Défendre ses amis
Le silence régnait dans l'hôpital de Feuille-Neuve. Une atmosphère calme et nécessaire pour le repos de tous les patients. Cependant, s'il eut été un être capable d'entendre le moindre petit son, la moindre petite vibration dans l'air, alors cet être aurait compris que ce silence était légèrement perturbé. Le bruit venait d'une chambre, la 312. Ce n'était certainement pas la patiente, endormie certainement pour toujours, dont le rythme de la respiration était aussi lent que celle-ci était faible. Non, ce qui troublait le silence venait d'une autre jeune femme, qui, malgré le fait qu'elle était vivante, paraissait bien plus malade et fragile que celle qui dormait paisiblement dans ce lit. Des perles d'eau salée tombaient les unes après les autres sur le sol beige de la chambre, accompagnées de sanglots à peine audible, ainsi que de reniflements saccadés.
Laetitia releva avec difficulté la tête. Ses joues étaient creusées, son visage, habituellement clair, était devenu blanc à faire peur, bien qu'il gardât cette délicate beauté qui avait rendu, et rendait toujours, fou d'amour un certain Maxime. Elle prit dans sa main blanche celle de Marie, à peine plus colorée que la sienne. Faire ceci la relaxait, car sa paume, étonnamment chaude, lui laissait croire qu'elle ne faisait que dormir, uniquement dormir…
Voyant que malgré ses espoirs secrets, rien ne se passait, Laetitia se remit à pleurer.
La porte s'ouvrit, mais Léa ne bougea pas. Maxime referma derrière lui en tentant de faire le moins de bruit possible. Depuis l'incident, il hésitait toujours à rentrer d ans la pièce, de peur de tomber nez à nez avec un autre tueur. Mais il savait que les Rockets mettraient un certain temps avant de recommencer quoique ce soit. De plus, Maxime ne devait pas montrer ses émotions. Léa et les autres ne savaient rien sur la tentative de meurtre et c'était mieux ainsi. Il en parlerait une fois que toute cette histoire serait terminée…
Si elle se termine…pensa-t-il.
Il s'avança vers Laetitia, sans rien dire. Il comprenait sa peine. Depuis qu'elles se connaissaient, elle et Marie étaient devenues les meilleures amies du monde. Marie s'était un peu éloignée de ses amis du lycée depuis qu'elle était dans cette école de stylisme, et Léa n'avait jamais eu beaucoup d'amies, trouvant souvent trop maniérées ou imbues d'elles-mêmes celles qu'elles rencontraient lors des soirées organisées par son père ou ses collègues. Pourtant, rien ne les rapprochait. L'une était calme, timide, réservée et douce, voire maniérée en quelques occasions. L'autre était une vraie casse-cou, sportive, refusant les principes et ayant toujours eu cette franchise et cette façon de parler directe qu'elle avait apprise dans son petit village de Colina. Pourtant elles s'étaient comprises, retrouvées dans l'amour passionné qu'elles portaient à chacun de leur Don Juan. La situation rocambolesque dans laquelle Marie avait rencontré Léa, alors que la relation entre Max et celle-ci n'allait pas pour le mieux, avait certainement permis de faire que de solides liens se créent rapidement.
Toujours est-il que Maxime savait pertinemment ce qu'il se passait dans l'esprit de Léa, et c'est pourquoi il n'osait pas trop l'aborder. Il s'avança cependant vers elle, mais un souvenir douloureux lui revint en mémoire. Peu après le dernier Noël, ce Noël 2003 qu'il avait passé avec elle, Laetitia avait décidé de lui parler un peu de sa mère, chose qu'elle n'avait jamais pu faire avant, et à personne.
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" Maman… Maman a toujours été malade. Elle avait un teint très pâle, plus que le mien, et une maladie incurable. Elle était condamnée depuis l'enfance, mais nul ne savait quand elle devrait mourir. Lorsque mon père l'a rencontré, les médecins ont cru au miracle, elle avait repris des forces et vivait parfaitement, bien qu'elle restait toujours un peu faible. Quand elle m'a eut, elle a encore plus gagné en force et en courage. Mon père l'aidait beaucoup, mais elle insistait pour m'élever le plus possible. Elle m'expliquait tout un tas de chose, comment être une petite fille bien élevée, et comme devenir une jeune fille belle et gentille. Malheureusement, si nous l'avions presque oubliée, la maladie, elle, n'avait rien oublié du tout. Quand j'avais 10 ans, ma mère a eu un évanouissement et on l'a conduit à l'hôpital. J'étais près d'elle jours et nuits, je gardais le sourire et le moral parce que j'étais sûre qu'elle allait guérir. Je… je n'ai rien compris quand les médecins lui ont recouvert la tête. Je m'en souviens comme si c'était hier, j'ai protesté, disant qu'elle allait étouffer. Là, papa m'a pris dans ses bras et m'a dit que c'était terminé. "
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-Cette fois… c… cette fo..fois au moins je serai prête, sanglota Léa.
