Tuer ceux qui sont morts
Le vent et la pluie fouettaient le visage de l'agent 56. Il avançait d'un pas rapide vers l'hôpital, caché sous un imperméable gris qui le recouvrait de la tête au pied. Il ne rentra pas par l'entrée principale mais par une porte annexe menant directement à une rangée de casier pour les chirurgiens de l'hôpital.
" Une blouse sera accrochée pour vous, avait dit le docteur Henry, j'ai également trafiqué les PC pour faire croire qu'un nouveau chirurgien arriverait pour faire transition avec mon départ. "
L'agent 56 enleva son imper trempé et le cacha derrière un fauteuil. Il enfila la blouse blanche et mit son bonnet ainsi que son masque.
" En toute logique le personnel ne vous posera pas de problème. Ils seront trop heureux de savoir que je pars et n'importe qui fera un merveilleux remplaçant du vilain docteur Henry à leurs yeux. "
Henry avait raison : à l'accueil, le " nouveau chirurgien " eut droit à un grand sourire de l'hôtesse et put prendre l'ascenseur sans aucun problème, malgré l'heure tardive.
L'agent 56 resta fixe, une fois dans la cage, sans bouger, ni même tapoter des doigts sur le mur. Il traversa le premier couloir et regarda une pancarte.
" Chambres 300 à 320 "
Il prit donc le couloir de droite et marcha d'un pas relativement lent vers la chambre 312, là où elle reposait. A sa gauche, la chambre 300, à sa droite la 301.
Il n'était pas du genre à trembler quand il s'agissait de tuer mais…
Chambre 302, 303.
… il n'avait jamais tué de sang-froid. Toujours en combat, ou bien lors de certaines missions corsées.
Chambre 304, 305.
Ses pas résonnaient dans le couloir vide et aseptisé. L'agent 56 était dans la Mafia Rocket depuis 30 ans maintenant. Pour 50 ans, il était encore en forme, assez musclé, sans un poil de graisse. Seul ses cheveux grisonnant trahissaient les années.
Chambre 306, 307.
Etre un agent à " numéro " impliquait un certain grade, et il en était fier. Plus le chiffre était élevé, plus le Rocket était âgé et donc possédait une certaine expérience. L'agent 56 était grandement respecté au sein de la mafia.
Chambre 308, 309.
Cependant, malgré le respect qu'il accordait à Hannot, il ne comprenait pas l'utilité de ce meurtre. Tuer une jeune fille à moitié morte ne chamboulerait pas les plans de la Mafia Rocket.
Chambre 310, 311.
D'ailleurs Hannot savait pertinemment que les Rockets n'étaient pas des meurtriers de nature. C'est pourquoi il engageait très souvent des professionnels comme Rain pour exécuter le sale boulot.
Mais ce genre de types demandait beaucoup d'argent et les fonds de la mafia, quoiqu'on en dise, n'étaient pas infinis.
Voilà pourquoi il arrivait des situations comme celle-ci.
Chambre 312.
" Ils restent toute la nuit à ses côtés, je ne les ai jamais vu la laisser seule dans sa chambre "
Par sécurité l'agent toqua à la porte. Si quelqu'un lui ouvrait il était prêt à lui tordre le cou en quelques centièmes de secondes, et tout cela, dans un parfait silence. Cependant, il n'y eut aucune réponse.
Etrange, pensa l'agent.
Avec sa clef il ouvrit la porte et entra dans la chambre. Un rapide coup d'œil lui permit de conclure qu'il n'y avait réellement personne pour surveiller le corps de la jeune femme. Le silence qui régnait dans la pièce était uniquement troublé par le petit bip de l'oscilloscope qui suivait les battements lents et réguliers de son cœur.
J'ai de la chance qu'il n'y ait personne d'autre… Ca évitera un meurtre de plus.
L'agent s'approcha de Marie et tressaillit à la vue de son visage. Il ne l'imaginait pas si belle.
-Bon travail agent 56, vous pouvez y aller. Bon meurtre.
-Merci Monsieur Hannot. Une dernière chose cependant.
-Laquelle ?
-Henry nous a fait part de son désir de récupérer le cœur de la jeune fille. Je sais que c'est idiot… mais je souhaitais vous en parler. Ce type est réellement f…
-Et vous ferez ce qu'il a dit.
-PARDON ?
