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» Auteur : fan-à-tics - Voir le profil
» Créé le 13/12/2009 à 17:55
» Dernière mise à jour le 05/06/2014 à 21:27

» Mots-clés :   Présence de personnages de l'animé   Présence de poké-humains   Présence de shippings

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Episode 39 : Un grain de sable dans le sablier.
-chapitre 39- Un grain de sable dans le sablier.

Parmanie avait un côté charmant, comme bourgade, mais pas en tant que ville. La seule attraction résidait dans le parc Safari, et ce qui attirait les foules restait l'arène. En cela, toute la cité s'était développée autour d'eux, chaque panneau indiquait les lieux au lieu de montrer les belles demeures traditionnelles. On tournait en ridicule les coutumes ninja, prenait des airs de braconniers pour s'amuser. Non vraiment, Yoann n'aimait pas cette ville.

Remarque, avant de dire ça, il aurait pu la visiter. Son sentiment de malaise devait plus avoir un rapport avec les évènements qu'avec le reste.

Exaspéré et surtout épuisé, le petit medium passa une main sur son visage, espérant se réveiller un peu. Son œil dériva sur le réveil de la table de nuit accompagnant chaque lit d'hôpital. 5h15. Il avait rêvé qu'il n'arrivait pas à s'endormir. Drôle de sensation.

Sunny, face à lui, n'avait pas quitté son lit, les cheveux détachés, tombant lâchement sur ses épaules, le teint aussi pâle que la mort et le regard lointain. Doucement, avec la lenteur du mourant, elle se tourna vers lui, et envoya un pâle sourire à son veilleur. Une expression douce et tellement fausse qu'elle en faisait mal au cœur. Ses cernes alourdissaient, éteignaient cette lueur dans ses pupilles fiévreuses.

-Tu devrais dormir encore un peu, tu n'as fermé les yeux qu'une petite demi-heure.

Yoann ricana et s'étira, courbaturé à force de rester sur cette même chaise.

-Ton portable a sonné deux à trois fois pendant que tu dormais.

Le garçon soupira et emprunta l'appareil avec lassitude. Il lut les quelques messages textes qui encombraient sa boîte de réception. Un de la part d'Eléanore et Samantha qui lui racontaient leurs journées et demandaient ce qu'ils devenaient, et deux autres bien moins enthousiasmant.

-Twilight a organisé une réunion d'urgence, et on l'a loupée, balbutia-t-il en tendant son mobile à la jeune fille.

Celle-ci le fixa quelques secondes avant de sursauter, de grimacer et de le prendre du bras gauche devant un gamin désolé.
-J'ai du mal à m'habituer, je le sens encore, mon bras, comme s'il était toujours là, donc ça me fait bizarre d'utiliser l'autre...

Elle lut attentivement le texte et soupira avant de le retendre à son sauveur.

-Il y a aussi Peter qui nous a écrit un résumé des décisions prises pendant la réunion, analysa le medium peu après.

Ses lèvres se pincèrent.

-Dorénavant, chaque membre devra porter en service un masque et un uniforme pour qu'on ne le reconnaisse pas et pour limiter les risques des familles otages. Peter va inventer un personnage factice pour prendre la « tête » du groupe en public, chaque membre l'incarnera par moment en revêtant son costume. Certaines personnes vont être protégées par une sorte de programme de témoins.
-C'est pas joyeux tout ça... maugréa Sunny.
-Il y a un PS te concernant : ton frère est apparemment en chemin pour te voir, et Marion veut que tu viennes au QG pour qu'elle s'excuse en personne, que vous discutiez de ton avenir dans l'organisation, à la vue... de ta condition nouvelle...

L'adolescente secoua la tête dans un mouvement affirmatif, absente, peu préoccupée par tout cela. La machine à ses côtés indiquait toujours un rythme cardiaque particulièrement bas. Le garçon, prenant cela pour un silence solennel, grave, baissa la tête sans un mot, mais il se trompait.

-Bon, eh bien... Il ne nous reste plus qu'une chose à faire... Après tout, si j'ai tout suivi, tu m'as sauvée, tu as emmené mes pokémons au centre... Et tu m'as rapporté mon adorable Feunard tout à l'heure... Donc… Merci beaucoup... ?
-Yoann. Je m'appelle Yoann Euphy. Je viens de Lavanville.

Sunny sourit gentiment, faiblement, et murmura :

-Enchantée, appelle-moi Sunny, Sunny Shade. J'ai été adoptée par la famille Briggs, mais je préfère mon nom d'origine.
Ils ricanèrent timidement et elle leva les yeux vers lui, la mine perturbée.

-Lavanville, comme la cité des spectres ? bafouilla-t-elle.
-Oui, tu as tout bon. J'ai même un Fantominus, tu veux le voir ?
-NON SURTOUT PAS ! bégaya-t-elle, blême.
-Un problème ? s'inquiéta le medium.
-Je déteste tous les fantômes et ce qui en découle. On va pas s'entendre, tous les deux, j'en ai peur.
-Oh, répliqua Yoann, renfrogné, penaud.

A nouveau, plus rien ne passa entre eux, ils détournèrent leurs têtes, intimidés, abattus par la réalité des faits, jusqu'à ce qu'à nouveau le châtain ne balbutie en la voyant tenir son moignon avec tristesse :

-Tu le vis comment ?

Sunny ne bougea pas, mais son expression se contracta.

-Je vis. C'est déjà bien.
Elle fronça les sourcils et ses doigts se crispèrent sur sa plaie purulente, ses brûlures à vif laissèrent une marque écarlate sur son pyjama.

-Quand je pense que des gens ne font rien, ne se rendent compte de rien, alors que leur monde se disloque. Plus la vérité est dure, plus ils s'entourent de mensonges, ils essayent d'ignorer. Ils croient que les malheurs des autres ne les atteindront pas. Mais comment peuvent-ils ne pas voir les problèmes météorologiques ? Ignorer tous ces attentats ? Les humains sont vraiment des créatures pathétiques, dépourvus de dignité, incapable de régler leurs propres problèmes internes, c'est encore aux pokémons de nous sauver... Et quand eux aussi, ils perdront quelque chose, un bras, un ami... Là, ils commenceront à pleurer et à regretter, sans pour autant réagir.
Yoann frissonna devant une telle froideur, et murmura :

-Tu es un peu dure, tu ne crois pas ?
-C'est la réalité qui est dure. Je suis entrée dans Twilight pour ne pas être des passifs, pour tenter d'améliorer le monde, de le changer de mes propres mains...

Elle serra son unique poing et son rictus s'étira en une grimace de souffrance.

-Moi, j'ai foi en l'humanité, murmura Yoann.

Sunny sursauta, et dévisagea son sauveur, hagarde.

-Plus la vérité est douloureuse, moins tu mâches tes mots, je me trompe ?

L'adolescente resta impassible, Yoann scruta le paysage à l'extérieur, visible par l'unique fenêtre de la salle.

-C'est parce qu'il y a des gens comme toi, qui ont conscience que le changement est à notre portée, que le monde évolue. J'en avais assez moi aussi du quotidien de ma maison, de cette torpeur paralysante. Twilight est un regroupement de ce genre de personnes, ceux qui veulent un monde meilleur, ceux qui veulent sortir des chemins tracés. En cela, c'est pour ça que je crois en Twilight, que je crois en l'humanité. C'est pour ça que, quand ils m'ont demandé d'aller te chercher, même si cela signifiait peut-être ramasser un cadavre, j'y suis allé.

Sunny rougit faiblement, émue par ce discours sans vouloir l'avouer. Elle allait répliquer quand un bruit l'interrompit. La porte s'ouvrit pour laisser entrer un jeune homme aux yeux et aux cheveux bleus. Son piercing au sourcil, et son tatouage sur le pourtour des yeux, au lieu de lui donner l'air sévère désiré avec ce genre d'effet, ne faisaient qu'accentuer les marques d'inquiétude sur sa frimousse.

Son regard se posa sur la jeune femme alitée, et alors toutes ses phrases, tous ses mots enfouis en lui semblèrent l'étrangler. Il se précipita vers elle et l'enlaça en tremblant. Sa voix brisée, secouée par les sanglots, s'éleva entre les quatre murs.

-Pardon... Je n'ai pas pu te protéger... Pardon...

Sunny jeta un coup d'œil à Yoann et un sourire sincère orna ses traits, alors qu'elle passait son unique bras autour du cou du jeune nouveau pour murmurer :

-Je vais bien maintenant que tu es là, grand-frère.

L'adulte recula un peu, et prit la frimousse éreintée de sa cadette entre ses paumes, les pupilles noyées sous les larmes. Puis ses doigts caressèrent le fantôme de son membre, et il murmura :

-Ton bras... Ils ont pris ton bras... Ton...

Sa voix s'éteignit et ses doigts se crispèrent sur le vide dans une convulsion douloureuse, tandis que deux larmes coulaient sur ses joues.
Sunny regarda son frère, ferma les yeux et savoura cette étreinte avant de souffler :

-Ils ne m'ont pris que ça.

« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

S'il neigeait peut-être à l'extérieur, Eléanore n'en savait rien. Bien à l'abri sous sa couette, elle savourait la chaleur des draps avec délice, bercée par la semi-conscience d'être endormie. Les gémissements plaintifs de Sam, encore une fois victime de mauvais rêve, l'atteignaient à peine ; de même que les ronflements de Lucas et les bruits des murs malmenés par un Gabriel au sommeil agité.
En revanche, quand une main vint se glisser dans son cocon et la secouer tendrement, elle émergea finalement. Ses paupières papillonnèrent quelques secondes pour chasser les brumes de la fatigue. Alors, les traits doux de Daniel se dessinèrent devant elle. Le gamin mit le doigt devant sa bouche et siffla un « chut ! » complice. La gamine afficha une expression de surprise tandis qu'il lui murmurait :

-J'ai une surprise pour toi. Habille-toi chaudement et suis-moi, d'accord ?

Eléanore secoua la tête pour s'ébrouer, et se leva d'un bond. Elle se dépêcha d'enfiler ses vêtements et son manteau.

Dans le couloir, Daniel patientait, accoudé contre le mur, jetant des coups d'œil furtifs à la silhouette de son amie se préparant à la va-vite. L'horloge murale sonnait les six heures. Shagi à ses côtés, les bras croisés, lui montra une mine contrite.

-Dis, c'est moi ou elle que tu fixes ? Parce que franchement, là je commence à flipper, maugréa-t-il.

Danny ne parut même pas l'entendre. L'habitant d'Irisia soupira bruyamment. Eléanore apparut dans l'encadrement, essayant de mettre son cache-oreilles sans y planter des poignées de mèches de cheveux dans les orifices. Le gamin perdit alors tout intérêt pour son compère, même quand Shagi lui souffla :
« Bon, je préviens tout le monde que vous revenez vers midi, okay, mais toi, si un pokémon légendaire se pointe, tu m'appelles immédiatement, ok ? »

Il l'ignora.

