2 - La fugitive
---I---
« Pierre ? Qu'est-ce qu'il a Sacha ? »
La jeune fille était assez désorientée. Elle qui connaissait Sacha depuis près de deux ans, qui l'avait apprécié pour ses éclats de rire, son soutien pendant ses mauvaises passes, ses échecs aux concours – encore un récemment – il s'était vite rendu indispensable dans sa vie. Et d'un seul coup, le voilà qui marchait seul devant elle et Pierre, sans décrocher un seul mot depuis leur départ de Verchamps. C'en était trop pour Aurore, qui décida de forcer le pas, sans attendre la réponse de Pierre, visiblement embarrassé.
Elle arriva à sa hauteur et le bouscula légèrement avec une tape amicale sur l'épaule, comme elle en avait l'habitude désormais. La seule réponse qu'elle obtint fut un grand cri et des mouvements désordonnés du jeune homme qui rabattit précipitamment sa chemise en rangeant un objet.
« Aïe ! Aurore ! Tu crois que c'est amusant ?
- Qu'est-ce qu'il y a Sacha ? Oh, tu saignes ! »
D'une entaille à son index, un mince filet de sang tâchait ses gants. Aurore lui prit la main pour examiner sa blessure.
« Fais voir ? Comment tu t'es fais ça ?
- Laisse, rien de grave, dit-il en se dégageant. Je me suis coupé en… en mangeant une baie voilà.
- En mangeant une baie ?
- Oui, bah, euh… j'ai voulu l'éplucher et puis ça a ripé.
- Mais, Sacha, depuis quand tu épluches des baies avec un couteau ?
- Bref, Pierre, où allons-nous maintenant ?
- Hé bien, nous avons fait tout ce qu'il était possible de faire dans cette partie de la région Sinnoh. Je crois qu'il est temps de retourner à Unionpolis pour voir si la Championne est revenue, qu'en dis-tu ?
- Bonne idée. Allons-y tout de suite. »
Aurore était de plus en plus interloquée. Depuis qu'elle connaissait Sacha, l'idée de disputer un nouveau match d'arène le faisait entrer dans un irrépressible enthousiasme, très communicatif, qu'elle appréciait beaucoup. Mais visiblement, l'idée de retourner à Unionpolis ne provoquait pas la liesse habituelle. Et puis pourquoi ce mensonge éhonté à propos de sa blessure ?
« Pierre, tu sais ce qu'il se passe ? »
Le jeune homme brun à la peau mate avait les bras croisés, et regardait Sacha qui avançait devant le petit groupe, son Pikachu sur l'épaule. Songeur, il ne répondit que par un « Hum » dubitatif. Visiblement agacée, Aurore leva la voix.
« Oh, hé bien, puisque vous avez décidé de faire votre mauvaise tête aujourd'hui, très bien ! Viens Tiplouf, nous, on va aller faire un tour !
- Tiiiiiii, Tiplouf ! »
Aurore s'éloigna d'un pas alerte, suivie du petit pingouin bleu. Pierre lui jeta un coup d'œil et, une fois qu'il vit qu'elle était à distance raisonnable, vint se placer à la hauteur de Sacha.
« A part à l'instant, tu n'as pas décroché un mot depuis que nous avons quitté le Centre Pokémon. Ca ne te ressemble pas, donc ne me dis pas que tout va bien, parce que je ne te croirais pas. »
Sacha se renfrogna. Il trainait les pieds, salissant encore plus son jean qui lui tombait sur les chaussures. Il releva la visière de son éternelle casquette qui cachait ses cheveux noirs, bien plus longs qu'au départ de son voyage, qui partaient encore plus dans toutes les directions. N'est pas Aurore qui veut.
« Tu es inquiet ?
- Oui.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Arrête, Pierre, tu le sais. Tu crois que ça ressemble à Ondine de disparaître comme ça ?
- Non, concéda Pierre, qui avait souri à l'évocation du nom de leur vieille amie.
- Et réentendre son nom, comme ça, ça m'a fait subitement penser que je ne lui ai pas donné de nouvelles depuis plus d'un an maintenant… Et l'arène, et tout le bruit autour de son départ ?
