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Un long parcours de YumeArashi



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» Auteur : YumeArashi - Voir le profil
» Créé le 13/08/2009 à 12:44
» Dernière mise à jour le 28/08/2009 à 11:39

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La peur au ventre
« Perdus... » me lamentai-je.

Il fallait dire ce qui était, nous nous étions égarés. La carte avait beau être récente, elle n'en était pas moins petite et lorsque l'on « survolait » certaines zones, elle s'avérait même totalement illisible. Lionel avait du s'endormir une nuit contre une souche humide ou de la mousse durant son périple à la forêt de Jade et une foultitude de tâches, que j'identifiai comme étant de la moisissure, avait élu domicile sur le papier gondolé, à l'endroit précis où choisir la bonne voie, celle qui menait au Mont Sélénite, devenait capital pour la suite des opérations. Rageant, ruminant et traversant l'étroit passage de droite à gauche comme un vieux lion aigri dans sa cage, je tentai de trouver une solution élémentaire et rapide qui ne nous embarquerait pas à perpet' les oies. Une sorte de mal-être germait en moi comme autant d'épaisses lianes qui, prêtes à étouffer leur victime, se nouent vicieusement autour d'un cœur qui bat. Il prenait de plus en plus d'ampleur et c'était contre mon gré sur Lionel que j'allais me défouler. Quant à Ponyta, qui commençait à avoir l'habitude de se retrouver face à de telles sautes d'humeur de ma part, elle s'était éloignée un peu et se tenait debout, les jambes raides, l'encolure détendue et la tête basse, comme endormie.

« La vérité, c'est que tu es un garçon et donc tu es INcapable de te débrouiller seul sans avoir quelqu'un à tes côtés pour te diriger. J'ai été stupide de te faire confiance sur le coup, tu nous emmènes à Pétaouchnock et moi je me laisse faire !!! Hurlai-je, occasionnant un envol massif d'Etourmi nichés non loin de la zone de combat verbal. Je t'ai pourtant expliqué qu'on ne se fiait pas à son instinct quand on n'est pas sûr de pouvoir compter dessus. J'en ai marre Lio, tu entends ? MARRE !!!
- Marine, Marine, fit-il en me saisissant par les épaules. Calme toi, respire. »

Il me secoua légèrement tout en prenant appui au dessus de mes omoplates. Je cessai de gesticuler et ma tête retomba quelques instants dans le creux de son cou : Lionel n'osa pas faire un mouvement de peur que le moulin à parole ne s'enclenche à nouveau et attendit que je me dégage seule. La cicatrice qui avait pris possession de la moitié de mon bras me brûlait sauvagement et cela n'allégeait pas la douleur logée dans ma boîte crânienne : toutes deux s'assemblaient pour ne faire qu'empirer mon mal. Il fallait aussi avouer que ces routes, larges comme les épaules de deux femmes debout côte à côte et si longues qu'on n'en voyait pas le bout, qui serpentaient à n'en plus finir, constituaient un piège redoutable pour les apprentis voyageurs.
Une question vint galoper dans mon esprit : mon père avait du passer par là quand il était plus jeune, comment avait-il fait pour se repérer seul ? Toute la ceinture environnementale qui englobait Argenta jusqu'au Mont Sélénite faisait partie des fiertés nationales, tout comme la forêt de Jade et le Parc Safari par exemple, et les responsables de sa sauvegarde mettaient un point d'honneur à le maintenir tel qu'il était, un souci d'écologie sans doute mais pas uniquement dans la mesure où il représentait un des seuls moyens de se rendre au mont susnommé, grande mine en réalité, parsemée de tunnels qui regorgeaient de richesses minières et de pierres précieuses, de véritables fontaines de trésors soupçonnés et c'était bien cela le problème majeur : aussi, toute demande de forage était examinée puis suivie de manière très minutieuse afin que les gens ayant pour dessein de s'en mettre plein les poches ne s'enrichissent en nuisant à l'écosystème très riche qui avait élu domicile dans la montagne. Quiconque fraudait, et cela se traduisait d'une multitude de façons différentes, était sévèrement puni. Mon père y travaillait depuis une dizaine d'années, depuis que l'on avait autorisé officiellement l'accès aux réseaux souterrains. Il y extrayait les pierres Lune, très prisées par les dresseurs et déblayait les tunnels bouchés par des éboulements de quelque nature qu'ils fussent. Il œuvrait toujours avec ses quatre pokémon : Charmina, Gravalanch, Onix et Machopeur qui ne le quittaient plus depuis environ vingt ans. Souvent je tentais d'élaborer des théories sur la longévité d'un pokémon, sans grand succès. Puis une question en amenait toujours une nouvelle, sans que les réponses des précédentes ne fussent données. Tout ceci me fit repenser à ce scientifique farfelu, Peter Nomclast, tombé du ciel par une belle journée d'été sans explications plausible. Je me demandais comment ma mère s'en sortait, ce qu'il faisait, pourquoi il avait atterri chez nous prétextant une turbulence et ce qu'il avait derrière la tête...
Ma colère retomba presque instantanément et je mis cet égarement sur le dos du labyrinthe de gros cailloux que nous traversions - uniquement des chemins doubles ou même triples, une infinité de voies à suivre et autant de chances de se perdre - et de la fatigue de la veille.

« Pardon Lionel... Après tout, c'est pas si grave, je ne comprends même pas pourquoi je me suis énervée. On va demander la route aux montagnards du coin, ils doivent connaître ces pics mieux que quiconque, non ? Soufflai-je avec douceur.
- Je m'en charge. »

Lionel fit craquer ses phalanges et se mit à escalader une paroi rocheuse avec agilité, jusqu'à atteindre le promontoire où se trouvait une personne de forte corpulence que nous avions aperçue bouger d'en bas. Je grimpai sur l'une des plus grosses pierres du chemin : de mon poste, je pouvais suivre la scène des yeux et entendre les éventuelles explications que le montagnard donnerait.

