La fin d'un homme
Le coup de feu parut durer une éternité. Peut-être parce que le temps s'était soudain arrêté, peut-être parce qu'il avait trouvé dans cette clairière un magnifique moyen de maximiser la puissance de son bruit, puis de ses échos. La nature entière sembla se taire, même le vent qui secouait jusqu'alors les feuilles des arbres semblait avoir passé son chemin, ne laissant derrière lui qu'un tableau de nature morte hors du temps et de la réalité. Le corps avait d'abord tressailli, comme si la vie, dans un ultime sursaut, avait tenté de rester dans cette coquille vide malgré ce soudain appel d'air qui l'obligeait maintenant à quitter cette carapace de chair. En vain, il tomba à genoux avant que, dans un deuxième temps, sa tête ne touche le sol.
Thomas ouvrit de grands yeux. Hannot était couché devant lui, il n'avait pas eu le temps de tirer. Soudain, le jeune homme comprit. A plusieurs dizaines de mètres de là se trouvait Marie, tremblante, la main sur un pistolet encore fumant. Elle regardait avec un air effaré le corps sans vie de Hannot. Thomas s'approcha d'elle, hésitant.
-Marie pose cette arme…
-T…Tom, tu vas… NON !
Hannot venait de faire un petit mouvement. Marie tira de nouveau mais rata son coup. Thomas courut vers elle et lui fit lâcher l'arme.
-I… Il faut le tuer Thomas, je ne veux pas te perdre, je ne veux pas gâcher ma vie, fit-elle précipitamment.
-Marie, Marie ! MARIE !
Il lui prit la tête entre ses mains et la força à le regarder.
-Tout va bien, je suis là. Où as-tu eu cette arme ?
-Il… Il…
-Où as-tu eu cette arme Marie !
-Je l'ai volé dans la tour… Thomas, il faut le terminer…
Il lâcha son emprise un peu brutale et la serra tendrement contre lui.
-Calme-toi ma chérie. Tout va bien, je suis là, ok ?
-Je…
Elle éclata en sanglot. A ce moment des bruits de pas se firent entendre. Tom se retourna précipitamment mais fut soulagé de constater qu'il connaissait toutes les personnes qui arrivaient. Sylvain était en tête, suivis par Félix, Léon, Jean et Razor, tandis qu'un nombre important d'Antis couvrait les lieux. Maxime était derrière, la tête basse, les bras croisés.
-Et bien ! On dirait qu'on s'en sort plutôt bien, commenta Sylvain en passa sa main sur les cheveux de Thomas.
Razor était accroupi devant le corps d'Hannot et le poussa du pied.
-Hé, il est encore vivant.
-On appelle une ambulance alors, ordonna Léon.
Félix s'approcha à son tour de Thomas et Marie, toujours dans les bras l'un de l'autre.
-Ca s'est bien passé Tom ?
-Oui, si on veut. S'aurait pu être pire. Vous avez eu beaucoup de pertes.
-On a énormément de blessé et… on a des morts…
-Non…
-Ils savaient ce qu'ils risquaient…
-Tho…mas.
La voix fit tressaillir le groupe entier. Le jeune homme se retourna et s'avança vers Hannot.
-Tues-moi… Thomas.
-Non.
-Je… je ne peux plus bouger, je t'en prie… ne me laisse pas comme ça.
Tom le regarda, attristé, puis se pencha vers lui.
-Pourquoi Hannot ? Pourquoi est-ce que vous êtes comme ça ? Qu'est-ce qui vous poussait à diriger les Rockets ?
-Qu'est-ce qui te pousse à rejoindre les Antis.
-Mes convictions !
-C'est… pareil pour moi. Tue-moi. Ta…
Il toussa puis reprit :
-Ta petite amie a tiré en plein dans le dos. Je ne suis pas… spécialiste en médecine, mais je connais déjà le verdict. Il est hors de question que je vive sur une chaise roulante. Tue-moi et mets un terme à tout ça !
-Vous n'avez pas d'ordre à me donner Jack.
-Qu…
-Je ne veux pas salir mes mains. Débrouillez-vous, et passez le reste de votre vie à méditer sur ce que vous avez fait.
Il s'éloigna. Quelques minutes plus tard, les forces de police arrivèrent, ainsi que plusieurs ambulances. Alors que la plupart des Antis repartait, Thomas et ses amis s'éloignèrent en marchant doucement. Maxime n'avait toujours rien dit, alors Tom le frappa à l'épaule.
-Hey, parle !
-…
-Ecoute, si tu crois que je t'en veux pour avoir laisser sortir Marie…
-…
-… Et bien tu as raison. Tu aurais pu faire plus attention !
-Je…
Sylvain sourit, Thomas avait trouvé le moyen le plus intelligent pour faire comprendre à Maxime qu'il ne suffisait plus à rien de se lamenter. Le pire avait été évité. La réaction du rival de Tom fut immédiate.
-J'aurais fait attention si TA copine était plus fair-play ! T'aurais pas fait mieux toi !
-Je croyais que tu étais là pour une protection très rapprochée ! T'es même pas capable de faire un bon garde du corps !
-Je vais te tuer minable !
-! NON PAS LES CHEVEUX MAXIME AAAAAAAH !
Le groupe se retrouva environ une heure plus tard dans la grande tour des Antis. Un debriefing avait eu lieu, mais le temps n'était pas à la fête. Certes, les Rockets de France avaient été défaits, mais à quel prix. Marie ne quittait plus Thomas d'une semelle car elle avait trop peur de le perdre à nouveau. Sylvain était assis sur un canapé, la tête en arrière, les bras croisés derrière. Maxime, Félix, RaZoR et Léon étaient debout.