- Tu sais, je n'en sais pas plus que toi, Sacha. L'arène, elle est fermée, tu l'as constaté comme moi quand nous avons téléphoné ce matin. Ses sœurs sont visiblement encore parties. »
Sacha soupira profondément. Ici, à Sinnoh, il ne pouvait pas faire grand-chose pour sa meilleure amie restée à Kanto. Ou partie ailleurs maintenant. Oui, partie en voyage. Peut-être enlevée comme l'a dit la présentatrice de la télé ? Sacha secoua la tête d'un air excédé. Il ne fallait plus y penser. Que pouvait-il fait, lui, en pleine cambrousse, sur le chemin de la grande ville d'Unionpolis ? Il lui fallait se concentrer sur son prochain match ! Il ne lui restait plus que 3 badges avant la Ligue Sinnoh ! Ondine saura se débrouiller. Mais et si…
Le fil désordonné de ses pensées s'interrompit avec le jet d'eau qu'il reçut en pleine figure.
« Mais ? Aurore ! »
La jeune fille riait à gorge déployée avec Tiplouf. Elle les avait précédés et s'était cachée dans les fourrés pour tenter de réveiller un peu Sacha. Celui-ci ôta sa casquette et secoua ses cheveux pour les sécher. Il se força néanmoins à lui sourire.
« Très amusant. Pikachu, fonce et part me venger !
- Kachu !! »
Aurore recula dans les buissons avec le petit pingouin. Pikachu put rapidement les retrouver, en suivant la piste de leurs éclats de rire.
***
Daisy n'en pouvait déjà plus, alors qu'elle venait à peine de poser le pied dans cette maudite ville d'Azuria. En apercevant de loin l'immense Lamantine qui surplombait l'arène officielle, elle put aussi voir qu'elle était littéralement assiégée par une horde de journalistes attendant leur arrivée. Elle s'arrêta net et avertit ses sœurs.
« Il nous faut passer par la porte de service. Sinon nous n'y arriverons jamais. »
Elles firent un grand tour, à travers les petites rues de la ville dans lesquelles elles n'allaient jamais, se contentant des grandes avenues commerçantes. Elles arrivèrent derrière l'arène, où campaient la encore des journalistes, de la presse écrite comme de la télé. Hé bien, nous n'avons pas le choix… Daisy se mit à marcher d'un bon pas vers la porte, suivie de ses deux sœurs. A leur arriver, tous se levèrent.
« Les voilà ! hurlèrent-ils »
Les trois jeunes femmes se retrouvèrent entourées d'une marée de micros, de caméras, et de calepins prêts à noter la moindre de leurs concessions. D'ordinaire, qu'est-ce qu'elles auraient adoré ça !
« Mesdemoiselles, une réaction pour Bonjour Sinnoh ?
- Pour Kanto-Matin, que pensez-vous qu'il va advenir de l'arène d'Azuria ?
- Mademoiselle Daisy ! La Gazette d'Azuria, hum, avez-vous eu des nouvelles de votre sœur ?
- Pourriez-vous accorder votre première interview à PokITV ?
- Excusez-moi, pour ToutPokémon, pouvez-vous nous dire si la Ligue Indigo vous a déjà contactées ?
- Nous sommes envoyés spéciaux de Hoenn-Info, allez-vous reprendre votre ancien poste de championnes d'arène ?
- Dites-moi, pour Sinnoh Live News, vous avez constaté des traces d'effraction ?
- Pourquoi Ondine a-t-elle quitté l'arène ?
- Est-ce que cela viendrait d'une dispute familiale ?
- Avez-vous décidé de ce départ ensemble ?
- Pensez-vous que la Team Rocket ait quelque chose à voir avec sa disparition ? »
Toutes les questions, les titres de journaux, de télévision, les bousculades, tout cela tournait dans les têtes des trois sœurs qui parvinrent en jouant des coudes à atteindre la porte de service. Daisy l'ouvrit et elles se précipitèrent à l'intérieur, en claquant la porte aux flashs des appareils photo. Elles s'assirent toutes les trois sur le sol frais du bâtiment plongé dans l'ombre, et soupirèrent longuement.
« Ne me dites pas que ça va durer encore longtemps… gémit Violette.