-Agent 56, je ne suis pas friand de ce genre de … pratique, cependant vous savez très bien que nous devons mettre toutes les chances de notre côté.
-Mais ce n'est…
-Autant faire plaisir à ce fou furieux de toubib pour l'instant. Ensuite il travaillera avec l'équipe du laboratoire et vous n'aurez plus à le voir.
-…je vois. C'est une sorte de cadeau de bienvenue…
-Vous y êtes. Dans l'équipe scientifique, il trouvera tout un tas de personnes telles que lui…
Le sourire qu'avait eu alors Jack Hannot avait fait frémir l'agent. Il secoua tout son corps, comme pour enlever la vision de son chef. De la poche de sa blouse, il sortit un gros scalpel.
-Ah, agent 56, j'ai appris que c'était vous qui alliez vous occuper d'elle.
-Je vous cherchais. Je ne sais pas comment extraire un cœur… Ce n'est pas dans mes habitudes…
-Oh, ne vous inquiétez pas pour cela. Vous savez où se trouve le cœur tout de même.
-…
-En fait, c'est plus un trophée qu'autre chose. S'il n'est pas ou plus en vie quand je l'aurais, je m'en arrangerai tout de même. Ce sera soit un défi de le refaire battre, soit un amusement…
L'agent approcha sa lame de la poitrine de Marie. Il ne devait pas trembler.
Il enfonça profondément le scalpel dans le sein gauche de la fille, arrachant ses vêtements ainsi que sa peau. En quelques secondes, il avait creusé le corps. Il mit sa main au plus profond du thorax de Marie et en sortit l'organe ensanglanté et encore battant. Il du tirer pour que les artères lâchent l'organe et lui permettent de détacher entièrement le cœur. Mais à ce moment là, le buste de la fille se redressa et celle-ci hurla dans un terrible cri de douleur, les yeux grand ouvert et remplis d'effroi et d'horreur.
L'agent 56 tressaillit et fit un pas en arrière. Il glissa son masque sous son menton, manquant de souffle. Il ferma les yeux, puis les rouvrit. Son scalpel était toujours propre et le corps de Marie intact et immobile. Il laissa tomber l'instrument et porta la main à sa bouche comme s'il allait vomir.
-Je… Je peux pas, fit-il à haute voix tout en tremblant.
-Il vaut mieux pour toi.
-Hein ?
Avant même qu'il ne se retourne, un bras lui avait enserré le cou. Il ressentit une force gigantesque et n'arrivait plus à bouger. C'était à peine si le Rocket pouvait respirer. La voix derrière lui chuchota à l'oreille.
-Il faudra être plus vigilant à l'avenir. Ne pas voir son ennemi derrière le lit, puis passer derrière soit, c'est grave pour un soit disant tueur.
-J'a… j'allais pas la…
-Vu la tête que t'as fait lorsque t'as sortit ton scalpel je pense que tu m'aurais même pas vu si j'étais passé devant toi. Et puis, même si t'avais voulu la tuer, t'aurais pas pu, mon Electrode t'aurais foudroyé avait même que tu fasses un geste.
-T… tu as pris des risques…
-Non, je voulais juste savoir ce que tu voulais faire…
-…
-Allez, voyons voir…
La main qui ne l'étranglait pas fouillait maintenant ses poches et ses bras. Sans comprendre ce qu'il se passait l'agent fit tout à coup volte face contre son gré, et ressentit une terrible douleur dans le ventre. Il sentit qu'on l'avait lâché, s'agenouilla, et se mit à vomir. Il rampa pour s'éloigner de la saleté qu'il avait fait et se retourna en se plaquant contre la porte de la chambre. Son agresseur était grand, ses cheveux rouge sang et l'intensité qui émanait de ses yeux fit trembler l'agent 56, pourtant habitué à voir des meurtriers plus dangereux les uns que les autres. Pourtant, à l'inverse des regards qu'il avait déjà pu voir, il n'y avait pas la cruauté ni l'avidité des types des mafias rivales, ni la volonté de gagner des Antis. Dans le regard de ce jeune homme se trouvait une sorte de sérénité, ainsi qu'une chose qu'il ne put définir.
-C'est les Rockets qui t'envoient ?
-…
-Bon, je suis pas patient. Je te le répète qu'une fois. C'est les Rockets qui t'envoient ?
Un sourire parcouru le visage de l'agent, malgré sa douleur au ventre.