Sans lui donner un quelconque indice, l'adolescent tira Eléa avec lui dans le dédale de couloirs, abandonnant un Shagi plus que perplexe quant à la fiabilité du rêveur.

Ils sortirent du centre, et Daniel l'emmena derrière le bâtiment, devant une remorque vide. Il lui intima de s'installer sans se faire remarquer. A peine avaient-ils pris place à l'arrière du véhicule que celui-ci s'ébranla et se mit à démarrer dans des grincements peu enthousiasmants. Eléanore vit la silhouette d'un Shagi agacé s'étrécir en même temps que celle du centre, puis disparaître dans la brume matinale. Le garçon à ses côtés fouilla alors son sac, et en dépêtra un croissant qu'il lui passa. Elle le grignota en silence, intimidée, mais Danny lui prit la main et lui sourit gentiment avant de murmurer :

-Tu peux te rendormir si tu veux, je te réveille dès qu'on arrive.

Il lui pointa du doigt une couverture de fortune, et lui confia un baladeur CD, sûrement pour couvrir les ronronnements du moteur, mais l'adolescente continua de le fixer à mi-chemin entre l'ahurissement et la méfiance.

-Où va-t-on ? demanda-t-elle simplement.

Le chasseur de shiney camoufla un rougissement et bafouilla :

-Tu n'avais pas l'air bien en arrivant, et avec la nouvelle qu'on a eu hier, je me suis dit qu'on pourrait aller se parler, se confier dans un coin tranquille...
Eléanore parut abasourdie par cette réflexion, mais les vestiges d'une répartie délaissée ses derniers temps lui fit répliquer instinctivement :

-On pouvait le faire au centre...

Danny se figea, comme s'il en prenait conscience seulement maintenant, puis embarrassé, il secoua des bras et siffla :

-O-Oui mais t'en fais pas, c'est très beau là où je t'emmène aussi, puis... puis...
Eléa pouffa, amusée par la détresse de son camarade, son cœur se réchauffant un peu malgré la bise. Elle se recroquevilla sous la couette, en passa un bout sur les épaules de Daniel, et plaça les écouteurs sous son bandana. La musique commença à affluer. Douce, elle parvint tout de même à supplanter les bruits du voyage. La gamine ferma les paupières, bercée par le roulement des cahots et la mélodie.

Daniel avait su voir tout de suite qu'un mal lui pesait, comme il avait pu la percer à jour au début de leurs aventures. Son coéquipier restait vraiment incroyable, imprévisible. Derrière ce sourire rêveur, ce petit air shooté, il cachait bon nombre de pensées. Mais étrangement, il ne paraissait jamais se soucier de lui. C'était toujours sa famille, Lucas, ou elle... Il lui avait dit une fois, dans une de leurs conversations, qu'il se trouvait égoïste, mais qui ne l'est pas un peu ? Après tout, on ne vit qu'une fois, il est normal de vouloir une part de bonheur, quitte à s'y accrocher avidement.

La tête d'Eléanore se posa sur l'épaule du brun. Les yeux clos, paisible, le concerné la dévisagea une seconde, et finit par s'assoupir également. L'un contre l'autre, ils entendaient jusque dans leurs rêves la même musique émise par le mp3 archaïque. Une radieuse chanson pleine d'espérance.

Un soubresaut et un brusque arrêt de la part du chauffeur les ramena sur terre une petite heure plus tard. Eléa, encore secouée par le réveil brutal, papillonna des paupières plusieurs fois, avant de comprendre que Daniel remerciait l'homme et l'aidait à descendre de la remorque. Cependant, même une fois tirée du monde du sommeil, elle n'arriva pas à réaliser où elle se trouvait. Le vieux les avait interpellés quelques secondes, leur déclarant qu'ils ne verraient rien d'intéressant s'ils continuaient dans cette direction - eh bien il se trompait lourdement.

La neige craquante sous leurs pieds laissa bientôt sa place à un monticule d'herbe fraîche, les arbres retrouvèrent leurs éclats du printemps. Là, la terre irradiait d'une chaleur confuse, faisant fleurir sa ramure. Au milieu d'un océan blanc, d'une épaisse couche de neige, survivait comme un îlot de verdure.
Les pousses sur le sol ondulaient sous le vent, mais pas un son, pas un seul animal ne hurlait. Un silence solennel régnait, en pleine forêt, en plein délire.

Eléa, pourtant, sentait la vie grouiller sous ses orteils, aussi sûrement qu'elle percevait cette chaleur embaumer sa poitrine. Hagarde, elle se tourna vers Daniel. Celui-ci lui sourit et souffla :

-J'ai trouvé cet endroit en cherchant des shineys... Regarde...

Il lui saisit le poignet et l'emmena au pied d'un chêne rescapé de l'hiver. Entre ses racines se logeaient des centaines de touffes herbeuses, oscillant de gauche à droite au rythme du temps. Son ami l'obligea à en toucher les feuilles, et Eléa poussa une exclamation étonnée.

-C'est doux ! C'est... brûlant !

Daniel hocha de la tête et joua avec les brins, sereinement.

-Les Mystherbes, au moment de l'hiver, enfouissent leurs têtes dans le sol pour hiberner. Ils choisissent un terrain et le colonisent, c'est ce qui arrive ici. La chaleur de leurs métabolismes réunis permet de maintenir les lieux dans une sorte de printemps éternel. On utilisait ça, à la ferme, chez moi, quand on n'avait pas fini nos plantations aux premières neiges.
-C'est... incroyable ! bafouilla la gamine, le rose aux joues, triturant des poignées de terre bouillonnante. Tu as trouvé un vrai paradis ! rit-elle.

Le garçon s'assit dans le creux des racines et contempla son œuvre, plus particulièrement l'expression enchantée d'Eléa. Fier de lui. Il resta muet le temps que l'enthousiasme retombe et qu'Eléa ne vienne le rejoindre, le souffle court.

-Fatiguée ? demanda-t-il.
-J'ai un peu trop forcé hier, je crois. J'ai la gorge en feu et je suis K.O ! Si j'étais un pokémon, le match serait perdu !

Elle eut un rictus maladroit, et son visage se ferma face à sa propre remarque, comme frappée par une douleur oubliée.

-Et si tu me montrais Miyu ? Tu m'en avais parlé, je sais que je ne peux pas le voir, mais dis-moi où il flotte en ce moment ! tenta Danny pour la réconforter.

Contrairement à ce qu'il pensait, sa proposition ne fit qu'aggraver la peine de son amie. Elle plissa les paupières et sa mâchoire se crispa. Le chasseur se contracta et balbutia :

-Un problème ?

Eléanore resta silencieuse, seuls ses doigts se serrèrent sur les manches de son manteau.

-Je ne te traiterai pas de menteuse, promis... la rassura encore un peu Daniel, songeant à Régis et sa réaction.

Un rictus étira les lèvres de sa camarade, mais rien de plus. A court de réplique, l'enfant soupira et s'adossa contre le tronc, abattu. Seulement quand il détourna le regard, quand il rompit le contact, une voix s'éleva dans le bosquet.

-Normalement, quand je me sens mal, quand je suis sur le point de pleurer, je pense à autre chose, aux souvenirs heureux avec mes parents, ou avec Régis, Sacha, toi, Sam... tout le monde... D'habitude, ça suffit à me remonter le moral, ça me donne envie de vivre encore plus d'aventures grandioses, de profiter un maximum du temps qu'il me reste... Mais en ce moment... Cela ne fonctionne plus... Parfois, mes problèmes me sortent de la tête, comme hier, mais dès que le sérieux revient, eux aussi sont de retour, et ils me font encore plus mal...

Sa voix se brisa.

-Je sais plus quoi faire, Daniel... Je veux penser à autre chose ! Je veux rire comme avant, j'ai pas de temps à gaspiller à cause de ce genre de stupide attitude, mais... mais... je n'y arrive pas...

Elle plaqua une main paniquée sur ses lèvres, comme pour retenir un sanglot trop honteux, les pupilles brillantes. Daniel resta immobile, comme figé. Il n'alla pas la prendre dans ses bras pour la consoler comme l'aurait fait Régis, il se contenta de lui expliquer calmement :

-Quand j'étais petit, j'ai ressenti ça. Le jour où Nathaniel est parti de la maison en nous laissant derrière. Je fonctionnais comme toi avant, mais à cette époque, plus je songeais aux moments heureux, plus j'avais l'impression qu'il n'y en aurait plus jamais, que rien ne serait de nouveau comme avant. Ce qui est vrai.

Il se gratta la joue, gêné.

-Mais je n'avais pas le droit de pleurer. Alice me l'avait formellement interdit. Dès qu'elle avait appris la nouvelle du divorce, elle m'avait sorti « Maman pleure déjà assez, tu ressembles trop à ce con pour avoir le droit de compatir à sa peine ! ».

Eléa lui jeta un coup d'œil en coin. Alors qu'elle grelottait pour retenir ses larmes, qu'elle luttait toute entière contre la douleur, Daniel, lui, contait sûrement le seul drame de son existence, sans une once de tristesse imprimée sur la frimousse. Impassible, indifférent, voilà ce qu'il était. Aussi froid que la neige qui les entourait.

-Ce jour-là, j'ai vraiment cru que j'allais mourir, que j'allais céder et pleurer devant maman, que j'allais lui faire encore plus de mal. Puis, alors qu'ils étaient tous en train de sangloter, j'ai fermé les yeux, et j'ai imaginé... J'ai imaginé une histoire où j'y ai enfermé tous mes malheurs, où le personnage criait, hurlait, pleurait, tout ce que je désirais faire en cet instant...
Il soupira, et rougit.

-Quand j'ai rouvert les yeux, je me sentais mieux. Je suis allé vomir, pour chasser la bile, puis je suis retourné auprès de Maman, comme si ça ne me touchait pas. Depuis, c'est ce que je fais, à chaque fois que je me sens acculé.

Il caressa la chevelure impétueuse de sa camarade, sans la regarder dans les yeux, et il déclara maladroitement :

-Tu m'avais dit, au téléphone, que je devais parfois avoir envie qu'on me plaigne... que c'était comme si je n'avais pas le droit d'être malheureux... Mais c'est faux, on me plaint, dès que j'en ai envie, je l'imagine, et on me plaint, dès que je me sens mal, je pleure sans verser de larmes. Ça me suffit amplement, et ça ne fait de peine à personne.