- Oh si. Ca ne fait même que commencer, dit placidement Daisy. Maintenant que nous sommes à peu près tranquilles, allons voir si Ondine nous a laissée quelque mot d'explication. »
Les vestiaires de l'arène d'Azuria étaient impeccablement rangés, rien ne traînait sur le sol ou sur les porte-manteaux. Les Pokéballs étaient parfaitement alignées sur leurs espaces de rangement. Dans la piscine de la salle principale, quelques Pokémon aquatiques nageaient tranquillement. Violette aperçut les grandes boîtes de nourriture Pokémon ouvertes et vides. Ondine avait visiblement laissé aux Pokémon en liberté assez de réserve pour tenir deux semaines. Elle a bien prévu son coup !
« Lily ? Tu as trouvé quelque chose ? »
Sa sœur aux cheveux teints en rouge descendait les escaliers qui menaient aux petits bureaux derrière les gradins, dont elles se servaient habituellement pour régler les questions administratives relatives au fonctionnement de l'arène.
« Non, Violette, rien là-haut. Tous les documents sont là, et Ondine n'a laissé aucun mot, rien.
- Et où est passée Daisy ? »
L'aînée, la grande fille blonde, avait pénétré dans la chambre de sa petite sœur, dans le bâtiment attenant à l'arène. Elle n'y allait jamais d'habitude, mais la porte n'avait pas été fermée. Sur son lit comme sur sa table de chevet, aucun papier, aucune trace qui pourrait expliquer son geste. Certains de ses vêtements traînaient hors de la commode, signe de son départ hâtif. Daisy restait debout, au milieu de la pièce, ayant bien conscience qu'elle ne devrait pas être là. Elle allait partir, lorsque qu'elle posa les yeux sur la corbeille à papier, remplie presque à ras bord de feuilles froissées, toutes identiques. Elle se pencha et en prit une. Du papier à lettre. Elle arrêta son geste et ferma les yeux. S'il y a bien quelque chose qu'elle n'avait pas le droit de faire, c'était bien cela. Mais peut-être a-t-elle voulu nous dire pourquoi elle partait ! Peut-être que cette lettre nous était destinée après tout. Elle déplia le papier froissé. Il était presque vide, seul l'en-tête était complété, raturé trois fois. « Les amis… Sacha… Cher Sacha… ». Tous les autres papiers étaient de la même teneur, une page blanche raturée. Daisy remit les boules de papier dans la corbeille, et soupira.
« Où est-ce que tu étais ? lui demanda Violette lorsqu'elle revint dans la salle de la piscine.
- Dans sa chambre, pour essayer de trouver des indices…
- Sa chambre ? Et alors ? demanda Lily, visiblement curieuse.
- Rien. J'y suis rentré seulement quelques fois avant, je ne peux pas savoir ce qu'elle a pu emporter ou pas. J'ai juste vu quelques débuts de lettres, jamais envoyées.
- Ah ? A qui elle voulait écrire ?
- A qui crois-tu qu'Ondine pourrait vouloir écrire ? »
---II---
« Joliberges ! Joliberges ! Tout le monde descend ! »
Le capitaine de La Reine actionna deux fois le fameux signal d'avertissement de son bateau, fier d'avoir à nouveau conduit tous ses passagers à bon port. Dans la foule des voyageurs et des touristes, Bolly et Charles marchaient à quelques pas l'un de l'autre, ne se perdant pas de vue, gardant un œil sur les reflets roux de la longue chevelure de la jeune fille devant eux. Le Boss avait été clair : ne pas perdre la trace de la rouquine, sans se faire remarquer, et se débrouiller pour établir la jonction avec l'unité 24 en déplacement à Sinnoh. A l'évocation de ce chiffre, Bolly et Charles n'avaient pas pu s'empêcher de pouffer. Ils allaient enfin rencontrer la légendaire unité 24 de la Team Rocket, celle qui n'a pas été fichue de ramener un Roucoups à la base depuis 5 ans qu'ils sont sur les routes. Des noms rentrés dans la « légende » de la Team Rocket : Jessie, James et Miaouss. Les deux agents s'étaient regardés, amusés. Leur voyage à Sinnoh n'allait finalement peut-être pas se révéler si inintéressant… Car même si Charles se félicitait d'avoir pu repérer Ondine d'Azuria, qui pour l'instant se débrouillait très bien pour passer inaperçue, la filature n'était pas vraiment digne d'un agent comme lui. Ondine ne savait visiblement pas où elle allait. Elle allait à droite, à gauche, devant tel magasin, s'asseyant sur tel banc devant les docks. Elle n'était même pas encore montée vers la ville proprement dite.
