Chapitre IX : Arrivée à Kajuu
Kai ne parle pas. Il marche, la tête haute et le regard perdu au loin. Je l'observe, essayant de percer le secret de ses sentiments.
Il mesure presque une tête de plus que moi. Il est mince, mais musclé. Il a de longues jambes qui lui permettent de marcher à grandes foulées souples. Son torse a l'air solide, malgré les bleus qui le recouvrent, dûs à son affrontement avec Sacha. Ses bras sont longs, mais bien bâtis, terminés par des mains fortes aux doigts fins. Sa tête est légèrement allongée, recouverte d'une chevelure blanche. Des mèches encadrent son visage, mais ses cheveux sont plutôt coupés court. Ses yeux sont d'un bleu très clair et profond, son nez est quelque peu pointu et ses lèvres étroites.
Il ne s'arrête pas, et ne nous regarde pas. Je ne sais même pas s'il a remarqué que je l'observais.
Le mystérieux garçon marche devant nous, quelques pas plus loin. Je calle mon rythme sur celui de Nezu et lui murmure :
- Dis, à quel âge Sacha a commencé son voyage ? Il doit bien le dire dans son livre ?
- A dix ans. Pourquoi ?
- Et à ton avis, quel âge à Kai exactement ?
- J'ai quinze ans.
Nezu et moi sursautons. Nous ne pensions pas qu'il nous entendait et sa voix nous a surpris.
Le jeune enfant et moi nous regardons dans les yeux, interpellés : cela faisait plus d'une heure qu'il n'avait pas parlé et la seule voix autour de nous était celle de Nezu qui fredonnait.
Je calcule rapidement dans ma tête :
Sacha a dit qu'il était parti il y a dix-sept ans, donc il est âgé de vingt-sept ans. Ensuite, Sacha a dit que ce qu'il s'est passé entre Kai et lui avait eu lieu il y a dix ans. Donc Kai en avait cinq et Sacha dix-sept. J'aimerais vraiment savoir ce qu'est cette histoire...
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La nuit commence à tomber, petit à petit. Nous devrions nous dépêcher.
- Regardez ! Les premières lumières de la ville !
Nezu a crié. Kathy et moi regardons dans la direction qu'il nous indique avec son doigt : au-dessus des arbres, en contrebas, j'aperçois le dôme d'un centre pokémon, et les lumières des premières maisons. Nous touchons au but, il ne faut juste pas ralentir la cadence ; dans l'obscurité il est bien difficile de marcher.
Le garçon se met à courir, suivi de Kathy. La suite du chemin est en pente, il devrait faire attention.
- Je cours plus vite que toi nananananère !
Nezu provoque Kathy, je la vois accélérer pour le rattraper, mais dans la nuit tombante, elle ne voit pas les imperfections sur le sentier, et elle trébuche...
Il y a à nouveau cette lumière et la silhouette de son corps qui change pour laisser place à un Sabelette.
Je soupire ; rien n'est terminé.
Je m'approche de Kathy et m'accroupis. Elle me regarde, les yeux mouillés comme si elle allait pleurer.
Je tends mon bras vers elle, pour qu'elle puisse grimper sur mes épaules. Elle se hisse sans difficulté.
- Nous n'avons pas une minute à perdre.
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Kai nous regarde froidement, Kathy et moi. A peine Kathy s'est-elle installée sur ses épaules, qu'il se remet en route.
Nous entendons du bruit derrière nous. Kai met son doigt sur ses lèvres pour me dire de ne pas faire de bruit.
- Cache-toi sur le bord de la route. Je n'ai pas envie de recroiser cette famille de Nidoking ! Attends-moi là, je n'en ai pas pour long.
Il me colle Kathy dans les bras et il se faufile entre les arbres, en de longues foulées silencieuses.
J'attends plusieurs minutes, mais Kai ne semble pas revenir. La nuit s'installe et je vois de moins en moins loin. Je commence à avoir très peur...
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Je me suis éloigné de Kathy et Nezu, pour me rapprocher des voix.
