aux autres, construits à l'aide de grosses briques qui avaient l'air d'avoir été d'un ton ocre dans un temps lointain. Sans doute avaient-ils été des boutiques. Derrière eux, aussi large que la place, se dressait un bâtiment monumental, fait du même matériel que les petites bâtisses. Certainement un édifice public. L'équivalent d'une Arène, peut-être ? Et en face, de l'autre côté de l'agora, plus imposant encore que l'Arène (ou quoi que ce fût), se tenait un temple. Il était colossal, et ressemblait étrangement à celui qui se trouvait à Frimapic.
Tous les bâtiments étaient recouverts d'une large quantité de boue, pourtant tous paraissaient intacts. Avec un minimum d'imagination, on pouvait très aisément visualiser ce qu'avait été cet endroit, il y a de cela bien des années.
-Bon, la route semble toute tracée, n'est-ce pas ? finit par dire Julien.
-Peut-être pas, objecta-t-elle à mi-voix. Mais en bonne partie.
…
Un homme aux cheveux bleus âgé d'une trentaine d'années pénétra dans le village de Bonaugure. Il fit revenir dans sa Ball le Pokémon qui lui avait permis de se déplacer aussi vite, et jeta un regard aux environs. Le bourg était minuscule, ne comportant que très peu d'habitations, et complètement désert, sûrement à cause de la pluie. Comment pouvait-il savoir si Julien était passé ici avant lui ? Il fit le tour de la commune, à la recherche d'éventuels indices ; des traces de pas, un objet oublié… Et il finit par en trouver un. Etait-ce réellement une preuve de leur passage ? Il en doutait, pourtant son instinct lui assurait que si. Par la fenêtre d'une petite habitation comme les autres, il avait vu une vieille dame dans sa salle à manger, en train de mettre la table pour trois. Sur cette table où elle dressait les couverts reposait un cahier, qui paraissait vieux comme le monde et dont des feuilles dépassaient par dizaines. Il ne pouvait pas se tromper.
Soudainement très énervé, Hélio alla frapper à la porte de la maison. Il patienta quelques secondes, puis Rosalyne (si l'on en croyait ce qui était écrit sur la boîte aux lettres) vint lui ouvrir.
En ouvrant la porte, elle s'était attendue à voir le jeune couple. Aussi ne put-elle réprimer un sursaut lorsqu'elle vit cette unique masse sombre sur son palier.
-Où sont-ils ? demanda Hélio d'une voix lourde de menaces.
-Qui… Qui ça ? bégaya la pauvre dame.
Hélio la poussa violemment et entra dans le logis. La vieille femme tomba par terre et grimaça à l'atterrissage.
-Pour qui mettiez-vous la table ?
-Mon… Mon petit-neveu et sa femme vont venir me rendre visite dans la soirée, gémit-elle.
-Vous mentez. OÙ SONT JULIEN ET MORGANE ?
Alors qu'il criait, un coup de tonnerre vint ponctuer sa phrase.
-Je ne sais pas de qui vous parlez ! brailla la vieille dame, toujours par terre. Je vous jure que je n'en ai aucune idée !
Hélio s'approcha de la table et s'empara du cahier.
-Que contient-il ?
-N'y touchez pas, c'est un souvenir de famille ! Ce sont des photos de ma famille… pleura-t-elle. Pitié, allez-vous-en.
Elle sanglotait, les traits de son visage ridé déformés par les larmes, la peur et l'effroi. Debout à deux mètres d'elle, Hélio feuilletait le cahier. Il contenait plus d'informations qu'il n'aurait jamais pu en trouver dans tous les livres de la région. Puis il se tourna vers la pauvre dame avec un air féroce.
-Il semblerait que je sois arrivé à temps, dit-il d'une voix calme dans laquelle vibrait une pointe de démence.
Il glissa précautionneusement le cahier dans la poche intérieur de sa veste, puis, s'étant muni d'un des couteaux qui se trouvaient sur la table, s'approcha de sa victime.
-Non ! je vous en prie, ne me faites pas de mal ! hurla Rosalyne. NON !
Sur le mur du hall d'entrée de la petite maison de Rosalyne, assez vieille pour que son âge ait disparu de nos mémoires, une ombre, grande et puissante, s'agita au dessus d'une autre, nettement plus ténue. Par trois reprises, la première effectua un même mouvement, tandis que la seconde s'agitait convulsivement. Puis la plus grande des deux ombres disparut pendant que l'autre effectuait faiblement les derniers mouvements de sa longue existence.
…
Lorsque Julien et Morgane pénétrèrent dans le temple de Bonaugure l'Ancienne, deux surprises les attendaient.
