3 - Craignez d'être sa haine
---I---
Aurore sortit la première du bâtiment de l'Arène officielle d'Unionpolis, son chapeau volontairement enfoncé profondément sur sa tête, pour atténuer les éclats de rire qui venait du fond de la salle. « Revenez quand vous voulez, see you soon, hahahahaha ! » L'accent britannique de Kimera démultipliait son rire. Le visage de Sacha était aussi rouge qu'un charbon ardent.
« Je n'ai jamais été aussi humilié de ma vie ».
Pierre était visiblement embarrassé.
« Bah, euh, c'est vrai qu'un trois-zéro dans la vue en n'utilisant qu'une seule et même attaque, j'ai rarement vu un de tes matchs se conclure de cette façon, Sacha !
- Et moi je t'ai rarement vu combattre avec une telle désinvolture ! renchérit la jeune fille brune. On aurait dit que tu ne regardais même pas le combat !
- Mais c'est pas vrai, grogna le dresseur. J'étais concentré, Kimera est très forte voilà tout !
- Elle n'a utilisé qu'un Baudrive, et elle s'est contentée de te lancer en chaîne des Ball'Ombres ! Je crois que c'est toi qui a été en dessous de tout, oui.
- Hey ! Répète un peu ! cria Sacha se précipitant sur Aurore.
- Holà, calmez-vous un peu, dit Pierre en s'interposant. Aurore, tu ne crois pas que tu ferais mieux de soutenir Sacha après sa défaite ?
- Si… si… désolée, Sacha…
- Bon ! Je crois qu'on a tous besoin de repos, je suggère qu'on aille faire le point au Centre Pokémon. Et d'ici là, je ne veux pas vous entendre. »
Sacha grommela, ajusta sa casquette, et partit les mains dans les poches, en traînant les pieds.
***
« Allez-vous-en ! Ca suffit ! Hypotrempe, utilise ton Pistolet à Eau !
- Hyyyyyyypo ! »
Le petit Pokémon hippocampe prit son inspiration, et balaya l'entrée de l'Arène d'Azuria d'un puissant jet d'eau qui doucha les ardeurs des journalistes qui en faisaient le siège. L'un d'eux se lamenta sur le sort de sa caméra, qui n'avait pas été prévue pour les douches sauvages. Daisy claqua la porte principale avec colère. La petite pancarte « Fermé » se déplaçait encore sur la poignée.
« Je vais craquer, je vais craquer, je vais craquer. Mais POURQUOI a-t-elle pris Léviator avec elle, ça nous aurait évité pas mal d'ennuis… »
Daisy s'affaissa sur une chaise et prit sa tête dans ses mains. « On n'y arrivera jamais, déjà deux semaines que l'arène est fermée et nous n'avons pas réussi à rouvrir ! Les Pokémon doivent recevoir des soins, et Ondine a pris les meilleurs avec elle…
- Elle a pris SES Pokémon avec elle, remarqua Violette.
- Oui, bon ! »
La conversation fut interrompue par des coups redoublés sur la porte.
« L'arène est fermée ! Vous ne savez pas lire ?! cria Daisy
- Veuillez ouvrir s'il vous plaît, dit une voix féminine. Inspection de la Ligue Indigo.
- Oh non… chuchota Daisy, il ne manquait plus que ça… »
***
Sacha entra au Centre Pokémon, suivi d'Aurore. Pierre les précédait. A peine les portes se furent-elles ouvertes qu'il était déjà agenouillé devant le bureau de l'accueil, ses yeux dépassant à peine du rebord.
« Oh Infirmière Joëlle ! Vite, c'est une urgence, j'ai absolument besoin de vos compétences !
- Euh oui, mon jeune ami, que se passe-t-il ? s'inquiéta la jolie infirmière, dans son éternelle tenue.
- Je... »
Pierre fut interrompu par une douleur fulgurante à sa hanche droite. Cradopaud avait encore frappé.
« Aaagh… Je vais… plutôt… passer en… salle d'attente… argh.
- Cradoo... dit le Pokémon en traînant son dresseur à l'autre bout du Centre. De plus en plus rapide celui-là pensa Aurore.
- Infirmière Joëlle, intervint Sacha, j'aimerais que vous vous occupiez de mes Pokémon, ils ont dû faire un dur combat dans l'Arène d'Unionpolis.
- Une lourde défaite tu veux diiiiire ! »
Sacha venait d'écraser le pied d'Aurore avec son talon.
