Chapitre 08 - Pertes et concessions
La longue cohorte des rebelles s'avançait depuis la matinée vers Jungkcity. A leur tête, Altaria, tendue, Arcanin, fatigué, Roucarnage, fébrile, et Voltali, ennuyée, commentait en termes émouvants le génie de Volcaropod, et leur quasi-réussite totale. Ils avaient laissé Feunard et Florizarre ce matin, et se dirigeaient donc vers la cité qu'ils devaient assiéger. Grâce à l'aide d'un nouveau réseau de rebelles, il ne serait sûrement pas nécessaire de se battre longtemps, les soldats – s'ils en restaient – obligés de se rendre devant la masse écrasante des rebelles. C'était donc une bonne journée qui s'annonçait, et qui marquerait donc leur première grande réussite devant Dracaufeu.
Bientôt les remparts se dressèrent au loin, et une clameur monta de la foule, qui redoubla de vitesse jusqu'aux imposants murs de la ville. Ils s'attendaient à batailler un peu, aussi furent-ils extrêmement surpris lorsque le pont-levis fut baissé alors qu'ils n'étaient même pas rendus devant la ville. Dans un cri unanime de joie et de triomphe, les rebelles, Altaria en premier, coururent jusqu'à l'intérieur de la citadelle, où Volcaropod les attendait, rayonnant, aux côtés du maire de Jungkcity, un Linéon assez costaud. Les remerciements des chefs rebelles allèrent en premier lieu au professeur.
-Maître, vous avez vraiment rendu un grand service à notre mouvement ! L'Histoire se souviendra de vous comme le Pokémon qui fit tomber Jungkcity aux mains des rebelles !
-Merci beaucoup, mais le plus dur reste à venir. Les maires de Bourguin, de Dracoville devrait arriver avec des volontaires dès les premières heures de l'après-zénith. Et je ne suis pas le seul à avoir œuvré pour la prise de Jungkcity... Linéon m'a beaucoup aidé !
Linéon répondit d'un humble signe de tête aux hommages qui lui étaient faits.
-Maintenant, on a quelqu'un à narguer, nous... dit Voltali.
-...et j'ose espérer, que vous fêtez autant que nous au moins votre choix d'assurer Abyssa plutôt que Jungkcity ! C'était une idée excellente et nous vous en remercions ! Sans vous, tout cela n'aurait pas été possible !
Livides, les membres présents au Conseil assistaient à l'humiliation publique de Dracaufeu, à qui la boule de cristal s'adressait, diffusant la tête d'Altaria. Le roi ne réagissait pourtant que très peu, regardant ailleurs d'un air presque ennuyé. Quand la boule cessa de transmettre l'image de la chef rebelle, le Gallame s'occupant de la transmission quitta la salle avec l'objet.
Le silence était très pesant. Les membres du Conseil étaient crispés dans l'attente d'un coup de sang du monarque, qui avait repris de la forme ces temps-ci. Néanmoins la colère ne vint pas tout de suite, de la fumée sortant pourtant des nasaux du roi.
C'est alors que les portes s'ouvrirent en grand, révélant au Conseil la silhouette de Jungko, souriant et triomphant, au grand étonnement des membres, et surtout à l'effroi de Drattak, qui d'un air légèrement fautif passait à un air catastrophé. Seul, Kaimorse frôlait l'étouffement à force de se retenir de rire avec machiavélisme.
Jungko, qui marchait d'un pas assuré, prit la parole :
-Alors, on me croyait mort, mais d'outre-tombe je reviens afin de faire justice ! Il semble que contrairement à ce que tout le monde croyait, les anarchistes, qui depuis maintenant plusieurs mois sévissent sous le nom de rebelles, n'aient non pas choisi de prendre Abyssa, mais de prendre d'assaut Jungkcity, qui devient par conséquent leur nouveau fief ! Et derrière cette réussite, un seul Pokémon, qui sous couvert de monarchiste, a su coordonner la chose et mentir au roi lui-même !
Tout le monde se regardait, intrigué. Qui était-ce donc ?
