Heureux évènement
Après cette révélation, un silence presque religieux s'installa. Ed réfléchissait. Quelque chose ne collait pas.
« Bon ! s'exclama Antoine en se levant de son siège, faisant sursauter tout le monde. Moi j'dis, c'est une invitation. Alors on y va et on règle ce petit problème, hm ?
- Reste à ta place, ordonna le professeur Sorbier. Il reste quelques points à éclaircir.
- A commencer par leur présence ici, enchaîna Ed. C'est vrai : Peter nous a bien dit que les Leviator sauvages ne laissaient passer personne.
- Personne est peut-être un trop grand mot, corrigea le leader de Kanto et Johto. Disons qu'il y a très peu de chances de réchapper à une traversée du Triangle des Bermudes intact.
- Oui, reprit l'Elu des Ténèbres. Et on sait qu'ils n'ont pas de Pokémon, puisqu'ils ont l'air de rien n'y connaitre. Pour qu'ils puissent atteindre Sinnoh, ou une île voisine, ET survivre, ET s'installer, il n'y a qu'une seule option possible.
- Ils ont un ou des alliés, conclut Megan.
- Exactement. »
Nouveau silence, seulement troublé par le bruit que faisaient les doigts d'Antoine lorsqu'ils frappaient la table. L'Elu du type Vol semblait particulièrement impatient de retourner se battre contre un adversaire démoniaque.
« Si vous me permettez…, commença Arno. Alors. Je crois qu'on devrait faire ça… Alors. Chacun rentre chez soi.
- Hein ? s'exclamèrent plusieurs personnes, dont Pierre et Megan.
- Arno, commença Aurore, on ne peut pas se permettre de prendre de risques…
- Très bien, alors, qu'est-ce que vous voulez faire ? Fouiller dans toutes les habitations qui remplissent le Triangle ? Les gens risquent de ne pas très bien le prendre. Menacer ces idiots de venir leur botter le train s'ils ne se rendent pas ? Leur leader en profitera, et on sera atomisés en quelques semaines par les Etats les plus puissants du monde, craignant qu'on leur pique cette place.
- Vu sous cet angle, je crois qu'on peut bien écouter ce que tu as à nous dire, répondit Lilian.
- Merci, enfin un peu de reconnaissance, dit Arno d'un air très -trop- sérieux. Alors, chacun rentre chez soi. Vous avez tous autant d'indics sur vos îles que j'ai de gigas de mémoire vive, donc ça sera pas difficile pour vous de retrouver une aiguille dans une meule de foin.
- Donc, traduit en français, ça donne ? le pressa Marc.
- Rentrez chez vous et attendez. Essayez de vous renseigner, si les gens voient des personnes suspectes, s'il se passe des choses inhabituelles. Je ne vois que ça à faire. De toute façon, c'est pas comme s'ils pouvaient tenter quelque chose contre nous, là, maintenant. »
Arno attendit, son regard passant d'une personne à une autre comme s'il voulait détecter une quelconque réaction. Ce fut finalement Peter, dans son dos, qui parla le premier :
« Et puis, s'ils tentaient quelque chose… On le saurait, non ?
- Si on n'est pas mis au courant, renchérit Damien, c'est soit qu'ils ne font rien…
- Soit qu'ils ne sont absolument pas dangereux pour nous ! lança Spectra, confiante.
- C'est incroyable, lança Lilian, faussement outré. Vous auriez au moins pu me laisser faire une supposition, non ?
- Tu vois qu'on peut se débrouiller sans toi. »
Cette petite boutade d'Antoine acheva de détendre l'atmosphère. Les conversations reprirent d'un coup, et Lilian se pencha vers le professeur Sorbier. Ed réfléchissait. Il n'était pas totalement convaincu de l'innocence de leurs ennemis, étant donné le tour de force que constituait une infiltration dans le Triangle des Bermudes. De plus, l'hypothèse selon laquelle ils pourraient ne rien tenter lui apparaissait tout à fait risible. Ces hommes faisaient partie d'un groupe organisé et ne partiraient pas sans avoir obtenu ce qu'ils voulaient.
L'Elu des Ténèbres soupira et s'apprêta à dire quelque chose. Mais à quoi bon ? Rechercher deux hommes, peut-être plus, sans connaitre leur identité et sur un espace aussi étendu, c'était pire que de chercher ce qui différenciait un Metamorph d'un autre. Ed savait que d'autres personnes, autour de cette table, n'étaient pas satisfaites par cette réunion. Pierre semblait pensif, et Lilian avaient les sourcils légèrement froncés, signe que quelque chose le tracassait.
« Bon… Devant le manque d'informations dont nous disposons, nous pouvons lever la séance, déclara Lilian.
- Bon, hé bien, vous ne m'en voudrez pas, mais j'ai une réunion avec une bande de vieux conseillers totalement à la ramasse devant la révolution pro-Tyran dans le nord de l'île, dit Megan. Au revoir, tout le monde, ajouta-t-elle avant que l'écran ne s'éteigne.
- Quant à moi, il semblerait que j'aie un nouveau challenger, dit Pierre. Je vous recontacte si j'ai du nouveau sur cette affaire. »
Son écran s'éteignit aussi. Petit à petit, tout le monde se levait et se dirigeait vers la double porte. Ed resta assis, se demandant vaguement s'il était paranoïaque ou si cette affaire l'inquiétait vraiment.
« Ed ? »
Lilian le regardait, certainement depuis un petit moment.