« Mais ça ne va pas la tête !
- Je commence à en avoir marre de tes allusions, répondit le jeune dresseur d'un ton vexé.
- Ne criez pas dans mon hôpital, dit l'Infirmière. Je vais m'en charger. Ton Pikachu veut-il venir ?
- Oui, allez, vas-y Pikachu, repose-toi bien !
- Pikachu ! répondit la petite souris avec son enthousiasme habituel. »
Lorsque les trois amis furent attablés, le silence qui pesait entre eux devint vite insupportable, alors que Sacha avait ostensiblement les bras croisés, et qu'Aurore frottait son pied encore douloureux.
« Alors, heu, qu'est-ce que vous mangez ? amorça Pierre.
- Pas faim.
- Mais qu'est-ce qu'il y a de si important, là ? attaqua Aurore, bouillante d'énervement. Tu ne décroches pratiquement plus un mot gentil depuis Verchamps, tu fais la tronche, tu te fais étaler dans l'arène sans réagir, Tortipouss était complètement évanoui quand tu l'as rappelé et tu restes là sans rien faire. Et, EN PLUS, tu n'as pas faim. Qu'est-ce qui se passe ? »
Les épaules de Sacha s'étaient crispées de plus en plus au long du discours d'Aurore. Pierre l'a remarqué et il se passe la main sur le visage. Aïe, aïe, aïe…
« Mais en quoi ça te concernerait, Aurore ? Je t'ai pourri ta soirée comme ça quand tu as perdu tes trois premiers concours ? Non, et pourtant j'aurais pu, car c'est pas une fois que tu t'es plantée, c'est trois fois, alors t'es gentille, tu en fais de même pour moi. »
Sacha était rouge de colère. Elle ouvrit grand les yeux, et, sentant les larmes monter, elle se leva, et se précipita à l'étage, dans sa chambre. Pierre poussa un long soupir. « Tu es content maintenant ? »
***
La jeune femme qui ressemblait furieusement à un Agent Jenny du corps de police Pokémon rentra dans l'Arène d'Azuria lorsque Daisy lui eut ouvert la porte. Elle découvrit son insigne frappée du sigle C.I.P.
« Bonjour, je suis l'Inspectrice Jenny de Céladopole, je suis envoyée par le Conseil d'Inspection Pokémon de la Ligue Indigo en mission d'urgence pour l'inspection de votre Arène.
- Mais… tenta Daisy, nous n'avons pas été prévenues de votre visite !
- C'est tout à fait normal, les inspections d'urgence se font toujours à l'improviste.
- Ah… Eh bien… Allons-y alors… »
Daisy mena Jenny à travers les locaux de l'arène qu'elles s'étaient efforcées de tenir propre. Avec les événements des derniers jours, une inspection de la Ligue était de plus en plus inéluctable. Une des meilleures Arènes du circuit Indigo ne pouvait pas rester fermée comme ceci en pleine saison, alors que le Tournoi se tenait dans quelques semaines. Jenny s'attarda longtemps dans la salle principale – celle pourvue du bassin gigantesque où se déroulaient les matchs, ainsi que dans les vestiaires et la zone réservée aux Pokémons des champions. Tout en notant un tas de choses sur son carnet, elle eut à plusieurs reprises une moue dubitative, qui finalement se changea en un sourire satisfait. Daisy, qui scrutait avec anxiété tous les mouvements du visage de l'inspectrice, passa de l'accablement à l'espoir aussi vite qu'un Pikachu ayant repéré un tas de pommes rouges. En vérité, si quelqu'un s'était amusé à scruter à son tour le visage de Daisy, il aurait eu furieusement du mal à comprendre comment elle avait pu briller dans les concours de beauté locaux. La jeune femme blonde retint son souffle lorsque Jenny eut terminé sa visite.
« Bien, cette Arène me semble véritablement très bien tenue. Le départ d'Ondine n'a pas eu de véritables préjudices à ce niveau là.
- Nous avons fait très attention depuis que nous sommes rentrées, Inspectrice Jenny. Et, bon, même si ce n'est pas facile à admettre, Ondine a fait du très bon travail jusqu'ici.
- Nous le savons, Azuria faisait partie des candidats pour l'accession au titre d'Arène Extrême de la saison suivante. »
Les yeux de Daisy s'allumèrent d'un éclat brillant, plein d'envie.
« C'est… c'est vrai ?
