Le chemin vers Yona-Thang
Le soleil réveilla Thomas. Il était déjà 7h30 et une foule de badauds regardait le garçon étrangement. D'ailleurs des policiers chinois ne tardèrent pas à s'approcher dangereusement de lui. Ils n'avaient visiblement pas l'intention de lui parler du beau temps, vu l'allure rapide à laquelle ils avançaient.
-Hey sale mendiant, viens par ici !
Tom se leva, le regard sombre et les bras ballants.
-On dirait pas un tibétain vu sa tronche, remarqua un des policiers en faisant tourner sa matraque dans la main.
-Vous trouvez pas que vous faites tache dans ce pays paisible ? Demanda Tom d'une voix rauque.
-Un pays ? Quel pays ? On est en Chine, encore un européen qui vient manifester pour le Tibet libre !
-Allez on l'embarque.
-Approche seulement, siffla Thomas entre ses dents.
-Roh, il nous menace.
Je sortirais bien mes Pokémon mais… c'est stupide mais je veux me battre à mains nues.
-Je vais t'apprendre le respect, cracha un policier en fonçant matraque en avant vers Tom.
Celui-ci lui donna un coup de pied en pleine tempe. Le policier resta debout quelques instants, le regard livide et saignant subitement du nez. Il tomba par terre quelques centièmes de secondes après, complètement inconscient.
Les autres policiers regardèrent Thomas puis s'écrièrent :
-Il a mis Anoshi au tapis ! Pourtant il est deuxième dan !
-Ca doit être un pratiquant d'arts martiaux, allons-y ensemble.
Malgré les coups qu'il reçut, Tom, enragé par la volonté de sauver Marie, mit au sol les quatre autres policiers, malgré son corps amaigri et fatigué. Un filet de sang coulait de sa bouche, il s'essuya du revers de son bras tout en titubant vers une échoppe. Bon nombre de passants l'aidèrent à se déplacer.
-Vous allez bien monsieur ? Demanda une vieille dame.
-Venez ici, fit le propriétaire de la boutique.
Les policiers se relevèrent tant bien que mal, l'un deux attrapa une personne par le bras.
-Hé, toi ! T'as pas vu un type mal rasé avec des cheveux bruns longs et sales et un bandana vert ?
-Si monsieur, fit-il en montrant le bout de la grande rue. Par là, du moins je pense.
Ils partirent dans la direction montrée par le passant sans l'avoir remercié. Celui-ci se remit à marcher, un sourire sur son visage calme.
-Je vous remercie, fit Tom.
-Ne bougez pas trop, chuchota une vieille dame qui nettoyait une plaie sur le front du garçon.
-Il ne faut pas s'amuser à critiquer les policiers vous savez, dit un homme qui semblait être son mari.
-Je ne connais pas bien la situation du Tibet, mais je sais que les chinois vous dominent depuis trop longtemps… Si seulement vous…
-Votre méthode est peut-être efficace, mais nous refuserons toujours les moyens violents.
-Pfff…
Il y eut un court silence, puis Tom demanda :
-Vous savez en combien de temps je peux être à Yona-Thang à pied ?
-Vous n'y pensez pas ? Nous sommes encore en Avril, il y aura beaucoup de neige à certains endroits !
-35 kilomètres, ce n'est pas la mer à boire !
-A travers les routes rocailleuses et les chemins enneigés, les kilomètres deviennent bien plus durs à parcourir jeune homme.
-Je DOIS aller à Yona-Thang. Et le plus rapidement possible.
-Vous n'avez même pas de vivre, soyez raisonnable !
-AH !
Tout en criant le jeune homme se leva et renversa sa chaise. La vieille dame recula, effrayé. Tom respirait lentement, on eut dit qu'il suffoquait. Le petit groupe qui s'était formé autour de lui le regardait, intrigué, n'osant rien dire et apeuré par la vapeur bleue qui sortait du garçon.
Celui-ci s'enfuit en courant, sans dire un mot, dans les rues de Lhassa, ne prenant pas même la peine de regarder autour de lui. Il retourna devant le panneau où il avait passé la nuit, et marcha dans la direction de Yona-Thang. Bientôt, la route pavée devint un chemin rocailleux qui continuait vers les montagnes…
* * *
-Bienvenue !
Félix s'approcha de Jérôme avec un grand sourire, le bras en avant. Dark-Crystal serra sa main mollement.
Max, qui avait amené Jérôme jusqu'à l'entrepôt fit un signe de tête à peine perceptible à Spliffman et ferma la porte, puis rentra chez lui.
-Je suis ravi d'apprendre que tu te joins une nouvelle fois à nous.
-Alors, vous avez l'adresse ? J'ai pas envie de refaire les recherches que j'ai faites pour trouver l'usine où était planqué Hannot le mois dernier.
