Une taverne de bouseux et un guide
Notre groupe trouva enfin l'auberge qui servait de lieu de rendez vous improvisé. Lorsqu'ils entrèrent, ils furent d'abord soulagés d'être enfin au sec et à la chaleur. Voyant la mauvaise fréquentation du lieu, Cynthia préféra garder son grand manteau noir à capuchon sur elle. De nombreux barbus engloutissaient des pintes entières, ricanaient, jouaient avec des cartes ou des rats au milieu d'une atmosphère lourde, malsaine et chargée de fumée.
Frodon s'approcha du tavernier, un homme gras et débonnaire qui se prénommait Prosper Poirdebeurré. Celui ci le regarda et parla avec la plus grande courtoisie.
-Bonjour petit monsieur. Que puis-je pour votre service ?
-Nous sommes des amis de Gandalf le Gris. Pouvez vous nous annoncer à lui ?
Le tavernier répéta ce nom en fouillant dans sa mémoire avant de sortir une description détaillée du magicien. Devant le sourire du hobbit, l'aubergiste cassa l'espoir de Frodon en annonçant que cela faisait six mois que le pèlerin gris n'avait pas mis les pieds dans la taverne.
-Mais dites moi, à qui ai-je l'honneur ?
-Je m'appelle …
Cynthia lui mit un coup de coude dans les cotes et lui lança un regard noir.
-Je m'appelle Soucolline.
La compagnie voyait son moral descendre rapidement. Ils étaient en milieu hostile et leur rendez vous avait été ajourné pour une durée indéterminée. Fatalement, ils s'installèrent et commencèrent à consommer. Assis à la table, Sam se demandait ce qu'il fallait faire, tout en observant du coin de l'œil un individu encapuchonné. Frodon espérait la venue du magicien car il faisait aveuglément confiance en son protecteur.
-Il va venir, j'en suis sur.
Alors que la tension montait, Merry revint avec une bière fraîche. Pippin le regarda et demanda la nature de la boisson.
-Ceci mon ami, est une pinte.
-Il ne servent que des pintes ? J'en veux une !
Sam fit preuve de modération et tenta de raisonner Merry.
-Mais, il vous en reste une à moitié pleine !
Merry alla s'installer au comptoir pour descendre un verre de cette excellente bière. Cynthia, comme a son habitude, terminait son verre d'eau. Elle était toujours à l'abri des regards sous sa cape et sa capuche. Sam lui lança un coup d'œil.
-Tu n'as pas chaud la dessous?
-Si, mais je ne me montrerai pas. Regarde tous ces types autour de nous. Honnêtement, ils me font peur, je préférerais qu'ils ignorent que je suis une femme.
Cynthia se leva et se dirigea vers le fond du bar pour soulager une envie pressante. En ressortant, elle heurta une personne et tomba sur le sol de l'arrière salle. L'homme grogna, vexé d'avoir été heurté.
-Tu peux pas faire attention ou tu mets les pieds ? Je te … une femme ?
Cynthia était gênée. Son camouflage ne lui servait plus à rien, elle n'avait plus qu'à espérer qu'il ne serait pas animé de mauvaises intentions.
-Pardonnez moi, je ne voulais pas vous faire de mal.
-Tu peux toujours te faire pardonner ma belle.
Cynthia n'aimait pas le tour que prenait la conversation. Un sale pervers de plus allait essayer de s'attaquer à elle mais cette fois ci, elle n'avait pas d'arme pour lui résister. Elle se releva pour lui faire face et fut aussi caustique qu'un Tadmorv.
-N'y pense même pas. Tu n'es qu'un porc puant, un sac de viande suintant de la graisse. Ecarte toi de mon chemin.
L'idiot tenta de poser ses mains sur elle et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle lui avait attrapé le bras, fait une clé et l'avait assommé. Elle regarda l'homme inconscient et s'éloigna rejoindre le reste du groupe.
