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» Auteur : fan-à-tics - Voir le profil
» Créé le 11/07/2009 à 17:11
» Dernière mise à jour le 19/12/2012 à 22:40

» Mots-clés :   Présence de personnages de l'animé   Présence de poké-humains   Présence de shippings

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Episode 27 : Rupture
Chapitre 27

« Qu-Quoi ? »

Eléanore aurait tout donné, tout donné pour ne pas avoir à entendre cette voix étranglée, brisée, vidée de tout espoir et pourtant regorgeant de déni. Elle se tourna vers Samantha, le regard vide.

Sacha et Régis tressaillirent devant l'erreur, les mots avaient dépassés les connaissances des enfants. Aurore et Kenny, les seuls adultes à ignorer la vérité, furent comme pétrifiés sur place.

La jeune élève, les jambes tremblantes, plus pâle que la craie, les yeux écarquillés, les cheveux emmêlés, avait soufflé cette question, vidant tout ses poumons, tout son air. Une expression désespérée, hallucinée, elle se tenait la poitrine, n'osant reprendre une bouffée salvatrice sans avoir la réponse.

Elle aurait tout donné pour qu'elle l'apprenne d'une autre manière. Eléanore baissa la tête et songea à toutes ces opportunités où elle aurait pu, mais en y réfléchissant bien, la douleur aurait été la même. Elle se mordit la lèvre et détourna le regard loin, loin de son amie. Miyu, au-dessus d'elle, la regarda tristement, partageant sa peine indirectement, même s'il ne la comprenait pas.

Samantha sursauta, frémit, recula, secoua la tête.
-C'est faux ! S'étrangla-t-elle.

Irréellement, aucune larme ne fut versée. Le temps s'était comme arrêté. Non, ce n'était pas qu'une impression, il s'était arrêté, son temps venait de se stopper. Lucas, à côté d'elle, serrait le poing, pleurant. Il murmurait quelque chose, quelque chose comme un « je m'en doutais ». Non ! Non, comment pouvait-on s'en douter une seule seconde ? Elle ne pouvait pas mourir ! C'est leur amie, pourquoi partirait-elle ? Pourquoi elle et pas un autre ? Un autre dont ils se fichaient complètement !
Daniel vint enserrer la main d'Eléa. Il ne paraissait pas surpris. Akira lui-même, alors qu'il venait de saisir les épaules de Sam, ne paraissait pas étonné par la nouvelle. Lucas aussi, avait beau pleurer silencieusement, il n'avait pas l'air sous le choc.
C'était la preuve ! La preuve que c'était faux, ils lui faisaient une mauvaise blague ! Ahaha, elle avait failli marcher, mais non, elle ne se ferait pas avoir.
Quelle idiote, jamais Eléa ne pourrait cacher une chose aussi horrible. A part un léger problème de respiration, après tout elle allait bien, elle leur avait dit elle-même, l'oncle Tom n'avait rien trouvé, elle, elle n'avait rien trouvé ! Bon, ils n'étaient pas médecins, mais presque !

-C'est faux, répéta-t-elle, plus sûrement.
Elle observa Sacha, Ondine, Régis, tout le monde, tétanisés, puis Eléa.
Samantha sourit tandis que la gamine devenait aussi blafarde qu'un ectoplasme.
-Hein, Eléa dis-moi que c'est faux... Demanda-t-elle. Arrête cette plaisanterie. Dis-moi que c'est faux et je te croirai.

Mais Eléa se tut. Elle ne répondit rien, jamais rien.
Samantha fit non de la tête, des gouttes humides touchèrent le sol, elle voulut ouvrir la bouche, mais tout se bloqua, comme si on venait de lui écraser tout l'abdomen plus efficacement que l'étreinte du Sévipère de tout-à-l'heure. Elle toussa, cracha, hoqueta, sanglota, mais ce poids ne parvint pas à lui échapper.

