Ce que le Jour doit à la Nuit
La tempête passée, et le verre qui m'était dû, payé non sans grincements de dents, notre petite troupe s'était réunie après quelques opérations escalade, dans l'herbe fraiche, sur une falaise surplombant l'Aire de Repos. Magicarpe faisait des bonds dans l'eau d'un étang minuscule, qui se trouvait là par on ne savait quelle magie, et Oké tentait de faire une couronne de pâquerettes. Je sortis deux gâteaux ronds de mon sac et en tendis un à chacun. Phil, la tête renversée, semblait vouloir absorber tous les rayons du soleil. Il se redressa lorsqu'il vit que je l'observais. Il me lança un regard protecteur et se pencha pour attraper le thermos à ses pieds. Il versa un peu de son contenu dans chacun de nos quatre verres. Sébastien le remercia d'un mouvement de tête et avala le tout en quelques gorgées. Rhinocorne allait mieux et nourrissait une « petite » rancœur envers Ponyta. Or, celle ci s'en moquait royalement. Elle avait tendance à s'exclure volontairement du reste de la troupe, pour savourer sa première vraie victoire aux côtés d'un dresseur peut-être, ou mesurer l'étendue de ses pouvoirs par la méditation, à la manière de Charmina qui flottait un peu plus loin.
De fil en aiguille, le tissu de sa vie se déroulait sous ses yeux amorphes. Rongé par les mites du passé, de nombreuses mailles s'étaient défaites, élargissant la toile, un peu plus à chaque fois qu'elle tentait de la raccommoder. Elle frémit en s'apercevant que de drôles d'émotions la submergeaient lentement, l'empêchant de se concentrer sur quoique ce fut d'autre. Puis elle tenta de... faire remonter de vieux souvenirs à la surface, juste quelques fractions de secondes. Elle essaya , encore et encore mais... Rien. Elle ne se rappelait de rien. La seule image qui se dessina lentement dans son esprit affairé était une flamme... Une grande flamme tiède... La crinière de sa mère. Ce devait être le souvenir le plus ancien et le plus abstrait qu'elle avait. Le reste ne lui disait rien qui vaille. Elle ne sentait que du métal, du fer, du cuivre ou de l'acier, le goût remontait parfois sur sa langue et persistait alors, comme la marque indélébile d'un passé complètement oublié, picotant son palais comme cette seringue qu'on avait voulu lui planter dans les flancs. Elle abandonna et replia sa tête contre son flanc. « Un pokémon ne pleure pas. Chaque larme est une partie de son âme et si l'âme s'écoule, la vie s'éteint. » Elle avait entendu ça un jour, quelque part... « C'est ridicule. » pensa t-elle alors qu'une petite goutte salée roulait sur sa joue.
« Je ne pensais pas te revoir aussi tôt ! Éructa gaiment Phil.
- Pourtant, on a eu un petit... « problème de forêt », fis-je en tentant de mimer des guillemets avec mes doigts. Rien de grave.
- Tant mieux. Je venais chercher les papiers auprès de Joëlle, tu sais, ceux que je dois apporter au chef pour la réfection du sol. Je ne me serais pas douté que la jeune fille dont parlait Joëlle, c'était toi ! Si elle m'avait parlé de Ponyta, ça n'aurait pas été bien difficile à deviner.
- Je comprends qu'elle ait omis ce détail... Ponyta n'a pas été des plus... classe, répondis-je en baissant la tête.
- Ça ne m'étonne pas. Bref, j'ai vu de la poussière. Je me suis approché mais l'air était trop opaque pour distinguer quoique ce soit. Tu as fait la connaissance de Sébastien de manière explosive !!
- C'était mouvementé... On peut dire ça, fis-je en grimaçant. Tu le connais ?
- Tu parles que je le connais ! S'écria Phil en riant. Cette tête à claques est mon filleul, ma chérie ! »
Sébastien et moi relevâmes la tête brusquement et fixâmes Phil. Le regard du jeune homme était déstabilisant, difficile à analyser, d'une neutralité déconcertante, braqué droit sur mon père. C'était un garçon mystérieux aux pokémon dotés d'une élégance rare. Il m'intriguait. Le mien était manifeste d'une surprise non feinte. Chacun de nous resta silencieux un moment puis nos yeux se croisèrent un bref instant. Je savais bien ce que Sébastien pensait et il savait ce que j'avais en tête. « Lui, le filleul de mon père ? » « Ma chérie ? Elle, la fille de Phil ? »
Devant notre silence, Phil crut bon de raconter son histoire. D'un large mouvement de bras circulaire, il invita tout le monde à se rapprocher de lui. Charmina fit un bond impressionnant et atterrit juste dans son dos, contre lequel il s'appuya. Ainsi installé, Phil débuta un récit qui me passionna et que je n'avais encore jamais entendu.