Maxime n'hésita pas et posa une main sur son épaule tremblante. Il lui chuchota à l'oreille tout en caressant sa joue humide :
-Ne dis pas ça.
-J'ai déjà vécu ça… Je pensais ne plus jamais le vivre.
-Ma puce, tu devrais rentrer.
-…
-Ecoute, je reste là. Va au moins prendre quelque chose à manger à la cafétéria.
-P… pourquoi Maxime ?
Elle leva vers lui des yeux implorant.
-Pourquoi on lui a fait ça ? J… je comprends pas ? Comment peut-on faire ça ? Dis-le moi s'il te plaît.
Elle éclata en d'encore plus gros sanglots, criant dans les bras de Maxime, frappant du poing sur son torse.
-Calme-toi.
Il s'accroupit devant elle, croisant son regard. Un petit sourire aux lèvres, il dit :
-Tu sais Léa, Marie ne…
-Maxime, fit-elle en séchant ses yeux du revers de la main, tu pleures.
- ! ! !
-Tu pleures mon chéri.
-C… c'est une poussière dans l'œil, ou bien une allergie à un truc dans cette chambre. Enfin, toujours est-il que je voudrais que tu ailles manger quelque chose. Je reste ici et je…
-Bonjour.
-Madame Bratin.
-Laetitia, pour la centième fois, appelle-moi Luna !
-Excusez-moi…
Maxime se tourna vers la femme qui était entrée dans la chambre.
-Luna, pourriez-vous descendre avec Léa, elle a besoin de marcher un peu, et de manger.
Il avait prononcé le dernier verbe en insistant bien dessus et en regardant celle qu'il aimait tout en fronçant les sourcils.
-Bien sûr, on a qu'à prendre quelques cookies à la cafet'. On reviendra voir Marie juste après.
-Mais je…
-Pas de mais Léa, firent en même temps Max et Luna.
A contre cœur, la jeune fille se leva de sa chaise, et se dirigea vers la porte, tenue ouverte par Luna. Elles descendirent toutes les deux, laissant Maxime seul dans la chambre. Il s'assit sur la chaise ou était Laetitia il y avait encore quelques secondes et regarda la fille qui était allongée d'un air sombre.
-Je sais pas si tu peux m'entendre, mais t'as intérêt à te réveiller. Tu manques à beaucoup de personnes ici, et pas seulement qu'à ton chéri.
Il resta pendant plusieurs minutes dans le silence, jusqu'à ce que Léa et Luna reviennent. Il sortit alors, les bousculant presque, et se dépêcha de quitter l'hôpital pour s'asseoir sur l'un des bancs du petit parc intérieur. Il s'écroula littéralement dessus et laissa tomber sa tête en arrière. Il pinça le haut de son nez de son pouce et de son index et fronça les sourcils.
-Putain… Ca peut plus durer comme ça. Je peux pas rester là les bras croisés… Je voudrais aider l'autre crétin… Mais j'ai peur de le ralentir… Fais chier.
Il frappa d'un gros coup de semelle dans le sable qui entourait le banc.
Cette histoire va tous nous tuer.
* * *
M'entends-tu ?
Me vois-tu ?
Si loin et pourtant
Si proche, en sentant
Ce souffle, cette chaleur
Venaient-ils de ton cœur ?
Je ne suis ni l'un, ni l'autre
Je suis ceux qui t'aiment
Cette amitié, la notre
Qui te protège et même
Te guérira
Te sauvera
Nous entends-tu ?
Nous sens-tu ?
Les larmes versées sonnent-elles
Dans ton âme éternelle ?
Où te caches-tu ?
Où demeures-tu ?
Tu respires doucement
Ton souffle est apaisant
Les battements sont lents
Mais cependant présents.