« Excusez moi... bonjour ? Commença poliment Lionel une fois arrivé sur le promontoire rocheux. Nous sommes perdus, pourriez-vous nous indiquer la route qui mène au mont Sélénite ? »

L'homme, de dos, esquissa un mouvement de surprise et inclina faiblement la tête. Lionel pâlit lorsqu'un long et puissant grognement qui n'avait rien d'humain, naquit au plus profond de la gorge de son interlocuteur. Celui que nous pensions être un homme de petite taille au gros sac à dos se retourna lentement alors que le temps se suspendait, un regard hargneux logé avec persistance dans ses larges pupilles brunes. Ce n'était pas un homme de petite taille au gros sac à dos, c'était un pokémon. Un vent de panique ébouriffa les boucles brunes de Lionel et son coeur se mit à battre rapidement tandis qu'il portait doucement la main à sa ceinture : s'il devait redescendre à la va vite, le pokémon furieux aurait tôt fait de lui briser les os d'une simple attaque Roulade. Le corps de Lionel me dissimulant celui du prétendu homme, je ne compris pas tout de suite pourquoi mon ami se tenait de la sorte, aussi raide, comme s'il avait eu en face de lui, un danger potentiel. Le brutal adversaire s'avança jusqu'au bord de la falaise et poussa un nouveau grognement rauque, guttural, qui fit trembler une bonne partie des parois situées derrière moi, en écartant ses quatre petits bras ridicules. La zone où nous nous trouvions était l'endroit idéal pour l'organisation d'un terrible guet-apens : encastré entre eux falaises escarpées, le lieu parfait pour une lapidation sans précédent. De plus, il était presque sur et certain que les copains du pokémon, que notre altercation avait dû déranger, allaient lui porter « secours » dans pas longtemps. Lionel recula de trois pas, avec une lenteur indescriptible : il se décalan vers le rebord de la falaise, me permettant de voir avec horreur que le petit homme n'en était pas un, alors que la masse ambulante, elle, progressait toujours.

« MERDE ! Lio ! Descends, c'est un Gravalanch !!! Hurlai-je en reconnaissant le pokémon. - Il ne répondit rien. Mes cris ne firent que ralentir encore davantage son amorce de fuite. - Ponyta viens là, on a un problème, tu te sens de galoper aussi vite que tu peux ? »

La jument acquiesça en penchant la tête avec un air consterné comme si elle me disait « Je peux mais je ne sais pas si tu te rends compte de que ce veut dire "aussi vite que tu peux" ma grande. ». Mon ignorance l'affligeait mais elle se tint prête à accueillir deux passagers sur son dos, parce que dans l'histoire, ce n'était pas simplement ma peau qu'elle allait sauver, mais aussi la sienne. Le Gravalanch n'était visiblement pas décidé à attaquer le premier et la situation pouvait s'éterniser ou bien se corser avec d'autres espèces de pokémon peut-être bien plus belliqueuses et pugnaces que le spécimen auquel nous avions à faire en l'occurrence si nous ne réagissions pas. J'escaladai à mon tour la paroi afin de persuader Lionel de s'activer et de redescendre pour vite prendre nos jambes à notre cou mais je me révélai être une bien piètre athlète tout terrain : plusieurs fois, je m'écorchai les paumes sur un flanc de rocher aiguisé et mon short ne me protégeait pas des égratignures des plantes urticantes montagnardes. J'abandonnai à mi chemin, soient cinq mètres, n'en pouvant plus, les mains et les genoux ensanglantées, et regagnai le plancher des Ecremeuh avec rage.

« Lio ! Murmurai-je. Tu vas descendre, je te couvre ! »

Le jeune homme amorça un pas de recul, puis enchaîna avec un autre, le plus lentement possible, sous le regard perçant du Gravalanch qui examinait chaque mouvement du garçon. Seules les pupilles s'agrandissaient ou se rétractaient, lors d'une sorte de mise au point macabre. L'élément déclencheur de la panique qui s'ensuivit ne tarda pas à se manifester en la « personne » d'un hennissement de Ponyta, qui avait pris l'initiative d'en finir au plus vite. Percevant ce son comme un signal de combat, le pokémon roula sur lui-même à pleine vitesse aux devants de Lionel.

« Lionel ! SAUTE ! On s'occupe de la réception !!
- T'es sûre de toi ? Je veux pas mourir MAINTENAAAAAANT !
- Fais ce que je dis ! »

Un pas supplémentaire et Lionel chutait, évitant de peu la charge mortelle du pokémon furieux, se rapprochant, si notre plan échouait, d'une autre forme de mort. Je vis son corps tomber mollement, et je me demandai s'il ne s'était pas évanoui et me rendis compte que, face contre terre dans la position où il se trouvait, chacun de ses os se retrouverait brisé si Ponyta se loupait. Ce n'étaient plus ces histoires terrifiantes de morts dans les montagnes d'une chute d'une falaise que j'entendais à la radio, tranquillement assise devant une tasse de thé, protégée de tout. Je les vivais. Un point de côté vint grignoter mes hanches. Avais-je respiré au cours de l'intervention ?

Ponyta devait le récupérer au vol, poursuivre sa course une fois qu'elle aurait touché le sol et je grimperais sur son dos au passage. La jument prit son élan et se mit à galoper, trop vite, beaucoup trop vite. Mon cœur battait au rythme du martèlement des sabots sur la terre... Elle régula sa vitesse juste avant de prendre appui sur ses postérieurs contre un rocher dont elle se servit pour se propulser en l'air. Ponyta étendit son encolure enflammée lors du saut et arqua son dos pour y recevoir Lionel, alourdi par la gravité qui l'attirait vers le bas. J'imaginai que sa masse n'était pas bien supérieure, il n'avait que la peau sur les os. Le garçon se tordit en heurtant mon pokémon mais aucun mouvement ne m'indiqua qu'il était conscient. Ponyta vacilla. Durant quelques instants, je crus qu'elle ne pourrait pas retrouver son équilibre et s'écraserait par terre de tout son poids, or cette étonnante partenaire ne m'avait pas encore montré toute l'étendue de ses capacités. Elle se rétablit à la perfection tout en continuant de galoper vers le Nord. Lorsqu'elle arriva à ma hauteur, elle ralentit encore l'allure. Cette décélération me permit d'apposer les mains sur son garrot où je pris appui en soulevant mes jambes à la force de mes bras. Un peu attirée vers l'arrière, j'eus un mal incroyable à m'asseoir. J'enserrai fermement les flancs de Ponyta avec mes mollets, pivotai pour agripper les épaules de Lionel et le maintenir contre moi afin qu'il ne tombât pas. Le plus compliqué était de résister à la force qui m'attirait violemment vers Gravalanch.