« On pourrait pas aller voir ce qu'elle fabrique ? demanda Bolly, visiblement aussi agacée que lui. Après tout, elle ne nous a jamais vus ! Elle ne pourra pas savoir que nous sommes de la Team Rocket.
- Le Boss a dit : on n'intervient pas, donc, on n'intervient pas, c'est tout ! Il faut opérer le contact avec la Team Loose, comme on dit, et pour l'instant, d'après le radar, ils viennent de quitter Verchamps. Comme c'est pas la porte à côté, on attend.
- Bon, pas la peine d'être désagréable Charles.
- Je ne suis pas désagréable, j'applique les ordres. Je n'ai pas envie de rester continuellement au grade d'agent itinérant. Je ne m'appelle pas James ! »
Bolly soupira et releva la tête vers Ondine qui s'était levée et marchait vers le coin de la rue où ils s'étaient positionnés. « Vite attention ! » Charles eut à peine le temps de coller des moustaches et des favoris postiches à son visage glabre, et Bolly de mettre ses lunettes de soleil, en sortant un guide.
« Très cher ! dit-elle en prenant un accent parfaitement britannique. Cette ville est parfaitement awesome ! - J'aimerais aller visiter les jardins, par la suite si ça ne vous ennuie pas ?
- Mais tout ce que voulez, my honey. J'en serais ravi. »
Ondine s'arrêta à leur hauteur.
« Euh, excusez-moi ?
- Qu'y a-t-il, my fair lady ? demanda Charles
- Oh… Ondine rosit légèrement en entendant le compliment. Euh, j'aurais aimé savoir si vous pouviez m'indiquer le chemin qui mène au centre-ville et à l'arène ? Mais, je vois que vous êtes sans doute des touristes comme moi.
- Oh, yes, my sweet, répondit-il. Cependant, nous connaissons déjà un peu la ville. Prenez ce chemin là, et vous arriverez très rapidement là où vous le désirez. Allons, my dear, dit Charles en se tournant vers Bolly. Partons voir ces jardins !
- Merci beaucoup, Monsieur, dit Ondine. Bonne journée à vous.
- Good bye, belle jeune fille ! »
Ondine s'éloigna avec le sourire d'avoir vu ce couple s'aimer si tendrement, et d'avoir reçu de telles marques de gentillesse. Lorsqu'il fut certain qu'elle s'engageait effectivement sur le chemin qui menait au centre de Joliberges, il retira ses postiches qui le grattaient effroyablement.
« Dis-donc Charles, tu as été bien… aimable avec cette jeune demoiselle !
- Que veux-tu, je ne peux pas résister à une si jolie fille !
- Hum, se renfrogna Bolly. Comment dois-je le prendre ? »
Charles leva les yeux au ciel, puis ils enlevèrent leurs manteaux pour se retrouver en tenue légère, non sans avoir pris garde d'avoir enlevé leurs uniformes réglementaires. Ils partirent sur les pas de cette drôle de championne en fuite, qui prenait visiblement son temps.
***
Ondine flânait dans les rues de Joliberges. Elle en avait profité pour complètement changer de tenue, afin qu'elle soit le moins reconnaissable possible, sans toutefois avoir besoin de se cacher. Elle avait choisi un nouvel ensemble dans les tons bleus-verts sur lequel se détachaient de façon impressionnante ses cheveux roux. Loin de l'ambiance pesante de l'arène, elle pouvait respirer à loisir l'odeur salée de la mer de Joliberges. Elle se demandait ce qu'il pouvait bien se passer à Azuria en ce moment même, avant de se remettre à marcher. Maintenant, c'est elle qui allait décider. Elle était seule, à Sinnoh. Sans toujours savoir quoi faire et où aller…
Elle s'arrêta net devant un marchand de journaux. Le SinnoHebdo titrait sur la situation de son arène. « La Ligue Indigo suspend l'arène d'Azuria à titre provisoire ». Elle ferma les yeux et reposa le magazine. Hors de question d'en savoir plus. Sa gorge était déjà nouée. Elle se mit à courir. Je ne pouvais pas rester, c'était la bonne décision, je ne pouvais plus rester cloîtrée là-bas ! Pourrait-elle le faire comprendre un jour à ses sœurs ? Et que vont penser ses amis ? Qu'allait penser Sacha ? Elle était si heureuse qu'il soit fier d'elle, en tant que grande championne...