« Durant mon voyage initiatique, j'ai rencontré pas mal de gens ; des personnes chouettes et de vraies vermines. Soudainement, l'idée m'est venue de partir loin ! J'avais rien à perdre de toute façon. J'avais amassé assez d'argent pour me payer un voyage par le « Convoi Volant ». Une équipe de grands pokémon qui sillonnent le ciel en transportant des passagers d'un continent à un autre. Un p'tit gars, à peine plus jeune que moi négociait avec le gérant. Après s'être violemment fait mettre dehors, nous avons discuté. Il disait s'appeler Luc et vivre depuis des années avec ses pokémon dans la nature. Il voulait voir de nouvelles choses. Nous nous ressemblions beaucoup. On s'est bien entendus et on est partis pour le Mont Couronné. Nous sommes rapidement devenus amis, car animés d'une passion et d'un but communs : les pokémon et le défi suprême que représentait alors la Ligue. Nous avons décidé de voyager ensemble. Les liens qui se tissaient entre nous se sont renforcés le jour où Luc est tombé dans une crevasse en plein blizzard. Je suis descendu et on est restés là pendant une longue nuit, se réchauffant comme on pouvait, avec les sacs et les couvertures chauffantes parce qu'il faisait bigrement froid et je parlais tout le temps, de tout, parce que dans l'état où il était, le laisser s'endormir revenait à le laisser crever. Cette soirée là, on a vu la mort de près tous les deux... Et les secours qui n'arrivaient pas faute de pistes praticables. Quelle mauvaise foi ! Bref ! Le lendemain, j'ai capturé un Onix. Ça n'a pas été simple ! Cette bestiole était sans doute la plus futée de son espèce que j'aie pu voir. Mais je l'ai eue. D'ailleurs elle m'étonne toujours aujourd'hui. J'ai attaché Luc, en pleine hypothermie, au pokémon et nous sommes sortis quand la tempête de neige s'est calmée. Je te passe les détails de nos journées d'hôpital. Remis sur pieds, cheminant toujours plus loin et nous battant avec ardeur, on commençait à se forger une petite réputation. On a décidé d'explorer les océans. Il n'a fallut qu'une virée en mer, pour que Luc tombe amoureux d'un village maritime, Myokara. »
Ce fut au tour de Lionel d'avoir un mouvement de surprise. Myokara ? C'était son village. Ce garçon venait donc de son village ? Avait-il participé à la reconstruction ? Connaissait-il son père ? Savait-il s'il était toujours en vie ? Il n'en avait parlé à personne mais depuis qu'il était parti, il n'avait eu aucune nouvelle. De nombreuses questions se bousculèrent dans sa tête. Il fallait qu'il en parle mais à qui... Tous ces amis l'avaient « abandonné ». Par respect pour Phil, il se remit à écouter en silence.
« Il a décidé de s'y arrêter définitivement après avoir rencontré Élise, celle qui allait être sa femme. J'ai continué seul. J'ai laissé tomber le projet de défier le Conseil des 4. La perspective de me substituer au Maître de l'époque, qui était, qui plus est, un petit rigolo, et stagner dans une gigantesque arène ne m'amusait pas. Je voulais de l'espace, je voulais vivre à l'extérieur avec des pokémon. Tu connais la suite : Cyrielle, un coup de foudre réciproque par chance, Jadielle, la Pension... Deux années plus tard, la réception d'un faire-part de naissance arrivait chez ta mère et moi. Sébastien était venu au monde dans ce tout petit village perdu en pleine mer, isolé du reste du continent de Hoenn auquel il appartenait. On me demandait si je voulais être le parrain de l'enfant. J'ai accepté bien sûr ! Puis un an et demi plus tard, tu es née. »
C'était assez étrange de s'entendre dire ces choses là, en une occasion si inattendue... Jamais on ne m'avait parlé de ça. J'écoutais avec attention car Phil avait le don de mimer chacune des histoires qu'il racontait et cela rendait le tout tellement vivant et agréable !
« Je rendais souvent visite à Luc et Élise pour prendre de leurs nouvelles autrement que par papier ou téléphone. A cinq ans, Seb était déjà très doué, il avait une approche particulière des pokémon et il ne faisait rien comme les autres, un peu comme toi, Marine. Je ne pouvais m'empêcher de vous comparer. C'était étonnant. Puis un jour, lors d'une visite, Luc m'a dit que Sébastien était parti, comme lui à son âge. Il devait avoir quinze ans. Je m'attendais à ce que toi aussi tu partes mais tu ne montrais plus aucun signe d'affection envers les pokémon depuis bien longtemps. Ta mère et moi n'avons jamais su pourquoi, les dates correspondent à une période de nombreux changements climatiques mais... Ça s'est fait très vite... j'ai noté les jours dans mon vieil agenda. Quelle guigne que je ne l'ai pas apporté ! Enfin ! Nous voilà, tous ensemble assis dans l'herbe à boire du café noir alors qu'il fait une chaleur torride ! »
« Ouah ! » Ce fut le seul mot, la seule onomatopée en l'occurrence, qui me vint à l'esprit. Phil rit un instant et se rallongea, bien décidé à profiter du soleil pour de bon cette fois ci. Je fis un bisou à Oké en le serrant dans mes bras. Le petit pokémon bleu s'y était lové pour écouter l'histoire et surveiller Sébastien par la même occasion. Le jeune homme faisait tourner le gobelet de café dans ses doigts, l'esprit ailleurs. Derrière moi, Magicarpe grogna en fronçant les sourcils.