- Bien sûr. Oh, mais autant vous dire tout de suite de ne plus compter dessus à l'heure qu'il est. »
Daisy baissa la tête lourdement. Evidemment… Adieu les flashs et le prestige du Tournoi Extrême…
« En fait, l'Inspection n'est pas terminée. Si vous voulez qu'Azuria conserve son titre, il va déjà vous falloir rouvrir dans les plus brefs délais, et passer avec succès un match-test contre un de nos Inspecteurs.
- Un… un match-test ?
- Oui, un match qui sera observé par nos contrôleurs de la Ligue Indigo afin de savoir si Azuria est encore digne de figurer dans le circuit de Kanto.
- Un match d'inspection ? Mais cela fait des années qu'on n'en a pas eu !
- Oui, parce qu'une fois que le Champion d'Arène a son titre, les inspections n'ont plus lieu d'être. Mais autant vous dire que dans votre situation, vous n'allez pas y couper. »
Daisy s'étreignit le bras, en signe d'incertitude.
« Mais, nous devons faire un match, là, avec vous ?
- Oh non, pas avec moi ! L'Inspecteur se présentera à l'arène incognito, comme un challenger normal. Histoire que vous soyez véritablement dans les conditions habituelles, répondit Jenny avec un sourire, que Daisy ne parvint pas à décrypter ; était-il amical ou volontairement ironique ? »
Génial… Encore une bonne nouvelle…
« Bien, je vais vous laisser, je vais envoyer mon rapport préliminaire à la Ligue Indigo. Vous devrez rouvrir au plus tard dans 3 jours afin d'accueillir les dresseurs qui le souhaitent. Notre inspecteur ne tardera pas, je pense. Vous recevrez la conclusion du rapport une semaine après sa visite, avec vos résultats. Bonne chance, Mademoiselle.
- Merci… répondit Daisy d'un ton volontairement blasé. »
Lorsque l'Inspectrice Jenny eut quitté les lieux, Violette et Lily vinrent immédiatement aux nouvelles auprès de leur sœur. Toutes trois tombèrent d'accord très vite : Ondine devait revenir, où Azuria serait déclassée…
***
Sacha maugréait tout seul sur un des fauteuils du hall du Centre Pokémon d'Unionpolis. Pikachu se tenait à côté de lui, la mine basse. Il ressentait autant l'atmosphère crispée qui régnait dans leur groupe que l'inquiétude de Sacha, qu'il avait rarement vu comme ça.
« Pikachupi…
- Oui Pikachu. Merci, tout va bien, répondit son dresseur en souriant.
- Autant personne ne croit Aurore lorsqu'elle dit qu'il ne faut pas s'inquiéter, autant j'ai beaucoup de mal à te croire lorsque tu dis que tout va bien. »
Pierre s'assit avec un soupir à côté de son ami de toujours, qui ne lui répondit pas.
« Encore Ondine ? dit-il doucement. »
Sacha détourna les yeux, et rougit furieusement.
« Encore et toujours… dit Pierre en s'étirant.
- Qu'est-ce que tu insinues Pierre ?
- Oh moi j'insinue rien. J'ai arrêté, depuis le temps. »
Le silence s'installa entre les deux. Au moins j'ai réussi à le faire parler, pour trois mots, se dit Pierre. On va peut-être s'en contenter.
« Si je n'ai rien à insinuer, je n'ai pas moins compris ce qui se passe. Aurore, par contre non, tu imagines l'état dans lequel elle est en ce moment ?
- Qu'est-ce que ça peut faire ?
- Sacha…
- Excuse-moi. »
Le dresseur du Bourg Palette agitait frénétiquement sa jambe, à tel point que Pikachu sauta rapidement sur le fauteuil rouge, à côté de son dresseur.
« Tu devrais aller lui parler.
- A qui ?
- A Aurore, évidemment, à qui d'autre ?
- Oui, évidemment. Mais, pour lui dire quoi ?
- Je ne sais pas. Je ne suis pas sûr que tu pourrais lui dire quelque chose de pire que tout à l'heure. Tu pourrais au moins t'excuser, et puis lui expliquer ce qui ne va pas, vu que tu n'as pas l'air d'avoir envie de m'en parler à moi.
- Mais tout va bien !
- Ce sera plus facile avec elle peut-être, elle ne connaît pas Ondine, c'est vrai !
- PIERRE !
- Allez, bonne nuit Sacha, on se retrouve dans la chambre. »
Et il le planta là.