-Et cette personne n'est pas seulement responsible de ces maux, car dans son immense perfidie, elle a tenté d'intenter à ma vie d'abord, à celle du jeune Lucario, feu Capitaine des Agents Royaux, mais le plus grave, est qu'elle avait pour projet d'éliminer son maître même !
Une clameur monta de la table. Des membres du Conseil, enflammés, quittèrent leur place, retenus ensuite par d'autres membres, Drattak, fébrile, haletant et blême, restant en place, tout comme Dracaufeu, d'un calme déstabilisant. La masse des Pokémon gesticulant et braillant couvrirent le reste des paroles de Jungko, qui s'arrêta un instant, fit un clin d'œil à Kaimorse qui lui aussi était resté à sa place, et s'apprêta à continuer, par dessus les cris :
-DRATTAK ! DRATTAK A DEMANDE...
Apparemment un combat avait éclaté entre deux membres du Conseil.
-Silence ! Tempéra Dracaufeu de sa voix fatiguée, mais forte. Reprenez place !
Les esprits se calmèrent, et chacun se remit à table. Drattak transpirait.
-Merci, maître. Drattak a renforcé la garde d'Abyssa au détriment de celle de Jungkcity, malgré les nombreux avertissements – Kaimorse peut en témoigner – qu'il a reçu ayant trait à ce choix dangereux, Drattak a aidé les rebelles à prendre Jungkcity. Et son crime ne s'arrête pas là !
Dracaufeu semblait captivé par le discours de Jungko. Drattak réalisa que rien ne pourrait le sauver.
-Derrière cette porte, pas moins de cinquante soldats, prêts à égorger les moindre opposant aux méthodes du Pokémon après le Conseil, se tiennent en alerte ! J'ai moi-même du user de beaucoup de ruse pour arriver dans cette salle sans encombres ! Mais l'objectif principal de Drattak n'était ni moi, ni Lucario, mais le roi lui-même, qui l'a pourtant adopté alors que...
La clameur de tout à l'heure remonta. C'en était trop ! Dracaufeu lui-même se leva, se dirigea calmement jusqu'à la grande porte de la salle du Conseil, et l'ouvrant en grand, découvrit comme l'avait indiqué Jungko, cinquante soldats apeurés, désordonnés, menés par un Tengalice qui tout d'un coup n'en menait pas large.
Le roi se retourna vers Drattak, qui pleurait. Alors que les dignitaires du Conseil débattait avec forces cris de la véracité des propos, le Pokémon Dragon s'était retiré, assommé, au fond de la salle et s'apprêtait à quitter le Palais. Jungko s'était rapproché de Kaimorse.
-Là, on a vraiment astucieusement remporté la partie... souffla-t-il discrètement au Pokémon Glace et Eau avant de marcher en direction de Drattak. Honte à toi ! Reprit-il beaucoup plus fort.
Dracaufeu se jeta, à la surprise générale, vers son protégé. Drattak prit peur et s'en alla par l'entrée habituellement utilisé par le roi pour se rendre au Conseil. Il fut suivi par Dracaufeu, les membres surexcités du conseil sur ses talons. Seul Kaimorse et Jungko étaient restés dans la salle du Conseil.
Quelques soldats, Tengalice le premier, rentrèrent dans la salle.
-Et maintenant ? Demanda le Pokémon Plante et Ténèbres.
-Maintenant, vous jouez le jeu ! Vous faîtes les soldats condamnés à mort !
-Mais... on va vraiment mourir ? Pour vos beaux yeux ?
-Non, non ! Évidemment ! C'est juste pour que Dracaufeu ne se rende compte de rien...
-Mais... il va vite se rendre compte de la supercherie, non !?
-Ca, je ne pense pas qu'il vive assez longtemps pour ce genre de choses...
Jungko jeta un rapide coup d'œil à Kaimorse qui le regardait aussi. Ils ricanèrent, sinistrement.
-En attendant, retournez à vos places ! Ordonna le Pokémon Plante.