Comme je m'en étais doutée, notre assaillant n'était plus seul, mais alors plus seul du tout : une armée de rocs en rotation nous poursuivait avec ardeur et vélocité, sans montrer le moindre signe de difficulté lié au terrain. Ce n'était pas bon du tout. La configuration de la zone leur était démesurément favorable, une pente faible décuplait la vitesse de roulade, or, Ponyta peinait à rester stable avec nos poids presque intégralement portées sur son avant-main. Une fois que mon équilibre fut optimal, je m'inclinai vers l'arrière et elle fit une brusque accélération : c'est à ce moment précis que je compris le sens de "galope aussi vite que tu peux". Le vent battait à mes temps, ou peut-être était-ce le sang, dénoua mes cheveux, s'engouffra sous mes paupières closes et fit pleurer mes yeux : les grains de poussière soulevés par le fort vent du sud n'arrangeaient rien.
Réfléchir en paniquant s'avéra être bien plus complexe que je n'aurais pu le penser, je me laissai guider par l'instinct et quoiqu'il me conseillât, cela ne pouvait plus nous nuire. Cornèbre sortit de sa pokéball à mon appel et se chargea d'observer quel était le chemin le plus rapide pour nous mener en sécurité, enfin j'espérais qu'elle coopérerait sans rechigner : ce n'était pas le moment de faire la difficile. Par chance, la demoiselle capricieuse se montra très utile, elle avait bien compris dans quel état se trouvait son propre dresseur et, l'ayant dans le collimateur, remplit son rôle à merveille. Ses croassements braillards et ses mouvements d'ailes indiquaient à Ponyta quel chemin suivre tandis que Oké, qui ne supportait pas de rester enfermé en période d'action et me l'avait fait savoir, se retrouvait perché sur mon épaule, bombardant les Gravalanch enragés d'attaques Charme.

De mon côté, je ne me souvenais pas d'avoir un jour sué autant. C'était à peine si je parvenais à reprendre mon souffle au milieu des secousses intempestives causée par les aspérités du chemin étroit que Ponyta évitait avec brio. La situation aurait pu devenir cocasse si elle eut été examinée d'un point de vue particulier.
Je sentis Oké s'échauffer lorsqu'il se retrouva face à face avec l'inefficacité évidente de sa petite attaque sur la horde rocheuse. Il frappa de toute la force de ses petits membres sur mon omoplate mais loin d'abandonner, il s'acharnait, et parvint à éloigner deux pokémon de la bande : une infime victoire car ce qui nous suivait à présent était une véritable tribu, mais une victoire tout de même. Ponyta et Cornèbre, que la course semblait incroyablement exciter, me firent comprendre en chaîne que nous n'allions pas tarder à rencontrer un tronc, que la seule solution était de passer par dessus étant donné qu'une attaque de Ponyta pour le calciner ne pourrait que nous revenir en pleine figure vu la force du vent qu'il nous arrivait en pleine figure. Il serait ensuite possible de ralentir : il était fort probable que les Gravalanch s'écrasent dessus.

Ma vue se brouillait petit à petit. D'un revers de main, j'essuyai l'eau qui trempait mon front et au détour d'un chemin, je l'aperçus. Mon visage blêmit : ce n'était pas une de ces « branches » menues de chêne cinquantenaire d'un mètre qu'on trouvait parfois en forêt, mais bel et bien un tronc colossal d'une circonférence que je ne pus évaluer précisément : dix personnes auraient peut-être pu l'entourer en se donnant la main... On se demandait bien comment un titan végétal pareil pouvait se trouver là, en travers d'un chemin de montagne qui plus était : resserrant l'éteinte de mes bras autour de Lionel et celle de mes jambes autour de Ponyta, j'attendis l'envol, isolée dans une sphère d'angoisse prégnante...
Un très court instant... et bientôt, je sentis les muscles de mon pokémon se contracter... Quelques secondes à peine... Notre groupe quitta la terre ferme pour rejoindre la douceur de l'air chaud trois mètres au dessus du sol. Heureusement que Lionel était inconscient... C'était une sensation étrange : nous volions. Je commençai à comprendre quelle était cette excitation que l'on pouvait ressentir lorsque l'illusion d'être maître du monde se posait d'aventure sur nous. Ponyta et moi étions la Vitesse, la Force face à l'adversité, plongées au coeur d'une folle course poursuite dans un chemin étroit comme pas deux, une armée de rocs roulants à notre poursuite et une vie en équilibre précaire à sauver.

Le retour sur la glaise dure fut rude pour les tendons des antérieurs de Ponyta malgré une absorption considérable de l'impact à l'atterrissage. Elle allait enfin pouvoir s'arrêter et souffler un peu. Je n'étais plus entière, mes bras n'étaient plus attachés à mon corps, mes jambes se baladaient quelque part, en somme, je ne sentais plus aucun de mes membres. La route s'élargissait : cela voulait dire que nous étions sur le bon chemin. Cornèbre, voletait tranquillement tandis que Lionel se réveillait à peine, perclus de douleurs dorsales, ne sachant rien du bond qu'il venait de faire, ni de la chevauchée insensée au terme de laquelle nous étions arrivés... enfin pas tout à fait. J'allais descendre du dos de Ponyta quand je me rendis compte que l'impact supposé des Gravalanch n'avait produit aucun son. Chacun de nous, excepté peut-être Lionel, encore dans le gaz, riva la totalité de ses sens sur le tronc, à dix mètres de nous, avec le fol espoir d'avoir semé la horde meurtrière. Nos cœurs battaient fort, dans chaque partie de notre corps. Cela résonnait dans ma tête, dans mes tempes, dans mes mains et même dans mes genoux. J'ignorais tout de l'état dans lequel se trouvaient les autres tant je souffrais moi-même.

