Urbain
De l'herbe dans les narines, mon petit corps allongé près d'un arbre, attaché au tronc de ce dernier. Un léger vent m'embroussaillait les poils, et mes yeux fixaient l'horizon, qu'ils connaissaient maintenant su bien… Depuis maintenant quelques semaines mon cou se faisait broyer par une corde de chanvre solidement attachée autour du puissant bois d'un chêne massif. J'avais été abandonné par mon maître, un jour de printemps, alors que je croyais à un jeu. J'étais encore plus jeune que maintenant… Et aussi tellement plus naïf et inconscient. C'était l'époque où je vivais sans broncher, dans un cirque où mes seules récompenses étaient des mots durs, des coups et de la haine. Mais je me demande désormais si ce n'était pas mieux, dans ce presque enfer où j'avais failli perdre la vie plus d'une fois. Moi, Circus, Spinda de maintenant quelques 7 mois, je ne buvais plus que la rosée et ne mangeait plus que de faibles animaux qui passaient près de moi. Sur ce point, j'étais déjà plus chanceux, qu'auparavant, où mes maigres consolations en matière de nourriture n'étaient que de frugaux restes.
Mes longues oreilles étaient étalées autour de moi. Mes petits yeux noisette étaient tristes, et humides. Mes nuits étaient dures à supporter, et pour cause : J'avais peur de m'endormir et de ne pas me réveiller le lendemain. Les pattes posées sous ma tête, j'avais envie de partir, de revoir un autre paysage que cette étendue d'herbe. J'avais déjà à maintes reprises tenté de m'échapper de cette étreinte lancinante, mais mes efforts avaient été vains. Lassé de cette position couchée, je me rassis. Le peu de choses que je pouvais exécuter avec cette corde autour du cou me pourrissaient le peu de vie qu'il me restait. Je tournais la tête vers l'arbre, et soupirait. Une horrible démangeaison me donnait envie de me frotter à la solide écorce du tronc. Mais je préférais le faire contre la corde, pour éviter de trop m'abîmer les pommettes avec les échardes et autres. Je plaquais alors ma joue contre la corde de chanvre, et je frottais bruyamment. Je sentais que le mouvement abîmait la corde, faisant lâcher un à un les fils. J'eu alors l'idée de frotter cet horrible tissage de fils contre l'écorce du chêne. Peut-être que cela la ferait lâcher.
Je me mis alors à l'œuvre, un minuscule espoir de sortir de ce cauchemar. La chance tournait-t-elle pour la petite créature que j'étais ? Cela restait à voir… Avec le peu de force que j'avais, la corde se frottait difficilement contre la matière rugueuse de l'arbre. Mais les fils craquaient. Le vent, le froid, la pluie, la chaleur et autres avaient abîmé le chanvre, le fragilisant énormément. Soudain, je sentis que la corde allait céder. Je fis un dernier effort, et les fils craquèrent tous en cœur. J'avais du mal à y croire. Comment cela pouvait-t-il être aussi facile alors que cela faisait trois mois que je faisais couler mon énergie et mon sang pour me libérer ? Il faut croire que le temps à solution à presque tout malheur. La première chose que je fis fut de me rouler dans l'herbe, et de marcher timidement quelques pas. Cela faisait maintenant des semaines que je ne l'avais plus fait. Des semaines que j'étais à la merci d'une simple corde. Cela me fit presque rire. Mais après ce que je venais d'endurer, je ne pouvais pas me le permettre.
Après avoir repris quelques marques qui, d'ordinaire auraient été naturelles, je me mis à gambader dans l'étendue d'herbe qui s'étendait devant mes yeux. Je pouvais désormais atteindre ce qu'il y à deux secondes m'était inaccessible. C'était comme si je me mettais à revivre. Le soleil, qui était déjà assez haut et annonçait que la moitié de la journée était déjà passée depuis peu. Le nœud de la corde me pendait pourtant toujours au cou. Je me l'enlevais en passant mes pattes à travers, l'écartant suffisamment pour retirer ma tête. Je pris alors dans un élan d'enthousiasme, mes jambes à mon cou en direction de la ville la plus proche. Mon petit cœur battait vite, et je haletais, laissant pendre ma minuscule langue sur ma joue et partir vers mon opposé.