---II---
Ondine s'était arrêtée au Centre Pokémon de Joliberges pour la nuit. Elle l'avait facilement reconnu, sans jamais y être entrée. Comme à Kanto ou à Johto, les Centres étaient généralement les bâtiments les plus aisément identifiables dans chaque ville. Comme à chaque fois, elle fut accueillie avec gentillesse et bienveillance par l'Infirmière Joëlle locale. Elle s'apprêtait à attraper au vol l'oreille de Pierre, mais soupira bien vite. Elle était seule à Joliberges, seule à Sinnoh. La discussion avec Paul avait tourné court ; après trois réflexions blessantes de sa part, elle l'avait planté là – à sa plus grande satisfaction apparemment. Qu'elle avait eu envie de lui fracasser sa grosse tête contre le premier arbre venu ! Tiens, encore un qui s'entendrait bien avec Sacha je présume… Agacée, elle avalait sans y penser les morceaux de viande de son assiette – un repas habituel dans les Centres : jamais bien original, mais toujours suffisant. Et je n'ai même pas pensé à lui demander s'il le connaissait. C'est bien possible après tout, ils sont dans la même Ligue tous les deux, ils se sont peut-être rencontrés. Mais Ondine secoua la tête d'un air dépité. Encore un faux espoir ; mais que croyait-elle donc ? La meilleure solution serait presque de rentrer à Azuria. Quelle humiliation…
Azuria… A force de retourner ce nom dans sa tête, il lui sembla l'entendre vraiment, jusqu'à ce qu'elle lève les yeux vers le poste de télévision allumé dans le hall du Centre, qui diffusait un reportage de Sinnoh Live News sur son arène. Elle reconnut sa sœur Daisy sur l'écran. « … aucune nouvelle à l'heure actuelle. Oui, nous commençons à être très inquiètes, elle ne nous a laissé aucun mot d'explication, nous ne savons pas où elle peut bien être. Ondine, si tu m'entends, je t'en prie, fais moi un signe, n'importe lequel. Et pour répondre à votre question, la réouverture de l'arène est pour l'instant le cadet de mes soucis, Kanto dispose de bien d'autres badges officiels pour satisfaire les dresseurs, en attendant qu'on retrouve notre sœur ! »
La jeune rouquine prit son verre à deux mains et le fit tourner, ses yeux fixant le petit tourbillon qui se formait à la surface de l'eau. Sa petite escapade allait laisser des traces. Elle sentait un poids sur l'estomac après avoir vu sa sœur s'inquiéter pour elle. Ses relations avec Daisy s'étaient sensiblement améliorées depuis leur retour de leur tour du monde, mais cette décision subite n'allait pas arranger les choses, loin de là. Pour l'instant, elle était tranquille, personne ne la reconnaissait. Il semble que son seul atout physique pour se faire remarquer serait toujours sa fameuse queue de cheval. Ce sera toujours « trois sœurs sensationnelles » et « un avorton », même si le temps passait… Ondine eut une petite exclamation lorsqu'elle entendit la porte du Centre s'ouvrir brutalement sur une voix dure et ferme.
« Infirmière, mes Pokémon ont besoin de soins. »
Paul, encore lui. Il n'avait pas encore quitté Joliberges malgré ce qu'il disait à la jeune fille tout à l'heure.
« J'arrive, jeune homme. Gardez votre calme, répondit l'Infirmière Joëlle, suivie de son Leveinard. »
Paul eut un haussement d'épaules, le temps de se retourner vers les tables, et de voir la jeune fille rousse qui l'avait si agacé quelques heures plutôt.
« Encore toi. »
Elle serra les dents de rage. Quelques années auparavant, ce genre de remarques l'aurait fait sortir immédiatement de ses gonds. Sacha s'en souvenait encore. Hum, non, visiblement, Sacha ne s'en souvient plus…
« Enchantée que ça te fasse tellement plaisir de me revoir, Paul. »
Il la gratifia de son éternelle expression de dédain, et marcha d'un pas décidé vers les escaliers qui menaient aux chambres. Ondine but une gorgée d'eau. C'est ça, va te coucher, t'as l'air d'avoir besoin de repos, petit prétentieux.
***
Le lendemain matin, Ondine était la première debout. Il ne fallait pas qu'elle tarde trop, et rester enfermée à Joliberges commençait à lui taper sur les nerfs. Oui, d'accord, mais je ne sais toujours pas où aller ni ce que je vais faire. Elle se retourna lorsqu'elle entendit un très long soupir qui dégringolait des escaliers.