Elle avait froid. Une étreinte l'enserra. Son corps était glacé, ce contact ne lui fit pas plus d'effet qu'un courant d'air. Elle regarda à nouveau Eléanore.
C'était injuste. Tellement injuste.
Elle était là, pourquoi ne pouvait-elle pas rester là pour toujours ?
Elle le désirait de toute son âme, on lui disait à l'école avant les examens « quand on veut on peut. » Mais là... Là...
La douleur remonta le long de sa trachée.
Là, toute la volonté du monde ne suffirait pas à changer cette fatalité.
Elle se retint de régurgiter.
Elle ferma la bouche, plaqua ses mains sur son visage. Elle sentait les larmes s'écouler, filer entre ses doigts, comme des grains de sable dans un sablier.
Chaque râle, chaque inspiration, tout cela rapprochait Eléanore un peu plus de sa fin, tout cela l'éloignait d'elle, lui enlevait sa première amie. Une idée insupportable la traversa. Combien de temps avaient-ils passé ensemble jusqu'à maintenant ? Un mois, peut-être deux, peut-être même plus. Elle avait arrêté de compter les jours depuis longtemps : tout se passait si vite en la présence d'Eléa et des autres. Sa mère lui disait souvent petite que les perfides secondes s'écoulaient rapidement lorsqu'on se sentait bien, heureux. Même là, en cet instant, ces précieuses minutes qu'elle prenait pour penser, pour respirer, lui filaient entre les doigts, s'actionnaient, s'enchaînaient, indifférentes à ce drame, comme une machine bien réglée. Cela signifiait donc que plus elle s'amusait, plus elle serait joyeuse, heureuse avec elle, plus la fin de sa camarade approcherait vite et viendrait la faucher sans qu'elle ne puisse le réaliser tout à fait !
C'était, tout simplement... Inhumain !
Elle ne faisait de mal à personne sur cette terre ! Elle ne méritait pas ça ! Elle l'avait sauvée de la solitude, avec son sourire insouciant, son mauvais caractère, ses remarques stupides. Elle faisait même tellement de bien autour d'elle ! Daniel souriait plus, Lucas riait, elle, elle l'avait rapprochée de sa mère, petit à petit elle avait construit un pont au dessus du gouffre qui les avaient séparées tant d'années. Pourquoi ! Pourquoi des tueurs sans scrupules comme ceux de la Team Rocket s'en tiraient, comme ceux qu'elles venaient de chasser, et pas elle ? Elle ne faisait que vivre, vivre près d'eux, était-ce si mal que ça ?
A quoi bon devenir forte, à quoi ce voyage servait-il, l'entraînement, la quête des badges, si elle ne pouvait même pas sauver ce qui comptait à ses yeux ?

-Samantha...

L'ancienne élève de Jadielle se redressa. La vision d'Eléanore agenouillée près d'elle, une expression compatissante sur le visage malgré son bras blessé palpitant, lui fut insoutenable. Sa vue se brouilla sous un voile de pleurs, le monde se déforma.

« Oui, déforme-toi, disparais monde sans cœur, renverse-toi, inverse la course du temps, pour qu'elle reste là, juste là, toujours là. » Songea-t-elle inconsciemment.

Eléanore enlaça sa camarade, Akira lâcha sa prise pour la lui confier, avec une infinie tristesse dans les yeux.

-Sam... Sam, tu m'entends... Murmura-t-elle.
La brune ne parvint pas à articuler ni à émettre le moindre son, alors elle hocha la tête, mais même ce simple mouvement, si anodin, réveilla la plaie vive.
-Tu sais, Sam, de toute façon, nous aurions été séparées un jour ou l'autre, si ce n'avait pas été ma maladie, nous aurions simplement grandi, emportées par la vie à des côtés opposés... Cela ne change pas grand-chose, au final...
-Comment oses-tu dire ça ? Une fois morte c'est fini, fini tu comprends ? Ce n'est pas comme si nous avions choisi de ne plus nous voir, ce serait impossible ! Comment peux-tu dire ça ?! Tu vas... tu vas... Tu n'as pas peur ? Hurla-t-elle.

Les mots sortirent, telles des lames acérées, la fatigue rattrapa Sam, sa tête lui tournait, les idées s'engluaient dans son esprit, s'emmêlaient, se mélangeaient, se diluaient...

Un rire clair retentit à leurs oreilles, aussi doux et froid que les cloches d'une église, aussi envoûtant qu'un requiem, aussi indifférent que la pierre tombale.

-Tu as raison... Après, c'est fini, une fois mort, y a plus rien. C'est bizarre, alors, je devrais être terrifiée, non ? Incapable de bouger, de réagir, attendre lentement que cette chose vienne me prendre. Mais, je... je ne sais pas... Je ne peux pas faire ça.

Samantha comprima de toutes ses petites forces le bout du T-shirt de son ami, pour la retenir, qu'elle ne parte pas. Comment, comment pouvait elle penser qu'elle s'en irait alors qu'elle la tenait si fermement... Le destin ne pouvait pas la lui prendre.

-Tu vois... De toute façon, on y peut rien, c'est comme ça... Je vais mourir. Déclara froidement Eléa. Et toi tu vas vivre, vous allez tous me survivre, vous faire de nouveaux amis, évoluer, grandir, et m'oublier je l'espère.

Elle ne voulait même pas qu'elle la garde auprès d'elle en souvenir ! Même pas ça, elle voulait effacer jusqu'à son existence même ! Comment pouvait-elle affronter cette idée sans trembler ? Imaginer que personne, personne ne se souviendrait de tous les efforts d'une vie, de sa vie, que ses joies, ses peurs, ses rêves s'annihileraient avec elle, comme ça, dans le néant sans laisser de trace ?