Tout d'abord, bien que le temple fût une construction humaine, il apparaissait évident pour qui y pénétrait que ce qui était visible depuis l'extérieur n'était qu'une façade. En effet, il ne s'agissait en fait que d'une simple grotte. Certes immense, mais rien d'autre qu'une grotte, légèrement aménagée par les hommes pour la rendre praticable.
La seconde surprise fut lorsque le Symbole dans la main de Julien s'éteignit (et il n'en fut pas déçu, car il commençait à fatiguer) mais que la grotte resta éclairée. Finalement, elle n'était peut-être pas aussi « simple » que ce qu'ils avaient imaginé. Toujours était-il qu'elle n'était composée que d'une seule salle, très haute, mais vide.
-Que doit-on faire maintenant ? demanda Julien.
-Chercher ? suggéra Morgane.
Et c'est ce qu'ils firent. Ils passèrent au peigne fin l'étendue de la grotte, scrutant minutieusement chaque coin et recoin avec attention.
-Sans doute faut-il résoudre une énigme, finit par conclure Morgane.
-Mais quelle est-elle ? demanda Julien.
-Ça, c'est à nous de trouver. Rien n'indiquait qu'un autre étage se trouvait sous le Temple de Frimapic, pourtant il y était bien.
Et rien n'indiquait non plus que deux grotte se trouvaient dans le rocher de Rivamar, même s'il ne le savait pas.
-Depuis le début, commença Julien, en pleine réflexion, les choses ne sont jamais telles qu'on les voit. Alors que l'on pense au hasard, on s'aperçoit que tout est pensé, structuré. Ainsi, la région de Sinnoh a une forme particulière. Un triangle équilatéral. A Frimapic, lorsque nous pensions être arrivés en bas du Temple, un nouvel étage nous a été révélé. Ce qui ressemblait à une statue s'est avéré être en fait un Pokémon millénaire. Ce qui ressemble à une forêt sert d'abri à une ville entière. Ce qui ressemble à une grande construction humaine est en fait une grotte naturelle aménagée et dissimulée. Il ne faut jamais se fier à ce que l'on distingue en surface, parce qu'en grattant la première couche, on tombe toujours sur une deuxième, différente par bien des aspects !
Julien frappa du pieds dans l'un des petits cailloux qui se trouvaient au sol et trébucha. Il se mit à genoux et observa le sol, puis se mit à le balayer avec sa main gauche. Les petits cailloux qui le jonchaient disparaissaient au passage de sa main, envoyés plus loin. Mais un, au milieu des autres, resta fixé au sol.
-Morgane, regarde !
-Je vois, fit-elle. Il faut que nous nettoyions le sol de toute la salle.
Pendant qu'ils repoussaient tous les cailloux à terre hors de la pièce, Rosalyne rendait son dernier soupir. Quand ils eurent fini, il ne restait plus que douze cailloux au sol, disposés à équidistance les uns des autres. La pièce étant de forme circulaire, avec un diamètre d'environ trente mètre, on pouvait estimer que chaque pierre était placée à la moitié d'un rayon. Il y avait donc approximativement trente mètres entre deux rocailles situées sur un même diamètre.
-Douze… Un multiple de trois, remarqua Julien. Et maintenant, que fait-on ?
Sa question n'attendait pas de réponse, et il se pencha directement vers l'un des petit débris de roche. Comment étaient-ils fixés ? En inspectant de très près, il se rendit compte que les cailloux étaient similaires à des icebergs dont on ne voyait que la surface. Encore et toujours une histoire de surface. Sous le sol, la pierre pouvait peut-être se prolonger sur plusieurs centimètres, voire même des mètres. Faisant ce qui lui paraissait le plus logique, Julien appuya dessus.
Et la pierre s'enfonça. Quand ils firent cette constatation, Julien et Morgane réitérèrent l'opération sur chaque pierre. Au fur et à mesure, elles devenaient plus faciles à enfoncer. Et enfin, quand la dernière fut passée à quelques centimètres au-dessous de la surface du sol, le mécanisme s'enclencha.
Un léger tremblement se fit sentir, et le bruit distinct de rouages en marche retentit des profondeurs de la terre. Au centre de la salle, une portion de sol, circulaire et large d'environ vingt-cinq centimètres, se mit à vibrer, comme sous une forte pression. Puis, finalement, la roche céda, volant en éclat, pour révéler ce qui ressemblait à un socle, qui sortait du sol, long d'une quarantaine de centimètres. Il était de forme cylindrique et un anneau d'or ceignait son sommet. Sur sa face supérieure gisait, au milieu des débris qui s'y étaient déposés, une petite pierre plate et ronde dont le relief formait un tourbillon. Elle était incrustée de petites émeraudes ; la première, celle de gauche, étant située un peu plus haut que la seconde. Julien n'eut aucune difficulté à reconnaître la lettre E en braille. Morgane avait passé la main à son cou et tenait maintenant sa propre Clé. La sienne était montée sur un socle en or. Sans doute avait-il été rajouté par sa famille. Mais il n'y avait aucun doute : les deux étaient authentiques. D'une main tremblante, Julien saisit l'objet. Délicatement, comme on détache une rose du sol en prenant garde de ne pas se piquer, il le souleva et le plaça dans la paume de sa main droite. Au contact de l'objet, le Signe de Regigigas se mit à luire faiblement, d'une lueur qui évoquait à Julien les battements réguliers d'un cœur.