Drattak volait à une vitesse supersonique dans le ciel de Pokéisland. Ses quelques poursuivants avaient été semés, et à présent l'ex-généralissime filait droit vers le volcan. Il savait ce qu'il voulait. Et il l'obtiendrait.
Il pensa à Jungko, et dans un hurlement de rage, redoubla de vitesse.
Altaria s'était installé dans la forteresse, avec Roucarnage, Arcanin, Voltali, Volcaropod et Linéon. Galopa gardait l'entrée de la petite salle où ils siégeaient. La conversation était joyeuse et pleine d'optimisme, tournant principalement autour d'une provocation pour l'armée monarchiste près du volcan.
-Drattak est un monstre en combat mais il n'a qu'un Tournegrin dans le crâne. Le maire de Dracoville est un stratège de renom, et met à contribution son génie tactique et son armée. Je ne pense pas que cette tentative se solde par un échec, argumentait Linéon.
-Je sais bien que le nombre n'est pas forcément un facteur prédéterminant, répliqua froidement Voltali, mais il est clair qu'il est quand même important de comparer deux armées avant leur rencontre. Et si nous ne bénéficions pas de l'aide d'autres cités, notre armée à nous s'élèvera au plus à mille cinq-cent Pokémon, quand une seule cohorte de l'armée royale en fait cinq mille ! Et je ne pense pas que Drattak serait le seul à être envoyé au combat. Si Dracaufeu a enfin pris la menace de notre mouvement au sérieux, ce qui est sûrement le cas, il enverra des Agents Royaux officier. Et pire encore, il pourrait envoyer Jungko – qui on vient de l'apprendre n'était pas mort.
-De toute manière si on veut une fin immédiate du régime, il faut frapper vite et fort. On pourrait toujours gagner par l'usure en se cloîtrant dans cette cité pendant plusieurs mois, mais pour cela il faudrait assez de réserves de nourriture ! Dit Altaria.
-Il y a une manière très simple de "frapper vite et fort" ! Intervint Arcanin.
-Et laquelle ?
-Drattak a commis une erreur monumentale.
-Ca on sait bien, mais...
-Non, je ne parle de cette erreur là, seulement il a fait quelque chose qu'il n'aurait jamais du faire !
-Quoi donc ?
-Masser une grande partie de son armée à Abyssa ! C'est évident que le dragon a mis plusieurs jours pour rassembler une telle armée ! Si nous réussissons à atteindre la capitale avant ce troupeau, nous prenons la capitale et de par là-même le pouvoir, et convertissons le régime ! Ainsi, l'armée est dissoute et nous n'avons même pas besoin de la combattre !
Entretemps, tandis que les chefs discutaient, un discret Papilusion arriva dans l'angle du couloir. Galopa ne remarqua pas la présence du Pokémon. Un coup de Poudre Dodo et elle se retrouva affalée par terre, ronflant. Le Papilusion reprit sa forme de Métamorph et se glissa dans le cadre de la porte, profitant de sa capacité à se distordre à volonté.
Dans la salle, le silence se fit. Cette idée était tout simplement...
-Géniale, déclara Altaria. Arcanin, je vous tire mon chapeau.
-...moi je vois une faille dans ce plan génial.
La remarque ne pouvait venir que de Voltali, bien sûr. Les regards convergèrent vers la meneuse rebelle.
-Si on attaque la capitale, il faudra sûrement partir le plus rapidement possible. Et donc de faire sans l'aide de Dracoville. Car le temps qu'on accueille ici les troupes du maire, à supposer qu'elles arrivent ici sans encombres, les légions envoyées à Abyssa seront soit renvoyé à Paletta ou Ros'ville, soit envoyé ici immédiatement, ce qui est l'hypothèse la plus plausible...
-Et dans ce cas-là... commença Altaria.
-... ce serait la fin, tout simplement ! Compléta Voltali. Même avec des remparts infranchissables et toute la bonne volonté du monde, il serait impossible de faire face à une telle armée ! Donc si on attaque Paletta, ce sera sans Dracoville, désavantage notable...
Altaria et les autres rebelles présents baissèrent la tête de dépit.
-... qu'on peut très facilement changer en avantage.