-Si seulement... Si seulement, balbutia Lucas derrière elle, sanglotant. Si seulement il y avait un moyen de te sauver, d'empêcher cela... !
-Si seulement, si seulement tu avais plus de temps... Enchaîna Sam, prise dans la folie.

Oui, si, si... Elle pourrait, il pourrait, elle vivrait !

-Incurable veut dire qu'il n'y a rien à faire... Ne vous faites pas de mal avec ça... Je le répète tous les jours à Régis, il n'y a rien à faire ! Répondit Eléa, sans pommade. Regardez, hey, regardez-moi ! Sam, regarde-moi... Lança-t-elle.

Sam plongea son regard bleu argenté dans le sien.

-Moi je vais bien, j'aime cette vie, comme ça avec ma maladie... En un sens... On peut dire que j'ai de la chance, car j'apprécie chaque instant que le destin m'offre. Les petites choses qui pour vous semblent insignifiantes, sont pour moi les plus beaux des trésors, car c'est le signe que mon cœur bat, que je suis encore là, que je peux encore le faire. Ne soyez pas triste, je ne le suis pas, moi.

Elle sourit. Un visage rayonnant de bonheur, libéré de toute peur, de tout problème, un sourire serein, celui qui avait conquis tant de cœurs. Régis, Sacha, les adultes derrière elle, n'en revenait pas d'une telle compassion, d'une telle maturité dans les propos d'un être si frêle.

Comment, comment pouvait-elle être si forte, si insouciante, si heureuse, alors qu'elle allait partir ? Comment pouvait-elle conserver cet aspect pur, sincère, à travers ce rideau tragique ? Ce n'était pas le moment, comment pouvait-elle sourire alors que sa vie s'échappait de son corps à petit feu ? Il n'y avait pas de quoi rire, pas de quoi être bien !
Néanmoins, plus elle regardait le visage de son amie, plus Sam se rendait compte à quel point elle comptait pour elle. Elle s'était imposée peu à peu dans son décor quotidien, une chose qu'elle avait crue acquise éternellement. C'était ce visage-là dont elle se souvenait quand elle pensait à elle, ce faible et tendre sourire, cette image d'elle semblait figée dans le temps, figée par la mort déjà.

Si seulement...
Si seulement elles ne s'étaient pas rencontrées ce jour-là, si seulement elles ne s'étaient pas percutées devant la boutique. Aujourd'hui, elle ne souffrirait pas. Eléa serait morte sans qu'elle le sache, sans qu'elle ne soit affectée, comme la plus parfaite inconnue.
Cette idée lui causa encore plus de mal. Et pourtant, elle aurait tout fait, tout donné pour que cette douleur disparaisse.

-Si seulement je ne t'avais jamais connue... Murmura-t-elle dans un hoquet.

Eléa frissonna, son sourire ne s'effaça pas pour autant, mais une larme roula sur sa joue. Elle baissa la tête. C'était ce qu'elle souhaitait à tous ses proches. Chaque jour, elle avait prié pour qu'une fois son heure venue, ils l'oublient, pour qu'ils ne souffrent pas de sa disparition. Mais elle avait fini par ne plus croire en Dieu. Elle ne pouvait rien faire pour endiguer cette peine, rien faire pour sauver sa propre vie.

-Oui... On peut refaire le monde avec des « si ». Je ne serais peut-être pas malade, nous aurions peut-être été amies jusqu'à la fin des temps, toujours ensemble, je me serais peut-être mariée, avec Régis, je ne sais pas moi, avec Daniel si ça se trouve...
Les deux concernés piquèrent un fard.
-Peut-être même que je ne me serais pas mariée ! J'aurais eu des enfants, je pense... Je serais peut-être une personne totalement différente, comme tous les gosses de riches, une fille bornée, suffisante, antipathique, croyant que le monde lui appartient... Je ne t'aurais peut-être jamais rencontrée, ou alors je t'aurais affrontée à la ligue et on serait quand même devenues amies... C'est pour ça que je déteste les « si ». Bafouilla-t-elle.

Elle frémit, son sourire se dissipa, elle ouvrit les yeux, ses pupilles brillantes de pleurs, et passa vainement son poing sur ses joues pour les essuyer, mais une autre remplaçait la précédente, encore et encore, inlassablement.
Samantha trembla au même rythme, la bouche tordue en une grimace désespérée tandis qu'Eléa continuait, la voix brisée :

-Parce que les « si » font encore plus mal que la réalité... Avec eux, on peut tout faire, tout devenir, je pourrais vivre avec des « si »... Mais peu importe la force qu'on y met, cela restera toujours des « si »... La fin restera la même... Alors... Alors... Pourquoi se faire du mal ?

