Chapitre X : Chi
Je cours sans m'arrêter et je laisse les lumières de la ville derrière moi. Je cours à l'aveugle quelques longues secondes, le temps que mes yeux s'acclimatent à l'obscurité.
Je ne sais pas où se trouve mon Osselait, mais jamais je ne le laisserai à ses bandits. J'évite les obstacles tout en essayant de faire le moins de bruit possible.
La faible lueur de la lune éclaire la cime des arbres, mais peu de lumière atteint les sous-bois. C'est pourtant une belle nuit ; la lune est pleine et éclatante, le ciel est d'un bleu très foncé et des étoiles parsèment le firmament... Mais je n'ai pas le temps de profiter de ce beau paysage : je dois retrouver mon Pokémon avant les deux hommes.
Arrivé sous les arbres, je m'arrête de courir pour pouvoir contrôler le bruit de mes pas. A grandes foulées, je m'enfonce dans la forêt...
Au bout de plusieurs minutes à ce rythme, je ralentis, alerté par des voix plus loin.
- Il est où ce pleurnichard ?
- J'ai cru le voir partir par là tout à l'heure.
- Le patron abuse... J'en ai vraiment marre !
- La ferme ! Plus vite on trouve ce Pokémon plus vite on rentre et le chef sera content comme ça... J'ai pas envie de revoir son couteau... Comme Steeve quand il s'est trompé dans les comptes la dernière fois...
En disant cela, je les vois frémir. Je dois vraiment faire vite et être très discret, si je ne veux pas que ce soit moi qui vois ce couteau de très près...
Ils se dirigent tous deux dans la direction qu'a montrée l'un d'eux à pas bruyants ; voilà au moins quelque chose qui me rassure : je n'aurais aucun mal à les localiser dans la forêt avec tout le bruit qu'ils font.
Au lieu de leur emboîter le pas, j'attends quelques minutes avant de continuer tout droit, pour pouvoir me rabattre plus tard et ainsi ne pas leur tomber dessus par inadvertance.
Les arbres sont de plus en plus touffus et la lumière de la lune filtre de moins en moins à travers leur feuillage, rendant difficile mon avancée.
Je suis tellement concentré sur mes pas que je n'ai pas remarqué le brusque silence. Cette réalité me frappe soudain : je n'entends plus les pas des deux hommes, le seul bruit aux alentours est celui du vent faisant craquer les branches. Je m'accroupis et avance en essayant de me camoufler : je ne veux pas faire de mauvaise rencontre.
- Chuut ! Tu vas lui faire peur !
C'est la voix d'un des deux brigands...
CRAC
- Osselaaaaaaaaaaaiiiiiiiiit !
- Et bien bravo, tu lui as fait peur ! Cours idiot, ne le laisse pas partir !
Je n'ai rien vu de ce qu'il s'est passé, mais ils ne sont pas bien loin de moi. Je me tasse dans un buisson, les genoux contre ma poitrine.
- On n'y voit rien ! On aurait dû prendre une lampe torche !
Les voix se rapprochent encore plus. Je sens un courant d'air près de moi et je tends le bras ; juste à temps ! Le courant d'air était provoqué par la course d'Osselait. Je l'attrape et le gratte derrière les oreilles.
Tout doucement, je lui murmure au creux de l'oreille :
- Je t'en prie, pas un bruit.
Je pense qu'il a compris. Il se love contre ma poitrine et nous restons là, tous les deux, à attendre.
- Il n'a pas pu aller bien loin ! Cherchons !
- Mais on n'y voit rien ! C'est inutile !
- La ferme, et cherche ! Ce sont des ordres du patron, alors t'obéis.
- Justement, ce n'est pas toi le patron ! Alors arrête de me donner des ordres ! Je sais ce que j'ai à faire.
J'entends des bruits de lutte et je frisonne.
Osselait bouge et fait craquer les feuilles de notre cachette.
- Tu as entendu ? Ça venait de là !
- Nous le tenons...
Doucement, j'essaye de sortir de ma cachette, en rampant. Ils s'approchent dangereusement de moi, je n'ai aucun moyen de fuir...
