Cascades aériennes
-Ah ! ! !
-Du calme ! ! !
Les feuilles de l'arbre bougèrent rapidement puis s'arrêtèrent.
-Bordel, t'as failli te le prendre celui-là !
-Désolé, mais ça devient difficile ! Je suis concentré sur ce vol depuis plus de cinq heures, je suis crevé !
-T'as qu'à me passer les commandes Abhra.
-Certainement pas ! Tu sais pas piloter, et puis je laisse Jetska 8 entre les mains de personne d'autre que moi !
-Ok, alors tache de faire en sorte qu'on s'écrase pas !
-Mais non… Ah tiens, regarde, la ville de Lonchi !
-Génial, répondit Tom qui ne prit même pas la peine de regarder.
Les montagnes étaient de plus en plus hautes et la température avait grandement baissé. Le relief était beaucoup plus accidenté et le pilote devait souvent éviter les obstacles au dernier moment. Mais l'avion avait beau raser les montagnes et les cols, ceux-ci étaient de plus en plus haut, et l'écart entre le plafond blanc, c'est-à-dire la tempête, diminuait dangereusement.
-Par Vishnu, ça devient dangereux, commenta Abhra. En plus je crève de froid.
-Si ça peut te rassurer moi aussi, alors arrête de…
-AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !
Ils crièrent en même temps car une grosse secousse secoua tout l'appareil. Même après celle-ci l'avion tremblait encore énormément, et cela n'allait pas en s'arrangeant. Le matériel de réparation, dans les caisses en cartons situées à l'arrière de Jetska 8 faisait un bruit assourdissant en vibrant. Quelques secondes plus tard, les indicateurs du tableau de bord s'affolèrent, tournant sur eux-mêmes, s'éteignant ou encore affichant des valeurs impossibles. Une alarme se fit entendre.
-Merde, merde, merde ! Cria Abhra.
Tom se cramponnait à son siège, serrant les dents alors que le pilote tentait de bouger le manche à balais, sans succès.
-Qu'est-ce qui se passe ? !
-J'ai voulu monter trop haut pour éviter le relief, moralité, la basse pression de la tempête nous attire comme un aimant !
-Pas question de finir en fichier winzip, fais quelque chose !
-J'essaie de piquer du nez, j'ai les gaz à fond mais on prend quand même de l'altitude !
-Faut sauter !
-T'es fou ? Autant se flinguer maintenant !
-Mais qu'est-ce qu'on peut faire alors ? On va réellement finir écrasé dans la tempête ?
-Oui, Jetska 8 ne tiendra pas longtemps !
Tout en essayant de bouger le manche à balais, Abhra ferma les yeux.
-Je veux être réincarné en oiseau, un petit oiseau pur, s'il vous plait !
-Arrête tes conneries putain !
-Un oiseau, un … AH !
L'horizon disparut devant leurs yeux ébahis, laissant la place à un blanc impénétrable.
-On est dans la brume ! C'est la fin !
-…
Tom se détendit soudain. Dans quelques instants, ils allaient sortirent de cette masse blanche, et être déchiquetés dans la tempête au-dessus.
Après tout, comme ça, je rejoindrai Maris. Et…
-MARIE !
Non, j'ai juré que je te sauverai ! Et tu n'es pas morte, tu n'es pas morte !
-Je te sauverai !
-C'est fini ! J'aurais le plaisir de finir ma vie avec Jetska 8 ! On rentre dans la tempête !
En effet, la brume avait laissé la place à un ciel bleu dégagé.
-Allez, je suis prêt à être broyé, chuchota Abhra.
Les voyants et l'alarme s'éteignirent, et le calme se fit soudain. En observant attentivement, le pilote s'aperçut que le soleil n'était pas visible. Mais le plus étrange était qu'une sorte de filtre bleu était présent à l'intérieur de l'appareil. Cette couleur… Abhra l'avait déjà vue lorsqu'elle s'était échappée du corps de Thomas lors de son combat contre Douglas.
L'Indien tourna la tête vers le garçon. Celui-ci, les yeux grands ouverts, murmurait doucement.
-Marie, Marie, Marie.