« Mais toi aussi je t'aime ! » M'exclamai-je en m'approchant de lui pour le câliner.
La petite troupe rit un instant et le poisson, fier d'être le centre d'attention, s'agita avant de lancer involontairement une attaque Fléau à quelques centimètres de Oké. Très très en colère, le petit pokémon bleu s'avança, gonflant la poitrine, le regard mauvais et hargneux. Les deux pokémon se jaugèrent un instant.
« Hé, ce n'est rien ! Oké, calme toi, ça suffit, » dis-je doucement.
Oké, penaud, se courba et rampa jusqu'à Lionel, allongé dans l'herbe grasse, en apparence inconscient de ce qui l'entourait. L'atmosphère sembla se détendre puis tout à coup Magicarpe s'agita vivement et rayonna. Pris de panique, Oké se réfugia sous le bras de son dresseur tandis que la scène sembla intéresser Sébastien. La lueur m'éblouit. J'avais peur pour Magicarpe : allait-il exécuter une attaque semblable à celle de Ponyta ? C'était impossible. Luttant de toutes ses forces contre quelque chose que je ne pouvais voir ni combattre avec lui, il se tortillait, parcouru de spasmes lents. Ses petits muscles chétifs se contractaient nerveusement et je finis par m'approcher afin de le prendre dans mes bras.
« Mais qu'est-ce que tu as bon sang ? Chuchotai-je, les larmes aux yeux en le serrant contre moi.
- Il tente d'annuler son évolution. » Expliqua calmement Sébastien.
J'étais perdue et lorsque la lumière finalement s'affaiblit, Magicarpe se relâcha tout entier, les yeux dans le vague, visiblement épuisé. Je pris le parti de le rappeler dans sa pokéball.
« Pauvre de toi, tu t'es achevé tout seul... Murmurai-je en caressant la surface de la ball. Curieux petit pokémon. »
Lionel émit un rire sonore : voilà qu'il s'était réveillé et il se manifestait d'une façon qui me déplut foncièrement. S'il ne s'était pas tenu les côtes, je me serais permise de lui en fêler quelques unes. J'eus honte. Honte de lui, de ce comportement d'imbécile heureux. Sans lui adresser le moindre mot, je me levai. Ponyta me suivit, dépliant ses longues jambes fines dont les articulations fortes craquèrent. Les autres parurent surpris et le silence qui s'installa perturba Lionel qui finit par se taire. Je n'arrivais pas à comprendre ce qu'il avait contre Magicarpe.
Songeant tout d'abord à retourner dans l'Aire, je décidai d'explorer le plateau au lieu de me confiner entre quatre murs. Je brûlais d'envie de quitter cet endroit, d'atteindre Safrania au plus vite et de commencer enfin l'entraînement. Je marchai, marchai, marchai, Ponyta sur les talons. Ayant enfin élu le creux d'un arbre au large tronc comme dossier provisoire, je m'y adossai et extirpai le gros livre aux motifs argentés de ma besace. Tout en le feuilletant, effleurant les pages jaunies et fragiles de la pulpe des doigts, les images de pokémon glorieux et de leurs dresseurs emplirent ma tête. Je parvins à m'imaginer au milieu de la foule hurlante... Moi aussi je voulais connaître l'euphorie que provoquait une victoire, je voulais qu'on m'acclame, qu'on m'encourage !
Il se mit subitement à pleuvoir... Une fine bruine qui ne cessa de s'intensifier. Étrange en cette fin d'été. De petites gouttes virent taquiner les feuilles de l'arbre sous lequel je me trouvais, clapotant doucement contre les fibres végétales alors secouées par le délicat vent naissant. Je reçus un peu d'eau sur le nez, et, louchant pour apercevoir la bulle qui s'y était formée, elle glissa avant de s'écraser sur la page du livre encore ouvert. Mi amusée, mi inquiète pour la "santé" de cet ouvrage précieux, je m'empressai de le cacher sous un pan de ma veste. Mon père devait être bien en colère, lui qui comptait profiter du soleil. Ponyta renacla et me rejoignit au pas de course. J'adorais la pluie, elle non. Le ciel se chargea et un gris profond teinta les nuages crémeux qui semblèrent se multiplier. On eut dit une photo en noir et blanc, un cliché mouvant, de toute beauté. Je soupirai.
« Comme ça tu rêves d'être un Rider... Tu cherches à intégrer le CRCP, je suppose ? »
Je tournai la tête et acquiesçai. Sébastien s'était rapproché sans bruit et lorgnait apparemment, et ce depuis quelques minutes, le livre. Il s'assit à côté de moi. Je profitai de ce moment pour lui expliquer mon désir de découvrir cette sensation, les circonstances inattendues de cette soudaine envie, mon aversion relative envers les combats purs et durs. Il comprit que ce que je voulais, c'était une complicité parfaite, ressentir de la confiance de la part du pokémon et pouvoir la lui renvoyer. Je déployai toutes mes capacités rhétoriques pour exposer mes craintes, mais aussi mes espérances et mes projets : je parlai, encore et encore, à ce garçon que j'avais malmené quelques heures auparavant, et qui jusque là, ne m'avait semblé être qu'un homme imbu de lui même, froid, et fade. Il m'écouta avec attention, il ne perdait pas un mot de ce que je disais, c'était comme s'il était captivé par mes paroles...