Il y eut un craquement sonore... Je retins mon souffle, persuadée que la moindre inspiration, la moindre goulée d'air rejetée nous seraient fatales. Un autre craquement... Puis encore un autre.

Le tronc vola en éclats. Un cri strident sortit de ma gorge et Lionel, ayant recouvré une partie de sa mémoire, me rejoignit vocalement. Ponyta, désemparée, reprit sa course en pivotant largement et, attrapant la manche de chemise de Lio, j'adoptai à nouveau ma position de sprint. Je luttai pour tenir « en selle » tant les mouvements de la jument étaient violents... Cornèbre, partagée entre joie et déception se coula dans ce rôle de guide aérien que nous lui avions confié, ravie de se sentir écoutée et importante. Des bouts de bois furent projetés un peu partout, l'un d'eux heurta le jarret de Ponyta qui gémit lorsqu'une trainée de sang pourpre vint griffer le sol brun, quelques autres égratignèrent le dos de Lionel : un autre débris, plus aiguisé, se ficha dans mon épaule. Envahie par la frayeur et dévorée par la douleur, je compris qu'en réalité, le tronc était non pas plein mais creux. Quelle horrible illusion. Le chemin s'était élargit, certes, mais son agrandissement restait minime et les parois hautes et imprenables. Impossible de fuir sur un côté ou d'attaquer, Ponyta avait beau être plutôt costaude, elle ne pouvait physiquement pas grimper sur des paroi inclinées à quatre-vingt dix degrés et était incapable de mettre à terre une armée de cailloux. La ligne droite s'imposait à elle.

« Mariiiiiine !! Je ne veux pas mourir !
- Lio, c'est pas le moment ! Hurlai-je, à la limite de la crise cardiaque, et tentant d'extraire le bois de mon épaule. Tais toi et accroche toi ! »

Les Gravalanch cavalaient toujours à plein régime et, poussant des « Grumbl » terrifiants, faisaient trembler le sol comme lors d'un séisme à forte magnitude. Je craignais que ces pokémon ne nous rattrapent avant que nous ayons pu atteindre l'Aire. Un éclair traversa mon esprit. Cornèbre croassa fortement. Au prochain tournant rocheux, sous serions arrivés. Nous ne pouvions plus détourner l'attention des assaillants. Ils allaient ravager le bâtiment et blesser les gens qui s'y reposaient. J'eus peur comme jamais je n'avais eu peur. C'était bien la première fois que, d'une activité physique quasi nulle, j'avais à fuir aussi rapidement un danger mortel. Je revis ma chambre et quelques instants, je priai pour que cette course contre la Faucheuse ne fut qu'un affreux cauchemar dont quelqu'un viendrait me tirer bientôt, Cyrielle avec du thé et des croissants, ou Phil, ayant besoin d'aide pour nourrir les pokémon. Toutes les souffrances physiques que je ressentais m'indiquèrent fatalement que je n'étais pas entrain de dormir...

L'Aire apparut enfin, nichée paisiblement entre deux parois rocheuses. Ce cliché pittoresque, qu'on aurait pu coucher sur une carte postale, se détruisit fictivement sous mes yeux... ravagé par une pléthore de bestioles enragées. Les secousses étaient telles que la faible population du lieu devait déjà s'être mise en sécurité dans les mines supérieures, du moins je l'espérais, or je distinguais encore des mouvements de panique, en la personne de cris, de tentatives de fuite au sein de l'établissement... De là où nous étions, ces gens m'apparaissaient comme de petits bonshommes faibles d'un centimètre qui crapahutaient en désordre, à l'image de fourmis, affairées dans leur fourmilière. Et dire que c'en était fini... Je me mis à pleurer. C'était affreux de causer la mort de dizaines de personnes... Lionel, ayant retrouvé une bonne partie de ses moyens, me sciait le ventre de ses bras, tant la peur était importante. Mon sac à dos me faisait mal, enfoncé dans le bas de mon dos. Ponyta galopait toujours, en faisant d'immenses efforts qui allaient être vains, comme cette stupide idée de partir de ma maison. Je revis ma mère, souriante, sous l'épaule protectrice de mon père, lui aussi radieux... D'un autre revers de mains, j'essuyai mon front et l'eau qui m'aveuglait fut un instant happée par le tissu avant de revenir tremper mes cheveux.
Au loin, j'aperçus deux silhouettes : l'une était plutôt élancée, sans doute celle d'un jeune homme. L'autre semblait appartenir à un gros pokémon - qui marchaient lentement, paisiblement, droit vers nous, comme si les vibrations du sol ne l'atteignaient pas, aux côtés de ce que je supposai être son dresseur. « Les inconscients » pensai-je...

« Hey !! Allez vous mettre en sécurité !! Nous sommes poursuivis !!! » Hurlai-je à leur égard en agitant le bras vivement, oubliant un instant que le bout de bois était toujours là, dans l'espoir qu'ils saisiraient l'importance de la menace.

Un pression des bras de Lionel à ma taille me fit comprendre que le « couple » de suicidaires ne pourrait entendre qu'un drôle de borborygme de là où il se trouvait et que par conséquent, mes mises en garde s'avéraient inutiles. Je n'osai imaginer le corps de ces êtres après que la horde ne les eut écrasés... Qu'en resterait-il ? Je voulais que ça s'arrête : descendre et d'un ferme « Bon ça suffit maintenant ! » renvoyer ces pokémon sans gène dans leur trous, sauver les pensionnaires de l'Aire et ma faible existence aussi. C'était la vie réelle, pas le feuilleton hebdomadaire préféré de Mme Quiker.

