Circus
Quelques petites lumières éclairaient faiblement la terre, attirant quelques moustiques. Le presque noir total indiquait qu'il était tard, et que peut de gens ne dormaient pas. Le froid me dévorait de l'intérieur, soufflant sur mes maigres côtés et gelant mes pattes sales. Je marchais dans une flaque de boue, mes oreilles traînant à mes côtés. Il faisait nuit et froid, et pourtant, la lumière de sa loge était toujours allumée. Il devait sans doute ne pas dormir… Le chapiteau avait pourtant vu ses lumières périr tôt, ce soir. Et la recette avait été bonne, d'après quelques paroles de mon maître. Puis, tout en pensant, je m'assis. La pluie avait humidifié la terre, faisant du coup place à de la boue. Une gadoue froide et poisseuse, qui collait aux poils.
Moi, petit Spinda âgé de quatre mois, je travaillais dans un cirque depuis déjà deux mois. En effet, mon maître tient un chapiteau dans lequel se déroulent des numéros qui font rires ou s'émerveiller les hommes. Et moi, je dois faire en sorte que les gens soient heureux… Pourtant, moi, je ne le suis pas. Depuis toujours je suis malheureux. Mais je ne me suis jamais plein, parce que je ne veux pas le décevoir. Lui, mon maître… Même s'il me frappe et me crie dessus, ce n'est pas de sa faute. Je suis le seul et unique fautif. Je ne fais pas assez d'efforts, et je ne fais pas bien ce qu'il veut. Qu'importe, demain, j'essayerai. Comme tous les jours.
Une petite odeur de fumée et de tabac flottait dans les airs. Le goût presque insipide de ce nuage odorant m'empli les narines. Je toussotais faiblement, et m'allongeait, les yeux plongés dans le vague. Mon dos me faisait souffrir, j'avais faim et horriblement froid. Cela faisait maintenant trois jours que je n'avais rien mangé de bien consistant. Ma seule consolation avait été une misérable miche de pain qu'un enfant m'avait laissé à la sortie du cirque… Mais j'avais tôt fait de l'avaler. Je venais juste de me désaltérer dans une flaque boueuse bien sale. En outre, j'avais le poil souillé de cette terre molle. Quand au froid, j'aurais tellement désiré m'étendre sur un petit tapis devant une cheminée… Mes poils seraient déjà secs et je n'aurais pas la peau rongée par les brises du début de la saison glaciaire. La lumière que filtraient les petites fenêtres de la caravane me firent mal au cœur. Mon maître me punissait tous les jours en m'obligeant à ne pas manger, à dormir dehors et à travailler tant que le jour était et que la représentation n'avait pas eu lieu… Bien qu'il s'agissait d'efforts.
Une fois, je suis tombé de ma balle. Il m'a frappé devant tous ces enfants. Et ça les à amusés. J'ai eu peur, ce jour là, lorsque mon numéro fut achevé, il m'a battu dans la loge. Je souffrais, j'avais l'impression que j'allais mourir. Mais j'ai eu de la chance. Je n'ai eu qu'une patte arrière cassée durant quelques jours, bien que je ne fusse pas soigné. J'avais du continuer les représentations, en me faisait de plus traiter d'inutile créature.
Lorsque que j'ai été recueilli d'une portée de six frères et sœurs par mon maître, j'avais alors un petit mois. Il m'avait baptisé Circus, en référence au nom d'origine anglophone du cirque… Même si dès ce jour j'avais eu droit à un traitement pareil à celui actuel, je ne lui en veux vraiment pas. Parce que sans lui je serais peut être mort… Ou pas, je ne peux pas le juger sans savoir ce que je serais devenu avec ma mère et les autres. J'étais trop jeune, et maintenant encore. Encore étendu sur le sol, une larme coula sur ma joue. Sans vraiment que je ne m'en aperçoive, sans vraiment que je le veuille. Une larme salée et chaude, sur laquelle je passais ma langue qui gela si tôt qu'elle fut sortie de ma bouche. Un petit gémissement m'échappa. Peu après, les lumières de la caravane de mon maître s'éteignirent. Il n'y avait plus que de faibles éclairages pour veiller sur moi et me faire sentir en sécurité. Plus que de faibles éclairages qui grésillaient sous cette pénombre écrasante. Quel serait mon avenir au sein de ce chapiteau ? En avais-je vraiment un, au moins ? Aucune idée. Mais en attendant, un sommeil plus que minime m'était nécessaire pour passer quelques nuits de plus ici. Juste quelques nuits… Et mes yeux se fermèrent, me plongeant dans un monde infini où chacun de mes rêves se voyait naître au jour de mes yeux.