-Il nous reste un endroit à explorer, dit Julien.
Et ils quittèrent le temple de Bonaugure l'Ancienne.
…
Grâce à Togekiss, remonter à la surface ne fut pas difficile, et ils eurent tôt fait de rejoindre le village. Il pleuvait des cordes maintenant, et le ciel donnait l'impression que cela ne s'arrêterait pas avant longtemps. Lorsqu'ils quittèrent l'abri partiel qu'offraient les arbres, ils regrettèrent presque l'ambiance froide et humide de la forêt. Ni l'un ni l'autre ne fit allusion à ce qu'il s'était passé entre eux là-bas, et leur comportement ne changea pas.
Lorsqu'ils arrivèrent à proximité de la maison de la vieille dame, vers vingt-et-une heures, un profond malaise s'empara d'eux : la lumière était allumée et la porte ouverte malgré la pluie qui s'engouffrait à l'intérieur de l'habitation. Sans rien dire, ils accélérèrent le pas, puis se mirent même à courir. Ce fut Julien qui vit l'abominable spectacle en premier.
-Oh mon Dieu… dit-il simplement d'une voix blanche.
Puis, avant qu'il n'ait pu empêcher Morgane de regarder à son tour, la jeune femme retint un cri, mettant sa main devant sa bouche, et recula précipitamment. Et alors elle se blottit contre Julien, le serra fort contre elle, et se mit à pleurer, agitée de soubresauts. Il resta immobile et passa ses bras dans le dos de sa compagne, choqué lui aussi. Puis, après quelques minutes, Morgane se détacha de lui, essuyant ses larmes.
-Je suis sûre que le coupable est Hélio, dit-elle d'une voix dans laquelle se perdaient encore quelques sanglots.
-Il faut que nous entrions, dit Julien.
Et c'est ce qu'ils firent.
L'horreur de la scène était insupportable, à un point que Morgane se précipita dans la salle à manger (première porte à gauche en entrant) sans regarder derrière elle. Julien, réprimant un haut-le-cœur, s'accroupit prêt du corps de la vieille dame.
-Désolé, murmura-t-il d'une voix pleine de regrets.
La vieille femme avait été poignardée à trois reprises ; une fois au poumon gauche, et deux fois vers le cœur. Elle avait le bras gauche crispé sur ses blessures, et le bras droit tendu au-dessus de sa tête, la main couverte de sang. A vrai dire, il y avait du sang partout. Ses vêtements en étaient imbibés, et son visage était maculé de traces de doigts. Sans doute s'était-elle essuyé le front d'une main sanglante. Une large tâche ornait la moquette beige du hall d'entrée. Et encore du sang un peu plus loin, de grosses traces, vers sa main droite. Julien essaya de ne pas imaginer cette main, couverte de sang, cherchant désespérément à s'agripper à quelque chose, comme si ce lien physique avec le monde réel allait lui permettre d'y rester.
Mais en s'approchant plus près de ces traces, il se rendit compte qu'elle n'était pas le fruit d'une malheureuse tentative pour attraper quelque chose, mais un mot. Elle leur avait laissé un mot, dans les dernières minutes de sa vie ! Les lettres étaient faites maladroitement, mais parfaitement lisibles : « UNIONPOLIS † ». Julien retint l'information, puis s'en alla rejoindre Morgane. Il lui dit ce qu'il avait vu, puis continua :
-Je vais chercher un drap pour la recouvrir, c'est le moins que nous puissions faire. Nous n'aurons pas le temps de l'enterrer, dit-il amèrement.
-J'ai trouvé ceci, fit Morgane en lui tendant une photo.
Sur l'image était représenté un endroit qu'il ne connaissait pas, où s'élevaient de longues colonnes de marbre brisées. Au dos était griffonné :
« Alpha : Colonnes Lances
Bêta : Cœur de Sinnoh
Gamma : ??