Plus étrange encore, la vapeur bleue semblait s'échapper de son corps. Abhra regarda une nouvelle fois par le cockpit et comprit qu'ils étaient encore dans la masse blanche et que ce qu'il avait pris pour l'horizon bleu n'était rien d'autre que cette sorte de filtre azur qui émanait de Tom et devait certainement entourer tout l'avion. Soudain, l'horizon réel apparut, le soleil brillant au loin. Le pilote fut soulagé de constater que la masse nuageuse était au-dessus d'eux. Ils s'en étaient donc sortit.
-On descend, on descend ! Tom regarde !
Il frappa le garçon sur l'épaule, la vapeur se dissipa alors.
-Hum, quoi ? Demanda-t-il comme s'il venait de se réveiller.
-On est vivant et… Mais d'où viens-tu ?
-Qu'est-ce que tu me chantes ? On est sortit de ce bourbier oui ou non ?
-Oui regarde, la tempête est au-dessus de nous. Mais…
Abhra ouvrit de grands yeux.
-Je sais ! Tu es un dieu venu me protéger ! Tu es le dieu des pilotes venu me bénir ! Ah, je m'excuse de m'être emporté, ô Dieu ! Ton pouvoir magique bleu est incroyable ! Il nous a sauvé !
-La peur de mourir t'a rendu fou, c'est ça ? Essaye de nous conduire à Lhassa et je trouverai un bon asile pour toi.
-Bien sûr ô divinité protectrice, répondit le pilote avec un grand sourire.
C'est étrange, je me suis senti vraiment bizarre. Comme quand je conduisais pour aller en Autriche, quand je n'ai rien vu passer de la journée, ou pendant le match contre l'autre vieux mafieux anglais… Je dois être malade.
-Allez, dans encore neuf heures ont sera à Lhassa !
La voix de l'indien sortit Tom de ses pensées.
-En plus, continua Abhra, on a passé les montagnes les plus hautes, maintenant les montagnes sont moins élevés, et ce, jusqu'à Lhassa. Enfin, c'est ce que me dis la carte ! Le plus dur est passé !
-Génial, fit mollement Tom.
Marie, attends-moi. Je serai le plus rapide possible.
-Wah ! Fit Abhra.
-Quoi encore ?
-Non, rien de grave, Jetska 8 me fait ça parfois, des petites accélérations soudaines. C'est rare, mais c'est grisant.
-Ah oké, bon arrête de me faire peur !
Marie j'arrive, je te le jure.
-Hé ! Une nouvelle accélération ! Quel bolide !
-…
* * *
-Bonjour !
-Bonjour !
-Comment vas-tu ce matin ?
-Fort bien, et toi, as-tu bien dormi ?
-Oui, je me sens d'humeur fort agréable !
-Ma foi tant mieux, parce qu'il faudra aller faire les courses !
-AAAAAAAAAAAAAAAAAH ! Marie, mais on y est allé y a à peine deux jours !
-Et tu m'as laissé le temps de prendre du jambon pour un repas, quatre carottes, et trois pommes !
-Ben on a qu'à faire un régime, d'ailleurs ça ne te ferait pas de mal, mon petit Beluga !
-TOM !
-AYEUH ! Ok, c'est bon j'rigolais, on y va !
* * *
-Bien dormi ?
Tom regardait mollement le paysage montagneux devant lui.
-Je dormais pas.
-Tu ronflais pourtant.
-La ferme !
C'est quoi ces vieux rêves que je fais en ce moment ? Enfin, c'est toujours mieux que les trucs avec Max…
L'avion effectua un petit virage, rasant une prairie et obligeant une colonie d'oiseaux à s'envoler.
-Tu n'es pas quelqu'un de très joyeux tu sais. Tu ne rigoles jamais Tom.
-J'ai pas envie de te parler.
-C'est bizarre, parce que tu vois…
Il redressa le manche à balais pour remonter la pente douce.
-… t'es vraiment étrange, continua-t-il. Mon petit doigt me dit que c'est pas ta vraie nature.
-Je t'ai dis de t'occuper de tes fesses !
-Ok, ok. Je peux au moins savoir pourquoi tu tiens tant que ça à aller à Lhassa ? A part pour le tourisme, je vois pas trop ce qu'on peut vouloir chercher là-bas. Tu veux te mettre au bouddhisme ?
