Chapitre XI : Blessures
Après avoir attendu une bonne partie de la nuit, Osselait et Kathy se sont endormis, suivis de peu par moi-même. Mais notre repos n'a pas duré bien longtemps.
Le soleil n'est pas encore levé, que l'infirmière Joëlle déboule dans notre chambre, suivie de l'agent Jenny. Des larmes emplissent les yeux de la première.
- Que se passe-t-il ? dis-je entre deux bâillements.
- Votre... votre ami. Nous l'avons trouvé.
Kathy saute du lit et cours dans tous les sens. Je l'attrape et la soulève, tant bien que mal.
- On peut le voir ?
Elles ont un air gêné, et la femme policière nous invite à la suivre. Nous quittons tous les quatre, l'agent Jenny, Kathy, Osselait et moi, le centre Pokémon, et marchons dans les rues encore endormies. L'infirmière Joëlle nous suit du regard.
- Il n'a pas l'air très bien. Mais quand on s'est approché de lui, il s'est réveillé, et a refusé qu'on le déplace. Il est blessé, et nous avions peur de lui faire mal en le soulevant, aussi, nous n'avons pas tenté de l'attraper de force. J'espère que vous comprendrez...
Elle parait peinée, et gênée. En écoutant ces mots, nous arrivons en bordure de la ville.
La faible lueur des lampadaires nous montre un corps, gisant par terre, dont la seule preuve nous indiquant qu'il est encore en vie est le petit tremblement qui le parcourt, à intervalle régulier.
J'avais compris, en voyant les deux femmes, qu'il serait mal en point, mais jamais je n'aurais pu imaginer l'état dans lequel se trouve Kai en ce moment même.
Kathy se débat, et essaye de le rejoindre, mais je la retiens.
- Doucement !
Osselait, quant à lui, reste figé de stupeur.
L'agent Jenny recule de quelques pas pour nous laisser approcher notre ami, et nous laisser un peu d'intimité.
Je m'assois près de son visage, cherchant son regard.
- Laissez-moi...
Sa voix est faible. Il ferme les yeux, se crispant de douleur. J'observe l'étendue des dégâts...
Ses vêtements sont plein de poussière, tout abîmés. Sa chemise est déchirée, laissant apparaître les hématomes de son combat contre Sacha. Le bandage précaire sur son dos est imbibé de sang, car la plaie sur son dos s'est rouverte. Son corps entier est recouvert de bleus, plus récents que les autres, d'écorchures, de coupure. Je n'aperçois qu'une partie de son ventre, mais ce que je vois ne me rassure guère : il est enflé et bleu, comme si on l'avait frappé de plusieurs coups dans les côtes. Sur son bras, une estafilade sanglante est dessinée, montant du poignet jusqu'au coude.
La faible clarté apportée par les lampadaires ne me permet pas de relever toutes ses blessures, mais ce que je vois me suffit. Je ne peux empêcher les larmes de couler sur mon visage.
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Nezu... Ce garçon a l'air de toujours tout savoir. Mais cette fois-ci, connaît-il la vérité ?
Je me sens misérable. Je n'ai pas pu m'opposer à ce gang, et ils m'ont obligé à me taire. Par ma faute, peut-être que des hommes vont mourir, car je les ai vus. Ils sont cruels, et n'hésiteront pas à tuer tous ceux qui s'opposeront à eux.
Tout mon corps me fait souffrir, je n'ose pas bouger, de peur d'accentuer la douleur. Et de toute façon, je préfère rester là, je suis épuisé tant physiquement que moralement, je n'ai vraiment plus la force de me lever.
Kathy s'approche de moi, mais évite mon regard. Elle se love contre mon ventre, et je ne peux retenir un petit cri de douleur, à son contact contre mes côtes douloureuses. Elle sursaute, et s'éloigne. Je la retiens :
- J'ai juste était surpris. Ne t'en fais pas, je n'ai pas mal.
Je lui mens. Pourquoi ? Je n'en sais rien. J'ai juste envie qu'elle reste près de moi.
Osselait nous rejoint, et se colle au côté de Kathy.
Le temps passe ainsi, avec Kathy et Osselait contre mon ventre, et Nezu près de ma tête.
L'infirmière Joëlle rejoint l'agent Jenny, et toutes deux murmurent, un peu à l'écart, si bien que je n'entends que quelques brides de conversation :
- ... il faudrait tout de même prévenir ses parents, ou quelqu'un de sa famille ! Il devrait aller à l'hôpi...
Le vent étouffe les paroles suivantes.
- ... savoir qui lui a fait ça, comment ça s'est passé...
Je n'ai ni envie qu'on appelle ma mère, ni que l'on m'interroge. Je soulève mon bras, et le tends vers la main de Nezu.
- Nezu...
Le simple fait de parler m'épuise. J'ai la tête comme un ballon, et mes idées ne sont pas claires. Le garçon me regarde dans les yeux, et attend.
- Allons nous reposer... au centre Pokémon. S'il te plait...
Il se relève, en m'aidant à me mettre debout, délicatement, comme s'il sentait la fragilité de mon corps. Mais je ne dois pas avoir l'air faible devant les deux femmes, pour qu'elles pensent que ce n'est pas grave. Alors, rassemblant toute ma force et mon courage, je marche seul, repoussant lentement mon ami.