+ Zone Oméga ? »
Et en effet, cela ressemblait bien à ce que la journaliste avait décrit dans son reportage en parlant des Colonnes Lances, lieu légendaire. Après avoir rendu la photo à Morgane en la priant de la garder, Julien monta à l'étage. Il ne s'y trouvait que deux pièces : une chambre et le grenier. Il entra dans la chambre et retira le drap qui se trouvait sur le lit. Puis il descendit dans le hall d'entrée et enroula avec application le corps de cette vieille inconnue. Enfin, il retourna auprès de Morgane.
-Je ne pourrais pas dormir ici, dit Julien, qui était pourtant extrêmement fatigué. Il va falloir que l'on s'en aille.
-D'autant que si c'est bel et bien Hélio qui est passé ici avant nous, – et ça ne fait aucun doute – alors on peut logiquement penser qu'il a des informations que nous n'avons pas. Il a su où nous étions, et il sait certainement ce que cette dame voulait nous dire. J'ai peur que nos chances d'arriver à Rivamar avant lui soient minimes.
-Je propose que nous allions dormir au Centre Pokémon de Littorella. On verra comment nous nous organiserons pour la suite demain matin, à tête reposée.
Et ils quittèrent la maison, laissant là le corps de la pauvre femme qui avait accompli en cette terrible soirée le dernier acte de sa vie. Avant de partir, ils observèrent une minute de silence à la mémoire de Rosalyne. Puis, sans rien dire, ils prirent la route.
…
A la même heure, à Rivamar, Lucas se trouvait au Centre Pokémon, allongé sur sa couchette, les bras croisés derrière la nuque, le regard au plafond. Il était éreinté. Il s'était passé tellement de choses en si peu de temps !
Après avoir laissé partir le membre de la Dominus Regi, lui, Alice et ses amis s'étaient concertés pour mettre au point leur version des faits. Tous ayant été assommés pendant la bataille, aucun n'avait vu Lucas et Darkrai en action à part Alice, ce dont le jeune homme était content. Puis ils s'étaient rendus au commissariat de la ville pour faire leur déposition. La procédure avait duré longtemps, et le Champion d'Arène avait même été contacté. Lorsqu'il était venu à eux, Lucas avait jaugé Tanguy de pied en cap. Et le Champion l'avait reconnu.
-Heureusement, avait-il dit, que vous aviez un excellent dresseur à vos côtés. Lucas, je suis étonné de te voir ici, à Rivamar. Les rumeurs ne mentent pas, tu es très rapide. Je t'attendais avec impatience. Mais ce n'est pas le sujet aujourd'hui. Nous aurons tout notre temps pour discuter après notre combat. Quelle que soit son issue. Pour l'heure, il s'est déroulé dans ma ville des actes criminels. Je ne le pardonnerai pas.
Lucas n'avait mentionné la Team Galaxie à aucun moment. Il voulait s'en occuper lui-même. En quittant le commissariat, il avait eu un entretien avec Alice.
-Tu ne leur as pas dit que tu avais réussi à en interroger un, lui avait-elle dit.
-Non. Il m'a donné des informations précieuses. Je vais m'occuper tout seul de la Team Galaxie.
Puis il leva sa main droite, celle qui portait une mitaine noire en cuir, tandis que la gauche montrait sa ceinture, où étaient accrochées ses Balls.
-Enfin, presque tout seul.
-Pourquoi ? demanda Alice avec curiosité.
-Pourquoi ? Eh bien… J'ai déjà eu affaire à eux. Et s'ils sont toujours à flot, j'ai peur qu'ils préparent rien de bon.
Il marqua une pause.
-Et je me demande qui est cette Dominus Regi. Celui que nous avons interrogé a parlé de Regigigas, et je suis presque sûr que c'est là le nom d'un Pokémon légendaire. Je vais partir demain. Je crois que je vais beaucoup voyager ces prochains jours… ajouta-t-il pour lui-même, dépité.
Alice était fascinée. Ce dresseur avait tout pour devenir Maître de la Ligue un jour. Et les Pokémon légendaires… Il avait l'air d'en connaître un rayon à ce sujet. Ce soir, elle avait déjà pris la décision de l'accompagner. L'idée de voyager la séduisait. Mais elle ne lui en parlerait que demain. Préviendrait-elle ses parents ? Elle verrait. Elle leur laisserait sans doute un mot, parce qu'ils ne la laisseraient jamais partir.
Et cette nuit-là, tandis que Julien et Morgane marchaient en direction de Littorella, Lucas réfléchissaient à ce qu'il allait faire. Tout d'abord, il irait chez lui, au manoir. Il fallait qu'il voie ce que disait le livre que lui avait laissé le vieillard sur Regigigas. Après, il ne savait pas. Tout allait dépendre de ce qu'il apprendrait.
« Ce n'est pas fini », disait une voix dans sa tête. Et cette voix était celle de Darkrai.
Et en effet, les choses n'en étaient qu'au commencement.