-Je crois t'avoir demander de la fermer ?
Un sourire mauvais apparût cependant sur le visage amaigri de Thomas.
-Je viens juste ici en hommage à ma copine défunt… GYAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH.
Une terrible convulsion le fit se tordre sur lui-même.
-Bon sang Tom, qu'est-ce que t'as ?
Pourquoi est-ce que j'ai dis ça ? Et pourquoi j'ai si mal ?
Il tenta de redresse son corps, mais impossible, une terrible douleur le tenait paralysé. Un éclair bleu le parcouru rapidement, provoquant une souffrance sur toute la peau qu'il longea. Mais la douleur n'était rien par rapport à la tristesse qu'éprouvait le garçon. Il avait dit cette phrase par pure méchanceté, parce qu'il voulait faire mal, peut-être à Abhra, sûrement à lui-même…
Merde, Marie n'est pas morte, j'ai pas le droit de baisser les bras, ni de dire des horreurs pareilles. Je t'aime, je vais te sauver, je dois pas abandonner…
La douleur disparut immédiatement. Tom leva les yeux, Abhra le regardait, effaré.
-Qui… qui es-tu ? Qui es-tu réellement ? T'es un fakir ? T'es vraiment un dieu ?
-Qu'est-ce que tu racontes Abhra ? répondit Tom en souriant faiblement.
-C'est pas la première fois que je vois ce truc bleu qui sort de toi, mais là, c'était différent, on aurait plus dit des éclairs, et t'avais l'air d'avoir mal.
-Bah euh, tu dois avoir des visions. Au fait Abhra…
-Oui ?
-Merci pour tout.
-Ah… C'est un échange de service. J'avais besoin de ces pièces et puis je suis gagnant, j'adore piloter Jetska 8 !
Thomas se détendit et respira profondément. Ce n'était pas en s'attaquant à tout ce qui l'entourait qu'il irait mieux. Rien ne l'empêchait d'être plus calme et plus docile, de toute façon cela ne changerait rien… alors autant ne pas faire souffrir les autres. Un souvenir revint dans sa mémoire, il se rappela sa pseudo leçon de morale envers le jeune garçon dans le train et s'en voulu d'avoir été si méchant.
-En fait, dit-il d'une voix à peine audible à travers le bourdonnement continuel de l'hélice de l'avion, ma fiancée est à l'hôpital à Paris. Ca va te paraître débile, mais je dois aller à Lhassa… pour la sauver…
-Il n'y a aucune raison débile à vouloir sauver ceux qu'on aime, et il serait bien mal habile de ma part de te jeter la pierre. Je ne sais pas ce que tu feras une fois arrivé, mais j'espère que tu arriveras à faire ce que tu dois faire pour la sauver.
-Putain…
Tom laissa tomber sa tête sur le rebord du tableau de bord. Il se mit à sangloter. Abhra lui tapota amicalement l'épaule.
-On sera à Lhassa plus tôt que prévu.
En effet, l'avion trouva un champ et y atterrit dans la soirée, alors que le soleil commençait à peine à disparaître derrière les monts enneigés.
Les deux hommes sortirent de l'avion et regardèrent autour d'eux. Les montagnes paraissaient immenses et entouraient toute la ville, située à quelques centaines de mètres.
-Je suppose que nos chemins s'arrêtent là, Tom.
-Exact, prends soin de toi et merci pour tout.
-De rien, je vais ptêtre rester un peu à Lhassa, ça dépendra de ce que j'y trouve. Bonne chance, et ne t'inquiète pas Tom, tu y arriveras, j'en suis persuadé !
Ils se serrèrent la main, Abhra resta dans son avion pour y dormir et Tom partit vers la ville. Il ne resta pas longtemps dedans, malgré l'obscurité de la nuit naissante, il découvrit un panneau indicateur, montrant plusieurs directions dont une qui l'intéressait : Yona-Thang.
Le village était à plus de 35 kilomètres, une bonne trotte, surtout s'il fallait passer par des chemins rocailleux. Tom décida de rester devant le panneau, et s'y endormit.