Impressionnant l'impact que peuvent avoir quelques petits mots lorsqu'ils sont bien dits.
Ponyta surveillait la scène avec attention. Sébastien avait l'air détendu. Il prit une profonde inspiration, se rapprocha de moi et saisit ma main qu'il se mit à serrer. Je n'osai pas la dégager mais ce n'était pas l'envie qui m'en manquait... Enfin... Si en réalité. Malgré moi, elle me fit à cet instant précis « cruellement » défaut... Je ne voulais pas qu'il la lâche. J'eus l'impression que cette « étreinte » dura une éternité... Depuis combien de temps avais-je besoin de réconfort, de chaleur humaine ? Il sentait bon...
Il relâcha sa prise et finit par abandonner ma paume moite sur ma cuisse, à son emplacement d'origine. Il s'écarta un peu et massa l'arrière de sa tête. Les garçons font toujours des gestes de ce genre pour se donner une contenance, enfinc 'est que m'avait plusieurs fois répété ma mère. Mine de rien, et surtout malgré ce large sourire qui faisait apparaître de jolies fossettes, il avait honte. Il tripota son anneau nerveusement, lança un petit « Désolé » et prit la parole.
« Je veux y aller aussi... C'est ma passion depuis que je suis gosse. J'aurais du en être dégoûté pourtant. Tu ne t'imagines pas toutes les railleries que l'on a pu me lancer, en partie aussi parce que j'avais les cheveux longs et un physique qu'on pouvait pas qualifier des plus masculins qui soient...
"La course c'est un sport de filles ! Mais j'oubliais... tu es une fille !", "Tu n'y arriveras jamais, tes pokémon ne sont pas à la hauteur." , "Seuls les trouillards se lancent la dedans ! Deviens d'abord un homme qui sait se battre, un vrai !", "Tu finiras dopé comme les autres ! Ce « sport » est une cuve à déchets !".
Je n'en dirais pas plus. C'est un parfait résumé de ce que tu n'as, apparemment et heureusement, jamais subi. Tu vois, les gens connaissent si mal cette discipline, la course pokémon, qu'ils se constituent une foultitude de préjugés, tous en adéquation les uns par rapport aux autres. Et ça se répand comme une trainée de poudre malheureusement... Tu vois comme tous ces avis sont paradoxaux ?
- Ah... Fis-je sans voix. C'est tellement mesquin, je ne savais rien de tout ça.
- Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou pas. Dans le doute, je te renseigne. Nous sommes dans la même galère maintenant. En attendant, en ce moment et ce depuis que je suis parti de chez moi à peu près, je suis coordinateur pokémon, je reste dans la Triade Compétitive pour mieux me rapprocher de mon but.
- Les concours où l'on juge la grâce ou la force des attaques ?
- Oui, en très gros. C'est tout de même bien plus subtil, fit-il en souriant.
- Je te crois. C'est pourtant cette catégorie de concours où l'on voit des femmes le plus souvent non ?
- Ça a évolué. Ce sont quasiment les mêmes proportions. Et de l'autre côté il y a la course. C'est une discipline incomprise. Je vais m'inscrire au stage moi aussi... Dès que j'aurais assez de sous pour me payer le trajet en Convoi Volant.
- Le Convoi Volant ? Il y en a un ici ?
- Bien sûr. Je fais des petits boulots pour Joëlle de ci, de là. Elle m'aide à financer, puis je lui plais apparemment.
- Co... comment vois-tu que.. tu lui plais enfin que tu plais à une fille en général ? Murmurai-je en rougissant.
- Je le sens, je le vois. Elles rougissent, elles sont gênées, deviennent douces quand tu entres dans une pièce, murmurent quand elles sont en groupe, te pardonnent tout... Certaines filles savent très bien masquer cet intérêt, d'autres pas. Celles là sont des Joëlle en quelque sorte, expliqua Sébastien, alors qu'il tripotait une mèche de ses cheveux, songeur. Je dois avouer qu'elle est plutôt jolie en plus...
- Oui, elle l'est, marmonnai-je.
- Bien qu'un peu « commune », dit-il, finissant ainsi sa phrase. Je peux voir le livre ?
- Oh ! Oui ! Mais... fais y trèèèès attention. Je l'ai... comment dire ? Emprunté sans l'accord de ses propriétaires...
- Je vois. »
Je lui tendis le volume. Il le saisit solennellement, le posa sur ses genoux et l'abrita sous le parka mauve qu'il portait sur les épaules et parcourut les pages, passionnément, sauta d'un article à un autre, effleura le papier exactement comme je l'avais fait quelques minutes auparavant...
« Si on faisait une course ? S'écria brusquement le jeune homme. Je n'ai encore jamais perdu ! »
Le terrain était idéal. Le plateau s'étalait encore loin et les petits collines ne représentaient pas de réelles difficultés en elles même. Une ligne droite légèrement bosselée et une ligne d'arrivée presque tracée par un épais massif d'arbres.
« Je n'en ai encore jamais fait ! Répondis-je, le sourire aux lèvres en rangeant le livre dans mon sac. Ça me tente.