Alors comme un pansement qu'on retire vivement, une blessure qu'on soumet à l'air libre, une libération, un cri, une lamentation commune échappa aux enfants. Elle s'éleva, s'éleva, mais personne à part eux ne l'entendit.

L'heure qui suivit, Lucas et Samantha n'avaient pas lâché sa main, pas une seule seconde, comme s'ils avaient pu la sauver par ce simple geste. Ils étaient restés, enlacés les uns aux autres. Elle n'était pas encore morte, leur murmurait-elle, elle était encore là, avec eux, et elle le resterait aussi longtemps qu'elle le pourrait.

Miyu, au-dessus d'elle, était là, il les protégeait. Pour la première fois de sa vie, Eléa ne voulait pas se lever, elle ne voulait plus courir.
Elle désirait rester là, entourée par ses amis, à jamais... Dans les bras de Daniel, à écouter sa respiration sereine, à serrer les mains de Sam et de Lucas, entouré de leurs Pokémons, de ses amis...
Elle se surprit elle-même à songer que si elle mourait maintenant, entourée ainsi, elle ne le regretterait pas. C'était la plus belle façon de finir une existence.

« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

Le début de l'après-midi entamait sa course. Alors que les gens qui renforçaient la digue en voyaient enfin le bout grâce à l'arrivée de la petite Marion devenue si grande, Ondine, elle, constatait les dommages qu'avait subi sa pauvre arène.

Marion, à quelques kilomètres de là, se contentait de donner des instructions à ses Pokémons glace tout en cherchant son cousin du regard. Ondine, elle, devait se plier en quatre pour retrouver toutes les pokéballs éparses, et les débris des tribunes.

-SURTOUT, NE M'AIDEZ PAS, BANDE DE MUFLES !

Son cri venant du cœur était adressé à du vide, car elle se trouvait seule dans la salle principale. Soit les autres préparaient leurs affaires pour partir, soit ils étaient partis régler les quelques détails sur l'affaire Twilight. Elle prit alors un truc, un tissu qui traînait par là - un oreiller pour être exact. Qu'est ce qu'un oreiller foutait là, alors là c'était le cadet de ses soucis. Elle hurla dedans pour se vider de tout ce poids qui enserrait son cœur depuis ce matin.

Elle était en couple avec son premier amour, elle aurait dû être ravie, folle de joie même, mais non il fallait encore que cette foutue Rocket vienne tout gâcher, que cela s'enchaîne sur une scène à faire chialer un Magmar. Une porte claqua au mauvais moment. Yuki, Daniel, Lucas, Gabriel, Régis, Eléa, Silver, Gold, Chris et Angie arrivèrent, leurs paquetages sur le dos, leurs Pokémons revenus dans leurs pokéballs, exceptés Ash, Galifeu et Gobou.

-On va y aller, il faut qu'on remonte le chemin derrière l'arène - avec la digue, impossible de passer par le chemin habituel. Déclara Lucas à Ondine. Tu diras au revoir à tout le monde de notre part ?

La rousse marmonna quelques mots au travers du tissu, que les enfants prirent pour un oui. Les spectateurs de la scène soupirèrent, et jetèrent un coup d'œil las à la grande salle. L'arène semblait partiellement détruite. Plus de toit, des traces d'explosion un peu partout, mais surtout un mur défoncé avec tous les gradins effondrés. Il leur avait fallu déjà une bonne heure pour retrouver les pokéballs de Yuki et Gabriel, ainsi que son ordinateur. Elle avait du boulot, la bonne éducation voulait qu'ils aident, mais ils avaient encore beaucoup de route. Eléanore ne prit même pas le temps de dire au revoir à Sacha - bon, remarquez, elle était un peu fâchée : juste après la scène émouvante, elle lui avait écrabouillé le pied pour se venger.

Les Kazamatsuri soupirèrent puis s'approchèrent de la championne, tirant sur le drap pour l'obliger à les regarder. Daniel sourit :

-J'avais déjà fait mon sac hier, donc j'ai préparé le déjeuner pour tout le monde, il se trouve sur le comptoir dans la cuisine. Il y en a assez pour tout le monde.

La mèche d'Ondine se redressa, elle dévisagea le garçon qui l'avait si souvent aidée plus jeune. Son frère, plus petit, croisa les bras et déclara à son tour, contrit, comme si ce qu'il disait lui brûlait la gorge :

-J'ai appelé Maman et mon oncle... Ils vont envoyer Alice, Aaron et Gaëtan pour vous aider à réparer les dégâts... Et Daniel et moi, on va payer en partie les travaux.

La rousse tiqua, puis ses yeux s'illuminèrent d'étoiles et elle enlaça les deux gamins avec une joie non dissimulée.