Un rugissement, qui cette fois ci ne provenait pas de nos poursuivants, me fit fermer les yeux un bref instant. Il se répercuta contre chaque paroi de la zone, et, en écho, revint à mes tympans endoloris où il se fit caressant, doux, rassurant... Nous gagnions du terrain à chaque instant et Lionel avait rappelé Cornèbre et Okéoké, soucieux, si l'on pouvait appeler cela comme ça, de les préserver de toute blessure. Je tournai la tête frénétiquement, étourdie par le brouhaha intenable des Gravalanch, perturbée par la mélodie étrange, je cherchai la provenance de ce grognement. Il retentit à nouveau... Un vent délicat souffla alors dans ma nuque, se faufila entre mes doigts et fonça vers la bande belliqueuse sans s'attarder davantage sur notre petit groupe en détresse. Un frisson la parcourut tout entière. L'écart se creusa de plus en plus. Nous gagnions du terrain... ou peut-être étaient-ce eux qui ralentissaient. Je n'eus pas le temps de détailler plus précisément l'anatomie de ce que j'avais identifié comme un jeune homme, mais lorsque Ponyta passa à pleine vitesse à sa gauche, faisant voler une myriade de longs cheveux sombres, je décelai une lueur brûlante dans ses pupilles. Surprise, je détournai le regard... perplexe et surtout embarquée par le rythme particulier de Ponyta. La jument fit une embardée suivie d'un demi-tour et s'immobilisa enfin, dix mètres derrière l'inconnu.
Je ne tenais plus entière, et lorsque je descendis afin de libérer mon pokémon, je sentis une douleur lancinante parcourir ma jambe, de haut en bas, comme s'il n'en restait plus qu'une moitié, que mes tendons avaient été sectionnés... tous. Lionel se laissa mollement tomber par terre et Ponyta s'agenouilla, les flancs secoués, la respiration lourde et saccadée.
Je fis un effort afin de me relever et, m'appuyant sur l'un des pylônes grisâtres des éoliennes, arrachai le bois coincé entre mes omoplates puis observai la scène qui se déroulait sous mes yeux.

Les Gravalanch décéléraient progressivement et, impassibles, l'homme et son partenaire attendaient. Je n'étais pas sûre de savoir exactement ce qu'ils attendaient mais ils faisaient preuve d'un courage – ou d'une inconscience – mémorable que je me pris à leur envier. Un moment propice à une ultime action peut-être, tout du moins je l'espérais. Lorsque les rocs roulants ne furent plus qu'à quinze mètres des ombres, qui se trouvaient alors à égale distance des assaillants et de la triste engeance que nous formions, je vis le dresseur remuer sa mâchoire. Le pokémon à ses côtés, une sorte de rhinocéros de pierre, grogna puissamment : soudain, brutale réminiscence, je me rendis compte que c'était de ce pokémon que provenait le rugissement si doux à mes oreilles quelques secondes auparavant.


Le sol tremble légèrement. Le pokémon hurle, bande ses muscles, se cabre et frappe la terre de ses pattes massives... Tout autour tremble encore davantage : les fondations, les gens et même les montagnes semblent ébranlées. Le jeune homme se retourne, court vers nous, son rhinocéros le suit. Leurs corps se précisent, la course est telle que leurs visages se crispent, des émotions se dessinent et à l'unisson, ils s'élancent, en parfaite symbiose, dans une harmonie suprême...
Une large fissure se créé. Elle se dirige vicieusement vers les Gravalanch. Déstabilisés, ceux ci rompent difficilement leur élan, ont un mouvement de recul, se redressent, tournent leurs corps ronds dans tous les sens puis lorsqu'ils voient la faille qui va bientôt les assaillir, déchirant violemment le plancher des vaches, ils fuient. L'inclinaison du terrain ne leur est plus favorable, ils ont l'air patauds et ridicules à courir sur leurs petites jambes... . Ils ont abandonné. Sauvés.


Nos alliés ralentissent. Un éclair rouge se détacha au milieu du décor chamboulé. L'homme se retrouva seul, son grand corps masqué au cœur de l'épaisse poussière soulevée par l'attaque dévastatrice... Lorsqu'il se planta en face de moi, je n'osai plus détacher mes yeux du sol... Je ne vis que sa large paume tendue, une main rendue rugueuse par ce qu'elle avait manipulé, déployée en guise d'invitation, aux longs doigts fins et agiles. Les miennes étaient moites. Je les essuyai maladroitement contre ma chemise avant d'attraper celle qu'on m'offrait. Fermement, je fus hissée vers le haut et après m'être assurée qu'il me restait une part d'équilibre, je relevai le menton, histoire de montrer que je n'avais pas perdu tous mes moyens. Il se tenait droit ; l'une de ses mains était négligemment glissée dans un revers de son jean tandis que l'autre jouait avec la pokéball de son partenaire. L'individu en question avait certainement aux alentours de dix-sept ans, son sourire, dévoilant une partie de sa dentition presque parfaite et d'une blancheur éclatante, était franc et sincère. Il remit en place une petite mèche rebelle qui s'était échappée du bout de ficelle dorée maintenant ensemble ses longs cheveux bruns. Puis, il tripota doucement l'anneau argenté qui perforait l'une de ses arcades sourcilières et prit la parole.

« Je m'appelle Sébastien. Enchanté. » Murmura t-il en inclinant légèrement la tête.

Maintenant que je me retrouvais face à lui, je réalisai avec surprise que je ne m'étais pas trompée sur la nature de son regard. Perçant, pénétrant, puissant et en même temps doux, caressant... ce garçon dégageait un charme magnétique. Je ne me doutais pas que des êtres dotés d'un tel charisme pouvaient exister ailleurs que dans les livres que je dévorais. Nous aurions pu nous fixer l'un l'autre encore longtemps sans ciller, plongés dans un état quelque peu second si ce que je qualifiai sur le moment de harpie mal dégrossie n'était pas intervenue pour nous houspiller avec véhémence.