Elle secoua la tête. Bah ! Laisse tomber, s'il avait dû penser quelque chose, il t'aurait téléphoné ! Elle ne regardait pas où elle allait, marchant au hasard des rues. Lorsqu'elle sortit du fil de ses pensées, elle arriva devant un vaste bâtiment, à l'architecture de métal apparente. Un drapeau orné d'une Pokéball flottait au-dessus de la porte. Ondine leva la tête pour voir l'inscription : « Arène Pokémon de Joliberges ». Voilà qui me changerait les idées. Elle voulut rentrer lorsqu'un homme l'arrêta.
« Pardonnez-moi, mademoiselle. Mais un match est en cours, vous ne pouvez pas entrer par là.
- Oh, mais je ne souhaite pas disputer de match, seulement regarder. Par où est l'entrée des visiteurs ?
- Je vous y conduis, suivez-moi. »
***
Charles et Bolly attendirent qu'Ondine rentre à l'intérieur de l'arène pour s'en approcher. Ils s'arrêtèrent derrière le mur, sur le côté du bâtiment pour faire le point.
« Charles, j'espère que tu ne veux pas rentrer là-dedans ?
- Pourquoi ? Intimidée par le champion ? Peut-être parce qu'il s'appelle Charles aussi ?
- Très spirituel. Je n'ai simplement pas la moindre envie de me farcir un match d'arène. C'est totalement ennuyeux. Je commence à en avoir assez de jouer les nounous de la rouquine.
- Nous ne pouvons pas faire grand-chose d'autre tant qu'elle n'a pas quitté la ville. Fais ce que tu veux. Moi je rentre voir ce qu'elle fabrique là-dedans. Je ne comprends pas ce qu'elle veut à vrai dire. Un moment elle s'arrête et on dirait qu'elle va se mettre à pleurer, le moment d'après elle se met subitement à courir. Cette fille est bizarre.
- Inintéressante oui. Qu'est-ce le Boss peut bien avoir à faire d'elle ? Des Champions d'arène, il en trouve autant qu'il veut, sans pour autant nous envoyer à Sinnoh.
- Quoi qu'il en soit, j'y vais. Hors de question qu'un autre Charles arrive à séduire la belle rouquine ! dit-il en gratifiant sa partenaire d'un clin d'œil. »
Bolly leva les yeux au ciel et laissa partir Charles dans l'arène de Joliberges. Elle se dirigea vers la place principale de la ville, en quête de quelques portefeuilles.
---III---
Ondine s'assit dans les tribunes tout en admirant la beauté froide de l'arène de Joliberges. Le terrain officiel était parsemé d'immenses barres d'acier qui partaient d'un bout à l'autre des murs, en tout sens. Voilà qui ne facilitait pas les mouvements et les courses en ligne droite. Comme l'avait indiqué l'homme à l'entrée, un match était en cours, sous la surveillance d'un arbitre officiel de la Ligue Sinnoh, placé en hauteur sur une poutre d'acier. Ondine leva les yeux vers le tableau d'affichage, qui indiquait que le champion et son concurrent avaient tous les deux perdu une manche. Sur le terrain, le combat faisait rage entre un drôle de Pokémon marron court sur pattes, dont le museau aux longues cornes semblait être un bouclier impénétrable à lui tout seul. Face à lui, elle reconnut un Hariyama, un Pokémon combat, un bon choix contre l'acier, si la force de frappe suivait.
« Tu te bats bien, mon garçon, dit Charles de sa voix grave. On voit que tu as déjà parcouru un bon bout de Sinnoh, mais je ne me laisserai pas faire ! Bastiodon, utilise Bélier !
- Baaaaaaaaaaaa ! cria le Pokémon, qui se précipita sur le Hariyama en sautant entre les poutres d'acier.
- Hariyama ! Laisse-le venir et encaisse ! »
Ondine poussa un petit cri en entendant l'ordre du dresseur. Mais le Hariyama ne semblait pas étonné de l'ordre. Il ouvrit ses grands mains, prêt à réceptionner le Bastiodon qui prenait de la vitesse. Au moment de l'impact, Hariyama gémit et recula de quelques mètres sous la pression, jusqu'à buter sur une poutre d'acier.