Les chefs reprirent de l'intérêt. Ils regardèrent intensément, pleins d'espoir, l'arrogante dirigeante rebelle.
-Si le maire de Dracoville – Cerfrousse – nous rejoint à Paletta, non seulement on pourrait prendre la capitale par l'arrière, mais en plus nous pouvons même essayer de raisonner les chefs de la Garde.
-Raisonner les... ?
-Oui, avec l'aide de politiciens monarchistes sous couverture – Volcaropod, Linéon, Cerfrousse – nous pouvons faire une halte à Ros'ville, puis envoyer lesdits politiciens en négociations pour la capitulation, voire la reconversion, de la Garde de Paletta, puis scinder le groupe en deux, un qui fera le détour pour attaquer par derrière, l'autre qui attaquera par voie frontale la capitale. Au mieux, nous n'aurons même pas à combattre, juste à prendre le Palais donc... le seul problème réside dans l'armée stationnée à Abyssa. Il faut jouer la vitesse : je propose que l'on parte de nuit. Prévenez tout de suite Cerfrousse et les autres maires qui nous ont promis de l'aide. Qu'on se retrouve demain au zénith à Ros'ville, devant le Palais.
-Attendez, Voltali ! La coupa presque Linéon. Vous admettez vous-mêmes que notre réussite dépend uniquement de l'armée d'Abyssa ?
-Schématiquement, oui, entièrement.
-... et vous voulez nous faire attaquer la capitale tout en sachant qu'il y a plus d'une chance sur deux que nous n'en réchappions pas ?
-Oui. Et ?
Effaré, Linéon se tourna vers les autres chefs, qui, songeurs, regardaient Voltali avec étonnement.
-Mais... reprit le Pokémon Normal. C'est complètement stupide !
-Ca s'appelle une prise de risque, monsieur le Maire. Je sais que par nature, les Linéon se terrent dans leurs terriers puisqu'ils sont moins forts que la plupart de toutes les races de Pokémon évolués. Mais bon, j'espère que vous cherchez autre chose qu'à vous faire appeler par les rebelles "le Pokémon qui avait eu trop peur d'un vieillard sénile et de son armée de monarchistes lobotomisés pour faire tomber la plus importante des villes de l'île" ? Et, dans l'optique où nous restons ici plus d'un mois en résistant à la plus grande armée du pays, je me vois mal dépérir affamée jusqu'à ma capture et ma torture... enfin ce n'est que mon humble avis...
Voltali, persuadée d'en avoir fini, quitta la salle. Au moment ou elle ouvrait la porte, elle vit Galopa, ronflant béatement.
-Debout ! Canasson !
Altaria prit la parole pour secouer un Linéon sous le choc :
-Je... je vais prévenir Cerfrousse et les autres...
Jungko regardait partir l'Agent Royal qu'il venait d'apprêter pour demander à l'armée d'Abyssa de rallier Paletta au plus vite. Cet Electsprint courait du mieux qu'il pouvait, très rapidement, et bientôt il quitta le champ de vision du nouveau numéro deux de la royauté. Ce dernier se retourna vers Kaimorse.
-On a un roi à détrôner...
Kaimorse hocha la tête dans un grognement stressé. Le Dradagnan à côté de lui regarda avec interrogation Jungko.
-Oui, on y va maintenant.
D'un pas lourd et solennel, les trois Pokémons se dirigèrent vers l'enceinte du Palais, avec un but bien précis. Ils ne se savaient pas observé, et encore moins par qui...
Electsprint, l'insigne rouge brillant sur son torse, courait toujours lorsqu'il sentit les premières vibrations. Peu inquiété, il continua de courir comme si de rien n'était avant de sentir des vibrations plus fortes. Il trébucha légèrement, s'arrêta et regarda derrière lui. Mais dans un tremblement de terre puissant, il fut happé dans un abîme profond, alors que juste devant lui, un Triopikeur triomphant sortait du sol.
Métamorph redevint un Ninjask, et fonça vers le volcan. Il se demandait sérieusement ce que les rebelles feraient sans lui.