Eléanore hocha fébrilement de la tête. Il la ramena près d'elle, et lui susurra :

-Vas-y, je te prête ma méthode si tu ne veux pas me montrer cet aspect de toi.
L'expression d'Eléa se contracta, comme si un spasme la violentait. Elle n'émit pas un son, sa tête s'affaissa un peu, pliée, ployant sous l'ordre muet, et enfin son hoquet cessa. La bulle de mal-être qui endiguait sa trachée s'estompa, ses muscles se détendirent enfin peu à peu. Plongée dans cette réalité parallèle, elle sanglotait réellement, elle pleurait dans les bras de Daniel, de son père, leur hurlait ses vérités...

Lentement, elle se mit à avouer la raison de la disparition de Miyu, ses craintes, ses doutes, ce qui la tourmentait depuis quelques jours, autant au garçon invisible qui soutenait sa projection astrale qu'au petit Daniel qui l'avait tant de fois aidée.

Maintenant qu'elle y pensait, combien de fois son petit air ailleurs lui avait rendu le sourire ? Combien de fois, en à peine huit mois ? Elle-même en perdait le compte. Il l'écoutait, il ne la prenait pas en pitié, et aujourd'hui, il venait même de se confier à elle.

Cette constatation lui réchauffa les os plus tendrement que l'atmosphère envoûtante de cet Eden.

-Tu as bien fait de chasser Miyu, lâcha simplement Danny. Il t'a trahie, il ne méritait plus ton attention.

Eléa se rétracta, consciente de cela, mais incapable de calmer les hurlements de ses sentiments.

-Puis, ce n'est pas comme s'il avait disparu. Si jamais tu souffres trop de son absence, tu pourras toujours le rappeler à tes côtés, si j'ai bien compris. Tu ne lui accorderas juste plus autant de confiance qu'avant, se rattrapa le gamin dans un second temps, ayant perçu le tremblement de sa camarade.

La fille unique des Sarl hocha la tête, gravement.

-Donc tu es une gijinka ? hasarda enfin le brun, après une minute de silence pesant.

Nouveau mouvement positif.

-Je le savais ! rit le gamin, ne pouvant retenir un geste victorieux.
-Hein ? S'offusqua la petite.
-Je veux dire... heu, je savais bien que tu étais différente des autres, tu as un don avec les pokémons, tout s'explique maintenant, s'enfonça d'autant plus le Kazamatsuri.

Eléa dessina un cercle dans la terre, au plus bas.

-Oui, tout s'explique... répéta-t-elle, le cœur gros. Mon lien avec eux, mon pouvoir, la raison pour laquelle je n'aimais pas Sam, pour laquelle je t'appréciais, pour laquelle j'ai survécu... Je ne suis pas Eléanore Sarl, j'suis une sale imposteur, une chimère qui a pris la place d'une enfant mourante.

Daniel écarquilla des yeux et s'exclama tout frétillant :

-Wow, wow ! Tu crois vraiment ça ? Mélange pas tout, ça explique tes dons, et le miracle qui fait que tu es en vie, mais c'est tout... Qu'est-ce qu'on a à voir là-dedans ?

Eléa culbuta vers lui, furieuse.

-Mais enfin, réfléchis ! J't'ai dit qu'il fallait que les deux êtres qui fusionnent meurent pour créer un gijinka ! Chuis morte, cette fille devant toi, c'est pas moi ! Enfin si, mais c'est pas Eléanore Sarl !

Daniel recula, apeuré par cette colère soudaine. Sa camarade sembla se rendre compte de son mouvement, et elle revint à sa place, penaude, en position fœtale. Ils s'entreregardèrent en chien de faïence, incapables de bredouiller un mot de plus, la confusion les séparant plus efficacement que le silence. Le paradis en plein hiver leur apparut glacial. Pourtant, un rayon solaire perça la pénombre.

-Tu as raison, je n'ai pas Eléanore Sarl en face de moi... murmura Danny, lentement, devant une Eléa dont la frimousse se décomposait peu à peu.

Il planta son regard vairon dans le sien et lança doucement :

-Je vois Eléa Sarl. La fille que j'ai rencontrée, pendue à une branche, les pieds ballotant dans le vide. Une fille malade, mais courageuse, insouciante, mais souriante, une fille qui a été élevée par les Sarl, et qui les aime tout autant qu'ils l'aiment. Est-ce vraiment important de savoir autre chose ? C'est avec eux que tu as vécu. Lucas aime ma mère comme la sienne, j'aime Lucas comme mon frère. La vérité nous est égale. L'important, c'est ce que nous ressentons, non ?

La gamine resta pétrifiée, inerte. Daniel lui prit les mains et la conduisit jusqu'à son propre cœur.

-Moi, je sens bien un cœur dans ta poitrine, un cœur bien vivant, de même, je vois celle que j'ai toujours connu, avec ou sans Miyu. Je t'ai vu en tant qu'Eléa, pas Eléanore, la première fois. Mais tu restes une Sarl, les souvenirs que tu partages avec ton père et ta mère, sont réels, leurs liens avec eux également. Tu ne peux même pas dire que tu ne partages pas leur sang, vu que tu as le corps de leur véritable enfant.

Eléa secoua la tête, impétueuse :

-Mais c'est leur mentir !
-Tu trouves ? la coupa le garçon avec froideur. Moi pas. Tu les protèges de la douleur en acceptant ce rôle, tu te trouves des géniteurs... Tous les enfants mentent à leurs parents. Même moi, j'ai menti à ma mère bien souvent, j'ai même sorti à Gabriel une fois que s'il mangeait les biscuits à la noisette entre les repas, un chêne allait lui pousser dans le ventre !
-Et il t'a cru ? s'estomaqua Eléa, bluffée.
-Non, pas du tout - alors que moi j'avais gobé ça de la part d'Aaron à son âge... Mais c'est pas la question !
-Bah si, c'était ma question...
-Ah ?
-Oui…
-Heu... Mais j'avais encore plein de répliques à te sortir... J'ai eu du mal à les trouver, tu sais...
Eléanore rigola sincèrement et déclara :

-Et bien imagine-toi en train de me les sortir ! En attendant, moi, je vais faire ça !

Et sans un mot de plus, elle lui sauta au cou, et l'étreignit en riant aux éclats. Daniel, frustré de ne pas avoir pu finir son discours, grommela timidement, mais il abandonna ce sentiment de côté pour répondre à l'étreinte.

Eléa, dans ses bras, se remémorait des passages de son existence. Elle se revoyait, pour Noël, jouer avec sa mère. Elle se souvenait des parties enflammées de jeux vidéo contre son père - mauvais joueur d'ailleurs. Elle entendait presque les remarques mi cyniques mi émues de ses grands-parents... La joie, mélangée à la mélancolie, inonda son être. Un sourire lui échappa : sa méthode fonctionnait enfin ! Elle arrivait de nouveau à se réjouir, elle parvenait à ne plus sombrer dans le doute. Quelle bêtise, Daniel avait parfaitement raison. Elle était la fille des Sarl, peu importe ce que pouvait dire Giratina. Les principaux concernés la voyaient, la respectaient comme telle, et réciproquement. Comment avait-elle pu se laisser berner, croire en sa mort, alors même que son cœur palpitait encore en elle ? N'avait-elle déjà pas trop peur qu'il s'arrête à tout instant pour rester figée sous des doutes illusoires ?

Les doigts de la petite se perdirent dans la tignasse brune du rêveur - charnue, noueuse, vraiment peu douce, la queue de cheval basse, nouée en catogan, ne ressemblait qu'à une vulgaire masse emmêlée.

-Dis, tu veux que je te renvoie l'ascenseur, en souvenir du concours ? J'peux te couper les cheveux moi aussi, pour te remercier ! proposa-t-elle.
-Non merci ! fit-il tout net. Je préfère ne rien changer à ma coiffure !
-Oh, pourtant je suis sûre que les cheveux courts t'iraient bien aussi, se défendit la fillette.
-Non, j'aurais la même tête que Nathaniel. Non, maintint le gamin, renfrogné.
-Bon... Alors je vais te remercier de la même manière que la dernière fois ! se résigna Eléa, déçue.

Doucement, elle approcha son visage du sien et l'embrassa sur la joue tendrement. Daniel tétanisé, caressa l'empreinte de cette gratitude, et frissonna, avant de s'exclamer :

-Ah ! Mince, il faut rentrer !
-Hein ?
-Regarde le soleil, il va atteindre son zénith, ils vont s'inquiéter !
-Ah ! s'empourpra Eléa, pas du tout encline à rentrer pour le moment.
-Et le monsieur qui est parti, j'ai oublié de penser à la manière dont nous allions rentrer... Zut... se réprimanda le gamin.
Eléa haussa les épaules, peu concernée, plus embêtée par le manque de réaction vis-à-vis du bisou qu'elle venait de lui donner que par leur retard hypothétique. Avec lassitude, elle dégaina ses pokéballs et demanda à Ash d'en sortir. Le dragon noir s'imposa dans le paysage, mugissant et puissant.

-On n'a qu'à monter sur son dos, en plus ça l'entraînera. Hein, Ash ? Tu veux bien ? lança la fille des Sarl, guillerette.

Mais le pokémon feu fixa le Kazamatsuri, les prunelles rougeoyantes de jalousie. Dans un sifflement dédaigneux, il cracha une gerbe de flammes qui passa à quelques centimètres du crâne du concerné. Le gamin s'accroupit et maugréa :

-Mais qu'est-ce que j'ai fait ?
-ASH ! s'emporta Eléa, étonnée.

La créature volante crachota un nuage cendré des naseaux, méprisante, devant des enfants atterrés. Dire qu'ils avaient joué à pierre-papier-ciseaux ensemble… L'évolution changeait-elle les pokémons à ce point ?
Dans tous les cas, après maintes et maintes excuses et deal avec le dragon, ils trouvèrent enfin un compromis. Daniel monta sur son dos, et Eléa trouva sa place dans les serres de son ami. Ainsi séparés l'un de l'autre, Ash n'avait plus de raison de piquer une crise. Dans un battement d'ailes, ils s'envolèrent pour retourner à Celadopole.
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-Je peux manger seul.
-Avec tes mains en miettes, permets-moi de douter.
-Je l'ai bien fait jusque-là.
-Tu étais sous perfusion, Silver...
-Et je ne dérangeais personne, pourquoi l'ont-ils enlevée ?
-Parce que tu sors aujourd'hui, enfin !
Cristal haussa les épaules, agacée, devant ce spectacle plus qu'affligeant. Son grand frère assis sur une chaise à côté du lit essayait vainement de nourrir le malade, tâche plus que difficile compte tenu du fait que sa cible n'était autre que Silver et son ego surdimensionné. Il fournissait plus d'efforts pour repousser - le rouge aux joues - la cuillère que Gold tentait de lui enfourner que pour manger son repas.
La remarque anodine de son aîné de la veille continuait à s'imposer à son esprit. C'était étrange, qu'il dise ça sur un autre garçon. Sur une fille d'accord, elle s'habituait aux petites blagues salaces sur les tours de poitrines et l'attitude « pouf ou pas pouf »... Mais le fait que son frère parle des mecs de cette manière-là, ça, ça lui laissait un goût amer.