« Non mais vous êtes complètement malades ou quoi ? S'indigna violemment l'infirmière responsable de l'Aire, hors de ses gonds. Vous auriez pu tous nous tuer !
- Si je peux me permettre...
- Ah vous ! On ne vous a pas donné la parole ! Rugit Joëlle au visage de ce Sébastien. Vous avez ruiné l'accès à l'Aire ! Comment vont faire les voyageurs pour y accéder ? Et puis vous là, on ne dérange pas un Gravalanch en pleine montagne quand on ne connaît pas le relief pour s'en tirer ! S'égosilla t-elle, le visage déformé par un mélange de colère et de peur « post-évènementielle ».
- Si nous n'avions pas fendu ce foutu sol, vous ne seriez plus là pour nous jeter des pierres sur la figure et croyez moi, on en a assez vu pour aujourd'hui, des pierres. »

Irritée par l'audace de ce garçon, Joëlle déblatéra un chapelet d'insultes qu'on aurait cru sorti de l'Enfer et pas de la bouche d'une femme supposément respectable et sensée montrer l'exemple... Elle fit volte-face et retourna à son guichet afin de rassurer ceux qui n'avaient pas assisté à la scène et se montraient avide de précisions. Je la vis courir de ci, de la, de droite, à gauche, papillonnant de son mieux pour répondre aux attentes des clients. La vie devait reprendre son cours, plus de peur que de mal. Tous étaient saufs.

« Elle abandonne bien vite, c'est décevant... D'autant plus qu'elle n'avait pas totalement tort, nous aurions pu débattre, soupira le jeune homme sur un ton que je ne pus ranger clairement du côté de la déception sincère où de celui de l'ironie.
- Pardon ? Demandai-je, prudemment.
- Si toi et tes amis n'aviez pas dirigé ce troupeau de cailloux ici, je n'aurais jamais eu à démonter, avec une classe certaine certes, le col de l'Aire... »

Je restai interdite un instant, partagée entre l'envie de riposter et celle de me contenir. Je me mordis la lèvre et, d'une voix qui trahissait l'indignation contre laquelle je luttais, je répondis :

- Comment vont vos chevilles ? » Lançai-je, vexée avant de lui tourner le dos.

Le vouvoiement était de mise. Je m'éclipsai. J'avais une plaie béante dans le dos et une chemise complètement tâchée, je marchais comme si j'avais passé six jours en selle sans interruption, ma tête tournait à toute vitesse, mes yeux avaient reçu une quantité impressionnante de poussière et mes muscles ne répondaient à aucune sollicitation. Il aurait fallu être dérangé pour chercher le conflit auprès de ce garçon que je ne connaissais ni d'Ève, ni d'Adam et de plus aggraver peut-être l'état dans lequel je me trouvais. Chassant cet amalgame de sentiments agaçants, je me tâchai de rejoindre Lionel et Ponyta !
La jument, au bord de l'épuisement, à mon image, se tenait non loin de l'entrée, jetant des coups d'œil inquiets à son jarret et Lio, adossé d'une épaule à un mur, observait le ciel, démuni, et sans doute un peu choqué. Un long soupir vint soulever sa poitrine... Il baissa la tête, son regard croisa le mien. Il soupira à nouveau.

Après quelques minutes de discussion avec l'un des ouvriers de la mine qui passait par là, Joëlle obtint un permis. Des travaux qui allaient être mis en place en prévision de la réfection du sol. Cet endroit, que j'avais bêtement cru isolé de tout, s'avérait avoir un système de communication des plus rapides et efficaces. Dès le lendemain, les fissures auraient été rebouchées. L'infirmière parlait haut et fort, aussi, j'avais été au courant bien vite de ces projets de rénovation et une partie de mes remords s'envola avec la certitude que tout redeviendrait comme avant.

L'Aire de Repos ressemblait à un Centre Pokémon. Les différences résidaient dans ses fonctions et sans doute dans quelques parties de l'architecture du lieu, presque en tous points semblables à celle d'un Centre classique. De constitution rustique, puisque faite de torchis et de gros rondins de bois, on se demandait bien comment une telle bâtisse avait pu résister aux secousses terrestres qui avaient agité le sol sur lequel elle était fièrement plantée. Une trentaine de chambres étaient mises à disposition des voyageurs de passage, et un restaurant assurait le service dans l'aile est toute la journée et même une partie de la nuit : on pouvait y manger remarquablement bien d'après Lionel et ce, en dépensant peu. C'était un bon point au vu de l'état de nos économies. D'un commun accord, Lionel et moi avions décidé que nous resterions pour la nuit et que nous reprendrions notre route le lendemain, dans la journée.

Je m'avançai vers le Guichet et, tout en marchant sur des œufs après la savon que nous avait passé Joëlle, je tentai le diable en lui demandant de soigner mes Pokémon. Elle haussa un sourcil, puis son visage se radoucit en avisant mes jambes et mon dos.

« J'imagine que le principal est que nous soyons tous sains et saufs. Je vais m'occuper de votre pokémon et surtout de vous ensuite, soupira t-elle en saisissant la pokéball que je lui tendais.
- Merci... Il y a aussi Ponyta dehors. Elle refuse de... Enfin elle et l'autorité... Puis elle est un peu caractérielle. Serait-il possible de vous en charger aussi ?
- Elle n'a jamais eu de Pokéball ? Demanda l'infirmière en relevant le nez de la feuille médicale qu'elle remplissait alors pour Magicarpe.
- Pas à ma connaissance, fis-je sans quitter mon interlocutrice des yeux. Comme je l'ai dit, elle est... spéciale. »

Intriguée, la jeune femme laissa son papier en plan et vint me rejoindre, devant le guichet, afin que je la mène à la jument. Je l'y conduisis avec une sorte d'appréhension : Ponyta n'était pas du genre à se laisser approcher par n'importe qui, et je n'étais même pas certaine d'avoir sa confiance totale, même si, il fallait l'avouer, elle m'avait sauvé la vie de bon coeur lors de cette chevauchée impensable. Couchée, et donc dans une position de faiblesse favorisant une agressivité instinctive, je rassurai Ponyta tant bien que mal et lui fis comprendre que j'allais la soigner si elle acceptait de se montrer un poil coopérative. Non sans grimacer, elle surveilla chacun des mouvements de Joëlle, supporta en grimaçant qu'on palpe ses flancs et qu'on vérifie ses jambes. Plusieurs fois, la jeune femme s'étonna. Je suivais la scène des yeux, aussi inquiète que fatiguée. Lorsque l'examen médical fut terminé, ou presque, Ponyta dut se mettre debout. C'est alors que la plus vive des réactions de l'infirmière se fit entendre. La jument étendit son encolure et s'ébroua doucement, jaugeant Joëlle de toute sa hauteur, une lueur de défi dans les yeux.