Au bout de plusieurs dizaines de minutes, je m'arrêtais. J'apercevais des cheminées urbaines maintenant, et l'odeur de pollution était plus forte. Le champ s'arrêtait par une barrière de bois et de barbelés. Juste après que les herbes se coupent, une petite route droite passait, et juste derrière, la ville. Ce que j'en voyais était loin d'être une vision paradisiaque. Des grands bâtiments sales, des poubelles renversées juste en face, d'immenses usines, et des ordures un peu partout dans les rues pavées et encrassées. J'avais envie de retourner en arrière, finalement… La vision que je me faisais des « villes » était tout à fait différente… Et bien plus propre. Je m'avançais timidement dans les herbes, toujours sur mes quatre pattes, comme tout quadrupède qui se respecte. Je passais sous les barbelés, me faisant arracher une touffe de poils au passage, et je traversais l'étendue de goudron sec à toute allure, craintif d'entendre le bruit vrombissant des carcasses que conduisaient comme des fous les humains. Et qui ne manquaient souvent pas d'écraser de malheureux bestiaux dans leur ivresse de vitesses.
Je posais un premier pas dans la saleté noirâtre du sol urbain. Une odeur nauséabonde de poisson mort et pourri flottait juste à côté de moi. Je tournais la tête et vis une carcasse d'animal à nageoire dans une poubelle. Je fronçais le nez, et fis une grimace de dégoût. La petite ruelle dans laquelle j'étais était le seul passage entre les prés et ces usines puantes et polluantes. Elle était écrasée entre deux grands immeubles à minuscules fenêtre fracassées. Le pire était d'entendre des voix humaines s'en échapper et des mains noircies fumer une cigarette à la fenêtre. J'étais très étonné de voir qu'une si petite parcelle de l'étendue de la ville pouvait être aussi repoussante à elle toute seule. Le sol qui était voisin du cirque où je travaillais devait, à mon avis, être plus agréable que ces pavés plein de rejets. On ne voulait même pas se demander d'où elles venaient.
Je continuais de progresser et sortie de la minuscule ruelle. Rien n'était bien différent dans le reste de la ville. Juste de grands immeubles et quelques maisons aussi tristes qu'anciens. Les rues étaient elles aussi pavées, et il n'y avait pas l'ombre d'une plante ou d'une quelconque chose se rapportant à la verdure. Je vis deux bêtes se courser, l'un avec une misérable canette vide, l'autre voulant lui sauter dans le dos pour lui voler son minuscule butin. Ma miche de pain paraissait un festin face à cet aluminium recouvert d'un papier de couleur rouge. Mon estomac se serra alors en pensant à la nourriture. Je vis également des créatures semblables à des rats, mais de couleur violette, fouiller dans les poubelles en quête de quoi se faire un repas très maigre.
Soudain, un couinement retenti derrière moi. Je me retournais, et sautait de justesse sur le côté, évitant par la même occasion une volée de je ne sais quoi. De la poussière vola mais se dissipa vite, laissant apparaître un rat de deux fois ma taille à l'oreille déchiqueté et de couleur banane. Deux énormes incisives dépassaient de sa mâchoire supérieure, et son unique œil était haineux. En effet, l'animal borgne avait sans doute peur que je ne lui dérobe son territoire. Je me mis à courir sans trop savoir pourquoi, sans vouloir imaginer le fait qu'il me suive et me rattrape. Mais il n'en fut rien, il ne me suivis pas, et je courrais pour le simple fait de faire monter ma dose d'adrénaline. Je m'arrêtais juste à côté d'un poteau à moitié écroulé, et posait ma tête contre, malheureux. Je tournais sans conviction la tête vers la droite, et aperçu une personne allongée dans un drap bleu et miteux. Je m'approchais, et il se retourna brusquement, me faisant sursauter. Que faisait-t-il donc dans la rue… ? Il ne m'adressa qu'un bref regard, scruta mon pelage salis et hérissé, et me sourit. Ce sourire me suffit à savoir qu'il était presque dans la même situation que moi. Il n'avait personne pour lui tenir, nulle part où aller, il avait sans arrêt peur, et il n'avait presque pas d'espoir. Je le vis saisir le seul objet en sa possession, et me le poser sur la tête. Un chapeau en très bon état, à visière noir et aux couleurs bleues. Il se détourna et s'enroula dans son drap déchiré. Cet homme n'avait rien, et pourtant, il donnait tout à quelqu'un qu'il ne connaissait pas… La seule chose que je pu lui donner fut un grelot d'argent massif que j'avais toujours eu sur moi. Il s'agissait d'un grelot que les maîtres de ma mère m'avait glissé dans les poils du cou, comme pour tous mes frères et sœur.