« Je dois manquer de chance. J'ai voulu me lever tôt pour éviter de te croiser, et voilà tu es là, à cette heure-ci. Ca commence à devenir agaçant.
- Ca suffit, espèce de malotru ! On ne t'a jamais appris la politesse avec les filles ?
- J'ai appris à ne pas m'astreindre à respecter les dresseurs de troisième catégorie.
- Qu'est-ce que tu viens de dire ?
- Ce que tu as entendu. Oh, et pas la peine de me proposer un match, j'ai appris à ne pas respecter ET à ne pas combattre contre les dresseurs de troisième catégorie. »
Le visage d'Ondine semblait devenir aussi vif que ses cheveux. Paul rit sous cape.
« Pitoyable. A vrai dire tu me rappelles quelqu'un. Allez, salut. »
Paul se dirigea vers l'accueil et récupéra les six Pokéballs déposées sur un plateau à son nom. Il les rangea, mit les mains dans ses poches et se dirigea vers la sortie. Ondine restait sans voix. Réveille-toi, c'est le moment de lui demander.
« Paul ? »
Le dresseur s'arrêta et ses épaules se crispèrent.
« Quoi encore ?
- Je voulais savoir si tu as entendu parler d'un dresseur qui s'appelle Sacha et qui concourt pour la Ligue Sinnoh ? »
Paul se retourna alors vers la rousse avec un sourire malsain, avant d'éclater de rire.
« Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?
- Ce clown ? Concourir pour la Ligue Sinnoh ? C'est bien, tu as au moins le mérite de me faire rire ! »
Ondine manqua un battement de cœur. Elle ne nota même pas les insultes de Paul envers Sacha.
« Tu… tu le connais ?
- Malheureusement oui. Visiblement toi aussi. »
La jeune fille rougit légèrement sous le regard circonspect du dresseur.
« En fait ça ne m'étonne pas. Un dresseur pitoyable a des amis pitoyables. »
Mais pour qui se prend-il ?
« Je ne vais pas te laisser l'insulter et m'insulter sans rien faire, Paul !
- Oh (il marqua une pause). Comme c'est touchant, dit-il avec un sarcasme satisfait.
- Tu sais où il se trouve ? continua Ondine sans relever l'allusion.
- Non et c'est le dernier de mes soucis. Il doit être en train de courir après son 3ème badge, ou 4ème s'il a eu de la chance. Peut-être à Unionpolis, qui sait, il est tellement lent ! » Paul recommença à rire.
- Dis-donc, j'ai l'impression que tu n'as pas appris non plus à respecter tes adversaires.
- Parce que ce n'est pas un adversaire. C'est juste un pitoyable dresseur qui fait l'imbécile avec ses Pokémon et ses amis ».
Ondine tiqua. Elle croyait Sacha parti seulement avec Pierre à Sinnoh.
« Ses amis ?
- Bah, sa petite amie ridicule et le grand benêt qui l'accompagne. »
Le sang d'Ondine ne fit qu'un tour. Elle se força à déglutir péniblement, pendant que Paul l'observait, rigolard. Sa petite idée pour mettre des bâtons dans les roues de Sacha venait de prendre forme. Il ne lui avait pas fallu bien longtemps pour comprendre que cette « Marie » voulait le retrouver pour d'autres raisons qu'un match Pokémon.
« Sa… petite… amie ?
- Hé bien oui, un brune avec un chapeau, toujours en train de se recoiffer. Ils vont bien ensemble en tout cas, comme lui, elle est tout à fait agaçante et elle te tape sur les nerfs en deux minutes. Ah bah, un peu comme toi en fait, il doit toutes les choisir sur le même modèle !
- JE TE DEFENDS DE ME COMPARER AVEC… »
Ondine ne termina pas sa phrase ; elle se leva en reversant sa chaise et en écrasant son plateau et le reste de son jus de fruit sur la tête de Paul, qui resta bouche bée ! Le temps qu'il se débarrasse de toutes les céréales qui lui dégoulinaient sur les joues, la rouquine avait déjà disparu, laissant grande ouverte la porte du Centre, et lui souriait déjà, ravi d'avoir pu mettre cette fille sur la route de Sacha. La brise légère et chaude qui pénétrait dans la salle semblait porter en elle les traces de la fureur de la championne d'Azuria.