-Bon, bah voilà une bonne chose de faite, siffla Sylvain.
-On ne te remerciera jamais assez, répondit sérieusement Léon. Si tu n'étais pas venu, si tu n'avais pas demandé de l'aide à Jean… Où est-il d'ailleurs ?
-Il a préféré repartir. D'ailleurs, je ne vais pas tarder à y aller moi aussi. Au fait, vous avez vu ? Il paraît qu'il y avait la télé au QG, et tout et tout. Ca va passer aux infos, les gens vont ptêtre enfin savoir qu'y a une micro guerre qui se déroulait depuis des années !
-Peut-être, ou peut-être pas.
Thomas eut un sourire et inspira profondément.
-Qu'est-ce que ça peut nous faire. On est tranquille maintenant.
-Pour un bon bout de temps, marmonna Razor.
-Comment ça, pour un bon bout de temps ?
-Ils ne tarderont pas à maître un nouveau Caïd en France. Seule une branche a été coupée. La racine est intacte.
-James Rocket…
-Exact.
Sylvain se releva.
-Oui, mais il ne fera rien pour l'instant. Il est trop occupé à gérer les autres pays pour se focaliser ainsi sur la France. La Mafia Rocket n'est pas dans tous les pays, certains ont réussis à s'en débarrasser, et James n'a jamais tenté de réintégrer ses factions dedans. Je ne pense pas qu'il fera exception pour la France.
Il se tourna vers Tom.
-Il te reste quelques mois avant Août et le championnat d'Europe, il est temps de t'entraîner comme un fou mon coco !
-Mais !
Marie se défit de l'étreinte de son petit ami.
-C'est vrai ! Je vais de nouveau m'amuser à te faire du mal ! Mwahahahahahah !
-En effet, j'aime bien te voir souffrir, ricana Maxime.
-LACHEZ-MOI !
Sylvain, Marie, Thomas et Maxime partirent le lendemain et arrivèrent dans l'après-midi chez eux. Félix, RaZoR et Léon préférèrent rester à Bordeaux pendant quelques temps. Il y avait beaucoup de travail administratif, de décisions à prendre maintenant que les Rockets n'étaient plus, d'enquêtes à mener, de familles à prévenir… Au bout d'une semaine, les trois amis partirent à leur tour, Félix réintégra son fameux entrepôt tandis que Léon et Razor retournèrent à Samante.
Le jeune homme regardait la forêt depuis la falaise sur laquelle était installé le village. Au loin le soleil commençait à disparaître derrière l'horizon incertain, ne laissant voir de lui que quelques lueurs diffuses mais néanmoins aveuglantes. Il entendit des bruits de pas mais ne sourcilla pas. Léon resta derrière lui.
-Alors…
-Alors voilà.
-Je sais que tu ne reviendras pas sur cette décision.
-L'arène marchera très bien avec le nouveau champion, je l'ai choisi moi-même, il est assez fort pour me remplacer.
-Est-ce qu'on te reverra ? Demanda Léon.
-Je ne suis pas devin, je n'en sais rien. Tu sais…
Il se retourna à moitié, seul son profil était visible et, étant placé face au soleil, ses traits étaient indiscernables en raison du contre-jour.
-J'ai toujours voulu que ça s'arrête. J'ai toujours voulu que les Rockets ne soient plus là. Mais je n'ai jamais pensé à un ''après''…
-Tes parents…
-Ils sont vengés. Ce n'est pas moi qui l'ai fait, tant pis. J'ai appris beaucoup grâce à ce type.
-Thomas ?
-Oui. Il a une vision des choses… Il aurait pu tuer Hannot, il ne l'a pas fait. Et… peut-être avait-il raison, j'en sais rien. Ce que je sais c'est que je n'ai plus envie de finir le travail.
-Je vois. En tout cas, sache qu'il y aura toujours une place ici, que ce soit dans l'arène, chez les Antis, ou tout simplement dans le village.
-Je sais. Au revoir.
Razor disparut. Léon avança jusqu'à se retrouver là où était encore le jeune homme quelques secondes auparavant.
-Fais attention à toi, murmura-t-il.
* * *
-NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !
-Allez Thomas ! Un tour encore !
-C'est le SIXIEME !
-Allez, regarde ! Il fait super beau !
-Je cours depuis une heure ! Laissez-moi vivre !
-Marie, demanda Maxime. Je peux ?
-Je t'en prie.
Il donna un coup de pied dans les fesses de Thomas qui accéléra.
-AAAAAH ! Je vous hais ! Sylvain, Marie ! Il m'a frappé ! Protégez-moi ! Putain Sylvain, je croyais que t'étais un non-violent !
-Je SUIS un non-violent !
-Bah alors défends-moi ! Ils m'agressent les deux autres !
-C'est pour ton bien ! Fit Marie en riant.
-Je vous hais !
-On verra si tu nous haïras encore lorsque tu seras champion d'Europe.
-Et bah si je gagne beaucoup d'argent, vous n'aurez RIEN !
-Qu…
Sylvain s'arrêta alors que Marie et Maxime avait ouvert grand leurs yeux. Ils se mirent soudain à poursuivre Thomas qui accéléra pour leur échapper.
-ESPECE D'INGRAT ! Crièrent-ils en même temps.
-AAAAAAAAAAAAAAH !
Sylvain s'arrêta et les regarda courir les uns après les autres. Il alluma une cigarette et observa, pensif, le décor forestier qui l'entourait.
-Profites-en Bratin. Tu t'es débarrassé du premier gros problème, mais il en reste un bien plus grand à résoudre. Profite de l'accalmie, le plus dur reste à venir…