-C'est bon, nous avons l'adresse. Et il est tout seul…
En quelques minutes, Jérôme Gentil fut complètement briefé. Les deux agents Rocket, l'agent 56 et l'agent 49, avaient pris une chambre d'hôtel à Paris pour une durée indéterminée. Depuis que l'agent 56 avait été " neutralisé " par Maxime, les détectives chargés d'observer discrètement la vie des deux Rockets n'avaient remarqué aucune nouvelle entrée dans l'hôtel, ce qui signifiait que l'agent 49 était désormais seul dans la chambre. La police, qui depuis l'affaire de l'usine en Mars faisait de nouveau confiance aux Antis, était prête à intervenir, mais ils avaient besoin d'une tierce personne. En effet, les policiers n'avaient aucune preuve tangible pour intervenir alors que les Antis, en tant qu'organisation privée pouvait passer outre les lois dans ce genre de situation. Le seul problème résidait dans le fait que peu de membres de l'organisation ne voulaient risquer leur peau, les Antis préférant travailler en groupe plutôt qu'en solo et les autres étant trop occupés. Félix avait alors pensé à ce jeune homme qui les avait aidé dans l'usine, celui qui avait battu le Caïd français, Jack Hannot, en personne.
Dark-Crystal regardait le plan de l'hôtel tendu par Félix, sans rien dire. S'il avait accepté, c'était pour deux raisons simples. D'une part, il avait failli mourir lors de l'attentat du POPB lors du Pokéfight 2002, lorsque ce robot lui avait tiré dessus. Depuis Jérôme ne portait pas les Rockets dans son cœur. La seconde raison était beaucoup plus complexe, et à bien y réfléchir, encore plus importante. Jérôme était une personne assez froide, très calculatrice, intelligente, très intelligente, trop peut-être… C'était bien là le problème d'ailleurs. Celui qu'on appelait Dark-Crystal n'avait besoin que de quelques secondes pour juger, et à raison, le caractère des gens et savait repérer les imbéciles au premier coup d'œil. C'est ainsi que peu de gens, voire pas du tout, trouvèrent grâce à ses yeux et Jérôme s'enferma dans une sorte de cocon, à cultiver son amour-propre et son intelligence supérieure. Lorsqu'il avait rencontré pour la première fois Tom et Marie, il en avait rapidement déduit qu'il s'agissait également d'un couple d'imbéciles. Thomas était le modèle même du type qui se croyait fort, qui ne l'était pas, qui se faisait ridiculiser un nombre incalculable de fois et qui serait près à jeter sa copine dès qu'il en trouverait une plus ravissante. Marie était ce type de femme qui paraissait intelligente, cultivée, qui l'était d'ailleurs certainement, mais que l'amour avait rendu aveugle et qui suivait comme un chien fidèle et sans cervelle son maître de Tom. Cependant, la suite des événements permit à Dark de se rendre compte de la solidité et du courage du couple, mais aussi d'un grand nombre de personnes, public, Antis et autres, qui avaient pris part au combat lors de cet attentat. Ce fut un choc pour Jérôme de constater que dans des situations beaucoup plus rudes, les gens qu'ils croyaient stupides se révélaient beaucoup plus braves qu'il n'y paraissait. Plus important encore, voyant qu'il s'était trompé, il se demanda s'il n'avait pas déjà fait des erreurs de jugements auparavant. C'était une des raisons pour laquelle il était sortit si facilement avec Gaëlle., il voulait revoir sa façon d'être avec les autres, peut-être en s'imprégnant de la façon de penser de ces gens, qui finalement n'étaient pas si différents. Et même s'il était resté le même en apparence, même si sa rupture avec la jeune fille avait été faite, il en demeurait profondément changé, et le rendez-vous par SMS qu'il avait reçu de Gaëlle plus tôt dans la journée lui avait une fois de plus montré à quel point les humains pouvaient être compliqués, lui le premier car c'était Jérôme qui avait désiré la revoir. Cette deuxième raison était donc en quelque sorte, elle aussi égoïste, Dark-Crystal voulait savoir jusqu'où pouvait aller son amitié pour Tom et Marie, jusqu'où ils pourraient aller pour essayer de les aider. Ce qu'était en train de faire Tom pour la sauver, cela n'avait aucun sens à ses yeux, pourtant, quelque chose au fond de lui-même admirait le courage de Bratin. Quelque chose au fond de lui-même lui chuchotait que le garçon arriverait à faire un miracle.
Son esprit semblait se partager en deux parties, cette facette de lui, scientifique, rationnelle, et de l'autre côté, quelque chose qu'il n'arrivait pas à mesurer, qui était incontrôlable, qu'il ne pouvait pas vraiment maîtriser. Il l'avait ressenti la première fois que Gaëlle l'avait embrassé, lorsqu'il avait appris que Marie était dans le coma et aussi lorsqu'on lui avait dit que Tom avait fait des milliers de kilomètres à la recherche d'une chimère qui n'avait aucune chance d'exister. Qu'était ce sentiment ? Son esprit scientifique ne lui permit pas de répondre à cette question, ni à aucune d'ailleurs, la seule certitude qui lui était autorisée était que ce sentiment existait réellement, et qu'il était même une partie intégrante de son être.
* * *
Tom s'écroula sur la route rocailleuse. Si seulement il avait écouté les gens à Lhassa. A force de vouloir toujours partir au plus vite, il finirait par perdre plus de temps qu'il avait voulu en gagner au départ… Malgré toute sa volonté de sauver Marie, ce voyage était épuisant. Il avait faim, soif, était à bout de force, et le froid rongeait sa peau creusée. Pourtant il n'avait pas encore vu de trace de neige. Ses doigts frôlèrent quelque chose de mouillé. Il eut juste la force de tourner la tête pour voir qu'il était allongé près d'une rivière.
Je suis à bout de force, je vais crever ici, excuse-moi Marie…
Ses yeux se fermèrent, sa respiration s'arrêta.
Son cœur aussi.