***
Lorsqu'Ondine sortit du Centre Pokémon, les flammes dansaient dans ses yeux, et elle avait ouvert la porte tellement violemment qu'elle n'avait pas noté le grand bruit sourd sur son passage. Derrière la porte, Charles de la Team Rocket était étendu à terre, assommé par la poignée de la porte, sur laquelle il se penchait pour guetter le départ de la rouquine.
Avant de perdre le compte des Roucool qui semblaient tourner au dessus de sa tête, Charles lâcha à une Bolly dépitée sur le bord du chemin « cette petite… a… une sacrée poigne… gaaaah ». Il s'écroula. Sa camarade soupira et l'attrapa par les pieds pour le traîner le long de la route. « Unionpolis est encore loin… »
---III---
La tête profondément enfoncée dans son oreiller, Aurore sanglotait dans la pénombre de sa chambre. Lumière éteinte, seul le faible éclat de la lune cachée par les nuages de Sinnoh permettait de distinguer les formes dans la petite pièce. Son sac avait été jeté depuis la porte, par terre, et la jeune fille s'était précipitée sur son lit, sans avoir pris la peine de se changer. Elle avait simplement enlevé son éternel chapeau, qui gisait au pied de la table de nuit, d'où il avait apparemment glissé.
Aurore enfonça une de ses mains sous son oreiller, déjà mouillé par les rares larmes qu'elle parvenait à relâcher. Jamais Sacha ne lui avait parlé de cette manière, Sacha qu'elle idéalisait tant depuis qu'elle l'avait rencontré. Si fort, si courageux, toujours là pour la soutenir, pour l'encourager, pour rire avec elle. Et depuis quelques jours, distant, perdu dans ses pensées. Il lui semblait avoir disparu de la circulation. Elle ne pensait pas ressentir une telle frustration, une telle tristesse à l'idée d'être séparée de force du groupe. Car Pierre savait ce qu'il se passait, elle le voyait bien. Ils se connaissent depuis si longtemps tous les deux. Aurore, elle, n'était là que depuis même pas un an. Tant de choses qu'ils ne s'étaient pas dites…
Le regard perdu vers le mur blanc de sa chambre, elle entendit le léger bruit de la poignée de porte qui s'abaisse, et le léger grincement des gonds. Elle se frotta rapidement le visage ; mais l'obscurité ambiante la préservait de toute remarque sur ses yeux rouges. Restait à savoir qui venait de rentrer.
« Aurore, tu es là ? »
Ah. Voilà une visite à laquelle elle ne s'attendait pas. Elle se redressa, appuyée sur son coude, et se retourna.
« Ou… Oui, oui, je suis là. Qu'est-ce que tu veux ? »
Sacha s'approcha du lit, et s'assit à son extrémité. Il retira sa casquette pour libérer sa tignasse brune.
« Je… je voulais m'excuser pour tout à l'heure. Je ne pensais pas ce que je disais. »
Aurore eut une moue dubitative, et se remit dans sa position initiale, face au mur, tournant le dos à l'adolescent.
« Tu as dit que j'étais une mauvaise dresseuse. Et c'est vrai, j'ai perdu plus de concours que je n'en ai gagnés.
- Non, je n'ai jamais dit ça ! Je… j'étais énervé, je ne sais pas ce qui m'a pris. Tu n'es pas une mauvaise dresseuse, tu es une excellente coordinatrice, on l'a tous vu !
- Non. Zoé est une excellente coordinatrice. Kenny est un excellent coordinateur. Moi, je ne suis que la petite Aurore qui apprend, et qui a PERDU trois concours, cracha-t-elle, un sanglot lui échappant.
Sacha ne répondit rien. Il savait qu'il avait dépassé les limites tout à l'heure, et que c'était typiquement le genre de choses qu'il ne fallait pas dire à Aurore. Aurore n'était pas Ondine. Il sentit une boule dans la gorge se former à cette pensée. Non, Aurore n'était pas Ondine. Et il ne pouvait pas, il ne devait pas se disputer avec sa nouvelle amie comme il le faisait avec sa rouquine, de peur de déraper. Il déglutit et se déplaça au milieu du lit, toujours assis sur le rebord. Il leva doucement la main et, incertain, la posa sur l'épaule de la jeune fille qui sursauta, et se retourna, interloquée.
« Aurore… Je suis tellement désolé… »
Aurore n'en croyait pas ses yeux – ni ses oreilles d'ailleurs. Sacha s'excusant de cette manière, elle avait beau le connaître depuis moins longtemps que Pierre, ce n'était certainement pas dans ses habitudes.