« On peut t'apporter des couvertures et un oreiller si tu veux, mais tu dois savoir que ce fauteuil n'est vraiment pas confortable.
- Oh, heu… Je pensais à…
- Je sais à quoi tu pensais, je m'en doute en tout cas… Mais on ne peut rien faire pour l'instant, à part remplir nos rôles de membres de nos Ligues.
- Ouais, mais ça me travaille. Je veux dire, on reste dans notre coin, eux dans le leur. Ils n'ont jamais eu besoin des Pokémon jusqu'à présent.
- Quand un enfant regarde la vitrine d'une boutique de jouets, il veut à tout prix ce nouveau truc dont il n'a jamais eu et n'aura jamais besoin, dont il ne prendra pas soin et dont il aura marre au bout d'un mois, dit Sorbier.
- Vous avez sûrement raison, professeur, répondit Ed. Mais…
- Mais rien du tout, tu as d'autres soucis, non ? L'exemple de l'enfant était tout à fait approprié, Professeur. »
Soudain, Ed oublia complètement cette histoire de Triangle des Bermudes et d'infiltration sur une île. C'était vrai : il avait d'autres Miaouss à fouetter, et c'était le genre de Miaouss qui changeait la vie.
« Bon, et si on y allait ? proposa Ed, un grand sourire étalé sur le visage. Je suis pressé de rentrer à la maison. Et je crois que j'aurais préféré dormir à même le sol : tes fauteuils, ils donnent mal au dos. »
Ed posa le pied sur un des radeaux qui constituaient le sol de Pacifiville. Attachés à des pierres qui faisaient office d'ancres, ils donnaient l'impression d'être constamment au beau milieu d'un océan, accrochés à une planche qui représentait le dernier rempart entre la vie et la mort. Sauf qu'à Pacifiville, il s'agissait plutôt d'une impression d'être constamment assis dans une barque, au milieu d'un lac avec une Méga-Canne à la main et un chapeau sur la tête. Ed se dirigea vers la petite habitation qu'il avait louée quelques deux ans auparavant. En chemin, il croisa une vieille dame qui lui barra la route.
« Bonjour, madame Marin, soupira Ed.
- Hmm. J'ai entendu dire que tu avais laissé Flora toute seule à la maison.
- Oui, mais j'ai été défié à la Ligue, et… Comment vous savez ça, d'abord ?
- Je suis scandalisée, dit la vieille dame sans s'intéresser le moins du monde à la question d'Ed. C'est minable. Je suis déçue. Parce que tu as été défié, le monde s'arrête autour de toi ?
- Au revoir, madame Marin. »
Ed contourna la vieille dame et continua son chemin. Il maugréait en arrivant chez lui : parfois, les vieilles personnes pouvaient être vraiment énervantes. Il remercia le ciel d'avoir des pouvoirs d'Elu qui lui conféraient la jeunesse éternelle. Il sortit ses clefs de sa poche et ouvrit la porte.
C'était une petite habitation en planches, comme on en voyait dans tout Pacifiville. Elle était parfaite pour un jeune couple qui avait toute la vie devant lui. De plus, l'air était pur et l'endroit très calme : le lieu parfait pour élever un enfant.
« Flora, je suis là. »
Il déposa ses clefs sur un plateau près de l'entrée et entra dans le salon. Flora était assise à la table, le téléphone collé sur l'oreille. Elle se retourna et fit un petit signe à Ed, qui alla à la cuisine chercher quelque chose à manger. La pendule au mur indiquait qu'il était plus de 20 heures. Le jeune homme prit un verre d'eau et le sandwich qu'il venait de se préparer et alla s'asseoir en face de sa petite amie. Pendant que celle-ci parlait, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle lui semblait plus belle de jour en jour. Au bout de seulement deux mois et demi de grossesse, ses nausées commençaient à se raréfier, et son ventre était déjà enflé. Selon le médecin, tout allait bien. Un peu moins de sept mois plus tard, lui et Flora allaient devenir parents. La jeune femme raccrocha et souffla en regardant Ed.
« Qui c'était ?
- Ma mère. Encore à me donner des conseils, tu la connais. Et de ton côté ? C'était dur, le match ?
- Hmm… Il avait du potentiel, mais il était bien trop sûr de lui. S'il s'entraîne sérieusement, il m'écrase dans trois mois.
- Que tu dis. Mais comment ça se fait, que tu rentres si tard ?
- Oh, on a eu une réunion à Sinnoh… Rien de grave, s'empressa-t-il d'ajouter en voyant le regard alarmé de Flora. Ce n'est rien. Ne t'inquiète pas… Ca va, toi ?
- Comme d'habitude. Je suis allée vomir une petite demi-heure après ton départ. La vieille Marin rôdait encore autour de la maison… Toujours à nous épier, celle-là.
- Oui… »
Ed réfléchissait. Rien ne comptait plus au monde pour lui que Flora. Mais si une vieille dame pouvait vraiment savoir tout ce qui se passait chez eux sans problème, ce ne serait pas un souci pour quelqu'un d'aussi organisé que leurs nouveaux ennemis… Non. Décidément, il se faisait trop d'idées. Il devait se concentrer sur l'heureux évènement qu'ils attendaient, et devenir un bon père pour son enfant. Mais quelqu'un qui était sujet à une schizophrénie plus ou moins contrôlée et avec une arme de destruction massive enfermée dans une Pokéball qui ne le quittait jamais pouvait-il réellement devenir un bon père ? Ed n'en savait rien. Mais une chose était sûre : c'était le genre de défis qu'il aimait relever.