- C'est le moment idéal pour voir ce que ça donne. Je suppose que ta partenaire est Ponyta ?
- Bien sur ! Mais... l'ennui c'est qu'elle ne peut pas sortir sous la pluie... Fis-je en réfléchissant à ce problème.
- Oh que si elle le peut ! Allez, let's go ! Pokéball !!! »
La Ball fusa dans le ciel et se perdit dans les airs. Un rai lumineux carmin en sortit et avec lui, un rugissement mélodieux retentit. Un énorme chien tigré au port altier se matérialisa devant moi. Il hurla à nouveau en gonflant son épais pelage. Il avait presque les même yeux que son dresseur... Et exactement le même regard.
« Voici Red Light. C'est un Arcanin, mon premier pokémon. Type feu, et pourtant la pluie ne le dérange plus... »
Il était magnifique. Sébastien se hissa sur le dos du pokémon et m'invita à l'imiter. Je me sentais ridiculement petite à côté de cette grande bête rousse et superbe. Je jetai un coup d'œil discret en direction de la jument. Celle ci s'avança avec prudence, frémissant à la moindre petite goutte assassine qui tombait sur sa crinière.
« Règle numéro un, toujours être en mouvement ! »
Red Light pivota prestement et s'élança. Comment Sébastien avait-il pu lui en donner l'ordre ? Il n'avait ni cillé, ni bougé ! Je grimpai sur le dos de Ponyta et d'une pression des mollets, la jument démarra en trombe. Le vent fouettait mon visage : j'avais peur et en même temps, l'excitation me gagnait petit à petit. Les rattraper fut chose aisée. Soudainement, le pokémon de tête se retourna et lança une attaque Morsure. Ponyta l'esquiva assez facilement malgré l'effet de surprise et j'entendis le rire de mon adversaire.
« Règle numéro deux, tous les coups sont permis !
- Ah ouais ? Marmonnai-je. Ok ! Hâte Ponyta !! »
Le cheval de feu se concentra quelques secondes et fit une pointe de vitesse impressionnante. Elle dépassa allègrement Red Light et j'aperçus le visage souriant de Sébastien. Seuls les premiers éclats du tonnerre et le bruit des grosses pattes de l'Arcanin dans l'herbe glissante agrémentaient notre duel. Une attaque Vitesse Extrême, « venue de nulle part », ramena le couple d'adversaires au même niveau que nous.
« Mais comment tu fais pour communiquer avec Red Light ?! Hurlai-je, le vent en pleine figure tandis que Ponyta courait toujours plus vite. Je ne t'entends jamais parler !!
- Je t'expliquerai plus tard !!! Le premier qui atteint la haute crête là bas avec les arbres, est... vainqueur !!!
- Et... Qu'est-ce qu'il... gagne ?!! Demandai-je, essoufflée.
- C'est physique hein ?! S'écria Seb, visiblement aux anges. Ça aussi on verra plus tard, une fois la haut par exemple ! A tout à l'heure !!! HOUUUHOU !! »
Ce long cri vengeur, semblable à ceux des Indiens d'Amérique lorsqu'ils partaient en Guerre, repris par Arcanin me donna des frissons. Galvanisé, l'immense chien roux décolla presque du sol. Il était d'une grâce, d'une élégance ! J'évaluai notre vitesse à environ 130km/h. La leur à juste 20 de plus. Ponyta aimait ce défi. Cela se sentait. Il fallait qu'on montre à ce jeune homme que nous étions aussi dignes que lui de participer aux sélections du CRCP. Mes mollets fermement contractés autour des flancs de Ponyta me permettaient tant bien que mal d'accompagner ses mouvements. J'avais adopté une position de sprint et l'émotion que me procura cette course me fit oublier la blessure de mon dos et surtout celles de mes jambes. Mon corps ne me le rappelait pas.
« Copie Vitesse Extrême, Ponyta ! »
Mon pokémon s'exécuta. Cela lui demanda plus de forces que prévu mais elle parvint à combler l'espace qui séparait le couple de tête et le nôtre. Je lui ordonnai de lancer Attraction sur le gros chien tigré. Sans doute habitué à ce genre d'attaque, il ne parut rien sentir. Ce ne fut qu'au bout de la troisième tentative qu'il ralentit, perturbé par la « beauté soudaine » de Ponyta.
« Règle numéro trois, ne pas se croire intouchable, rester humble !!! Hurlai-je fière de moi.
- Pas mal !! Mais la règle numéro quatre t'échappe visiblement : toujours rester vi-gi-lant !!! »
Au même moment, Red Light fit une embardée et percuta la jument avec Bélier. Je manquai de tomber et le garçon en profita pour reprendre le dessus. Nous arrivions à présent presque à la crête désignée. Le sprint final.
L'eau qui coulait dans mon dos ne me gênait pas, j'étais hors de mon corps et je vivais pourtant tout avec un extrême ravissement. Je voyais apparaître le pic. L'arrivée à quelques mètres de nous. Red cracha une barrière de flammes par dessus laquelle Ponyta passa sans efforts avec un Rebond qui me mit dans une fâcheuse posture. Complètement excitée, il était probable que Ponyta oublie que j'étais sur son dos. Je pestai :
« Ponyta !!! Si tu te mets à prendre des initiatives, on a pas fini !