Elle soupira et passa une main dans ses cheveux, se murmurant de se calmer. Après tout, son frère avait peut-être tout faux. Oui ça devait être ça, il lui avait dit ça pour la taquiner, rien de plus. Voilà, c'était drôle, il avait pris cet humour de mauvais goût à force de côtoyer Silver, merci bien !
Son regard coula sur eux. Ça s'aggravait, maintenant ils menaçaient de s'entretuer avec les fourchettes en plastique.
Cristal piqua un fard monstrueux suite à une image très peu catholique concernant les deux chamailleurs.
Mais qu'est-ce qui lui prenait, enfin ? Gold aimait les filles ! Silver... C'était Silver, il n'aimait rien.
Bon sang, qu'ils s'éloignent un peu l'un de l'autre, cette proximité de leurs visages dans la dispute l'embarrassait !
Nouveau hurlement offusqué de la part d'un Silver qui reçut dans les cheveux une bonne dose de purée fade. Gold essuya comme il put son erreur. Cristal poussa une exclamation paniquée et s'interposa entre eux, reprenant le plateau repas et le jetant à la poubelle.

-Mais j'ai faim ! se renfrogna Silver.
-Fais un régime ! répliqua Cristal, tremblante, écumante de gêne devant l'air penaud que prenait son frère.
-J'en ai pas besoin, contrairement à toi, pleurnicharde !

C'est à cet instant précis que la porte s'ouvrit. Un grand homme en costume écarlate, contrastant avec sa chevelure longue, ondulée, et surtout violacée, entra, il rehaussa ses lunettes sur son nez et ferma d'une main un livre qu'il tenait encore. A sa suite, un autre arriva, beaucoup plus petit, plus décontracté, vêtu d'un bandana dans les tons noirs et rouges, d'un pantalon en toile, il tenait dans ses mains un portable qu'il semblait sur le point d'embrasser. Les cheveux verts, une mèche rebiquant vers le haut, les yeux bleus comme son collègue. Ils se nommaient respectivement Aaron et Lucio, deux membres du conseil des 4 de Sinnoh. Et de toute évidence, ils n'avaient pas grand-chose à faire du malade dans la chambre - à vrai dire, le maître Psy paraissait réfréner des envies de meurtres envers son poursuivant.

-Et là, Makanie m'a répondu : « Habituellement je n'aime pas les pokémons Insectes, mais les tiens je les adore ! » Elle est adorable, tu ne trouves pas ? Regarde son sms, elle finit son message par « je t'embrasse » ! C'est mignon ! Hein ? Une fille comme ça on en trouve pas à tous les coins de rue, avoue-le !
-Oui, Aaron, je sais : tu aimes ta copine irisienne. Je sais...
-Elle m'a dit qu'elle avait fait tout le chemin vers Sinnoh rien que pour me combattre, c'est adorable cette passion chez elle !
-Cette passion chez toi est assommante...

Silence dans la salle. Le jeune amoureux se vexa, sa joue se gonfla et il croisa les bras en grognant, au grand soulagement du plus adulte. Celui-ci s'avança vers Gold, Silver et Cristal, pour leur sourire gentiment :

-Alors, on a du chemin à faire. On vous prend avec nous, on passe à Parmanie et ensuite à Celadopole. Récupérez tout le monde, et ensuite, on se rend tous au QG. Vous êtes prêts ?
-Si vos pokémons sont blessés, ma petite amie nous attend au QG avec son Ecremeuh pour tous les soigner ! lâcha Aaron, tout fier.

Cristal frissonna, blême. Finalement, elle n'avait plus envie de rentrer. Cependant, à ses côtés, Gold s'impatientait. Ravi, il murmurait, enthousiaste : « Tu vas voir, Silver, le QG est un endroit superbe. C'est la première fois que tu y vas, non ? J'espère qu'y'aura assez de chambres ! ». Nouvelles images qui fusent, la sœur donna un coup de coude à son aîné pour se les chasser de la tête. Malheureusement, le brun touché ne trouva rien de mieux à répliquer en retour, plié en deux :

-Oh, il me semble qu'on retrouve Sam, Eléa, Daniel, Yuki, Gabriel... Et surtout Lucas... A Celadopole !

Mais on désirait sa mort ! Un Ecremeuh en plein dans leur base secrète et maintenant ça ? La chute de Twilight était assurée - toute façon, elle avait toujours dit que ces vaches avaient des penchants démoniaques de dictateurs avec leurs roulades infernales, mais personne ne voulait la croire ! Tant pis, ils fonçaient droit dans le mur, elle allait se servir du grand dadet nommé Lucas comme bouclier.

Laissons-donc Cristal dans son délire de pokémons prenant le contrôle de l'univers et instaurant un gouvernement laitier, et intéressons-nous plutôt à Gold. L'adolescent aida à regrouper les affaires dans un coin, et Silver à se lever de son lit. Il jeta une œillade inquiète à sa cadette qui demeurait coincée sur ce stupide animal, puis vit Lucio lancer une pokéball vers eux. Une magnifique Gardevoir se dressa. Ses yeux rouges aussi doux que ceux de son dresseur ne furent qu'une façade car à peine arrivée, elle croisa les bras et leva le nez avec dédain. En réponse aux airs ahuris des enfants, Lucio lança :

-Elle est fâchée de ne pas avoir aidé à Carmin-sur-mer, et elle est assez rancunière... Bref, Galade, attaque Téléport vers Parmanie.
Dans un gémissement impétueux, la créature leva les bras, une lumière tendre entoura tous les occupants de la pièce, un vent chaud les souleva de terre, et instinctivement, ils fermèrent les yeux, bercés par ce sentiment paisible de flotter, avant d'atterrir brutalement sur le sol en linox d'une autre chambre d'hôpital. A des kilomètres de leur point de départ.

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Samantha tournait en rond devant le parvis du centre. Elle ne cessait de jeter des regards autour d'elle, scrutant le paysage avec une mine déboussolée. Les garçons la fixaient, certains avec une pointe de peine, comme Lucas et Akira, les autres avec une exaspération grandissante. Brusquement, au bout d'un centième aller-retour en vain, l'adolescente poussa un cri de rage, envoyant d'un coup de pied une bonne masse de neige.

-Mais qu'est-ce qu'ils font ! C'est pas sympa de se barrer comme ça sans prévenir !
-Ils font une virée en amoureux, plaisanta Shagi avec un rictus vicieux.
-Arrête de délirer ! beuglèrent instantanément Lucas et la jeune femme, rouges.
-Moi ce que j'en dis !
-Malheureusement j'ai peur que tu te trompes lourdement. Mon frère est bien trop bête pour analyser ce qu'il ressent, et encore plus pour appeler ça de l'amour. Pour lui, dès qu'il apprécie quelque chose, ça devient une part de la famille ! se moqua ouvertement Gabriel avec un rire.
-On va aller loin avec ce genre de gamins... maugréa Yuki, agacé. Je te dis pas les dépenses que vous allez faire en psy si ce que tu dis est vrai, petit.
-Peut-être que Daniel est un peu trop timide pour penser à de l'amour, mais Eléa n'est pas du genre à se voiler la face.

Le groupe se tourna d'un bloc vers Régis qui, vêtu de son habituelle cape de voyage, traînait une énorme malle contenant tous leur matériel informatiques réuni. Gabriel émit un simple rire, et il haussa les épaules en murmurant un « peut-être » mystérieux. Le chercheur montra une mine indifférente, il descendit simplement les marches pour rejoindre tout le monde en annonçant que les envoyés de Twilight arriveraient vers les 15h, après être allé chercher tous les blessés.

-On va revoir Gold et Silver ? constata Lucas, une pointe de jalousie lui échappant.
-Oui, et Sunny aussi, ainsi que le... heu... Yoann... Apparemment, c'est elle qui a été prise dans l'explosion.
-Quoi ? hurlèrent d'emblée Gabriel et le futur stratège, blancs. Et elle ?
-Elle est vivante, les coupa Régis, intransigeant, leur intimant qu'il ne connaissait pas lui-même les détails de l'histoire.

Les deux concernés ravalèrent donc leurs questions, les gorges obstruées par l'ignorance, leurs frimousses contractées. L'ambiance fut aussitôt relevée par un sifflement plein d'entrain :

-Ouais, le retour de mister Spectre, gé-ni-al, excusez-moi de ne pas montrer ma joie, hein.
Regards obliques vers Shagi qui se curait les ongles, amusé. Samantha s'avança vers lui, furibonde et lança froidement :

-Peut-être que tu ne l'apprécies pas, que tu ne les aimes pas, mais ce sont nos amis, alors aie au moins la politesse de ne pas en dire du mal devant nous !

Shagi fronça les sourcils, puis brutalement siffla :

-Je te trouve un peu mal placée pour me faire la leçon. Tu te méfies de Yoann comme de la peste, tes amis sont partis quelques heures en prévenant pour ne pas vous inquiéter, et toi tu sembles sur le point de les étriper dès qu'ils reviendront. Bonjour la confiance !

Samantha recula, pâle, mais ses joues se colorèrent de colère. Elle ouvrit la bouche, prête à répliquer quelque chose, mais il la coupa avant même qu'elle n'émette le moindre son :

-Tu as exactement le même regard qu'un de mes amis. Le même que le jour où il est parti de chez lui en trahissant tous ceux qu'il aimait.

La brune se figea, pétrifiée, comme foudroyée sur place. Shagi détourna la tête, las de ce sujet, et croisa les bras, voulant arrêter les bavardages, quand un murmure le stoppa.

-C'est vrai ce mensonge ? Tu as déjà menti une fois, en te faisant passer pour l'ami de Yoann, d'après Eléanore, alors comment te croire ?

Shagi et Samantha s'entreregardèrent, tendus, une ambiance malsaine s'infiltrant entre eux. L'irisien eut un rictus manipulateur et lança :

-Qui sait ?

Et il leva le bras vers le ciel, en enchaînant :

-Les revoilà !

Aussitôt, un Dracaufeu noir se posa dans la neige dans un mugissement fier. Daniel fit un vol plané magnifique, éjecté, alors qu'Eléa put faire ses pas en douceur, retrouvant avec étonnement la neige glaciale. Elle et Shagi s'avancèrent et il lui demanda si cette escapade leur avait fait du bien, ce à quoi la gamine rétorqua :

-Géniale, tu as loupé Giratina, Mew, et même Arceus !

Un concert de rires jaunes et nerveux fit froid dans le dos aux spectateurs, les deux interlocuteurs paraissant sur le point de s'entredévorer.