« Hariyama, maintenant, Poing-Karaté !
- Hariyaaaaama ! »
Le Pokémon Combat asséna un fantastique coup du tranchant de sa main à son adversaire qui gardait la tête contre sa poitrine. Le jeune dresseur avait bien pensé sa stratégie : absorbé par son attaque Bélier, le Bastiodon ne prenait plus garde à sa défense, laissant la possibilité de se faire attaquer derrière son museau d'acier. L'attaque l'assomma, ses pattes tremblèrent, et il s'affaissa.
« Bastiodon est incapable de combattre, annonça l'arbitre. Hariyama remporte la manche.
- Bien joué petit, une bonne stratégie malgré les apparences. Mais le combat n'est pas terminé. Steelix, en avant ! »
Charles lança sa Pokéball entre les barres de fer. Un halo blanc envahit le terrain, alors qu'un immense serpent de fer apparut, se contorsionnant entre les poutres qui encombraient le terrain. Ondine resta interloquée : comment un si gros Pokémon pourrait-il se déplacer sur un terrain pareil ? Mais Charles souriait.
« Dresseur, changez-vous de Pokémon ?
- Non, je continue avec Hariyama, déclara le garçon.
- Steelix, Hariyama, allez-y ! cria l'arbitre. »
Hariyama prit une impulsion et sauta à la hauteur du crâne de Steelix, escomptant sans doute un manque de réaction dû au terrain.
« Steelix, attaque Ligotage ! »
Le serpent de fer s'ébroua, et par un mouvement de rotation de ses anneaux, parvint à redresser sa queue entre les poutres, pour emprisonner Hariyama.
« Et maintenant, Etreinte ! »
Steelix commença à serrer, à broyer le Pokémon adverse qui gémit sous la pression.
« Hariyama, dégage-toi avec Poing-Karaté ! »
Le Pokémon asséna un nouveau coup fulgurant au corps du serpent qui l'enserrait toujours plus fortement. Il profita d'un bref instant de relâchement pour sortir de l'étreinte, mais passablement affaibli.
« Steelix, finissons-en, attaque Tunnel ! »
Le serpent se redressa, puis plongea vers le sol en évitant les poutres, s'enfonça dans le sol et disparut.
« Hariyama, cours sans t'arrêter pour éviter son attaque ».
Le Pokémon obéit, sous l'œil attentif d'Ondine, qui voyait qu'il commençait à être à bout de forces. De fait, sa course se faisait de plus en plus lente, alors que Steelix ne réapparaissait toujours pas. Lorsqu'il dut s'arrêter pour reprendre son souffle, Charles cria « Maintenant ! ». Steelix surgit sous les pieds d'Hariyama, qui fut projeté tête la première sur une des poutres d'acier. Totalement sonné, il s'effondra.
« Hariyama est désormais hors-combat. La victoire revient à Steelix. Dresseur, veuillez choisir votre dernier Pokémon. »
Le garçon rappela son Pokémon, dont il rangea la balle avec un certain air de déception, mais, depuis les gradins, Ondine ne put entendre ce qu'il avait chuchoté. Il leva alors la voix.
« C'est fini maintenant. Magmar, à l'attaque ! »
Il lança une nouvelle balle, différente des autres Pokéballs habituelles ; celle-ci était noire et jaune. Le Pokémon Volcan en sortit, calme et déterminé.
« Un Pokémon Feu ! Bon choix jeune dresseur, dit Charles. Mais tu n'es pas le premier à présenter un type feu devant Steelix ! Ils croustillent sous sa dent la plupart du temps. »
Le champion eut un éclat de rire. Le dresseur un simple sourire tendu.
« Magmar, Lance-flamme !
- Maaaaaaagmaaaaaaar ! »
Une gerbe de flamme jaillit de la bouche du nouveau Pokémon.
« Steelix, évite-le et Tunnel ! »
Le serpent échappa de justesse aux flammes de Magmar et disparu à nouveau sous terre. Cette fois, le dresseur sourit d'un air satisfait.
« Magmar, attend et repère sa sortie. »
La tension était à son comble, et Ondine se serra les genoux. Le dresseur avait une idée derrière la tête, c'était certain. Elle en profita pour l'observer plus attentivement. Il ne ressemblait pas à Sacha, même s'il était là pour la même chose que lui, sans nul doute. Ses cheveux sombres, tendant presque sur le violet, lui encadraient le visage, ne laissant presque pas transparaître ses yeux. Ses vêtements eux aussi ne donnait pas vraiment une impression de bonne humeur. Voilà un beau garçon ténébreux, sourit intérieurement Ondine.
