Chapitre 2 : Il faut du courage.
Mon père s'éveilla. Il ouvrit un œil par un œil, et moi, blotti contre son corps doux, je n'avais pas dormi. Je l'avais juste observé, pendant des heures. Il bailla en ouvrant sa large gueule, puis la referma, claquant ainsi ses deux mâchoires l'une contre l'autre. Il se leva, en faisant bien attention à ne pas trop me faire bouger, de peur d'aggraver ma blessure. Il s'étirait, tendant ses pattes et ses griffes doucement. J'étais fasciné par sa façon de faire, avec ses muscles si terrifiants et robustes. Il était l'icône même de la bravoure, du courage, de la force, du cran et de la détermination. Mon père s'entraînait de temps à autre, la nuit surtout.
Lorsque mon aîné vit que j'étais éveillé, il reluqua mon corps : j'étais couvert de poussière, de boue, de terre et d'autres matières écœurantes que je sentais dans mes poils. Il me prit une seconde fois sur son dos, comme la veille, puis reprit la route. Plusieurs paysages défilèrent sous mes yeux : nuageux, ensoleillé, un peu pluvieux, quelques forêts, beaucoup de montagnes… Pendant quelques heures nous avions marché sous la météo, pendant ces quelques heures, mon père m'avait mené par divers chemins, et diverses routes.
Le soir était venu tranquillement. Mon père avait marché toute la journée, mis à part une seule pause d'à peine cinq petites minutes. Il s'arrêta, me posant au sol en me prenant le cou. Je lançai un petit cri de joie : une piscine d'eau m'attendait en bas. Malheureusement, c'était l'endroit où je mettais blessé assez gravement la patte.
« Compte pas sur moi pour y aller, rechignai-je. »
Mon aîné me poussa légèrement, pour me faire signe d'y aller. J'avais reconnu un regard doux, un regard confiant. C'était ce genre de regard que seul mon père connaissait et me faisait quand il était fier de moi. Quand je me voyais, il n'y avait pas de quoi être fier franchement : minuscule, petit, tout gentil, adorable, pacifiste… Tout le contraire d'un vrai loup fort et robuste, qui savait se défendre. J'avais toujours été un raté.
Je laissais passer le temps. Une seconde, deux secondes, trois secondes… Le temps semblait se figer et devenait interminable. Tout était contre moi. Mon père me fit signe d'y aller, pour la seconde fois. Mes jambes n'avançaient pas, je restais dans ma position de chiot apeuré.
Quelques secondes plus tard, je pris un peu d'élan, m'élançai et fis un bond sans passer par les rochers. J'atterris en finesse sur le du sol, me faisant mal à ma plaie. Le bandage de ma balafre laissait couler quelques gouttes de sang. Je descendis plus lentement la fin, en marchant tranquillement sans me prendre la patte dans un quelconque obstacle.
« J'y suis arrivé Papa, je l'ai fait ! criai-je depuis le lac. ».
Il m'avait regardé pendant toute la scène. Il s'élança à son tour, sautant d'en haut, pour atterrir juste au bord du lac. J'avais observé attentivement ce majestueux saut dans ses moindres détails, qu'il venait de réaliser avec brio. Sa technique était parfaite, un peu d'élan, mais pas trop, puis un sprint à quelques mètres et un saut tout juste bien placé. Il était un parfait professeur. Et il était surtout mon père dont j'étais absolument fier.
Quand il fut arrivé en bas, je vins le rejoindre en trottinant. Je sautillais comme un chiot puéril autour de lui, en glapissant, en aboyant et en criant. Mon père était mon vrai héros. Il me fit un signe rapide, que j'avais compris : je devais aller plonger dans l'eau, et me laver. Il était vrai que j'étais crasseux, poussiéreux et je dégageais une odeur fétide. Je m'exécutai, en ajoutant :
« Ca brûle ! »
Je sortis rapidement de l'eau, trempé jusqu'aux os. Je fumais encore un peu, tellement la brûlure avait été violente. Je me secouai, pour que ma fourrure ne soit plus mouillée. Mon père m'accorda un sourire. Il n'avait pas souri aussi gentiment depuis longtemps. J'ouvrai de larges yeux étonnés, ce qu'il lui fit sourire encore plus. C'était sa façon de rire à mes pitreries, que j'enchaînai à une vitesse phénoménale. Malgré tout ça, il avait toujours été fier de moi, parce que j'ai toujours eu la tête dure, et je n'ai jamais abandonné mes projets ou mes actes. J'avais toujours été jusqu'au bout, et ça, c'était la qualité que mon père appréciait le plus dans mon caractère.
D'un trait, j'avalai quelques gorgées d'eau pour étancher ma soif. Après que je fus désaltéré, je léchai mes babines. Je glapissai, comme d'habitude, à mon père :
« J'ai faim. Tu as quelque chose pour moi Papa ? »
Il ne grogna pas, il ne montra pas ses canines, mais se mit en marche en direction de la forêt. J'avais gagné un valeureux repas après mon exploit du saut. J'étais fier de moi.
Nous pénétrâmes dans la forêt. Il faisait assez sombre, mais on y voyait un peu tout de même. Mon père reniflait les environs, flairait les moindres recoins et respirait chaque plante qu'il voyait. Il n'avait rien trouvé, à priori, mais il poursuivait ses recherches. Je commençai à perdre patience. Je soufflai :
« C'est quand qu'on mange ? Pff. »
Mon père n'eut aucune réaction, il l'avait sans doute bien pris. Il persévérait pour me trouver quelques vivres, mais en vain. A la tombée de la nuit, nous n'avions trouvé que quelques baies, un minuscule cours d'eau et de simples feuilles comestibles. Mon ventre gargouillait encore, depuis le temps où je voulais manger un bon festin, mais on ne pouvait pas tout trouver dès la première fois.
Nous nous posâmes sur deux rochers, entourés de quelques buissons et d'une multitude d'arbres. Mon père sortit de notre petit repaire, et revint quelques minutes après, avec un petit tas de bois. Il le posa par terre, et le cercla de quelques pierres, pour que le feu ne s'étende pas dans toute la sylve. Il me fit signe d'avancer vers son petit ouvrage, je m'exécutai donc. Je fis sortir de ma gueule une flamme minuscule, mais je parvins à allumer un bon feu de camp. Je me couchai devant, ainsi que mon aîné. J'ajoutai, après mon exercice :
« C'est délicieux cette chaleur, si seulement cette flamme durait toute la nuit... »
Je parlai tout seul évidemment, mais mon père se leva et fit une énorme flamme qui recouvrit le tas de bois et éclata en plusieurs étincelles. Un feu gigantesque apparut devant moi, c'était impressionnant comme le flamboiement était géant. Je commençai à l'observer, étonné et ébloui par la prestation de mon doyen. J'étais émerveillé par la beauté de ces flammes, générées par mon père, qui se coucha en formant une grande silhouette. Je ne pus m'empêcher de demander :
« Comment fais-tu cela ? C'est vraiment incroyable ! Merci Papa ! »
Il ne répondit pas, j'avais l'habitude. Il me sortit juste un léger sourire en coin de lèvre. Il avait apprécié que je le complimente, et j'étais ravi de l'avoir ainsi valorisé. Il posa sa lourde tête sur sa patte avant gauche, et je me mis en boule. Nous ne bougions plus, et profitaient de cette longue nuit pour rêver à d'autres activités plus sereines et beaucoup plus libres. Les rêves étaient notre liberté, mais la liberté était rêve. Nous n'étions pas libres, nous ne finiront jamais libres.
« Papa, je veux être comme toi. »