- Règle numéro cinq ! La course se passe... en couple.. pas individuellement !!! »
La crête, les arbres, la ligne, Red Light, Sébastien, le sol, la pluie, l'orage, l'herbe glissante, une secousse inattendue... Sans comprendre pourquoi ni comment, je me retrouvai à terre.
Entraînée par l'élan et allégée par mon absence, Ponyta fonça tête baissée et passa la ligne seule, quelques centimètres devant Red Light.
« Règle numéro six en relation avec la cinquième : victoire validée si le pokémon et son cavalier passent la ligne ENSEMBLE. Victoire de Red et de moi-même ! » S'écria le jeune homme.
Sans répondre à cette petite pique de sixième règle qui m'avait agacée, je me relevai avec difficulté, les membres endoloris, la nuque raide, le dos ravagé. Ce fut le moment que choisit mon corps pour se manifester et me faire comprendre que je n'étais pas Hercule ou Achille... Qu'est-ce que c'était que cette secousse ? Péniblement, je me trainai jusqu'à Ponyta qui me servit alors de béquille. S'agenouillant à la manière d'un Camerupt, elle me laissa tomber sur son dos et se remit sur ses jambes aussi sec. Une paire de lunettes vint glisser jusqu'à son sabot. Elle le remarqua et avant que la monture et les verres ne finissent en milliers de petits morceaux, mon pokémon les saisit des dents. Elle me les confia finalement. Je les examinai et fut désagréablement frappée d'une impression de déjà vu : leur forme m'était familière. Un froissement. Les oreilles de Ponyta s'inclinèrent vers l'origine de ce bruit et elle se campa sur ses jambes. Une silhouette titubante se dessina progressivement dans les buissons, suivie d'un Rapasdepic.
« Monsieur Nomclast ?! »
***
« Mais qu'est-ce que vous faites la ? » Demandai-je, interloquée.
Le scientifique fit un geste du menton pour désigner la paire de lunettes aux énormes verres que nous avions manqué d'écraser. Je les tournai dans mes mains hésitantes et jetai un coup d'œil à la jument, avant de les lui tendre. Nomclast s'en saisi, les ajusta sur le bout de son nez épais et, la vue « retrouvée », se mit à examiner le moindre petit brin d'herbe, la moindre petite feuille, le moindre petit caillou jusqu'à ce que son regard se pose innocemment sur Ponyta, alors tremblante sous l'averse torrentielle. Il la fixa alors longtemps hypnotisé, bloqué, coincé, ou que savais-je..
« Vous... êtes tombé amoureux ? Demandai-je pour l'amener à réagir.
- Diantre ! Non ! Quelle idée. Mais euh... Comment êtes vous arrivée là mademoiselle ?
- Et vous ? Encore le vent qui vous aura fait chuter ? Quel acharnement dites moi ! »
Sébastien se rapprocha chevauchant toujours Red Light, comme un prince chevauchant sa fière monture, l'air interrogateur, sans doute aussi un peu déçu. Il devrait attendre pour se vanter de sa victoire fracassante et j'en remerciai intérieurement ce bon vieux Peter qui venait de débarquer d'on ne sait où avec perte et fracas comme la première fois que je l'avais vu. Le Rapasdepic fit claquer son bec et agita ses ailes frénétiquement, indiquant à son maître que la pluie l'incommodait. Il aurait souhaité qu'on le remerciât pour ses efforts laborieux : ce ne fut pas le cas et il m'adressa pour tout salut, un cri strident. Ponyta n'avait de cesse de piaffer devant ce grand volatile aux serres sacrement aiguisées tandis qu'Arcanin courbait gracieusement ses pattes avant pour permettre à son dresseur de bondir de son dos. Il cracha un long jet de flammes puis rentra dans la pokéball que tenait Sébastien aussi élégamment qu'il était apparu. Je proposai d'aller nous abriter et reçus une vive approbation du scientifique qui finit par remercier son pokémon, soulagé, et se mit en marche vers l'Aire, avec assurance, les mains au dessus de son crâne presque totalement dégarni, marmonnant quelque chose d'incompréhensible dans quelque barbe imaginaire. La jument prit la tête du groupuscule au petit trot, défiant Nomclast du regard : la méfiance qu'elle éprouvait à l'égard de ce curieux humain ne faisait que s'accroître au fil du temps bien qu'il eût paru totalement inoffensif. Le garçon au piercing marchait calmement à mes côtés, chacun de nos pas provoquait un bruit de succion, car l'averse avait métamorphose le sol en bourbier ; Sébastien serra soudainement le poignet et approcha sa bouche de mon oreille discrètement.
« Tu le connais ?
- Tu vois bien que oui. Enfin, pas tant que ça en réalité, répondis-je tentant de raviver les souvenirs de cette journée. Il a débarqué chez moi il y a quelques jours et j'ai quitté la maison avant même de le voir partir.
- Il me semble bizarre, fit-il en fronçant un sourcil.
- Il l'est. » Conclus-je avant de m'écarter du jeune homme.