Tandis que Sam et Merry discutaient de champignons, Pippin descendait une autre pinte. Frodon n'écoutait pas la conversation et se contentait de tripoter son anneau. Obnubilé par l'objet, il ferma les yeux et entendait un murmure dans son esprit. Une petite voix glaciale et ténébreuse l'appelait.
-Sacquet … Sacquet … Sacquet … SACQUET !
Le hobbit ouvrit brutalement les yeux lorsqu'il entendit son nom prononcé.
-Sacquet ? Sur que je connais un Sacquet. Il est ici, Frodon Sacquet ! C'est mon petit cousin au second degré du coté de sa mère …
Cynthia et Frodon virent l'inconscience de Merry. Cet idiot avait déjà plusieurs litres de bière dans le corps et l'alcool avait une fâcheuse tendance à délier les langues. Il fallait l'arrêter avant qu'il ne dévoile tout ce qu'il savait. Frodon se précipita et attrapa son cousin germain pour le faire taire. Dans sa manœuvre, il renversa la bière de Merry.
-Fais attention !
Poussé par le buveur invétéré, Frodon recula et trébucha sur une botte. Il lâcha le petit anneau d'or qui s'envola, à la stupéfaction de l'individu boueux installé dans un coin de la salle. Frodon tendit la main et enfila l'Anneau Unique avant de disparaître à la surprise générale.
Le jeune Sacquet se retrouva dans une autre réalité. La taverne et tous les êtres avaient soudainement laissé place à une immense étendue grise. Tout autour de lui, des formes sombres comme des ombres floues se dressaient, à l'exception d'une seule. A ses cotés, il vit une personne qu'il reconnaissait. Cynthia le regardait, comme s'il était visible aux yeux de la blonde. En elle même, Frodon vit un serpent ailé endormi et superposé à l'image de la dresseuse, comme si les deux ne faisaient qu'un.
Alors que la personne féminine le regardait avec insistance, son esprit fut détourné par l'apparition d'une autre entité. La nouvelle puissance n'était rien qu'un immense œil sans paupières, entouré de flammes. L'être ténébreux fixa le porteur de l'anneau et sa voix grave retentit.
-Vous ne pouvez pas vous cacher. Je vous vois. Il n'y a pas de vie dans le néant, seulement la mort.
Alors que l'œil de Sauron voyait le lieu ou était son anneau, La créature mi-femme, mi-serpent attrapa Frodon par le bras et l'éloigna du grand œil. D'un geste, Frodon retira l'Unique.
Cynthia soupira de soulagement.
-Ne refais jamais ça !
L'homme encapuchonné qui les observait s'approcha d'eux.
-Vous attirez bien trop l'attention sur vous, Monsieur Soucolline.
Il fit monter Frodon et Cynthia dans sa chambre et éteignit rapidement toute source de lumière. Frodon se recroquevilla dans un coin tandis que Cynthia se relevait et jugeait l'homme du regard.
-Que voulez vous ?
-Un peu de prudence de votre part, car vous ne transportez pas une babiole.
-Je ne transporte rien du tout.
-Bien sur Frodon, nous te croyons tous.
Le rôdeur dévoila son visage juste avant que Sam, Merry et Pippin n'entrent. Ils tentèrent de menacer l'épéiste avec un tabouret et un chandelier.
-Vous êtes un vaillant cœur, maître hobbit. Mais cela ne vous sauvera pas, je sais ce qui vous poursuit.
Les six se retrouvèrent dans la chambre du rôdeur. Celui ci se surnommait Grands-Pas, de son vrai nom Aragorn. Frodon posa une question qui le taraudait.
-Quand j'ai mis l'anneau, tout était flou. Ou étais-je ?
Aragorn répondit.
-Vous étiez dans le monde des ombres. Ce qui est visible devient trouble mais ce qui est invisible apparaît clairement. Vous pouvez alors voir ce que vous ne pouviez que ressentir.
-Justement. Quand je t'ai regardé Cynthia, il y avait une sorte de serpent en toi. Tu étais aussi claire que dans le monde réel.