-Je vous aime vous deux, épousez-moi ! Plaisanta-t-elle dans un rire soulagé. Faites attention sur la route surtout, je vous tiens à l'œil... Surtout toi, Daniel, je veux être fière de toi. Après tout, je t'ai tout appris !

Le garçon aux yeux vairons rigola et promit, même si au fond de lui son cœur restait gros.
Il n'avait toujours rien dit à Eléanore et aux autres... Pourtant, le moment pressait.
La vérité était qu'il ne voulait pas les quitter, il désirait continuer de marcher derrière les filles, à essayer de les rabibocher, supporter les plaintes de Lucas qui pétait un câble, demander à ce que l'on s'arrête car il était fatigué... Son nouveau quotidien.
Pourtant, sur le chemin, plus ses pas le guidait à la croisée des chemins, plus il savait que c'était devenu inévitable.

Ils quittaient l'arène d'Azuria, et bientôt la ville ne devint plus qu'un rassemblement de maisons minuscules autour de la zébrure claire de la rivière. Ils voyaient l'attroupement de petites caravanes dans un coin, et l'effervescence près de la digue se dissiper progressivement à mesure qu'ils s'éloignaient. Ils pensaient laisser derrière eux un village paisible, indifférent à leurs absences si minimes dans le grand cycle de l'univers. Ils avaient tort. Quelques heures plus tard, Sacha rappliqua chez Ondine, incapable d'aligner plus de deux mots à la suite, pointant un journal où une photo les montrait en train de s'embrasser, sans parler des pages suivantes où on découvrait les scènes similaires pour Drew, Flora, Kenny et Aurore. Des pulsions meurtrières assombrirent le ciel bleu de la cité de l'eau.

Malheureusement, Gabriel et Daniel étaient déjà trop loin. Samantha, devant eux, tenait fermement la main d'Eléanore, la tête baissée, le regard triste, tandis que son amie essayait de la faire rire en lui contant quelques anecdotes idiotes. Le chemin sablonneux d'Azuria, bordé d'arbres au feuillage d'émeraude, laissa place peu à peu à une longue plaine pentue. Deux chemins se séparaient déjà, l'un menant aux montagnes, l'autre vers la ville côtière. Sa gorge se serra. Les filles continuaient droit devant. Eléanore, sans lâcher Sam, discutait à présent avec Christopher et Angèle et leur demandait gentiment quel genre de travail ils allaient faire à présent, après l'assistanat chez Chen ou les Joëlles, avaient-ils l'intention de lancer leurs propres affaires ? Gold et Silver écoutaient d'une oreille distraite, silencieux, le roux ne digérant pas tout à fait l'évènement de ce matin, et s'inquiétant à présent pour sa disquette, et Gold déprimé depuis la veille. Le soleil atteignit enfin son zénith. Il ne restait presque plus rien de la chute de neige, seules quelques flaques de ci de là... Daniel évita de regarder son reflet dans l'une d'elles quand Régis lui fit signe de s'arrêter, et qu'il obéit avec son frère et Lucas.

Les filles se retournèrent, haussant un sourcil. Les regards obliquèrent en direction de Daniel qui vira au rouge instantanément. Régis se pencha vers Eléanore et lui sourit en lui expliquant :

-C'est ici qu'on se sépare, Eléanore. Je dois absolument me rendre à la Centrale Électrique, pour vérifier quelque chose pour Sacha... Et ensuite, je me rends à Lavanville, quelqu'un m'y attend expressément.

La gamine aux couettes écarquilla les yeux, chercha une réponse, pour finalement balbutier un beau : « Oh... » comme si c'était l'évidence même. Le jeune savant caressa le crâne de son amie d'enfance d'une manière paternelle, protectrice.

-Tu me promets de faire attention à toi ? Et tu m'appelles tous les soirs, ok ?
-Oui, ouiiii... J'ai déjà des gardes du corps sur le dos, t'en fais pas ! Je ne ferai pas de bêtises ! Plaisanta Eléanore, un rictus forcé sur la frimousse. Les concernés, Chris et Angie, cherchèrent les gardes du corps en question avec intérêt.

Régis la dévisagea un moment, la jaugeant de haut en bas, puis se tourna vers Yuki et Sam, pour leur demander de veiller sur elle. Le professeur promit faiblement, et son amie ne répondit rien, se contentant d'hocher faiblement la tête. Ses poings se serrèrent jusqu'à ce que ses phalanges en blanchissent.

Le petit-fils de Chen se redressa, las, puis fit un dernier au revoir avant de s'engouffrer sur le chemin montagneux. Les filles se retournèrent, firent quelques pas, avant de se piler net, et de faire volte face, inquiètes.

-Tu as mal à la cheville, Danny ? Tu veux qu'on fasse une pause ? Demanda Eléanore en remarquant que les garçons n'avaient pas bougé du carrefour.