Alors que Lucas aidait Daniel à se relever, lui soufflant ce qu'il avait appris sur Sunny d'un timbre tremblotant, Samantha détourna la tête, les lèvres pincées, n'osant pas soutenir les prunelles pétillantes d'Eléa de front. Ce fut Yuki qui prit l'initiative, il se tourna vers son élève et demanda :

-Sam, il me semble que tu voulais dire un truc à Eléa. Tu nous as bassinés avec toute la matinée, non ?

La concernée sursauta, le regard fuyant, et déglutit. Malheureusement, Eléa, curieuse et de toute évidence d'excellente humeur, s'approcha d'elle et l'interrogea sur ce qu'elle souhaitait lui transmettre si ardemment. Avec un sourire branlant, la fille adoptive des Joëlle balbutia :

-Je sais bien qu'avec Twilight, les champions viendront à nous, mais vu que nous sommes déjà à Celadopole, on pourrait profiter des dernières heures ici pour défier Erika, non ?
-Hein ? s'emporta le petit-fils Chen. Mais enfin, ils nous ont donné rendez-vous devant le centre, on risque de les faire attendre si on y va maintenant ! C'est idiot.

Cependant Eléa afficha un immense sourire et serra les poings avec conviction.

-C'est une excellente Idée ! Un match d'arène, ouais, depuis le temps ! Comme ça Régis, tu me verras au combat, tu vas rester bouche-bée !
-Mais...
-Allez ! Minauda la fillette. Daniel, Lucas, venez avec nous, allez ! On va bien s'amuser !
Les deux garçons, encore choqués par la nouvelle sur Sunny, hochèrent faiblement du chef, estomaqués. Eléa hurla sa joie et fit une pirouette victorieuse tout en proclamant :

-J'vais le gagner, ce badge !
Avant de se tourner vers Sam, de lui prendre le bras et de se rectifier, aux anges :
-Nous allons le gagner ce badge !
Samantha baissa les yeux, ses prunelles s'attardant une minute de trop sur le sol, pourtant insignifiant. Akira, derrière elles, s'interrogea quelques secondes sur cette attitude presque fautive de son élève, puis suivit le groupe, devant un Régis atterré, mais partant. Ainsi ils partirent d'un presque commun accord, tenter une dernière fois le challenge d'une arène.

Cependant, seule une personne dans leur groupe prenait réellement conscience que cet évènement allait tout changer. Leurs destins à tous se scellèrent en cet instant. Il est amusant de voir qu'un unique grain de sable peut enrayer l'immense horloge d'une vie et l'arrêter, même sans le désirer.

L'enthousiasme débordant d'Eléanore parvenait presque à faire fondre la neige entourant les lieux. L'arène commençait à se faire voir. La gamine fit une pirouette joyeuse, ne remarquant pas la foule se pressant devant les portes du bâtiment, toute à sa joie, tourbillonnant avec un Daniel encore un peu à la masse. Plus ils approchaient, plus la frimousse de Samantha s'assombrissait.

Les silhouettes devinrent plus claires et là, Eléanore stoppa sa danse, ralentit sa course, et son visage blêmit. Un homme se retourna vers eux, ses cheveux vert foncé coiffés en arrière et ses prunelles sombres camouflées par des lunettes carrées. La gamine recula instinctivement, mais son dos se heurta à Sam, qui la retint par les épaules. Les mots s'engluèrent dans son gosier.

Charles Sarl accourut vers sa fille et l'enlaça de toutes ses forces.

Régis poussa une exclamation surprise devant cette apparition éclair. Mais si lui fut abasourdi, il ne souffrait d'aucune comparaison quant à l'état d'Eléanore, tremblante comme une feuille dans l'étreinte de son géniteur. Ses camarades, pour la plupart, ignoraient jusqu'à la signification du drame se déroulant devant eux. Daniel lui-même commençait à peine à s'interroger sur l'identité de cet adulte quand il vit les caméras de télévision affluer vers eux. Il se raidit, les muscles tendus comme la corde d'un arc.

Cependant Charles repoussa sa fille d'un coup et lui lança un regard furieux. Rouge, il lui hurla :

-Tu te rends compte de ce que tu as fait ?! IDIOTE !

Le bruit d'une gifle retentit, résonnant dans cette étendue blanche et silencieuse. Samantha sursauta et émit une plainte désolée. Eléanore plaqua une main sur sa joue brûlante, incapable de dire le moindre mot, pétrifiée. Charles l'obligea à se relever, la saisissant par le poignet.

Yuki voulut s'interposer entre eux, mais son élève l'attrapa par le bras pour le retenir, comme pour l'empêcher de ruiner sa carrière en agissant bêtement. Seuls Régis et Lucas intervinrent. Daniel avait les yeux vissés sur l'objectif des caméras, avec son cadet. Néanmoins, le père d'Eléanore foudroya le chercheur sur place.

-Je te faisais confiance, Régis. Tu devais nous la ramener et pas te joindre à elle dans son délire de liberté ! Elle aurait pu se tuer ! Tu voulais la tuer, c'est ça ton idée ? Ça ne te suffit pas d'être responsable de sa maladie ?
-Ce n'est pas de sa faute !

La réponse d'Eléanore n'atténua pas la douleur qui fusa dans le cœur de Régis : celui-ci tituba, touché de plein fouet. Mais la gamine paya bien cher son intervention. Charles la tira si fort qu'elle fut remise sur ses pieds presque instantanément. Le hasard voulut que les marques noires couvrant le corps d'Eléa soient parfaitement visibles suite à ce geste. La face de Charles se crispa, brusquement il releva la manche de sa fille et étrangla un souffle rauque :

-Regarde donc ce que tu as sur toi ! Ta maladie empire ! Qu'est-ce qui t'a pris de fuir comme ça ? Tu aurais pu te tuer !

Eléanore s'empourpra et tenta de se dégager, mais la prise de son géniteur ne faiblissait pas. Son père continuait à hurler contre son comportement déraisonnable, la réprimandant pour sa fugue. A nouveau, Charles Sarl enlaça sa fille, l'empêchant de répliquer outre mesure, voire même de s'enfuir. Il plissa les yeux, et murmura d'une voix fébrile :

-Arceus, merci, tu es en vie. Maintenant je te ramène avec moi. Ta mère et moi étions si terrifiés...
La gamine se raidit sous son emprise. Lucas poussa un « Quoi ? » ébahi, il voulut sûrement faire un pas en avant, pour empêcher cela, mais des policiers les encerclèrent. Gabriel secoua son aîné pour le sortir de cette tétanie qui l'emprisonnait devant les journalistes, mais rien à faire. Les yeux révulsés, les genoux flageolants, il ne bougea pas. Les agents Jenny lancèrent leurs Caninos. Dos à dos, le groupe semblait pris au piège.

Charles tenait sa fille solidement, et malgré ses efforts pour se débattre, elle restait coincée. Son père jeta une œillade furieuse sur Régis et ses camarades de fortune.

-Cette enfant est ma fille. Mis à part Régis, qui d'entre vous le savait ?

Akira s'avança, mais Samantha s'accrocha solidement à son bras et secoua la tête, Eléanore retint un tremblement et s'époumona :

-Ils ignoraient tous la vérité ! Ils pensaient que j'étais une fille comme les autres, je te le jure papa !
-Régis, lui en revanche, savait, répondit froidement le chef de la Sarl.
-Il me suivait pour me convaincre de revenir à la maison, mais je lui faisais du chantage ! Il n'avait pas le choix !
-Ah ! Et quel genre de chantage une gamine de ton âge peut bien donc faire ?

Eléanore se renfrogna, et se mordit la lèvre jusqu'au sang. Les policières de fonction passaient déjà des menottes à Régis, muet, coupable. Les reporters commentaient avidement les détails de l'affaire, Daniel menaça de tourner de l'œil quand un journaliste lui pointa le micro sous le nez, sans le coup de pied de Gabriel pour le faire déguerpir. Le savant, résigné envers son sort, se laissa faire. La peur saisit Eléa toute entière.

Cette affaire pouvait ruiner son existence. Tout ça parce que son père… Tout ça parce qu'elle ne pouvait pas trouver une raison pour disculper un tant soit peu Régis. Les rouages de son cerveau marchaient à cent à l'heure, à tel point qu'elle les entendait presque gémir sous son crâne. Puis d'un bloc, les idées crissèrent, hurlèrent en elle.

-JE LUI AI DIT QUE J'ALLAIS ME SUICIDER S'IL ME DENONCAIT !

Charles se braqua, Régis lui-même trébucha devant ce mensonge, cette phrase sembla tirer Daniel de sa torpeur tandis que Sam sentait son cœur se contracter. Lucas secoua la tête, et Akira écarquilla des yeux.
Eléa et son père se toisèrent avec tension. Au bord de la crise de nerfs, Eléa, les jambes en coton, se battait rien que pour tenir debout. Elle pouvait envoyer ses pokémons, mais elle risquait de blesser son père, elle n'avait aucune chance de s'enfuir dans ses conditions.

Elle en oublia de respirer.

C'était foutu !

Une souffrance lui transperça le corps, lui ôtant ses forces.

Comment cela avait-il pu arriver ?

Une brusque toux l'emporta, sa respiration se coupa, elle porta une main à sa gorge et tomba à terre, incapable d'aspirer la moindre bouffée d'air. Les caméras obliquèrent vers elle avidement, Charles en oublia toute sa rage, il s'agenouilla vers sa fille unique et chercha ses médicaments dans sa poche, continuant à hurler, retenant ses sanglots :

-Regarde dans quel état tu es, regarde-toi, tu es mourante... Si un civil ne m'avait pas appelé tu serais... tu serais...

Il la prit dans ses bras et lui passa un masque à oxygène sur la bouche. Eléa ne reprenait toujours pas un rythme normal, elle se mit même à cracher des gerbes sanguinolentes. Samantha ne put soutenir une telle vision. Elle plaqua ses mains sur ses yeux et se blottit contre Lucas, dans un état tout aussi pitoyable qu'elle. Daniel vit son manège, et les souvenirs fusèrent.
« J'ai un coup de fil à passer ».

Un frisson lui monta le long de la colonne vertébrale et ses cheveux se hérissèrent sur sa nuque. Ses poings se serrèrent. Il secoua la tête. Impossible, il délirait.

Le père d'Eléanore porta sa fille et donna l'ordre d'apporter une voiture. Eléa respirait toujours par à coup, incapable de prononcer un seul mot. Le cercle de policiers les ceinturant se relâcha, Régis récupéra ses mains à mesure que les agents accouraient vers le PDG pour obéir à ses désirs. Les reporters n'avaient d'yeux que pour les présentateurs en tout genre, résumant l'état critique de l'héritière. Ses peurs irrationnelles s'envolèrent.

Charles venait de déposer son enfant sur la banquette arrière et de s'installer à l'avant pour conduire à toute vitesse vers l'hôpital.