Je partis, la tête basse, continuant mon escapade très risquée dans la ville. Mes pattes me faisaient souffrir et mon dos était courbé à l'extrême. Je me mis à soupirer, las de marcher dans cette substance horrible qui recouvrait le sol. Puis, je heurtais quelque chose. Je rebondis dessus, et relevait la tête vivement. Un animal assez imposant se détourna. Il s'agissait d'un chiot casqué avec de l'acier, au torse brun et aux airs sauvages. Il se détourna avant moi, et me fit voir qu'il n'appréciait pas que je l'avais percuté. Mon cœur fit un bond quand il approcha sont museau de mon visage. Il me sentit, et parût surpris. Peut être le fait que je ne sois pas un animal urbain… ? Il couina méchamment et se détourna de moi. Dis donc, que de rencontres, aujourd'hui. Le plus étonnant c'est que les animaux ne m'agressaient pas… Quelle étrange sensation que d'être en danger mais de voir son possible agresseur de détourner de sois.
Je pris un air surpris, et repris mes pas vers l'arrière. Je voulais partir, surtout que le soir tomberait bientôt… Je me mis à courir à moitié, par petits coups de pattes, sentant comme une charge invisible peser sur mes épaules. Mes forces me quittaient, et je n'avais que peu de réserves d'énergie. J'atteignis rapidement la petite ruelle par laquelle j'étais arrivé. J'avais trébuché maintes fois mais j'étais assez content d'être de retour à mon point de départ. Mes muscles étaient engourdis et j'étais totalement à bout. J'avais envie de m'écraser au sol et de manger la crasse qui jonchait les pavés. Pourtant, je voulais retourner dans mon champ, je voulais revoir les verts pâturages. J'en avais marre de la ville.
Je pris mes jambes à mon coup pour éviter de m'écrouler, sortir de al ville, renversant la poubelle au poisson. Je traversais la route et me retrouvais en face de la clôture qui me séparait de l'herbe verte et protectrice. Pourtant, j'avais vu tellement de choses horribles de l'autre côté… Et s'y j'y retournais, juste pour emmener cet humain avec moi, loin de l'endroit où il dormait, loin de sa couette ? Non, je ne pouvais pas. J'avais trop peur. Et si, en retournant là bas, je remettais ma vie en jeu ? Non, je ne pouvais pas jouer la chose. Je venais à peine de me réveiller d'un cauchemar, en coupant cette corde. Le cœur gros, je passais la clôture, revoyant ma touffe de poils. Je souris sans enthousiasme. C'était tellement infime que ça me donnait envie de sourire, même si le cœur n'y était vraiment pas. Soudain, quelque chose me pris. Je sentis mon poids se soulever, quelque chose me prendre par en bas. Puis, je vis des mailles blanches en nylon. Mais ce fut la suite qui m'effraya. On me dirigea vers l'arrière d'un camion sur lequel était noté « Laboratoire d'études scientifiques ». Des expériences. Ils allaient faire des expériences sur moi. Le filet me déposa sur un acier froid qui recouvrait le fond de la voiture. Puis, ils m'agrafèrent l'oreille, me faisant très mal en perçant ma chaire. Je me mis à couiner, me débattant. A mon oreille, j'avais maintenant comme une sorte de boucle d'oreille avec un rond d'acier accroché, qui pendait. Le filet se retira, et ils fermèrent la porte. Mon cœur se serra. J'étais devenu un cobaye. Ma vie s'arrêta de nouveau. Je redevenais comme mort, la vision d'un avenir autre que le malheur m'étant coupé. Quand aurais-je vraiment la chance d'avoir une famille, une vie… ? Pas maintenant, en tous cas. Le GPS de l'humain venait d'indiquer qu'il y avait encore plus de sept mille kilomètres à parcourir avant d'arriver.
Mon cœur s'arrêta de battre, je fermais les yeux, je revis cette corde. J'avais peur.