Ils sont tout un groupe de jeunes adultes. Ils sont bruyants et bien qu'ils soient encore à une distance raisonnable de Nezu, le garçon doit très certainement les entendre distinctement.
Ils sont grands, avec des bras très musclés et une sorte de barre de fer sur leur épaule pour la plupart. A la ceinture de l'un d'eux est attaché un couteau.
- Bon les gars, faut qu'on atteigne la ville vers deux heures, quand tout le monde dort, comme ça personne ne nous causera de problèmes. Je n'ai pas envie de retomber sur l'agent Jenny comme la dernière fois ! Bon Steeve, fais-nous un récapitulatif de ce dont nous avons besoin, on ira le piquer là on trouvera !
Des voleurs... Et ils n'ont pas l'air rassurants. Il faut que je me dépêche de rejoindre Nezu, et d'atteindre la ville. Je dois prévenir la police et surtout mettre Kathy et lui en sécurité.
Je commence à partir, mais je marche malencontreusement sur une brindille.
- Vous avez entendu ?
Comment peuvent-ils entendre le craquement d'une brindille avec tout le boucan qu'ils font ? Déjà deux des hommes de cette bande s'approchent de moi, j'ai à peine le temps de réagir ; j'appelle Osselait et le pousse en dehors de ma cachette.
- Osselait !
En apercevant les deux voyous, mon pokémon prend peur et file se cacher plus loin, en pleurant.
- C'est rien, c'est juste un Pokémon ! Il est parti dans la forêt ! Il avait l'air faible et insignifiant, chef, rien de nécessaire ! Il ne nous aurait été d'aucune utilité !
- C'est moi qui décide s'il aurait été utile ou non ! Allez le chercher ! et tout de suite !
- Oui... Oui P..p..patron !
Mon Osselait ! Je dois faire quelque chose, mais je les aperçois tout près de moi, et je ne peux pas sortir de ma cachette !
Les deux individus que le chef vient de secouer s'éclipsent dans la forêt, pendant que le groupe se remet en marche.
Je dois tout d'abord sauvez Nezu et Kathy, et ensuite partir à la recherche d'Osselait. Je cours dans la forêt, prenant confiance au fur et à mesure que je m'éloigne du groupe. Je me permets d'allonger mes foulées, ayant moins peur de les attirer par le bruit.
J'arrive bientôt près de mes deux compagnons. Je leur murmure :
- Partons, sans traîner.
Nezu tremble et Kathy essaye de le rassurer. Le garçon se blottit contre moi et sanglote, en faisant bien trop de bruit. Comme lors de notre course contre les Nidoran, je l'attrape et le tiens sous mon bras ; Kathy, elle, se saisit de sa pokéball, et se cache dedans.
« Merci... » Elle fait ça pour que j'ai moins de difficulté à courir, elle doit sentir le danger grâce à son instinct.
- Ils vont nous faire du mal, Kai...
Nezu murmure, entre deux sanglots.
- Ne t'inquiète pas...
Et sur ses mots, je m'élance à travers les arbres, ayant trop peur d'être vu si je réintègre le sentier.
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Il court. Aujourd'hui, il n'aura fait que ça. La journée a été vraiment longue, et je suis très fatigué. Mais je dois tenir, je dois être fort comme Sacha, et comme Kai !
J'ai entendu des voix et puis je l'ai senti, comme d'habitude. Quand Kai est revenu, j'ai compris : il y a certaines personnes qu'il ne vaut mieux pas croiser.
Je ne suis pas bien lourd, mais quand même, je suis impressionné de l'aisance avec laquelle Kai me porte.
Sur son bras ses veines ressortent. La lumière de la lune me permet de voir son visage ; il est crispé par l'effort et des perles de sueur coulent sur son front. Mais il ne s'arrête pas.
Les lumières de la ville se font de plus en plus proches, nous touchons au but. La respiration de Kai couvre quelque peu les voix au loin ; nous gagnons de la distance à chaque pas.
Il s'arrête et respire tant bien que mal.
- Enfin... soupire-t-il.