« Comme c'est étrange... murmura cette dernière.
- Qu'y a t-il ? M'enquis-je, curieuse.
- Je ne sais pas si vous avez déjà côtoyé d'autres Ponyta mais sachez que votre pokémon est une sorte de marginal si on le compare aux autres spécimens de son espèce.
- Mais encore... ? Poursuivis-je, pas vraiment sûre de tout comprendre.
- La taille d'un Ponyta adulte varie entre un mètre et un mètre vingt des sabots au sommet du crâne. A première vue, votre pokémon doit graviter autour du mètre soixante et ce, simplement au garrot. De plus, si vous observez sa musculature, vous remarquerez qu'elle est particulièrement développée – elle désigna les canons, puis les jarrets de la jument, puis remonta le long du dos, des muscles de l'encolure à la croupe - et cette espèce n'a jamais été réputée pour être des plus costaudes... La nature a été bien généreuse avec votre Ponyta, mais cela m'intrigue. Que mange t-elle ?
- Euh, de l'herbe, du foin, des dopants... Non, je plaisante... Fis-je en souriant exagérément. Hum et elle raffole de la pâte d'amandes. Depuis que je la connais, elle se nourrit comme ça et elle n'a pas grandit d'un poil. Ça étonnait mes parents aussi. »

Joëlle hocha la tête et après un dernier regard à Ponyta, elle s'éclipsa. A tel point que je crus pendant un instant qu'elle n'allait pas revenir. Mais elle revint. Dans ses mains, un plateau d'argent ciselé sur lequel reposaient diverses mixtures, une seringue, une paire de gants, du gel anti-bactérien et une pipette jaugée. Elle posa le plateau au sol, enfila les gants, remplit la seringue d'un liquide verdâtre et s'approcha de Ponyta afin d'anesthésier son jarret : il fallait bien ça pour recoudre. Ce qui arriva par la suite me fit peur.
Dès qu'elle aperçut la seringue pleine, Ponyta hennit bruyamment. Les naseaux pincés, la crinière plus abondante que d'ordinaire, les oreilles couchées et le corps en positon défensive, elle recula de quelques pas puis fit un bond pour s'éloigner au plus vite de l'objet luisant. Ses sabots martelaient le sol, soulevant ainsi d'inquiétants nuages de poussière ocre. Joëlle amorça une autre approche insensée... qui, si je n'étais pas intervenue, aurait pu lui être fatale.
Le recul octroyé par le saut permit à Ponyta de charger l'infirmière à plein régime. Paniquée, je poussai violemment la jeune femme tétanisée qui d'elle même n'aurait pas pu plier un orteil et m'interposai entre la jument furibonde et sa victime. Je remplis mes poumons d'air et levai brusquement les bras en hurlant son nom. Ponyta avait beau être extrêmement belliqueuse, ses réflexes de pokémon sauvage étaient toujours ancrés en elle. Ce mouvement l'effraya et elle s'arrêta net, pour repartir dans l'autre direction.

« T'es vraiment une grande malade toi hein !? On se casse les reins pour te soigner, en remerciement de ce que tu as fait pour moi et Lio et tu attaques celle qui va te remettre sur pieds ?! Je me demande si t'en as vraiment besoin. Une vraie comédienne ! Reste dans ton coin, et ne vient plus chercher des noises à qui que ce soit qui te veut du bien, croupis avec ta blessure... »

J'établis un contact visuel déstabilisant avec Ponyta durant quelques secondes. Dès lors, plus rien n'importait autour. De cette forme impitoyable de combat mental, aucune ne sortit indemne, perturbée chacune par les images prégnantes qui ravageaient la tête de l'autre. Je ne fus pas la première à le rompre. Dès lors, c'était entendu. La tête basse, les yeux vengeurs, Ponyta me jeta un ultime regard. Sans y répondre, je me retournai, aidai Joëlle à se relever et l'accompagnai au guichet. Elle s'y assit, les cheveux en bataille, la poitrine secouée. Un petit pokémon rose jovial qu'elle appela « Leveinard » lui apporta un verre d'eau et se hâta de ramasser les onguents éparpillés sur le plateau d'argent à l'extérieur, en souriant. Les Portes coulissantes se fermèrent sur Ponyta et sur les ennuis tout du moins pour aujourd'hui.

« Tout va bien ? Demandai-je, alors que la culpabilité commençait à me ronger.
- Oh, si vous saviez, c'est n'est pas la plus compliquée que j'aie eu à soigner. Ou peut-être que si finalement. En tous cas, rien n'égale ces gros mâles surpuissants et surentraînés par les dresseurs à coup d'hormones, au mépris de l'équilibre psychologique du pokémon, qu'on m'ait confié au cours de ma carrière, expliqua l'infirmière, les yeux dans le vague, comme si l'évocation de ces souvenirs nécessitait une déconnexion temporaire du reste du monde. Il existe de vraies brutes, insensibles aux belles notions que sont l'amitié, la solidarité et l'amour. Vous verriez ça, c'est parfois consternant. La différence avec Ponyta, c'est qu'elle les connait ces notions, elle. Même si elle se montre hargneuse ou que sais-je. Vous semblez être faites l'une pour l'autre, soupira Joëlle. Bien ! Reprit-elle, une lueur de vie à nouveau logée dans ses pupilles. Pansons vos plaies à vous. »