Le sol de l'arène commençait à trembler, signe du retour de Steelix sur le terrain.
« Maintenant, Magmar, saute sur une poutre, et utilise Surchauffe ! »
Le Pokémon obéit, et sauta prestement sur une barre d'acier. Il commença à se concentrer et à augmenter exponentiellement la température de son corps. Lorsque Steelix réapparut, la barre avait déjà fondu, et l'acier brûlant se déversa sur le visage du serpent, qui hurla de douleur.
« Steelix, non !
- Et maintenant, dit le dresseur, attaque Danse-flamme ! »
Magmar cracha son feu qui entoura Steelix de la tête jusqu'à la queue. Aveuglé par l'acier fondu, il ne put éviter l'attaque, et s'effondra, brûlé de toute part.
« Steelix est vaincu. Le challenger remporte la manche et le match ! »
Ondine était impressionnée. Si ce garçon était représentant du niveau de la Ligue Sinnoh, la compétition allait alors se révéler impitoyable pour Sacha. Elle quitta sa place, et descendit vers la porte d'entrée, alors que Charles le champion s'approchait pour féliciter le dresseur, et lui remettre le Badge Mine, signe de sa victoire dans l'arène de Joliberges. L'autre Charles, lui, descendit de son perchoir en haut des gradins, où il avait une vue imprenable sur la jeune rouquine.
***
Ondine sortit de l'arène de Joliberges à pas vif, et rattrapa le nouveau possesseur du Badge Mine.
« Hé ! Excuse-moi ? »
Le garçon s'arrêta et se retourna lentement, les sourcils froncés.
« On se connaît ? »
Charmant…
« Hum non. J'étais dans les gradins quand tu as fait ton match dans l'arène. Je voulais juste te dire que ton match était très impressionnant.
- Hum. »
Son exclamation avait ce petit ton de dédain qui avait le don d'agacer profondément Ondine.
« Merci mais, qui es-tu pour juger mon match ? Tu es dresseur peut-être ? »
Non, décidément, ce ton ne me plaît pas du tout ! Mais pour qui se prend-il ! Ce type a un égo au moins aussi démesuré que Sacha ! C'est dire la performance.
« Mais parfaitement, je suis dresseuse… Je suis même… »
Ondine ravala sa langue. Oh, non, il ne fallait pas qu'elle se présente en tant que championne, voilà une bien bonne idée pour perdre sa tranquillité. Voyant qu'elle s'était interrompue, le garçon aux cheveux sombres haussa un sourcil.
« Tu es ?
- Je… Je… suis dresseuse oui. Oui, tu viens de le dire, idiote. Mais… euh… j'ai beaucoup voyagé, et j'ai assez d'expérience pour reconnaître un beau match. J'ai assisté aux compétitions de Kanto et Johto.
- Et alors ? Quel intérêt si tu n'as pas participé ? »
Ondine se renfrogna. Elle sentit la veine de son cou gonfler, signe bien connu de son énervement intérieur. Elle s'efforça de garder son calme.
« Tu participes à la ligue Sinnoh ?
- Non, j'ai décidé d'aller chercher ce badge pour m'amuser ; tu as quelque chose dans le crâne ou quoi ?
- Je te défends de me parler sur ce ton !
- Je ne t'ai rien demandé. C'est toi qui es venue me parler du match, pas moi. Et d'abord, comment t'appelles-tu, que je puisse éviter de te recroiser la prochaine fois ? »
Ondine serra les poings, et ses dents crissèrent sous la pression.
« Je m'appelle, heu… » Ah bah oui, il y a ça aussi. « Je m'appelle Marie. » Ondine détourna le regard, pour cacher le léger sourire qui se dessina sur ses lèvres à l'évocation de ce prénom revenu des profondeurs de son esprit, lorsqu'ils avaient dû employer des pseudonymes ridicules pour rester incognitos, dans l'étrange pâtelin de Sombreville. Un souvenir parmi tant d'autres.
« Et hem… et toi ? »
Le garçon lui tourna le dos et s'éloigna.
« Moi, c'est Paul. »