Lucas donna une tape dans le dos à son meilleur ami, avant de se masser la nuque, ennuyé par les évènements lui aussi. Gabriel, indifférent, resta de marbre.

-Oh... Répéta à nouveau Eléanore.

Daniel leva un regard désolé vers elle et tenta de balbutier un mot, mais ses lèvres se tordirent timidement, et il se gratta la joue.

Samantha lâcha la main de son amie et s'approcha des garçons, les sourcils froncés, cherchant l'erreur. Yuki recula de quelques pas, pour venir auprès des autres, peu concerné par l'affaire, d'après lui. Il comprenait parfaitement, même si ça lui faisait un peu de peine de les voir s'en aller si vite. Daniel et Lucas restaient des enfants intéressants, à qui il était vraiment plaisant d'enseigner. Cependant, en devenant professeur, il savait que les séparations venaient avec les rencontres, les filles devaient aussi l'avoir compris à présent.

-Danny, si tu t'es pissé dessus pendant le combat, fallait changer de pantalon tout à l'heure ! S'exclama soudainement Eléanore, les mains sur les hanches.

Lucas éclata de rire, alors que son camarade piquait un fard. Eléa arqua un sourcil. Aurait-elle eu raison avec sa plaisanterie ? Mais à la frimousse mi-figue mi-raisin de son ami, elle eut un mauvais pressentiment. Le gamin la fixa longuement, prit une profonde inspiration, scruta les lieux quelques secondes avant de souffler d'un coup :

-Lucas, Gabriel et moi, on suit Régis...

Deux paires d'yeux s'écarquillèrent. Samantha ouvrit la bouche, mais aucun son ne s'échappa de ses lèvres. Elle resta le doigt levé, le visage figé, les sourcils inconstants. Comme si elle se trouvait devant un problème complexe dont elle ne parvenait pas à dégoter la solution. Eléanore, elle, fixa un long moment son ami, perplexe, avant de baisser le regard, et de contempler ses pieds, le rouge aux joues, l'air mélancolique.

-Oh... Evidemment, vous pouviez pas rester avec moi indéfiniment... Bafouilla-t-elle sans oser lever la tête, gênée, la voix chargée.

Les regards des enfants glissèrent eux aussi vers le sol, honteux, comme assommés par le poids de cette information. Un silence tendu s'installa entre eux. Une ambiance lourde, remplie de souvenirs communs les entoura. Cela leur pesa sur l'estomac de se dire qu'ils ne déjeuneraient plus ensemble, qu'ils ne se raconteraient pas des bêtises autour du feu de camp, qu'ils n'entraîneraient plus leurs pokémons en s'entraidant les uns les autres... Ils ne joueraient même plus à leurs jeux stupides, comme celui qui boit le plus et le plus vite de l'eau glacée, jusqu'à avoir le cerveau complètement gelé et de marcher tel un ivrogne. Une question les frappa : de quoi allaient-ils remplir leurs journées de marche maintenant ? Ne risquaient-ils pas de s'ennuyer sans eux ?

C'était vrai que leurs rencontres méritaient de figurer dans le livre des records, dans l'article « commencements débiles de drôles d'amitiés ». Tomber dans un gouffre puis sur ledit ami ou prendre l'autre pour un fou échappé d'un asile, ce n'était pas vraiment le bon premier pas, certainement. Cependant, même s'ils s'étaient un peu invités dans le groupe de filles, si au début ces garçons leur semblaient être de gros boulets, elles s'étaient bienheureusement trompées. Ils avaient traversé bien plus d'épreuves ensemble que séparément, maintenant qu'ils y pensaient, et ils s'en étaient tirés seulement parce qu'ils se supportaient les uns les autres.

Samantha ne résista pas et elle se jeta dans les bras de Lucas. Le grand dadet, surpris, mit un moment avant de répondre à son étreinte. Embarrassé, il balbutia :

-C'est seulement maintenant que tu réponds à mes avances ? Si j'avais su, je serais parti plus vite.
-Crétin ! S'offusqua la jeune fille en le serrant un peu plus contre elle.

Elle était si petite comparée à lui que sa tête parvenait à peine à la hauteur de son torse. Dire que c'était la première chose qu'elle avait remarqué chez lui, sa taille immense... Quand elle avait songé quelques fois à cet instant fatidique, le jour des séparations, elle s'était imaginée plus vieille, mais aussi, bizarrement, aussi grande que lui. C'était loupé. Elle retint un sanglot, ne s'autorisant pas à verser à nouveau des larmes, même si ses entrailles se tordaient tellement qu'elle voulait vomir.

Gabriel soupira devant la scène. Agacé par sa lenteur. Il reporta son attention sur son frère et Eléanore. La gamine n'osait toujours pas regarder son aîné, elle triturait une de ses mèches de cheveux courts, muette, ailleurs, loin, loin de cet instant.
Elle détestait les adieux.