-En bon français, on dirait " ce sont les Rockets qui… " GYAAAAAAAAAAAAAAAAH !
Max mit immédiatement sa main devant la bouche du type pour étouffer son cri. Celui-ci regardait horrifié son jean ensanglanté. Le scalpel qu'il avait fait tombé plus tôt était planté profondément dans son genou.
-Je suis pas calé en médecine mais depuis quelques temps, je fais du karaté… J'ai appris qu'un genou bien pété pouvait ne plus jamais fonctionner.
-…
-Ca m'étonnerait que tu serves encore dans la Mafia Rocket. Mais si tu veux, je peux faire levier et te faire gicler ta rotule.
Maxime enleva sa main pour laisser parler le Rocket.
-Pfff…je suis habilité à survivre à une séance de torture, c'est pas un gamin comme toi qui va me faire parler.
-Mouais… De toute façon je sais déjà que ce sont les Rockets qui t'envoient, mais j'aurais voulu plus de détails…
-Va chier.
-…
Maxime ouvrit un tiroir et en sortit un gros morceau de sparadrap marron. Derrière lui, l'agent 56 tentait de se relever pour l'attaquer par derrière. Le garçon se retourna calmement et le rejeta au sol d'un coup de poing sur le front. Il mit un pied sur son ventre et se baissa pour entourer la bouche de l'agent de scotch. En croisant son regard, le Rocket tressaillit. La sérénité avait disparu, il n'y avait plus que de la haine, de la haine pure dans ses yeux.
-Qu'on s'en prenne à des Antis passent encore. Mais qu'on tente de buter deux innocents, qui plus est mes deux meilleurs potes…
-MMMMH !
-Je vais te briser tous les os, cracha Max en brandissant le poing.
Une demi-heure plus tard, dans l'entrepôt de Félix, le téléphone sonna.
-Mhh, mwi, allô ? Max ? Mais t'as vu l'heure qu'il est ? Je suis vieux moi j'ai besoin de dormir, punaise il est trois heures du mat' et… Quoi ? Tu… ah, tu t'en es occupé… Bon, j'arrive et … Comment ça ? Tu veux que je… Oui je connais leur QG de secours, il est à Bordeaux mais… Oui, peut-être… de toute façon les choses ne peuvent pas être pire. Ca pourrait même les dissuader de recommencer qui sait… T'inquiète, les Antis se chargeront d'expédier le tout.
* * *
-Monsieur Hannot, nous avons un gros colis pour vous…
-…
-Nous l'avons passé au détecteur, pas d'explosif, pas de fumigène. Mais… il faut que vous veniez…
-J'arrive.
Une vingtaine de Rockets était penchée autour du gros carton, marqué fragile.
-Vous l'avez reçu quand ? Demanda le Caïd.
-Ce matin…
-La poste n'a pas l'adresse de notre QG. Seuls les Antis… Pourtant ils ne sont pas du genre à envoyer des colis piégés.
-Monsieur, il n'y a pas d'explosifs, ni rien de dangereux.
-Votre scan du carton vous a permis de savoir ce qu'il y avait à l'intérieur ?
-Oui… nous sommes à peu près sûr…
-Ne me dites rien, j'ai peur de savoir ce que c'est.
Il défit le carton et un des côtés de la boite tomba d'un coup. Certains Rockets ne purent s'empêcher de crier de stupéfaction. Hannot ne broncha pas, regardant l'intérieur du carton froidement.
-Il a l'air encore en vie.
-Il l'est Monsieur.
L'agent 56 était inconscient, torse nu, ses deux jambes ensanglantées et une pliée légèrement à l'envers, indiquant qu'elle était cassée. Son torse était bleu, certainement à cause d'une quantité importante de coups reçus. Ses bras étaient également couverts d'hématomes et sa main droite avait presque doublé de volume, les doigts étaient tordus dans tous les sens. Quand au visage de l'agent, il était méconnaissable et tuméfié. Ses deux yeux étaient entourés de bleu et ses paupières étaient gonflées et noires. Son nez, cassé, penchait vers la droite, et des traînées de sang séché coulaient le long de sa bouche tordue, certainement en raison de sa mâchoire brisée.
A côté du corps, une petite lettre que prit Hannot et qu'il garda pour lui.
" Nous avons bien pris connaissance de votre courrier.
En voici l'accusé de réceptions.
Salutations
Maxime Grey "