Le soleil se pointait timidement, lorsqu'un grondement familier à ceux des humains me réveilla. Devant moi, le grande silhouette dominante de mon maître. Il avait toujours son regard agressif, qui laissait pressentir un coup dans mes côtes. Si cela de produisait, mes os ne tarderaient pas à se briser comme un jeu de constructions de verre. Je me levais en hâte, à peine réveillé, et filait timidement à ras le sol vers la piste du chapiteau.
Le toit du bâtiment étant ouvert, une très belle lumière filtrait à travers, éclairant fortement gradins, piste et tissus tout de rouge et de blanc. Mon cœur s'envola quelques secondes pour me laisser le temps de regarder ce spectacle de jeux lumineux, puis un coup de pied dans mon arrière train me ramena à la réalité. Je m'écrasais dans la poussière puis avalait quelques copeaux de bois. Mon maître me cria dessus de toute sa hauteur humaine puis ricana, sans que je n'ai rien compris à ce qu'il m'ai dis. Je me relevais, et il me dit qu'avec mon apparence de lapin, je ne rassemblais en rien à un animal surdéveloppé. Il s'en alla chercher le matériel puis revins rapidement avec un cerceau recouvert d'une fine couche de papier ainsi qu'avec un briquet. Puis il mit feu à l'anneau.
Mes petits yeux noisette regardèrent la chaleur, la puissance et les couleurs qui se dégageaient des flammes. C'était la première fois que j'en voyais en vrai. Puis, mon maître plaça un escabeau juste en face de moi, et m'agrippa méchamment l'oreille pour me poser dessus. Puis, il m'ordonna de sauter dans le feu. Là, mon cœur se mit à battre à cent à l'heure, et je me figeais, sans savoir que faire. J'avais trop peur. Soudain, je sentis que la petite échelle tanguait violemment. Secoué par la force de mon maître, l'escabeau tomba à la renverse, moi avec. J'atterris tête la première sur le sol, et l'énorme et lourde échelle de métal tomba sur moi. Je poussais un cri horrible en entendant un craquement au niveau de ma patte avant droite. J'essayais de m'extirper de la masse, tant bien que mal et sans aucune force. Je finis par y arriver, sous le regard moqueur de mon maître. Malgré tout, ma patte me faisait atrocement mal, et je ne parvenais pas à marcher ou à m'appuyer avec. Je reçu des coups pour ne pas avoir fait l'exercice demandé, et pour avoir abîmé le matériel. Ce que je suis maladroit…
Quelques mois plus tard, vers le printemps. Mon traitement n'avait cessé d'empirer, et le cirque continuait de voyager. Pourtant, un des premiers jours de printemps, alors que le soleil se pointait haut dans le ciel, mon maître m'ordonna de monter dans une de ces boîtes de tôle pliée, que les hommes appellent voitures. Ma blessure à la patte était toujours assez présente mais malgré tout un peu moins voyante. Je pouvais marcher en boitant. Le jour d'avant, mon maître avait été de nouveau très mécontent de moi, et m'avais dis que le jour où je ne serais plus avec lui n'allais pas tarder. Bonne ou mauvaise nouvelle… ? Qui qu'il en soit, je grimpais dans son engin de couleur kaki aux sièges complètement délabrés, curieux de voir pourquoi il voulait m'emmener. Juste avant, il m'avait parlé de vacances.
Il prit la route dans un nuage de gaz et un bruit monstrueux, sans me jeter de coup d'œil. Il avança une bonne centaine de kilomètres, une musique de style japonaise retentissant violemment dans l'armature de la voiture. Puis, soudain, il freina et s'arrêta sur le bord de la route. Là, il n'y avait aucun passage, et les bords menaient à des étendues d'herbes avec des arbres et autres. Mais rien qui aurait pu l'attirer en vue… Il me dit de descendre, et je m'exécutais. Il m'attacha une corde autour du cou, surement car il avait peur que je ne m'échappe durant cette… Escapade ? Je le suivis, et il m'emmena près d'un arbre de taille étonnante. Il tendit la corde devant les yeux, et l'enroula autour de l'arbre. Tiens, un jeu ! Je lui souris mais il ne détourna pas le regard. Il fit un nœud que e n'aurais été capable de défaire, puis parti, sans un grondement ni un mot. Drôle de jeu, dis donc… Je devais sans doute l'attendre. J'attendis donc son retour. Mais rien. Au bout de quelques heures je commençais déjà à m'impatienter, me demandant ce qu'il faisait. J'attendis ainsi quelques jours. Et ainsi de suite.
J'ai donc attendu ainsi plusieurs semaines, me nourrissant de ce qui me passait sous le nez, attaché, attendant son retour.
Et j'attends toujours qu'il vienne me détacher et me chercher. Sans grand espoir.