Daniel n'hésita plus une seconde. Il s'élança, il se faufila comme le vent entre les personnes présentes et plaqua sa main sur la vitre qui le séparait d'Eléa. Le véhicule démarra, ses doigts se refermèrent sur le rebord, ses jambes suivirent le mouvement. Lucas, voyant son ami faire une bêtise, se précipita, suivit de Sam, laissant Yuki, Gabriel et Régis derrière, abasourdis.

-Eléa ! Eléa ! hurlait Daniel en tambourinant d'une main sur la portière, tenant encore debout par il ne savait quel miracle vu que l'engin le traînant accélérait.

Charles passa la tête en dehors et somma le gamin de lâcher prise s'il ne voulait pas être blessé. Mais Daniel s'obstina.

C'est alors que la paroi de verre descendit et qu'Eléa s'approcha de lui, le masque à oxygène toujours planté sur la frimousse. Elle attrapa les vêtements du Kazamatsuri, faiblement, mais avec désespoir. Daniel s'agrippa de même à son bras.

Eléanore eut alors une réaction incompréhensible. Elle ôta le masque qui lui permettait de respirer, et de son membre libre, elle prit ses pokéballs. Une plaque de verglas ralentit Daniel qui manqua de s'effondrer au sol, Charles cria à sa fille de devenir raisonnable et de se ménager, de tenir jusqu'à l'hôpital. Mais la jeune Sarl retint son camarade du mieux qu'elle put dans cette course effrénée et, chancelante, elle lui confia les sphères contenant les créatures, les enfermant au creux de sa paume.

-S'il te plait, prends-en soin... suffoqua-t-elle.

A l'hôpital, ils risquaient de les lui prendre. Jamais son père n'accepterait qu'elle les conserve auprès d'elle. Ils allaient les séparer, les donner à des gens dont elle ignorait tout, peut-être même les abandonner, livrés à eux-mêmes... Eléanore sourit, le cœur gros. Elle avait déjà été privée de liberté, pas eux. Jamais elle ne pourrait accepter qu'ils vivent cela, jamais. Maintenant, c'était trop tard pour chercher, trop tard pour réfléchir plus longtemps. Au moins, avec Daniel, elle les savait en sécurité.

Le garçon aux yeux vairons renforça son unique prise sur elle, mais il glissa de nouveau sur la neige. Il releva la tête. Une larme d'Eléanore s'écrasa sur sa joue, puis ses pupilles se voilèrent, son corps se détendit, elle cracha à nouveau une gerbe de sang. Le cri de Charles fendit l'air. Samantha attrapa un pan de l'écharpe du shiney hunter, celui-ci dérapa brutalement. Ils se vautrèrent tous deux au sol.

La voiture disparut sur la route, son chauffeur ayant appuyé brutalement sur le champignon pour accéder à des soins urgents.

La pression chuta brutalement, les journalistes se hâtant de rejoindre leurs entreprises pour diffuser la nouvelle. Shagi parut un peu dépassé. Lucas et Yuki se ruèrent vers Sam et Daniel. Akira aida son élève à se relever, un peu sonnée par la chute, mais lui-même restait scotché par les évènements, incapable de comprendre comment cela avait pu dégénérer à ce point. Cependant, Lucas, quand il tenta de soulever son ami d'enfance, se fit rejeter violemment. Le gamin se redressa en titubant, serrant dans ses bras crispés les pokéballs d'Eléanore.

-Daniel, tu n'as rien de cassé ? s'inquiéta son cadet, pâle.

Régis lui-même, relâché par les policiers, se massant encore les poignets marqués par les menottes, se pencha vers les enfants, tremblant.

-Mais bon sang, qu'est-ce qui s'est passé ? siffla Lucas, sur le point de s'arracher les cheveux. Comment a-t-il trouvé la trace de sa fille ? Tout était parfait ! Comment a-t-il su ?

Akira se pinça les lèvres. A quelques heures près, Charles Sarl n'aurait rien pu trouver à Celadopole. Mais ils s'étaient rendus à l'arène, et il les y attendait... Comment diable avait-il pu savoir ? Ses mains se serrèrent sur les épaules de son élève, qui baissa les yeux. Daniel suivit le mouvement général, les paroles de la gamine tournoyant dans son esprit.

Elle avait passé un coup de fil la veille.
Monsieur Sarl avait parlé d'un indic.
Elle agissait bizarrement depuis leur venue.
Elle avait proposé de se rendre à l'arène.
Où Charles Sarl les avait pris en embuscade.

L'image d'Eléanore, perdue, paniquée devant son géniteur, de sa mine désespérée, acculée entre son désir de liberté et son amour paternel, le frappa. Bientôt, il revit les larmes qui s'écoulaient de ses prunelles, son teint pâle, ses yeux cernés, sa mine presque semblable à un cadavre. La discussion qu'ils avaient entretenue ensemble résonna en lui, tous ces moments de bonheur en groupe.

Il ferma brutalement les yeux, se mordant la joue, et essaya de s'évader. Mais la promesse qu'il s'était faite à lui-même l'en empêcha. Il s'était juré de la protéger, de la sauver, de ne pas l'abandonner comme l'avait fait son père. Les petites capsules rouges et blanches frémirent dans ses poings. Et là, là, la pression céda.

-C'est toi qui as appelé les parents d'Eléa ?

La question vibra dans l'air. D'abord, personne ne comprit à qui Daniel s'adressait, jusqu'à ce que Samantha ne relève la tête, sa frimousse affichant une résignation, une tristesse infinie.

-Oui, c'est moi.

Une exclamation horrifiée les secoua. Yuki enleva ses mains de là, comme brûlé. Il fixa son élève avec ahurissement et secoua la tête. Lucas l'imita et murmura :

-Tu mens, Sam... hein ? Tu mens... ?

Elle ne répondit pas.

Akira grelotta. Impossible, ce n'était pas la Samantha qu'il connaissait, que sa mère avait élevé, que lui avait élevé. Le visage de Daniel se ferma.

-Mais qu'est-ce qui t'as pris ? explosa Régis.
-Tu es une traîtresse, souffla Shagi, noir, acide.

Samantha bondit sur ses jambes, tâchant de montrer toute sa détermination.

-Si jamais je n'avais rien fait, Eléa risquait de mourir ! Elle est mieux là-bas, avec ses parents, au moins elle a accès aux soins. A Twilight, elle n'aurait eu aucune chance !

Gabriel tressaillit, son frère à ses côtés venait de se tendre.

Tout se passa trop vite. Daniel fit un pas en avant, Lucas réalisa juste qu'il quittait ses bras, et Samantha se retrouva à terre, abattue par un coup de poing. Capumain sortit de sa pokéball pour faire un rempart. Akira se jeta immédiatement sur le gamin pour l'empêcher de continuer son œuvre, mais celui-ci, le souffle court, n'avait pas la moindre intention de répéter son action. Il se contenta de fixer froidement l'adolescente, avec un mépris évident. Les protestations, les cris l'atteignaient à peine.

-Daniel, qu'est-ce qui te prends, enfin ?! Tu es fou !
-Je ne t'ai jamais vu comme ça, qu'est-ce qui te prends ?
-On ne frappe pas une fille aussi méprisable soit-elle... Qui t'a élevé ?

Mais d'un coup de tête, il se libéra, se planta droit devant Samantha, son regard vairon plongé dans le bleu argenté du sien. Ses lèvres s'ouvrirent et il déclara :

-Tu es immonde.
Samantha trembla, un haut le cœur la prenant. Elle se dressa sur ses jambes, les larmes aux yeux, le cœur au bord des lèvres, et elle hurla :

-Parce que tu crois que ça m'a fait plaisir de la voir souffrir ?! Je l'aime aussi, c'est mon amie.
-Tu n'as pas le comportement d'une amie, répliqua Danny.
Samantha tituba, furieuse, fulminante, les larmes de fureur, de frustration s'écoulant sur ses joues. Les images qui venaient de se dérouler sous ses yeux ballotaient son âme plus chaotiquement qu'un navire pris dans la tempête. Mais elle se força à devenir incassable. Après tout, que pouvait-elle faire d'autre ? Sa meilleure amie était condamnée, si elle intégrait Twilight, elle courait à sa perte. Chaque jour, elle aurait craint pour son existence, elle aurait peut-être vu les indices annonçant sa chute sans les réaliser, sans pouvoir arrêter cet engrenage dans la guillotine. Chaque heure aurait été un grain de sable dans le sablier du temps, un instant écoulé sur un total dont elle ignorait tout. Sa vie pouvait s'achever tout autant le lendemain que dans une dizaine d'années. Elle n'était pas prête à subir ça. Pas prête à vivre dans la peur éternelle, alors qu'il paraissait si simple d'enrayer le processus. Que pouvait-elle faire d'autre ? La liberté valait-elle la vie ? Sûrement pas. Ce choix se révélait être le plus difficile et douloureux de son existence. Elle savait que cela détruirait son amitié avec Eléa, la première qu'elle avait contractée avec une personne. Elle savait que tout changerait irrémédiablement. Elle n'avait même pas le culot de cacher son crime, elle était prête à porter le blâme sans hésiter. Toutes les souffrances qu'endureraient Eléanore seraient entièrement sa faute, mais au moins elle restait en vie. Cela n'avait pas de prix. Pour elle, cela comptait plus que tout. Même si on la haïssait par la suite.
-Quand je pense que c'est elle qui a proposé de fêter ton anniversaire...

Les mots de Daniel la firent sursauter, lui donnant envie de vomir.

-C'est elle qui a tout organisé, elle avait vu que tu étais mal en point, elle voulait qu'on te remonte le moral, alors qu'elle-même n'allait pas bien. Mais toi tu as été trop aveugle pour le voir. Tu as été trop égoïste pour penser à elle une seconde... ! Et maintenant tu l'as vendue à ses parents, tu as sacrifié ce qu'elle protégeait, ce qui comptait le plus à ses yeux !

Il envoya un grand coup dans le vide.

-Tu me dégoûtes !

Et sans un mot de plus, Daniel lui tourna le dos et se retira. Lucas fixa alternativement son ami d'enfance, puis Samantha, le regard embué de larmes, puis il fit son choix. Lui et Gabriel se ruèrent vers le Kazamatsuri. Régis lui-même ne tarda pas à les suivre, rejoint par Shagi. Samantha resta seule, seule avec Akira Yuki.

Brisée, l'élève se tourna vers son professeur et balbutia :

-Vous au moins, je ne vous dégoûte pas... Vous ?

Akira ferma les paupières, et avala sa salive avant de murmurer :

-Tu as suivi tes convictions jusqu'au bout, en cela je suis fier de toi.

Il marqua une pause, et rouvrit les yeux, impassible.

-Et en tant que professeur, je n'ai pas à juger de la moralité de tes actions, juste de la justesse de ta logique.
Samantha s'affaissa, son visage se décomposant peu à peu. Akira la poussa un peu en avant et souffla :

-Retournons au Centre, nous n'avons plus rien à faire ici.