- Et les gars, c'est vous ?
Une troisième voix, un autre homme. Un faisceau lumineux éclaire les alentours, survolant ma cachette et se posant sur mes deux ennemis.
- Frank ? Qu'est-ce que tu fiches ici ?
Leur attention est détournée. J'en profite pour faire quelques pas et rejoindre une autre cachette, derrière le large tronc d'un chêne.
- Quelqu'un nous a apparemment entendus et nous a dénoncés à la police ! L'agent Jenny nous attendait ; deux de nos hommes ont été arrêtés, les autres ont réussi à s'enfuir. Le patron compte bien aller les récupérer, mais pour ça on doit aller au QG chercher des explosifs ! On va tout faire péter !
Je frisonne en entendant ces paroles. Je continue d'avancer, le plus silencieusement possible, m'arrêtant de cachette en cachette, Osselait sur mon dos.
- Tout à l'heure j'avais vu une ombre, j'avais pas rêvé alors...
La lampe survole soudain la végétation, se posant sur ma première cachette, puis éclairant successivement le paysage, jusqu'à arriver à moi...
- Toi ! Viens ici !
- Regarde, le Pokémon est avec lui !
Et flut, et flut et flut ! Je me mets à courir, Osselait sur mes épaules. J'entends derrière moi les pas bruyants des trois hommes se rapprochant de plus en plus. Je suis exténué, la journée a été particulièrement longue et pénible et je cède du terrain.
Je fais un écart pour éviter une branche et je m'écroule soudainement. La douleur dans mon dos... Je l'avais oubliée. Elle irradie à présent tout mon corps et j'arrive à peine à bouger. Osselait se tapit dans un coin pendant que je roule sur le côté pour essayer de me cacher, mais il est bien trop tard, car les assaillants sont déjà sur moi.
Un bras me soulève du sol, par le col de ma chemise.
- C'est toi qui as prévenu la police !
- Non, non! Je n'ai rien fait !
- Alors pourquoi es-tu venu dans cette forêt cette nuit, chercher le Pokémon que nous avons trouvé tout à l'heure ?!?
Je me tais, j'ai bien trop mal.
- Réponds !
Il me jette contre un arbre et je ne peux retenir un cri de douleur.
- Mon Pokémon s'est enfui, je suis revenu le chercher c'est tout! Je n'ai rien fait, je n'ai rien entendu !
- Menteur !
Un coup de pied dans les côtes, je me plie en deux.
- Qu'est-ce qu'on en fait ?
- On l'amène au chef, un point c'est tout.
- Pourquoi on le tuerait pas ?
- Oui, pourquoi pas hein ? J'en ai vraiment marre que tu me donnes des ordres !
La lampe de poche me permet de voir qu'ils me tournent le dos et qu'ils sont prêts à se battre. Osselait n'est pas loin. Il s'approche de moi et je lui chuchote à l'oreille :
- Va à la ville, je suis sûr que tu la trouveras. Va au centre Pokémon voir Nezu. Je sais qu'il comprendra. Fais attention à toi, s'il te plait, et sois discret...
Osselait court avec prudence. Je le suis du regard un instant, mais la lampe m'éblouit soudainement les yeux.
- Qu'est-ce que tu marmonnes toi ? On t'a pas appris à la fermer ?
- Excusez-moi Monsieur...
Je m'arrête une seconde de parler pour respirer, difficilement ; mon dos me lance et mes côtes me brûlent. Je réfléchis, avant de lancer :
- Je disais juste que si vous reveniez auprès de votre patron sans le Pokémon et sans moi, il ne serait pas très content…
- Qu'est-ce qu'il se permet de l'ouvrir celui-là !
L'homme qui a toujours l'impression qu'on lui donne des ordres me soulève du sol et me plaque contre l'arbre.
- Calme-toi Ed ! Le gosse a raison.
Sur ces mots, je vois le deuxième homme ramasser une grosse branche et me l'abattre sur la tête.
Ce sont les dernières images que j'ai le temps de voir, avant de sombrer dans le néant...