Ma démarche est d'abord chancelante, mais elle devient plus sûre à chaque pas ; l'illusion fonctionne.
Les autres me regardent avancer, et quand elle me pense à bonne distance, l'agent Jenny questionne Nezu :
- Où va-t-il ? Il lui faut un médecin !
- Il a dit qu'il avait juste besoin de repos. Nous retournons au centre Pokémon.
J'entends le pas léger de Nezu, suivis du claquement des griffes de mes Pokémon. Le rire cristallin de l'enfant s'élève dans le ciel, et nous avançons, en silence, dans les rues de la ville.
Arrivé dans notre chambre, je m'écroule sur un lit, et sombre dans un sommeil profond.
* *
*
* *
Je le vois, même dans son sommeil, il souffre. Je ne peux rien faire pour l'aider, j'attends son réveil.
Mes pensées deviennent de plus en plus clair. J'ai même essayé de discuter avec Osselait. Il se trouve que le langage des Pokémon est bien plus subtil que le langage des humains. J'ai encore quelque difficulté à m'exprimer, mais je commence à y arriver. Et d'après mon ami Pokémon, il semblerait que mes pensées étaient floues car je n'étais pas habitué à cette forme.
Maintenant, en me concentrant, j'arrive à comprendre mes pensées, et à les exprimer autrement qu'avec des images. Ce n'est pas encore automatique, malheureusement ; il semble que l'esprit des Pokémon soit bien plus complexe qu'on ne le croit.
Mais cette nuit, il m'est impossible de me concentrer. J'ai l'impression d'avoir un esprit primitif. Mes pensées restent des images. Des images très violentes.
Je l'imagine en train de se faire frapper, torturer. Je le vois en train de recevoir des coups.
Pendant son sommeil, l'infirmière Joëlle et Leveinard ont tenté de le soigner, après que Nezu a expliqué que Kai ne voulait ni aller à l'hôpital ni qu'on appelle ses parents, et que nous ayons montré tous les trois une certaines forme d'hostilité afin de les repousser.
Elles lui ont ôté sa chemise, laissant ses horribles blessures bien visibles, et ont commencé à essayer de nettoyer et soigner ses plaies. A intervalles réguliers, on entendait l'infirmière murmurait :
- Je soigne les Pokémon, moi, pas les humains. Je n'ai aucune expérience dans ce domaine...
Maintenant, Nezu et Osselait se sont endormis sur le second lit, blottis l'un contre l'autre. Quant à moi, je lutte pour ne pas sombrer dans le sommeil, afin de ne pas rater le réveil du blessé. Mais mes paupières se font de plus en plus lourdes. Je m'installe au pied de l'enfant, et je me roule en boule, mes oreilles tendues vers Kai afin de l'entendre en cas de problème, avant de m'endormir à mon tour, pour les quelques heures restantes de la nuit.
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J'entends des pas, un peu plus loin.
Je viens enfin de me réveiller. Je m'assois doucement sur le lit, et observe les alentours. En regardant par la fenêtre je constate que le soleil est déjà haut dans le ciel.
En me voyant bouger, Osselait saute sur mon lit, ses yeux plissés de bonheur. Il sautille en me regardant, puis sort de la chambre en courant. Il ne s'absente pas bien longtemps, et revient suivi de mes deux autres compagnons.
Nezu tient un plateau, recouvert de nourriture, qu'il me tend. Je l'accepte avec joie. J'avale un bol de chocolat chaud et des tartines de confitures. Manger est moins douloureux que je ne l'aurais cru.
Les autres me regardent finir mon repas, sans parler.
Je me lève et me dirige vers une petite salle de bain, marchant avec lenteur. Devant le miroir, je me permets d'observer mon corps. Mes amis m'ont suivi, et m'observent toujours en silence.
Le bandage a été refait sur mon dos, et il maintient à présent aussi mes côtes fragiles. Des pansements recouvrent les plaies les plus importantes, et les autres ont simplement été nettoyées. Je bouge chacun de mes membres, l'un après l'autre, calmement. Ils sont douloureux, mais je n'ai apparemment rien de cassé.
Aucun d'eux ne parle. Je n'entends ni la voix d'enfant de Nezu, ni les cris aigus d'Osselait, ni la voix triste de Kathy.
- J'aimerais... me laver un peu.
- Bien sûr.
Le garçon me tend mon sac, et entraîne les autres dans la chambre, me laissant seul dans la salle de bain.
Je ferme la porte, et m'observe à nouveau, mais sans miroir, voulant voir la vérité directement, sans l'intermédiaire d'un objet.
Mes doigts passent d'abord dans mon dos, mais le bandage m'empêche de sentir ma cicatrice. Puis, ils caressent ma gorge, où ils constatent une petite écorchure, due à la pression du couteau sur mon cou. Ils tâtent ensuite mes côtes, protégées elles aussi par le bandage. Et enfin, ils courent le long de mon bras droit. Le pire. La cicatrice de ma faiblesse face à cette fille...
Chi... Mes poings se serrent de colère.
Je me lave consciencieusement avec des gestes précis, puis je sors de la salle de bain, avec des vêtements propres.
A ma surprise, l'agent Jenny est dans la chambre, encadrée par mes amis.
- J'aimerais savoir ce qu'il s'est passé...
Mon corps tremble, mais je dois me contrôler. Me contrôler, et mentir.
- Je... Je ne m'en rappelle pas ...