***
A l'intérieur de l'Aire de repos, Lionel faisait les cent pas sous les yeux fatigués de Phil. Okéoké, lui, mettait un point d'honneur à imiter son dresseur, et, ne se privant pas, il tenta à grand peine d'ajuster ses petits pas sur ceux de l'adolescent. Ce dernier était préoccupé, jetait souvent des regards aux baies vitrées au travers desquelles entrevoir quoique ce fut aurait pu être considéré comme un exploit. Ses mains trahissaient sa nervosité. Il les tournait, les retournait, les agitait, les rangeant dans ses poches pour les en déloger quelques secondes plus tard, entortillait ses doigts autour d'un fil invisible qu'il essayait de briser...
« Calme toi mon garçon, elle va revenir. C'est juste une petite pluie de rien du tout, on en a connu de bien pires.
- Charmina ! » ajouta l'être du même nom en pleine méditation aux côtés du mineur.
Assis en tailleur, calfeutré dans sa bulle, le pokémon lévitait tranquillement à une vingtaine de centimètres au dessus du sol ; la sérénité irradiait de son corps svelte. Un violent coup de tonnerre retentit subitement comme pour contredire Phil qui grogna. Sur la fenêtre s'écrasaient les grosses gouttes bleutées, larmes vengeresses du ciel en colère, rythmant le silence qui régnait dans la pièce. Il but une gorgée de café et massa sa tempe avant d'ajouter :
« Elle ne t'en veux pas.
- Il ne manquerait plus que ça ! S'indigna Lionel. J'ai rien fait : pourquoi devrait-elle me pardonner ?
- Du calme, du calme. Tu auras beau dire ce que tu veux, tu m'feras pas changer d'avis sur ce que je vois. - Il fit une pause avant d'ajouter malicieusement... - Et puis elle est avec Sébastien, elle ne risque pas grand chose, c'est quelqu'un de bien. »
Lionel se raidit. Oui... Sébastien. S'il était là tout irait comme sur des roulettes évidemment ! Que pouvait-elle bien lui trouver à cet homme arrogant et prétentieux ? Pourquoi l'abandonnait-elle aussi vite ? Le fait était qu'il l'avait vaincu, et cette défaite, dont le souvenir encore cuisant s'était imprimé au fer rouge au creux de sa mémoire, lui restait en travers de la gorge. Okéoké bondit dans les bras de son dresseur, le fixa un instant avant de papillonner des paupières exagérément, la bouche en cœur.
« Tu te fous de moi là ? Jaloux ? Moi ? T'es sérieusement à la masse, Oké ! Je m'inquiète un peu, c'est tout. Ponyta est dehors et ce temps est très mauvais pour elle ! »
Le petit pokémon hocha la tête comme pour contenter son maître mais ce n'était absolument pas sincère. Lionel allait riposter à nouveau quand les portes automatiques de l'Aire s'ouvrirent. Ponyta entra la première, hennit fièrement et s'ébroua, aspergeant copieusement le jeune homme, noyant à l'occasion une partie de sa colère. Les sabots boueux du pokémon laissèrent de grosses marques sur le sol, et il manqua de déraper plusieurs fois. Le tapis de l'entrée fut l'objet de son salut et la jument ne le quitta pas avant que ses sabots ne soient parfaitement propres. Peter pénétra dans le bâtiment et je m'apprêtai à faire de même, essorant mes cheveux avant de venir m'abriter à mon tour. Sébastien, sur mes talons, ferma les portes et demanda un café ou un chocolat pour chaque nouvel arrivant, Phil et Lio, histoire de se réchauffer. Lionel soupira.
« Lio ! Fis-je avec un sourire narquois. Regarde qui on a ramassé. »
Le scientifique parut offusqué par si peu d'élégance à son égard et Lionel fit la moue. Il jeta un regard à Peter puis se détourna et ne daigna m'adresser la parole. Je n'avais pourtant pas cru être maladroite. Sa réaction me surprit. Je lus sur les lèvres de mon père, qui se tuait à attirer mon attention silencieusement et avec une discrétion remarquable depuis quelques minutes : « Il était très inquiet. »
Joëlle déboula dans les escaliers, les cheveux en bataille, le tablier mal noué autour de ses hanches fines et une pile de serviettes éponge fermement enserrée sous le bras.
« Ah, beau travail ! Vous pensez que je vais nettoyer tout ça seule ? Vous vous fourrez le doigt dans l'œil jusqu'au coude ! »
Lorsqu'elle aperçut Sébastien, elle se radoucit, commença à distribuer ses serviettes aux plus mouillés d'entre nous et secoua enfin la tête de gauche à droite avant d'appeler Leuphorie. Seb s'était rapproché et me donna un petit coup de coude complice, preuve tangible de la théorie précédemment énoncée. Derrière nous, Lionel, qui ne perdait rien de la scène s'était assis dans le siège voisin du fauteuil de Phil, Oké sur l'épaule, un peu inquiet. Le pokémon rose et rondouillard débarqua en trombe dans la salle en entendant son nom, prit en note les ordres de Joëlle. Il pivota en courant, s'arrêta quelques instants devant moi, me scruta attentivement et alla finalement s'armer de deux balais, d'une serpillère et d'un seau d'eau savonneuse. Il m'en tendit un et se mit au travail sans broncher. Je l'imitai en soupirant à mon tour.