Il monte les escaliers menant au centre Pokémon et me repose par terre, une fois arrivés devant la grande porte.
Un Pokémon rose, que Sacha a déjà décrit dans ses livres, vient nous accueillir : c'est un Leveinard.
Kai me donne la pokéball contenant Kathy et s'agenouille pour me glisser à l'oreille :
- J'ai une course à faire. Je n'en ai pas pour longtemps. Allez vous reposer avec Kathy, la journée a été longue. Vous avez intérêt à vous trouver là quand je reviens...
Et il se retourne pour partir.
- Et où va ce jeune homme ?
- Hum hum...
Une infirmière apparaît prêt du Pokémon rose et je ne peux être que surpris :
- C'est drôle, dans son livre Sacha décrit toutes les infirmières Joëlle de la même manière, et vous ne leur ressemblez pas du tout !
- Nezu, de une arrête de parler de Sacha et de son foutu bouquin, et de deux ne soit pas impoli !
L''infirmière rit, et moi je rougis.
- Excusez-moi, je ne voulais pas vous manquer de politesse...
- Ce n'est rien ! Et pour ta question, les infirmières Joëlle étaient une grande famille et elles se ressemblaient toutes plus ou moins. Mais il y a quelques années, elles ont pris petit à petit leur retraite et nous les avons remplacées. Nous ne sommes pas une seule famille, nous ne nous ressemblons pas et ne ressemblons pas non plus aux anciennes infirmières, mais nous avons gardé le nom « d'infirmière Joëlle », comme une tradition.
Kai a les yeux perdus dans le vide et dans ma tête les pièces du puzzle s'assemblent : je comprends de mieux en mieux son histoire...
- Revenons-en à nos moutons ! Tu ne vas nulle part à cette heure-ci, jeune homme !
- Je dois rendre visite à un ami, mais je laisse mon frère ici, pour qu'il se repose.
- Non tu restes là, je ferme les portes et tu ne bouges pas d'ici !
Elle se dirige vers un bouton pour verrouiller les portes, le bras de Kai retenu par le Leveinard. Mais Kai ne l'entend pas de cette oreille, il chatouille le Pokémon, qui de surprise le lâche, et fuit par la porte encore ouverte.
- Reviens ici tout de suite !
Mais Kai est déjà loin dans la nuit...
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Je sors si j'en ai envie. Elle ne m'enfermera pas. Et puis je n'aime pas les centres Pokémon. J'arrive près du commissariat et déboule dans le hall.
L'agent endormi au bureau sursaute. Il marmonne, encore assoupi :
- Je peux vous être utile ?
- J'ai vu une bande de voyous sur le chemin menant à cette ville, je les ai entendus parler de venir voler certains objets. J'ai cru bon de vous prévenir...
- Hum...
Il n'a pas l'air convaincu.
- J'appelle mon supérieur, attends ici.
Il m'indique un siège. Je m'y assois, et patiente Une minute, puis deux, puis dix... Enfin, le policier revient, accompagné d'une grande dame en uniforme.
- Agent Jenny pour vous servir !
- Madame, je vous prie de me croire ! Je les ai vus ! Ils avaient des barres de fer et l'un d'eux portait un couteau à sa ceinture ! Il faut prévenir les habitants. Ils ont dit qu'ils viendraient dans la ville vers deux heures, quand les gens dormiraient.
Je parle, très rapidement, je m'essouffle, mais je n'ai pas une minute à perdre, je dois encore aller chercher Osselait.
Elle s'adresse à l'homme qui m'a accueilli :
- Envoie une patrouille et demande aux autres d'aller prévenir les habitants qui vivent un peu en dehors de la ville. Je vais passer une annonce au micro, en espérant que les gens l'entendent. Quant à toi, retourne chez toi, ou au centre Pokémon, et va t'abriter !
- Très bien. Merci !
Elle m'accompagne jusqu'à la porte et m'observe. Je prends la direction du centre, mais dès que je suis hors de vue, je bifurque.
J'ai fait ce que j'avais à faire ici, mais à présent, je dois aller retrouver mon Pokémon.