Ces étranges paroles eurent pour effet d'agiter mon esprit, déjà bien mis sans dessus dessous par tous les évènements de la journée savamment ajoutés à ceux antérieurs à aujourd'hui. Il fallait croire que j'étais encore un esprit faible qu'un rien perturbe. Cette histoire de pokémon berserk me donna tout de même matière à réfléchir et à m'inquiéter surtout, étant donné que ce n'était pas la première fois que j'avais vent de ce phénomène : l'existence de tels monstres, si la description qu'en avait faite Joëlle était exacte, démontrait que le renforcement des mesures prises par rapport à ces pratiques étaient encore facilement contournables et cela, sans grandes difficultés puisqu'on confiait ces pokémon blessés à des institutions, comme les Centres Pokémon, contrôlés par l'état de Kanto et par ceux certainement des autres régions également. Je voulais en savoir plus mais la question était : comment s'y prendre ? De nature franche, j'avais toujours eu tendance à poser les choses de façon claire et plutôt directe afin que la réponse le soit aussi, et ce, en comptant sur la spontanéité de l'interlocuteur. Et puis, après tout... cette affaire ne me regardait en aucun cas, c'eût été étrange qu'une inconnue cherche à récolter des informations qui s'avéraient confidentielles. J'abandonnai donc... provisoirement. L'infirmière revint quelques minutes plus tard et, m'invitant à passer en salle d'examen, m'avait apporté une tasse de thé.

Je posai mon sac à dos dans un coin. La pièce était froide : les murs recouverts d'un blanc cassé fade et une désagréable odeur de détergeant flottant dans l'air. Une odeur corrosive même, qui provenait surement du laboratoire de préparation, situé d'après les panneaux lumineux, derrière la pièce où je prenais actuellement possession du fauteuil réservé aux patients humains.. Sans m'appuyer sur le dossier, j'ôtai ma chemise. Le tissu s'était mêlé au sang coagulé et s'était un peu incrusté dans ma peau. Je dus tirer un peu pour l'en décoller, cela me fit gémir. A présent à moitié nue devant l'infirmière, je me tins droite et attendit les recommandations. Un autre pokémon rose, un peu différent de celui que j'avais vu tout à l'heure fit son entrée dans la pièce. Je cachai ma poitrine instinctivement, rougissante et gênée de me retrouver si peu vêtue face à un pokémon.

« Leuphorie, le chariot je te prie...
- Leuphooo ! » s'égosilla le petit pokémon.

Il s'affaira joyeusement et poussa le chariot de métal jusqu'à la table d'examen. Joëlle saisit une paire de gants qu'elle enfila, immédiatement imitée par Leuphorie qui se dirigea ensuite vers un petit poste encastré dans le mur sur lequel se trouvaient plusieurs bouton qu'il actionna dans un ordre particulier. De la musique douce sortit des hauts parleurs et un parfum fruité se répandit autour de moi. Tout en furetant autour du siège, elle m'expliqua que le nettoyage de la salle venait d'être fait suite à une importante opération, d'où l'odeur. Tout en détaillant le plan des manœuvres à suivre en ce qui concernait mon dos principalement, puis mes jambes et mes mains, elle commença à désinfecter les plaies. Mon bras droit commença à palpiter : la brûlure rayonna un court instant et une fulgurante douleur traversa la cicatrice. N'ayant rien remarqué, la jeune femme poursuivit son ouvrage et, sans aucune anesthésie entreprit de recoudre ce qui devait l'être, minutieusement, comme un orfèvre œuvrant sur un bijou fin. Instinctivement, je serrai mon bras davantage contre ma poitrine et attendit en priant pour que la torture s'achève. Leuphorie me jeta un regard inquiet. Il avait remarqué la lumière, lui.

***

Lionel était resté seul après avoir été soigné par deux jeunes infirmières apprenties et leur avoir confié ses pokémon. Puis, « fuyant » l'absence de son amie, il s'était attablé avec difficulté au comptoir du bar de l'Aire, et fixait désespérément l'élégant verre, plein d'un alcool doux, commandé avec zèle et assurance quelques minutes plus tôt, qu'il avait à présent peur d'ingurgiter. Ce n'était pas tout : le jeune homme réfléchissait lui aussi, même si l'objet de ses pensées n'était pas totalement le même que celui de Marine. Contre toute attente, c'était justement de Marine qu'il s'agissait. Elle et Ponyta venaient de lui sauver la vie alors que quelques heures plus tôt ils se seraient entre-tués, ça le perturbait. Lionel avait une façon particulière de réfléchir. Comme Marine, il se laissait guider par les sentiments, au risque de se tromper ou d'inventer des choses qui n'avaient pas lieu d'être.
Cet acte démontrait par a plus b qu'il comptait pour la jeune fille et, repassant rapidement tous les événements des derniers jours dans son esprit, son départ, son discours avant de la quitter, les retrouvailles... Tous ces éléments bousculaient sa perception des choses.
Et puis, qui était ce jeune homme qui avait permis à l'Aire de rester sur pieds et avec qui Marine discutait tout à l'heure ?
Sans réfléchir davantage, il saisit le verre et en avala le contenu tout rond. Il toussa.

***

J'étais enfin sortie de ce bloc affreux. Durant tout le déroulement de ma remise sur pieds, j'avais été observée par Leuphorie. Je sortis de cette pièce avec comme ami provisoire un profond malaise. Je ne savais pas où était Ponyta mais qu'importait, il fallait qu'elle comprenne son erreur. On m'avait offert une chemise neuve ainsi qu'on pantalon ; j'avais accepté avec plaisir, je voyais là une occasion d'économiser mon linge propre... Mon sac à dos sur l'épaule fraîchement rafistolée, je me dirigeai vers la chambre que l'on m'avait attribuée. Je passai devant le comptoir de l'Aire et je vis Lionel avaler une mixture à la couleur étrange. Percluse et exténuée, je gravis les marches des escaliers en titubant et je ne tardai pas à m'écrouler sur le lit, providentiellement apparu lorsque j'ouvris la porte d'une chambre lumineuse portant le numéro 24 que je n'eus pas le temps de détailler davantage. Je fermai les yeux. Ce fut Leuphorie qui referma la porte restée béante.