***
Le reste de l'après midi fut maussade. La pluie ne cessait de s'intensifier et on entendait quelques blagues par ci par là qui détendaient la tension que l'eau véhémente avait savamment créée - « Mais c'est pas la période des moussons pourtant ! ». Et l'on riait.
Le soleil s'était avoué définitivement vaincu et un plafond bas, gris et cotonneux prenait possession du petit univers que constituait l'Aire. On aurait dit qu'à chaque instant, le ciel pouvait nous tomber sur la tête. Le tonnerre grondait, dardait le vallon de violents éclairs et les pokémon présents dans l'Aire étaient tous agités, à tel point que les dresseurs les rappelaient souvent dans leurs balls pour obtenir un peu de silence. Seules Ponyta et Charmina semblaient sereines : elles discutaient à présent depuis une bonne heure et ce curieux échange mental en intriguait plus d'un. C'est pourquoi Oké tenta de se joindre au groupe avec ardeur. Il y parvint finalement, tout du moins, je l'espérais.
Je m'étais isolée. Depuis que nous étions revenus avec Peter « sous le bras », je ressentais le besoin de quitter l'Aire. Il se faisait de plus en plus pressant au creux de mon ventre, cela me rendait nerveuse et désagréable. Dans ce genre de situation, le seul qui aurait su m'apaiser s'avérait introuvable... Je voulus plusieurs fois me lever et partir à sa recherche. Je me levais et me laissais tomber aussitôt. Il ne pouvait pas être sorti avec ce temps.
Je promenai mes yeux le long de la ligne d'horizon et me rassis dans mon fauteuil, les muscles détendus, la tête renversée. Magicarpe nageait dans le bassin prévu à cet effet et me lançai de temps en temps quelques œillades anxieuses, fermement appuyées d'un vif battement de nageoires. Mon esprit vagabonda jusqu'à cet homme étrange qui m'avait adressé la parole le matin même et à ses questions inquiétantes. Je devais en avoir le coeur net.
« Sébastien ? » Fis-je sans bouger.
J'entendis les pieds d'une chaise racler le sol, un petit grincement m'indiqua que quelqu'un se levait. Les échos du pas leste de Sébastien sur les dalles de verre revint à mes oreilles et j'ouvris les yeux au moment où il s'asseyait à ma droite.
« Dis... Comment tu comprends Red Light toi ? Il te parle ? Murmurai-je, en frottant l'un de mes yeux.
- Hum... Répliqua le jeune homme. - Massant son menton et prenant appui sur l'un de ses poings, il sembla réfléchir quelques instants.
- Oui ?
- Je lui parle oui, articula t-il. Mais ce n'est pas un échange comme celui que toi et moi sommes entrain de tenir. C'est... plutôt une affaire de perception. Je le connais depuis longtemps, c'est comme si j'avais appris à parler l'Arcanin ou le pokémon. Quand il grogne, je comprends ce qu'il me dit, je n'entends pas de voix précise dans ma tête mais je sens ses intentions.
- Oh, je vois.
- Pourquoi veux tu savoir ça ? C'est souvent le même cas de figure pour tous les dresseurs, tu sais.
- Comme ça, je m'amuse à comparer, » dis-je en me forçant à sourire.
Je craignais cette réponse, cela voulait-il dire que j'étais anormale ? Non, non, cela n'avait aucun sens. Ponyta et Magicarpe le seraient alors aussi et j'avais attrapé Magicarpe dans une rivière du Domaine, un endroit reculé de tout où il n'y avait présence d'aucune influence externe. Peut-être avais-je rêvé.
« Tu sembles préoccupée. Tout va bien ?
- Oui Magicarpe, je te remercie, ça va, répondis-je en redressant le buste.
- Quoi ? Hoqueta Sébastien, l'air surpris.
- Je... Oh ! Je parlais seule, je pensais à quelque chose ! M'écriai-je en haussant un sourcil, partagée entre peur et désarroi.
- Bon, très bien. J'avais cru entendre « Magicarpe » ! Fit-il en riant.
- Huhu...Tu as du mal entendre, répliquai-je en riant avec lui, un peu faussement certes mais je tâchai d'y mettre de la conviction.
- Bien. Je te laisse, Marine. Je vais grimper faire une sieste, répondit-il à voix basse.
- Parfait ! Repose toi bien ! A plus tard ! »
Je lançai un regard bancal au poisson un peu trop bavard et attendis que Sébastien ait quitté la pièce pour le réprimander.
« Non mais, qu'est-ce qui te prend de...
« De vouloir te réconforter ? Commença Magicarpe les yeux brillants. Oh rien... »
« Pardon, je suis désolée. Merci. Mais... tu as entendu ce qu'il a dit ? »
« Oui mais je ne comprends pas pourquoi tu t'en fais à ce point. Cela ne fait pas de nous des anormaux. »
« Tu as sans doute raison... Je vais aller me coucher... je me sens... oh...
« MARINE ! - Carpe, caaarpe ! Magicaaaarpe, magicaaarpe ! »