* * *
Léa regardait Marie avec un regard nouveau. Manger lui avait fait du bien et ses idées étaient plus claires. Elle avait sentit comme un grand espoir, non pas comme si Marie allait se réveiller d'un coup, mais plutôt comme si quelque chose ou bien quelqu'un allait faire en sorte qu'elle se réveille.
Lorsque quelqu'un frappa à la porte, ce fut presque avec l'espoir de voir apparaître Thomas que la jeune femme demanda d'entrer. Cependant, lorsqu'il vit le visage du docteur Henry, un grand désespoir la prit, et elle ne put s'empêcher de baisser la tête. Il avança, regarda le tableau au pied du lit de Marie, vérifia l'oscilloscope et prit la tension de la fille endormie, tout cela sans un mot. Cependant, il s'arrêta au niveau de Laetitia et arbora un sourire cruel. Quelques secondes plus tard, il prit un air faussement attristé.
-Il a 12 ans…
-Pardon ? Demanda Léa.
-Il a 12 ans et il a besoin d'une greffe dans les plus brefs délais… C'est tellement dommage.
Maxime ouvrit la porte et entendit la dernière phrase.
-Espèce de…
-Maxime arrête ! Cria Léa.
La voix de la fille était tellement forte et autoritaire que Maxime ouvrit de grands yeux et ne continua pas sa phrase. C'était la première fois qu'il voyait celle qu'il aimait dans un tel état. Léa se leva de sa chaise et fit face au docteur qui recula, étonné. Il prit cependant le premier la parole, se sentant menacé.
-Nous avons fait des recherches et il se trouve que, cette demoiselle n'a pas de famille ici. Il suffit qu'un médecin la signale comme morte pour que nous puissions prélever ses org…
-LA FERME ! Vous voulez un conseil Henry ? Restez dans les limites de votre profession. Je suis certaine que vous êtes un excellent chirurgien, mais en ce qui concerne les lois, vous ne connaissez rien.
-Je…
-RIEN ! Dans ce domaine, le professionnel …
Elle sortit une petite carte dont le tampon fit frémir le chirurgien.
Laetitia Dumiax
Avocate à Paris
-…C'est moi.
Elle respira fortement puis reprit d'un ton toujours autoritaire :
-Saviez-vous que la mère de mon amie étant morte et que son père ne l'ayant pas reconnu, sa tutrice légale est Madame Bratin, ici présente ? Luna a rempli tous les papiers afin d'être reconnue comme la tutrice de Marie, et c'est elle, et elle seule qui peut décider de ce qui peut être fait OU PAS à Marie ! Monsieur Henry, si jamais vous continuez à nous harceler, je me verrai dans l'obligation de vous coller un procès au cul, c'est clair ?
-…
-C'EST CLAIR ? Je sais très bien que bon nombre de patients se sont plaint de vous et de vos méthodes et que l'hôpital sera heureux de se débarrasser de vous. Alors tenez vous à carreau, sinon vous risquez gros, très gros.
Le docteur recula de quelques pas, puis se retourna rapidement et partit sans même fermer la porte. Maxime et Luna regardèrent la jeune femme encore tremblante.
-Tu, tu es déjà avocate ? Je croyais que tu en avais pour plusieurs années ? Fit Maxime en chuchotant car il n'osait parler de peur de se faire rabrouer par Léa.
Elle lui répondit en souriant :
-Bien sûr que non, mais je me suis amusé à faire une fausse carte dans le bureau de papa, avec un faux tampon. C'est totalement interdit, mais ça a eu l'air d'avoir son effet.
Luna se leva et se dirigea vers Léa, surprise. Elle entoura celle-ci de ses bras et l'embrassa fortement sur la joue.
-Je suis fière de savoir que ma future belle-fille a d'aussi bons amis.
-M…merci, répondit timidement Laetitia qui avait retrouvé son calme. Max… ça ne va pas ?
-Chérie… tu… Tu m'as fais peur …
Il regardait Léa avec crainte, puis se mit à sourire.
-Mais je vois que, comme d'habitude, je me fais trop de soucis pour toi et que tu es beaucoup plus forte que je ne l'imagine.
-Oui… répondit-elle. Mais il y a deux personnes pour qui je souhaite vraiment très fortement qu'elles soient le plus fort possible.
Les trois tournèrent leurs regards vers Marie, tout en pensant à Thomas.