-Eléa, je... Commença Danny.
-C'est pas à cause de ma maladie que vous partez ? Je vous dégoûte ? Lucas ne veut pas s'attacher à une mourante ? Le coupa son amie, sa frimousse prenant brusquement un air dur, courroucé, sans pour autant plonger ses pupilles d'émeraude dans celles vairons de son coéquipier.
Le cœur du brun bondit dans sa poitrine. Révulsé à cette simple supposition, il s'exclama plus fort et précipitamment qu'il ne le voulut avec son ami :
-NON ! Jamais de la vie !
-Alors pourquoi vous partez maintenant ? Répondit Eléanore, énervée par cette réaction.
-C'est à cause de Régis... Mentit-il difficilement. Je vais devenir ce qu'on appelle un Shiney Hunter, il peut m'apprendre beaucoup avec ses recherches, c'est une chance... unique... On va dire.

La fillette aux couettes ne répondit pas, attendant une suite dans des explications encore trop lacunaires à son goût.

-Lucas est mon meilleur ami, il veut m'accompagner, et je ne peux pas laisser Gabriel tout seul... Continua Daniel de plus en plus troublé par l'expression d'Eléanore devant lui.
-Et c'est vraiment ce qui te plait ? Ce truc, le Shiney Hunter ? Demanda-t-elle brusquement. Ça vaut le coup de briser ta promesse envers moi ?

Daniel tiqua, prit un visage résolu et froid, toute rougeur disparut de ses joues, et ses lèvres se pincèrent, retenant un cri. Oui, sa réaction pouvait paraitre lâche, il l'abandonnait comme ça, sans rien dire, il n'avait même pas eu le courage de le lui avouer avant... Mais il ne brisait pas sa promesse, ça jamais ! Cela revenait à faire exactement comme son père. Ses poings se serrèrent, puis il se força à sourire.

-Evidemment que j'aime ça ! Il faut avoir une patience incroyable pour repérer un nid de pokémons susceptible de comporter un shiney, imagine un peu à quel point on doit se sentir fier quand on en attrape enfin un ? Des centaines de personnes n'en voient jamais dans leurs vies, ils ignorent même que ce genre d'espèce existe... C'est... c'est génial, tu ne trouves pas ? Tout ce qu'on pourrait apprendre au contact de créatures comme ça ? C'est du mystère dans le plus grand mystère de l'univers : les pokémons. S'enthousiasma le gamin.
Plus il répétait ce discours, plus son rythme cardiaque s'accélérait, plus il avait hâte de découvrir ce métier étonnant. Malgré lui, il se prenait petit à petit au jeu.

Eléanore se tourna vers lui, Samantha et Lucas l'observèrent un instant, étonnés par les prunelles lumineuses, brillantes de curiosité de ce gamin habituellement amorphe. L'adolescente aux couettes le fixa à nouveau, sans oser respirer, émue, la mâchoire serrée. Intimidée, elle se rendait compte peu à peu qu'il en avait vraiment envie, qu'il partait pour une bonne raison. Cette constatation lui compressa la poitrine plus encore. Elle n'avait même pas d'excuse pour lui en vouloir, elle aussi avait suivi ses rêves, quittant ceux qu'elle aimait. Elle se demanda quelques secondes si ses parents avaient ressenti la même détresse qu'elle, lors de son départ. S'ils étaient prêts à tout, même les pires bassesses, pour la récupérer, pour qu'elle ne les quitte pas.

Elle soupira ardemment, l'air stagnant dans ses poumons refusant de sortir, d'abandonner la lutte interne qu'elle menait. Mais elle gagna, sa raison gagna au détriment des ses sentiments.

-Tu vas rire... Plaisanta-t-elle en plissant les yeux jusqu'à s'en fendre les paupières, pour ne pas voir la silhouette de son ami sur le point de partir. Mais... Tout à l'heure, j'ai vraiment cru qu'on resterait comme ça jusqu'à la fin des temps... Et puis maintenant, vous partez si vite, je sais pas vraiment quoi répondre. Je pourrais dire la vérité, que je préfèrerais que vous restiez, mais... Si tu fais ce que tu aimes Daniel, moi plus que personne, je ne peux pas t'en empêcher...

Elle soupira à nouveau, rouvrit les yeux, retenant un reniflement, passa son poing sous son nez pour s'empêcher de fondre en larmes. Les prunelles étincelantes, elle eut un rictus.

-Alors, bon... Bon voyage ! Vous avez intérêt à réaliser vos rêves, hein !