* *
*
* *
Kai n'est toujours pas revenu de sa course et je ne suis pas très rassuré.
Ici, la ville est en alerte. L'agent Jenny (qui elle aussi ne ressemble en rien à la description de Sacha) est venue au centre Pokémon et elle a parlé à l'infirmière Joëlle. D'après ce que j'ai compris, Kai aurait dû venir nous prévenir, mais il ne l'a pas fait. L'infirmière Joëlle a dit qu'il s'était enfui du centre et les deux femmes se font à présent énormément de soucis.
Ensuite, de grands hommes sont arrivés. La police les attendait et avait préparé un barrage de voitures et d'hommes équipés. Les brigands ont d'abord essayé de se battre, mais ils ont fini par fuir, devant le nombre trop grand d'agents de l'ordre et seul deux d'entre eux ont pu être arrêtés.
Les habitants sont effrayés et beaucoup de lumières sont allumées dans la ville, malgré l'heure tardive, centaines de petites étoiles sur Kajuu.
Kathy fait les cent pas dans notre petite chambre. Moi je suis assis sur le lit, et j'attends. J'ai peur...
* *
*
* *
J'ouvre les yeux, doucement. Je me trouve prêt d'un campement, attaché un peu en recul du feu.
Il y a cinq hommes assis devant moi et ma position ne me permet pas de voir aux alentours pour tenter d'apercevoir les autres.
Je referme les yeux, espérant ainsi faire croire que je dors encore.
- Bon les gars, il est l'heure de dormir ! Fin, tu prends le premier tour de guet !
J'entends les bruits de pas agités de plusieurs hommes et puis c'est le calme. Le feu est éteint et seule la lumière de la lune éclaire à présent le campement.
Je rouvre les yeux et me permets de bouger, pour essayer de trouver une position plus agréable.
Je réfléchis à un moyen de m'enfuir, mais aucune solution de ne me vient à l'esprit. Alors je reste là, et plusieurs minutes passent.
J'entends des pas, beaucoup plus légers que ceux des hommes, s'approcher de moi. La silhouette d'une jeune fille se faufile à travers le campement et s'accroupit près de mon visage.
- Chut ! Ne fais pas de bruit !
Elle m'aide à me relever et me conduit dans la forêt, un peu à l'écart. Peut-être va-t-elle m'aider? Je souffle, espérant une solution.
- Tu as fichu tous nos plans à l'eau ! Alors écoute-moi bien ! Mon père c'est le chef de cette bande...
Elle plante son regard dans le mien et pointe un couteau, caché auparavant dans sa manche, sur ma gorge. Elle ne vient en rien pour m'aider.
- ...il n'aura aucun mal à te retrouver si tu ne fais pas ce que je te dis... Réponds !
- Oui Madame !
- Mademoiselle, s'il te plait.
Elle esquisse un sourire.
- Je vais faire en sorte que mon père te libère, parce que je n'aime pas trop ce genre de meurtre inutile, et surtout, j'aime ton joli minois…
Son sourire monte jusqu'au oreille quand elle prononce cette phrase. Elle appuie un peu plus fort son couteau contre ma gorge.
- Mais sache deux choses : d'une, ton petit Osselait m'a conduit droit sur tes amis...
Elle sort une photo de sa poche, montrant Kathy et Nezu dans une chambre, près d'un Leveinard. Pas de doute sur leur identité...
- De deux, nous n'aurons aucun mal à te retrouver toi ou tes amis, si tu dénonces ce que tu as entendu dans la forêt. Si la prochaine fois que nous nous rendons à Kajuu, la police nous y attend, alors nous te le ferons payer. Et cette fois-ci, je n'aurai aucun mal à te tuer toi et tes amis, de mes propres mains même !
Elle me pousse par terre, pensant son message très clair dans ma tête.
- Maintenant viens, le chef t'attend.
Cette fois-ci, elle ne m'aide pas à me relever et je dois y arriver par mes propres moyens, tant bien que mal.
Elle marche rapidement, mais s'assurant toujours que je la suis. Nous revenons au campement et nous entrons dans une tente.