« Oublis ça, Sacha, répondit-elle. »
Doucement, elle lui prit la main, et la reposa sur les genoux du garçon. Il tremblait légèrement. Aurore ne s'expliquait pas cette espèce de nœud à l'estomac qui la saisit alors. Le garçon détourna la tête, les yeux fermés et crispés.
« Sacha ? Qu'est-ce qui t'arrive ? Pourquoi tu ne veux pas me dire ce qu'il se passe ? »
La gorge d'Aurore se noua lorsque Sacha releva la tête vers elle, les yeux tristes et brillants. Elle se noua encore plus lorsqu'elle se rendit compte qu'il allait parler, qu'il allait lui dire, lui avouer…
***
Le sol de la Route 208 tremblait presque sous les pas déterminés d'une jeune et belle dresseuse de Pokémon aquatiques. Elle ne courait plus – le chemin depuis Joliberges était long – mais marchait encore d'un pas déterminé. Loin au-dessus d'elle, un petit avion silencieux, frappé d'un « R » rouge sur sa carlingue, restait en vol stationnaire.
« Charles, j'en ai maaaaaarre de suivre cette fille. On n'arrête pas depuis trois jours, et hier on a passé QUATRE HEURES à tourner en rond pour retrouver sa trace, vu qu'elle s'est précipitée dans le train entre Joliberges et Charbourg, juste après t'avoir assommé au Centre. Je suis à l'étroit dans cet avion stupide, j'ai BESOIN D'AIR !
- Ca suffit Bolly, ça fait la 4ème crise que tu me fais en trois jours justement, j'en ai ma claque. Alors maintenant tu te calmes ou je te largue avec le siège éjectable. Unionpolis est en vue, on va pouvoir se poser, mais avant, je veux savoir où en est la belle Ondine.
- La belle Ondine, la jolie Ondine, la mignonne petite Ondine et gnagnagna et gnagnagna, fais-moi TOUT DE SUITE descendre de là ! »
La jeune femme, vêtue cette fois-ci de son uniforme bien reconnaissable de la Team Rocket, avait attrapé Charles par le col et le secouait en tout sens, ce qui eut pour conséquence immédiate d'avoir le même effet sur l'avion lui-même, qui dévia de sa course et zigzagua dangereusement vers les arbres. Charles évita à l'extrême limite le crash avec un arbre, non sans avoir au passage dérangé une volée de Nirondelle qui passait par là. Charles se tourna vers Bolly :
« Ne fais plus jamais un truc pareil, tu entends ? On aura l'air fin si on casse le matériel à cause de tes sautes d'humeur pathétiques. Pas la peine de me répondre pour m'engueuler, ça ne marchera pas. On redémarre. De toute façon, Ondine va vers Unionpolis, c'est évident. Elle doit passer par le petit passage du Mont Couronné, ça nous laisse le temps de prendre de l'avance et de retrouver l'unité de Jessie et James. D'après mon radar, ils sont dans le secteur adjacent à celui où nous nous trouvons. Ca ne devrait pas être difficile de les retrouver. Allez, on décolle. »
Bolly ne disait rien, si ce n'est un discret marmonnement. « Et gnagnagna, et gnagnagna… »
***
Unionpolis, Unionpolis, Unionpolis, elle est encore loin cette MAUDITE VILLE ?
Ondine venait de s'extirper du petit chemin balisé par les marcheurs, qui coupait au plus vite à travers le Mont Couronné, entre Charbourg et Unionpolis. Elle laissait derrière elle une nuée de Nosferapti, les uns affolés, les autres inconscients, à terre, après le passage dévastateur de la championne. Je ne laisserai PERSONNE m'arrêter. Elle ne courait pas, mais marchait d'un pas déterminé, laissant l'empreinte de sa semelle sur l'herbe grasse qu'elle foulait maintenant. Le temps était dégagé. C'était une belle journée de fin de printemps à Sinnoh.
Mais Ondine ne remarquait pas le soleil, ni les gouttes de sueur qui perlaient sur son front. Cela dit, la température ambiante n'était pas assez élevée pour atranspirer autant. La seule solution était donc sa température intérieure, anormalement élevée. A vrai dire, Ondine bouillait, et cela faisait bien longtemps que son tempérament volcanique n'avait pas pris un tel pas sur sa face placide qu'elle s'attachait à cultiver. Peu importait, il FALLAIT trouver Sacha. Et elle réfléchirait plus tard à ce qu'elle pourrait bien lui dire.