L'écho de leur pas crissant dans la neige se perdit dans l'immensité blanche, drame d'une vie, parmi des milliers d'autres.

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Les silhouettes diffuses des membres de Twilight se dessinèrent dans la chambre d'hôpital. Bientôt, un à un, les recrues apparurent. Yoann se précipita vers les nouveaux et les salua poliment, expliquant qu'ils les attendaient.

Cependant, au moment de partir, il leur pointa du doigt Sunny et son frère, profondément assoupis l'un contre l'autre, dans le même lit. Aaron, ému, balbutia un commentaire étranglé avant d'aller chercher Blake et de le porter à moitié. Le jeune medium prit parti de l'imiter avec Sunny, et même si elle était plus lourde qu'il ne le pensait, il parvint au but. Pour avoir une réaction méchante, elle avait perdu du poids !
Le gamin retint un rire face à sa pensée, tout en se réprimandant : c'était vraiment dégueulasse comme réflexion...

Cristal envoya un sourire chaleureux au petit medium et l'aida à porter la chasseuse de shiney . Ensemble, ils la déposèrent sur les valises, bien à l'aise, aux côtés de Silver. Les malades avec les malades, après tout. Le roux montra son mécontentement ouvertement, ce qui tira Blake de son sommeil. Immédiatement, il chercha sa sœur des yeux, il insulta Aaron, l'accusa presque de kidnapping, avant de rejoindre sa cadette dans un soupir de soulagement, s'excusant dans un murmure à peine audible.

Lucio étouffa un rire devant la mine déconfite de son partenaire, puis il lança simplement :

-Bon, eh bien, il ne reste plus que Celadopole et tous nos membres blessés ou en danger seront rapatriés.

A peine avait-il prononcé sa phrase que son pokémon s'illumina d'une aura blanche, et ils disparurent dans un flash aveuglant. Pourtant, quand ils arrivèrent devant le parvis du centre, ils ne reçurent pas un comité d'accueil très joyeux. La plupart des membres de Twilight se tenaient assis dans le hall, prostrés, la tête entre les mains, accablés. Un silence pesant régnait en maître. Ni Lucas, ni Daniel, ni Samantha ne se trouvaient ici. Un écran mural racontait ce que les amis savaient déjà, les retrouvailles entre les membres de la famille Sarl. Un journaliste annonçait d'ores et déjà que l'héritière avait été reçue dans un hôpital de Safrania, que sa mère et ses grands-parents arrivaient bientôt pour la revoir. Ils évoquaient aussi une conférence de presse et autres nouvelles qui pouvaient sembler réjouissantes. Comme s'ils venaient de sauver cette enfant. Tous ces reporters affichaient des expressions de soulagement intense, d'ivresse, d'euphorie compatissante, même.

Cristal, intimidée par l'ambiance, ne savait pas où se mettre. Elle se posta donc près de la Sunny assoupie contre son frère, et de Yoann. Gabriel s'approcha de l'enseignante de son aîné et demanda de ses nouvelles faiblement, hypocritement, son esprit bien loin de ce genre de préoccupations, en vérité. Avec une lenteur faible, Régis expliqua la situation critique à Lucio, Aaron, Gold et Silver. Si les adultes partirent de suite prévenir Peter, les adolescents, quant à eux, demandèrent comment allaient les autres gamins.

Encore une fois, seul le silence s'imposa dans la pièce.

Finalement, Akira passa une main dans ses cheveux et soupira :

-Lucas essaye de les rassurer tous les deux, laissez-les entre eux.
-Mais... se défendit Gold.
-Il est le mieux placé pour cela. Il a raison, Gold, lui intima Silver. Il... n'y a plus rien à faire...

Les yeux bleus argentés quittèrent à regret la frimousse déboussolée du brun pour scruter les lieux, cherchant la porte de la chambre abritant ces enfants blessés. Il espérait juste que le brun se montrerait efficace.

Et à vrai dire, Lucas commençait à douter de ce fait. Assis sur le lit de Daniel, le garçon refusait d'entamer le dialogue. La seule fois où ils avaient tenté le coup, cela s'était soldé par un « tu es de son côté ? » tellement froid que cela avait presque effrayé l'adolescent.

Daniel faisait tournoyer les balls dans ses mains. Evoli, sur ses genoux, lui léchait le visage pour réconforter son ancien maître, en vain. Hope couinait à ses côtés. Ash, allongé au sol, paraissait au plus mal, loin de sa dresseuse. Pilou et Torch, l'un contre l'autre, semblaient eux-mêmes être sur le point de se faire conduire à l'abattoir. L'atmosphère noire, lourde, suffocante, devenait insoutenable.

-Daniel, murmura Lucas avec compréhension. Tu ne peux pas rester dans cet état, réagis un peu...
-J'ai réagi tout à l'heure.
-Tu veux dire, le coup de poing ? Mais qu'est-ce qui t'as pris, enfin ? Tu n'as jamais été violent, pourtant !
-Je n'ai jamais eu besoin de l'être.
-Elle ne méritait pas ce genre de traitement ! s'offusqua le brun.
-Que méritait-elle, alors ? Dis-moi ! déclara calmement le gamin. Elle n'a pas réfléchi, elle dit que c'était pour son bien, mais elle ignore tout de ce qui découlera de cette action !
-Parce que toi, tu sais, peut-être ? le nargua Lucas.
-Tu es de son côté ?
-Non ! Pas du tout !
-Mais tu sous-entends qu'elle a eu raison en la livrant.
-Ne me prête pas des propos que je n'ai pas dit ! s'empourpra Lucas, furieux à la suite de ce dialogue entre sourds.
-Alors toi, ne le sous-entends pas ! Cette idiote vient de livrer Eléa à la mort !
-Tu exagères !
-Et que crois-tu qu'elle fera, Eléa, privée de sa liberté ? lâcha Daniel en défiant du regard son camarade.

Lucas ne répondit pas, la phrase qu'avait hurlée Eléa pour disculper Régis lui sautant au visage. Il baissa la tête, hagard.

-Et que crois-tu que feras la team Opale ? Ils connaissent son visage, son identité, et là, elle va passer sur toutes les télévisions, alors qu'ils ont promis de se venger.

Cette fois, Lucas secoua la tête vivement.

-Mais non, enfin ! Avant de donner tout de suite l'hypothèse la plus pessimiste, pense à ce qui peut découler de bon de cette histoire !

Daniel se mura dans le silence, incapable de trouver une réponse à cela. Lucas fronça les sourcils, déprimé lui aussi, et il murmura :

-C'est la première fois que je te vois dans cet état...

Le Kazamatsuri ferma les yeux et se figea. Son meilleur ami savait bien ce que cela signifiait, plus rien ne lui échappait. Bientôt, Daniel allait reprendre son attitude de gamin shooté, et il allait agir avec Sam comme il le faisait avec son père. L'indifférence est pire que la haine. Lucas sentit son âme se contracter, une peur sourde s'insinuant en lui. Il pria, pria de toutes ses forces pour que jamais, jamais Daniel n'instaure ce comportement entre eux. Parce qu'il savait parfaitement qu'une fois démarré, c'était trop tard.

Une constatation qui l'assomma davantage.

Oui, il était trop tard pour réparer quoi que ce soit.

La mort dans l'âme, l'adolescent se redressa et sortit de la pièce.

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Samantha se cachait, enroulée dans la couette, presque enterrée sous les édredons. Dans le Centre Pokémon de sa tante de Celadopole, loin de sa honte, loin de tous les soucis dans son cocon doux et chaud. Elle se sentait relativement apaisée, protégée, camouflée dans un coin du lit superposé, ses pokéballs éparses dans les plis du drap. Les larmes s'étaient depuis longtemps taries, ne laissant que des sillons pâles sur ses joues encore empourprées par la peine et le renoncement.

Mais étrangement, sa conscience ne la travaillait pas. Sa dispute avec Daniel, sous un angle différent, loin de la fureur si terrifiante du brun, avait cessé d'avoir un effet sur elle. Un mince sourire étirait même ses lèvres fines. Oui, son rythme cardiaque avait repris une cadence normale, sereine. Elle savait qu'elle avait pris la bonne décision. Même si en échange de cela, Eléanore la haïssait, que Daniel l'insultait, elle ne regrettait rien. Bien au contraire, les souvenirs heureux qu'elle gardait d'eux, de leurs aventures, restaient tout de même là, présents dans son esprit, et il lui suffisait de s'y replonger, de se dire que c'était le seul chemin qui permettait d'avoir une chance d'en revivre des semblables, pour que ses doutes s'évanouissent.

Brusquement, un bruit brut attira son attention, elle ouvrit les yeux et fixa la porte d'entrée qui venait de claquer. Une ombre se dessina brièvement puis se fondit dans les ténèbres dès que la lumière du couloir ne fut plus libérée. Mais il lui avait suffi d'un coup d'œil pour la reconnaître.

Lucas.

Elle s'était plutôt attendue à Yuki dans un moment pareil, et voir le brun au seuil de son refuge donna une odeur âcre, amère à son abri. Toute son assurance se dissipa, comme aspirée par les volutes noires tourbillonnants dans les recoins sombres de la pièce.

-Tu es venu défendre Daniel ? lança-t-elle.

Elle eut, elle-même, du mal à reconnaître sa voix tant elle lui apparut rauque et sourde, comme si sa gorge se réveillait après un sommeil millénaire, comme si les mots refusaient de sortir d'eux-mêmes. Les phrases raclaient sa trachée et endolorissaient sa langue, rendant son élocution lourde et incertaine. Ou peut-être était-ce en fait un relent agonisant de sa conscience, de son désir d'amitié, qui lui infligeait cette petite douleur, pour lui rappeler son acte fourbe.

Pourtant, son interlocuteur, d'abord surpris lui aussi, secoua la tête négativement avec gentillesse et compassion. Il eut un sourire désolé, dont les rayons chaleureux furent camouflés par la noirceur environnante. Il s'approcha lentement de l'adolescente et s'assit sur le lit à ses côtés. Comme ils l'avaient si souvent fait durant leurs voyages tous ensemble.

-Non, je suis juste venu… Voir comment tu allais... -Je vais bien.

Le visage de Lucas se contracta, une grimace apparut avant de se transformer rapidement en un rictus moqueur, grandiloquent.

-Je te connais par cœur Sam chérie, après tout tu es ma future femme, ne l'oublie pas ! Allez dis tout ce qui te pèse sur le cœur à ton gentil mari, il te donnera l'absolution !

Il y eut un blanc pendant lequel Sam se contenta de soutenir le regard de son ami, inerte, indifférente. Soudain, le garçon s'exclama en approchant sa frimousse de la sienne, un immense sourire aux lèvres :

-Sauf si tu lui annonces que tu l'as trompé, évidemment !
Alors, comme un abcès qu'on crève, la douleur fusa, la plaie s'ouvrit, purulente, puis se vida entièrement, laissant juste place au soulagement et à l'euphorie. Samantha éclata de rire devant un Lucas éberlué, puis fier de lui.

