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http://www.youtube.com/watch?v=i8UuV45gU0o&feature=channel Je m'éveille.
Je m'éveille dans la douceur d'un crépuscule d'été.
Je m'éveille à la vie.
La métamorphose est achevée.
Mon cocon est devenu trop étroit, le temps est venu d'en sortir.
J'inspire de grandes bouffées, je remplis mon abdomen, je me gonfle, encore et encore, et enfin j'entends le craquement salvateur. Ma tête, puis mes premières pattes émergent dans l'air frais du soir. Je me contortionne à nouveau et parviens à déchirer un peu plus l'enveloppe de soie durcie. En poussant de toutes mes forces avec mes pattes, je me hisse petit à petit hors de la chrysalide.
Libre, enfin !
Je suis épuisé par l'effort, je dois me reposer...
Mes ailes molles et humides sont encore repliées contre mon abdomen mauve. Je les déploie largement pour les faire sécher. Je tourne légèrement la tête pour admirer leur couleur vert tendre et les formes géométriques qui les ornent. Magnifique !
Le moment tant attendu est arrivé.
Je remue mes ailes, d'abord en un frémissement timide, puis en un mouvement plus ample, plus majestueux. Je jette un dernier regard sur mon cocon, enveloppe désormais vide et inutile, et enfin je décolle...
Léger et serein, je m'élève, gracieuse plume colorée, dans le ciel nocturne.
Je vole... Je vole ! JE VOLE !!
Je tourne, tourbillonne, virevolte, dessinant mille arabesques complexes ; le vent cajole mes antennes, glisse le long de mon corps fuselé et fait vibrer mes délicates ailes poudreuses ;
je hume avec délice les arômes exquis de la nuit ; je monte caresser le firmament, le temps d'un battement, pour me gorger l'instant d'après du parfum des hautes herbes humides.
Je plane, grisé par l'abondance et la force de ces sensations nouvelles.
Je suis ivre, ivre de bonheur et de liberté.
Le ciel m'appartient, la lune et les étoiles sont mon royaume.
J'ai faim.
Je tourne la tête en tous sens, cherchant à capter la présence de nourriture. J'aperçois plus loin les lueurs de la ville tandis que mes grosses antennes jaunes me signalent des effluves appétissants. Mon instinct me souffle que j'y trouverai les feuilles d'arbres dont je raffole tant. Je fonce dans la nuit, battant vigoureusement des ailes, guidé par le halo s'échappant des maisons éclairées.
Je ralentis. Tout est nouveau, tout est source d'étonnement pour moi. Je sillonne les rues, à la recherche des feuilles tant convoitées. Je repère ce qu'il me faut, je me pose sur une brindille et savoure avec délice le premier repas de ma nouvelle vie.
Des lumières vives et colorées m'appellent ailleurs. J'entre, je papillonne, attiré par la chaleur et les lueurs mouvantes comme des Muciole. Je m'attarde sur la surface lisse et chaude...
Et soudain, c'est l'enfer !
Une chose inconnue se jette sur moi, son corps blanc et mou tente de m'écraser violemment. Je ne comprends pas. Qui est cet ennemi ? D'un rapide battement d'aile, j'esquive, de justesse ; j'ai senti le souffle du coup quand il s'est abattu sur le mur tout près de moi.
L'odeur âcre et rance de sa sueur m'enveloppe quand il repasse à l'attaque. Pourquoi cette violence ?
Dans un pur réflexe de survie, j'échappe encore une fois à sa fureur incompréhensible.
Je volette vers la fenêtre ouverte dans l'espoir de le semer. En vain.
Je perçois du coin de l'oeil la forme blanche qui se rapproche inéxorablement de moi, qui fouette l'air à plusieurs reprises, de plus en plus agressive. Je zigzague à droite, à gauche, complètement affolé. Peine perdue.
Je suis légèrement touché.
Mes battements d'ailes se font plus lourds, désordonnés, je perds de l'altitude, je m'épuise à remonter, mes forces déclinent.
Je me pose un instant, juste un instant, pour récupérer.
La violence du coup me jette au sol, sur le dos, au bord de l'inconscience. Je remue faiblement mes pattes dans une dérisoire tentative de me retourner. La vie m'abandonne lentement, inéxorablement.
Je tourne une dernière fois mon regard vers la lumière, là-haut, qui me tend les bras. Elle clignote doucement, puis s'éteint.
Et la nuit s'abat sur moi, définitivement.
Torse nu et essoufflé, l'homme se rassoit sur le canapé, croise à nouveau les pieds sur la table basse et avale une nouvelle lampée de bière au goulot de sa bouteille. Il reprend avec une satisfaction visible le cours interrompu de son match de foot. Il a négligemment reposé son « marcel » blanc sur son ventre rebondi et velu.
On entend en arrière-plan l'eau qui coule et le cliquetis de la vaisselle dans l'évier.
« Joseeeette !! »
Le bruit cesse.
- Oui chéri ?
La femme qui se tient dans l'encadrement de la porte s'essuit encore les mains à son torchon.
- Combien de fois j't'ai déjà dit de pas laisser la fenêtre ouverte quand je r'garde la télé ! Ça attire les bestioles ! »
Sur le plancher usé, un chat d'une race incertaine, un Miaouss peut-être, joue nonchalamment avec le cadavre d'un Papinox.