« Halte ! »
Une voix inconnue l'avait appelée. Elle s'arrêta net. Elle se retourna, la mâchoire crispée et les yeux verts de rage.
« Quoi encore ? »
Elle découvrit un garçon, un peu plus jeune qu'elle, cheveux noirs, en tenue de marche, portant une casquette vissée à l'envers et un sac à dos. Elle sentit sa rage monter encore.
« Tu as l'air d'être une dresseuse toi. Je me présente, je suis Lucas, et je veux devenir Maître Pokémon ! Et je te défie ! »
Un rictus malsain se dessina sur le visage de la jeune femme.
« Avec… GRAND plaisir ! »
Il allait voir, ce « maître Pokémon » qui l'arrêtait dans sa course.
« Ahah ! Me voici à l'aube d'une nouvelle victoire ! Utilisons deux Pokémons, c'est d'accord ?
- Tout ce que tu voudras mon jeune ami, répondit Ondine froidement.
- Alors, c'est parti ! Keunotor, à l'attaque ! »
La nervure centrale de sa Pokéball s'illumina avant l'ouverture du mécanisme. Dans un éclat de lumière blanche un petit Pokémon castor atterrit sur l'herbe.
« Keunotor ! »
Ondine ne pouvait plus se tenir. Les flammes dansaient dans ses yeux, et lorsque Lucas croisa son regard, une grosse goutte de sueur perla à la base de sa nuque. Il lui semblait que le champ entier devant lui était embrasé.
« LEVIATOR ! A toi de jouer ! s'époumona Ondine. »
Elle lança sa balle de toutes ses forces en hauteur. Celle-ci se disloqua et dans un énorme flash, le gigantesque Pokémon serpent de mer arriva sur le terrain, et regarda, du haut de ses 6 mètres d'envergure, le ridicule petit castor, qui tremblait déjà.
« Mais, mais… balbutia Lucas, c'est… c'est impossible !
- Leviator, attaque Danse Draco, tout de suite ! hurla la championne. »
Avec un grognement, le Pokémon jeta un coup d'œil à sa dresseuse, qu'il n'avait jamais entendue crier de cette manière. Il la sentait profondément énervée, ce qui eut pour effet immédiat de décupler sa propre rage. Avec un hurlement terrible, il leva sa gueule, et déversa un torrent de flammes bleues autour de lui, faisant augmenter la circulation de son sang froid, et gonfler les veines de tous les muscles de son corps.
De l'autre côté du terrain, une petite voix se fit entendre.
« Keu… Keunotor ? A… attaque charge ?"
Le petit Pokémon, terrifié, baragouina un petit cri étouffé.
La présence intimidante de Léviator, décuplée par la différence de taille, empêchait le castor d'esquisser le moindre mouvement. Il était littéralement pétrifié sur place.
« LEVIATOR ! ATTAQUE ULTRALASER ! cria la jeune femme. »
L'immense Pokémon eut un mouvement de recul, puis il ouvrit sa gueule, et un rayon jaune et dévastateur en sortit, pulvérisant le sol sur son passage. L'Ultralaser atteint de plein fouet le Keunotor incapable de bouger, et aveuglé par les projections de terre qui le précédaient. Son petit pelage complètement carbonisé, il vola à plus de vingt mètres, et alla pitoyablement s'écraser à quelques pas de son dresseur, qui avait déjà les larmes aux yeux.
« Re… Retour Keunotor !
- Alors, où est ton deuxième Pokémon ? s'égosilla Ondine.
- Heu, je… heu… »
Lucas leva la tête et regarde le Léviator qui, l'air mauvais, lui montrait les crocs. C'en était trop pour Lucas, qui se retourna et décampa à toutes jambes vers la caverne du Mont Couronné.
« Au secours ! Elle est complètement folle ! Au secours, son monstre va me manger ! Aidez-moi ! »
Les épaules d'Ondine s'affaissèrent alors qu'elle retrouvait progressivement son calme.
« Voilà un Maître Pokémon prétentieux de moins sur ce continent. Mais il y en a encore au moins UN dont je vais m'occuper. Léviator, reviens ! »
Elle rangea sa Pokéball dans son sac, et reprit rapidement le chemin vers Unionpolis, dont les premiers immeubles apparaissaient à l'horizon.