- Chi. Tu m'amènes un invité à ce que je vois.
- Oui patron. Je l'ai mis au courant des conditions de sa libération.
- C'est bien parce que c'est toi. La prochaine fois, je m'arrangerai pour que tu ne sois pas là quand mes hommes ramèneront quelqu'un !
Ils rient tous les deux. Elle lui ressemble énormément, je ne peux douter que c'est son père. Mais malgré tout, elle utilise les mêmes formules pour s'adresser à lui que les autres hommes.
- Pars discrètement. Dépose-le en ville et assure toi qu'il ne se fasse pas remarquer.
- Très bien, chef. Je serai de retour avant l'aube.
Elle s'incline et me tire dehors.
- Le mioche a disparu ! On va partir à sa recherche ! J'en ai rien à faire de ce qu'a dit le patron, il nous a fait perdre trop de temps ! On va le retrouver et lui faire la peau !
- Ouai, d'accord avec toi ! Le patron sera content qu'on se soit débarrassés de lui !
Deux hommes déambulent dans le campement, l'air farouche.
Elle desserre les liens qui m'attachaient les poignets dans le dos, et nous sortons du campement, en courant.
- Ce genre de décisions ne serait pas très approuvé par le groupe. Aussi, nous allons nous éclipser discrètement et sans bruit. Au moindre faux pas, je les laisse te trancher la gorge.
- Hey !
L'un des voyous m'a vu. Chi se cache et me laisse seul face à l'homme. Je me mets, encore une fois, à courir.
Arrivé sur le sentir, je me cache dans les fourrées et j'attends, ayant peur que la jeune fille revienne pour tuer mes amis si je continue seul.
- Je m'en occupe les gars, laissez tomber ! Le patron ne veut pas qu'on s'éloigne des tentes, surtout toi Fin, qui dois faire le guet.
- Et toi ? Pourquoi tu t'éloignerais ?
- Parce que si c'est moi ça passera bien mieux.
J'aperçois Chi qui tourne les talons à Fin. Hors de vue des hommes, elle m'appelle.
- Je sais que tu es là. Dépêche-toi, ma patience a des limites !
- Tu l'as trouvé Chi ?
- Oui, oui !
- Tabasse-le, allez, qu'on en finisse !
Elle marque une pause, le guet nous a surpris.
- Je vais faire ça plus loin, pour éviter les traces...
Elle me frappe dans les côtes et je m'écroule, étouffant un cri de douleur. Elle m'attrape par le col et me traîne par terre.
Nous avançons comme ça, sur plusieurs mètres, jusqu'à ce que le sentier bifurque, et que nous soyons hors de vue.
- Lève-toi !
Je me relève et titube.
Elle sort son couteau et me guide de la pointe appuyée sur ma gorge.
- Comme ça, tu ne pourras pas t'offrir le luxe de traîner.
Je n'ai pas le choix, je dois suivre son rythme, malgré ma fatigue et mes blessures.
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Osselait est revenu, sans Kai. Les pensées du Pokémon sont trop floues, trop pleines de peur. Je n'arrive pas comprendre ce qui s'est passé.
Kathy essaye de le calmer, mais sans succès. Je soupire et me replie un peu plus sur moi-même.
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* *
Les lumières de la ville apparaissent enfin. Chi accélère le rythme, j'ai de plus en plus de mal à la suivre. Tous mes muscles me font souffrir, j'ai toujours mal au dos et la douleur dans mes côtes est de pire en pire.
Nous arrivons en bordure de la ville.
- File maintenant ! Et n'oublie pas ce que je t'ai dit.
Elle attrape mon poignet et dessine une balafre sur mon avant-bras à l'aide de son couteau, estafilade sanglante.
- Comme ça, tu n'oublieras pas.
Une goutte de sang perle, elle l'attrape sur son doigt qu'elle porte à sa bouche.
- Je connais le goût de ton sang. Prends garde à toi si tu trahis ma confiance...
Et elle s'enfuit dans la forêt.
J'avance de quelques pas dans la ville, mais la fatigue l'emporte et je m'écroule par terre.