Samantha rigola gentiment jusqu'à en avoir mal aux côtes, jusqu'à oublier l'expression de fureur que lui avait lancé Danny, jusqu'à ce que les cris d'Eléanore ne se dissipent peu à peu de son esprit.
Lucas resta là, rigolant à mi ton, discrètement.
Elle ne savait pas vraiment comment le remercier, et pourtant, elle savait combien son sacrifice était grand. Il le lui avait dit lui-même, lors de leur rencontre : Daniel était un gentil garçon, mais il ne pardonnait pas la trahison, et là, ce que faisait Lucas, c'en était une. Pourtant, Sam connaissait la valeur de leur amitié aux yeux du brun, comme celle qu'elle portait à Eléanore. C'était la première, la toute neuve, celle qui l'avait tirée de sa solitude et lui avait appris peu à peu à être elle-même.

-Pourquoi es-tu si gentil avec moi ? demanda-t-elle soudainement, un frisson d'amertume lui remontant le long du dos. Daniel risque de ne plus te reparler si tu restes de mon côté.
-Je ne suis du côté de personne, ni de celui de Daniel, ni du tien. Je ne veux pas engendrer une guerre stupide. Je suis allé consoler Danny tout à l'heure, maintenant c'est à ton tour.

Il eut un air gêné et ricana :

-C'est la première fois où j'ai vraiment le courage de le faire.

Samantha arqua un sourcil, ne comprenant pas où il voulait en venir. Puis, doucement, Lucas se pencha vers elle et posa un rapide baiser sur ses lèvres. Sam écarquilla des yeux, totalement prise au dépourvu. Elle recula brutalement et le repoussa dans un sursaut.
Mais le brun ne prit pas la mouche, il eut un sourire et rigola pleinement tandis que son amie passait une main protectrice sur sa bouche.
Qu'est-ce qui lui prenait, enfin ? Il avait de la chance de ne pas s'être pris une baffe, elle avait des réflexes ! Elle tenta de faire disparaître cette impression humide, gluante et froide de ses lèvres sans y parvenir. Elle détestait toujours être embrassée de force.

-C'est notre premier baiser à tous les deux, non ?
-Non j'ai déjà embrassé Silver, et monsieur Yuki, tu te souviens ? répondit machinalement la brune, encore estomaquée.
-Quoi ?!

Tout d'un coup, elle eut l'impression que toute la misère du monde venait de s'abattre sur la tête de son camarade. Ce détail avait dû lui échapper, ou bien il l'avait simplement occulté.

-Bon, au moins mon objectif est atteint, tu penses à autre chose ! se reprit Lucas, une nouvelle flamme brûlant dans ses prunelles. -C-Q-uoi ? C'est pour ça que tu m'as embrassée ? s'exclama Sam, tombant des nues. D-Donc, il ne voulait rien dire, hein, ce baiser ?
-Tu veux qu'il signifie quelque chose ? répliqua son coéquipier avec un air mystérieux.
-N-Non... Je ne veux... Je ne sais pas...
-Personnellement, Sam, je ne sais pas comment c'est quand on aime une personne, alors je ne peux pas te dire que je t'aime. Mais pour moi tu es spéciale, et je n'ai pas envie que tu te pourrisses la vie. Surtout que je suis persuadé que tu as pris la bonne décision, expliqua lentement le brun.

Samantha baissa la tête et resta silencieuse, contemplant l'adolescent, perplexe. Celui-ci avait détourné les yeux pour ne pas trahir ses pensées profondes en une simple œillade. Finalement, même s'il ne l'avouait pas devant son ami, il était quand même contre lui. Il croyait, comme Sam, qu'Eléa devait rentrer chez elle et se soigner, qu'elle était plus à l'abri chez ses parents. Elle sourit, son cœur s'emballant à l'idée d'avoir un allié en Lucas.

Elle se redressa et se pencha vers le brun en lui murmurant :

-Merci Lucas, t'es un vrai ami.

Et elle l'embrassa sur la joue pour le remercier. Le garçon rosit, puis balbutia fièrement un « Toujours à disposition ! » Puis il se leva, la salua et partit en annonçant qu'il allait essayer de calmer Daniel.

Replongée dans le noir, seule, Samantha sentit plus que jamais l'absence de son camarade, comme l'étreinte glacée de la bise hivernale. Elle repassa ses doigts sur ses lèvres et une rougeur colora joliment son teint. Elle autorisa enfin ses pokémons à sortir de leurs pokéballs et s'endormit auprès d'eux, réchauffée, rassurée, l'esprit bien loin du dilemme qui l'avait tant tiraillée ces derniers jours.

Dans son sommeil, elle sourit. Elle pouvait remercier Lucas.
Son premier vrai baiser n'était finalement pas si désagréable que ça.
Brusquement, un cri l'obligea à sortir à toute vitesse de son refuge. Dehors, elle retrouva Silver, Gold, tout le monde, avec une surprise grandissante. Le roux et le brun s'approchèrent d'elle lentement, et ne pouvant y résister, elle se blottit contre eux. Les battements de son cœur malmené ralentirent. Les deux adolescents passèrent des bras autour d'elle, comme pour la protéger un peu plus, grimaçant malgré eux.
Mais le rempart de leurs corps ne suffit pas à cacher la vérité.

Peter, sur l'écran d'un ordinateur, donnait déjà des instructions.

-Bien, Lucio, rapatrie tout le monde au QG. On verra ça une fois là-bas. C'est ennuyeux, mais pas irréversible. Je donnerai une conférence de presse, ou un truc dans le genre, on verra bien... Je vais essayer de réparer un peu les dégâts, ou au moins endiguer la fuite. Il ne faut pas qu'elle reste là-bas : avec tout ce raffut des médias, les teams vont vite savoir où elle se trouve.

Daniel, devant l'ordinateur, hocha gravement de la tête. Samantha s'écarta des garçons et se rua vers le chef de Twilight, prête à protester contre ces décisions, mais le maître Dragon se montra intransigeant :

-Tu as déjà fait assez de dégâts comme ça, jeune fille, tu ne crois pas ?
La réplique, venant de la part de celui qui risquait de causer la perte de son amie, lui fut insupportable. Elle se tourna vers Daniel et Lucas, cherchant du soutien, mais Daniel lui tourna le dos et se retira vers la télé allumée, diffusant en direct une conférence de presse des Sarl.

La voix synthétique, filtrée, de Peter, retentissait telle la cloche d'une église, grave.

-L'important, c'est de ramener les blessés en sécurité ici. On verra pour le reste après. Sunny a besoin de soins, ses blessures ne sont pas à prendre à la légère, de même pour Silver qui doit commencer sa rééducation. Lucio, prépare la téléportation - d'ailleurs, au vu des derniers évènements, je pense que je vais instaurer le port obligatoire d'un pokémon connaissant cette attaque.

Les concernés firent la moue.

-Je reste ici.

Daniel se redressa. Toutes les têtes obliquèrent vers lui, aussi, intimidé, il baissa les yeux, fixant le sol pour pouvoir continuer :

-Eléa est peut-être en danger. Celadopole est près de Safrania, je pourrai intervenir si jamais y a un problème.
-Tu n'y penses pas ? Tu n'as pas le niveau pour ça.
-Sur moi, en ce moment, je dois avoir une douzaine de pokémons : Eléa m'a confié les siens avant de se faire ramener chez elle de force.
-La quantité ne donne pas la qualité, protesta Peter.
-Les pokémons d'Eléa sont très puissants.
-Charles ne te laissera pas approcher sa fille, lança Régis, âpre.
-Je trouverai un moyen.

Samantha secoua la tête, mais Daniel lui adressa simplement :

-En ce qui me concerne, tu n'as plus ton mot à dire sur l'avenir d'Eléa.
-Elle se nomme Eléanore Sarl. Fais-toi une raison, Daniel, répliqua Sam, amère.
-Cela justifie ta trahison, qu'elle se nomme différemment ?

A nouveau, il y eut une sorte d'orage grondant entre eux, une atmosphère électrique, douloureuse, paralysante.

Peter soupira.

-Je crois que le convoi qui accompagnait Drew et Flora ne se trouve pas loin. Je vais lui demander de te rejoindre pour t'apporter du soutien, petit, mais pas de geste inconsidéré. Laisse-moi régler la paperasse.

Daniel hocha la tête. Lucas tressaillit.

-S'il reste, je reste aussi !
-Egalement, c'est mon grand frère, enchaîna Gabriel.
Samantha ouvrit la bouche, mais Daniel répliqua :

-Je ne veux pas te voir, Samantha.

Yuki lui-même prit parti et attrapa Sam par l'épaule.

-Tu viens avec moi au QG, tu es sous ma responsabilité.

Peter se massa les tempes et souffla :

-La messe est dite. Shagi, je suis heureux de te revoir en forme après toutes ces années, tu comptes venir au QG ?
-Evidemment.

Yoann écarquilla des yeux, et on entendit presque le bruit de sa mâchoire se fracassant sur le sol.

La communication coupa.

Quelques heures plus tard, alors que le crépuscule teintait d'un rouge sanguin la masse glaciale endormant Celadopole, la Gardevoir de Lucio leva les bras. Les silhouettes se dissipèrent en même temps que les derniers rayons solaires. L'aura pourpre céda sa place à la douce quiétude bleutée de la nuit.

Daniel contempla une brève seconde le tapis de diamants étincelants à ses pieds, si semblable à aux cieux, puis se tut. Lucas et Gabriel le fixèrent avec inquiétude déambuler jusqu'au hall et allumer la TV pour observer une énième fois le même flash info concernant Eléanore. Encore, encore, et encore.

Sans se douter qu'à quelques kilomètres de là, une autre personne admirait le même programme, un rictus malveillant accroché sur les lèvres. L'horrible bonhomme gras passa ses doigts graisseux dans sa tignasse tirée en arrière et siffla :

-Parfait. La fille Sarl et le père réunis, ça fait d'une pierre deux coups.

Il appuya sur un interrupteur, et un vieil homme acariâtre accourut, s'inclinant humblement.

-Gilles, je veux que tu élimines ces deux-là.
-A vos ordres, Méphisto.

Il s'apprêtait à repartir quand le chef des Opales demanda sournoisement :

-Et sinon, les recherches sur le type masqué avancent ?

Gilles grimaça et lança :

-Impossible de découvrir de qui il s'agit en vérité. En revanche, si nous ne le trouvons pas, nous pouvons penser que Twilight l'a simplement trouvé avant nous.

Méphisto caressa sa barbe et lâcha :

-Dans ce cas, je trouve que cette organisation a vécu assez longtemps. Mettons-y fin.