Aragorn fut surpris.
-Etrange. En général, seul les ombres du seigneur noir ont ces caractéristiques.
Cynthia sentit qu'il était temps de donner quelques explications. Elle fit un court récit de son histoire récente en occultant quelques passages, notamment ce qui se passait sous ses draps et qui ne regardait qu'elle. Une fois qu'elle termina son récit, les questions fusèrent.
-Tu as fait un pacte avec un dieu des ténèbres ?
-Tu as des pouvoirs ?
-Tu es de la même nature que les cavaliers noirs ?
-Tu es fiancée ?
Tout le monde se retourna vers Pippin et sa question déplacée. Cynthia les rassura sur ses intentions.
-Ne craignez rien, je ne traite pas avec ces cavaliers. Si tu veux une preuve, sache que contrairement à ces créatures, je suis aussi réel que toi. Maintenant, il faut que je me repose.
En pleine nuit, La porte de l'auberge s'ouvrirent, laissant entrer des silhouettes vêtues de longues capes et d'épées mortellement tranchantes. Aragorn et Frodon ne dormaient pas, faisant le guet de la chambre que la compagnie aurait normalement du occuper, tandis que Cynthia était à moitié endormie. Lorsque les cinq entrèrent dans la chambre réservée par les hobbits, ils transpercèrent draps, sommiers et édredons à de multiples reprises. Une fois la supercherie dévoilée, les assassins sortirent furieux en poussant leurs horribles cris.
Les trois hobbits encore endormis se levèrent en sursaut. Frodon et Cynthia regardèrent leur sauveur.
-Que sont-ils ?
Aragorn leur raconta comment neuf rois acceptèrent des anneaux de pouvoir et se firent entraîner dans les ténèbres.
-Ce sont les Nazgûl, ni vivants, ni morts. A tout moment ils sentent la présence de l'anneau. Ils vous traqueront sans relâche, jusqu'à ce qu'ils le retrouvent.
Aragorn leur expliqua la situation. Ils ne pouvaient pas attendre Gandalf et devaient se rendre à Fondcombe. A cette nouvelle, Sam bondit de joie à l'idée de voir des elfes. C'est ainsi que le groupe continua son périple, guidé par un pisteur hors pair connaissant tous les chemins dans les pays sauvages.
Leur périple fut marqué par de nombreuses journées de marche dans les collines et les terres désertes ou la neige n'avait pas totalement disparu.
Un matin, Cynthia se plaça aux cotés d'Aragorn pour observer la route à suivre. Dans le lointain, on pouvait distinguer une petite tour en ruines. Le guide de la communauté se retourna et s'adressa aux hobbits qui préparaient leur repas.
-Messieurs, nous ne ferons pas d'arrêt avant la tombée de la nuit.
Pippin fut le plus surpris et s'écria.
-Et notre petit déjeuner ?
-Vous l'avez déjà pris.
-Le premier c'est vrai, mais qu'en est il du second petit déjeuner ?
Cynthia regarda Aragorn qui était bouche bée devant l'appétit insatiable du hobbit. Finalement, il préféra ne rien dire et se retourna.
Merry regarda son ami et se montra désolé.
-Il a pas l'air au courant pour le second petit déjeuner Pippin.
-Mais … la collation de 11 heures, le déjeuner, le goûter, le dîner, le souper ? Il est au courant pour ça, n'est ce pas ?
-Vaut mieux les oublier.
Merry tapa affectueusement sur l'épaule de son ami, comme lorsque l'on console une personne ayant perdu un être cher. Il attrapa de justesse un pomme avant de croquer dedans. Pippin n'eut pas tant de chance, le fruit l'atteignant à l'arcade sourcilière, pour le plus grand amusement de Sam et de Cynthia.
Le lendemain soir, après une marche éprouvante à travers des collines, ils arrivèrent en vue d'une colline surmontée de ruines. Aragorn l'identifia comme étant la grande tour de garde d'Amon-Sûl. Ils passeraient la nuit à cet endroit.