Sans prévenir, Daniel s'approcha d'elle et prit tendrement dans ses mains sa frimousse blanche, et tremblante. Elle fut comme aspirée par ce regard à la fois si bleu, profond que la mer et aussi sombre que la boue. Elle devint aussi rouge qu'un Ecrapince. Samantha et Lucas affichèrent de drôles têtes tout d'un coup. Mais pourquoi elle pensait à eux maintenant alors que Daniel se rapprochait si intimement ?! Les idées fusaient sous son crâne en surchauffe, mais elles sautaient dans tous les sens, comme prises d'un hoquet incontrôlable. Mais qu'est-ce qu'il faisait, cet idiot shooté ?

Le coup de chaud disparut aussi vite qu'il était apparu quand Daniel frotta le bout de son nez contre celui d'Eléanore. La gamine ne sut dire si elle était déçue ou non tant son cœur battait vite. Miyu, au-dessus d'elle, eut un rire narquois, lançant un : « Il t'a bien eue, sur ce coup ! Je l'adore ce gamin ! ». Elle recula tandis que Danny lui souriait, encore une fois son sourire de la première fois, totalement déconnecté de la réalité.

-C'est comme ça que se disent au revoir les pokémons avec des museaux. Expliqua-t-il. Donc pratiquement tous les pokémons feu le font. C'est parce que la plupart du temps, le museau est une des seules parties du corps qui ne sert pas à l'attaque, donc pas de risque de se blesser. C'est mignon, tu ne trouves pas ? Mes deux sœurs le font tout le temps.

« Je crois qu'il te traite de pokémon ! » Commenta Miyu, avec une expression impressionnée, inquiète presque. Eléanore pensa une seconde qu'il avait de la chance d'être juste un esprit, sinon il se serait pris un coup de pied à l'endroit stratégique chez les gars. Le spectre eut beau pousser un « HEY ! » de protestation, elle l'ignora. Sa poitrine semblant plus gonflée d'allégresse que d'oxygène, son ventre la chatouillait malgré sa colère. Daniel se pencha de nouveau vers elle et lui lâcha :

-Je n'abandonne pas ma promesse, j'ai ton numéro, et tu as celui de Régis... On se verra tous les soirs par téléphone. Je continuerai à être ton confident, tu pourras tout me dire, et si tu as des problèmes, je sais pas encore comment, mais je trouverai un moyen de te rejoindre ! En attendant, Evoli est avec toi. Rigola-t-il.

Eléanore osa faire un sourire timide, se sentant brusquement stupide d'avoir douté de la parole de son ami. Il gardait pourtant toute sa confiance, elle avait même failli lui dire qu'elle voyait un fantôme. Elle ne savait pas vraiment non plus comment il pourrait tenir sa promesse, mais elle sentait qu'il le ferait. Daniel se redressa, souleva un peu le bandeau de sa camarade et déposa un baiser sur son front avant de sortir :

-Et bien... A bientôt ! La prochaine fois qu'on se revoit, j'aurai peut-être une surprise pour toi !

Eléanore resta pétrifiée, toute pantelante par cette promesse muette, mais un doux sentiment l'envahit. Oui, elle était sûre de les revoir, elle tiendrait bon.
Samantha vint enlacer Daniel à son tour, en lui avouant qu'il allait lui manquer terriblement. Même Gabriel eut droit à une étreinte de la part des filles. Eléanore, euphorique, se moqua même des deux autres en répliquant :

-C'est toi qui va me manquer le plus, t'es une peste, mais t'es le plus mignon !

Le cadet resta de marbre face à cet essai raté pour rendre son frère jaloux, mais il leur rendit les compliments, en espérant les revoir lui aussi. Ils allaient se quitter avec des sourires quand brusquement Samantha se retourna, fit volte face en attrapant le poignet de Eléanore et courut rejoindre les garçons. Les anciens coéquipiers la dévisagèrent, embêtés qu'elle veuille prolonger encore ces instants de profonde mélancolie. Mais la fille adoptive des Joëlles sortit une pokéball de sa poche, celle juste à côté de celle de Wattouat, capturé ce matin.

Elle la montra à ses amis, en proie au doute, et déclara :

-C'est la pokéball de Barpau... Charline nous l'avait donné en disant qu'il symbolisait notre amitié grandissante, vous vous souvenez ?

Les enfants hochèrent de la tête, intimidés, ne comprenant pas où elle voulait en venir. Sam prit la main de Lucas et déposa l'objet si précieux dans le creux de sa paume.

-Je veux que tu le gardes, Lucas... Tu es certainement le garçon le plus fidèle en amitié que je connaisse, et même s'il est encore un peu petit, je sais que tu t'en occuperas bien.

Le brun vira au rouge vif, complètement déboussolé, et balbutia des bouts de phrases toutes plus incohérentes les unes que les autres mais qui ressemblaient vaguement à des remerciements. Les filles esquissèrent un sourire, et Samantha continua :

-Comme ça, nous ne serons pas vraiment séparés, Barpau sera avec vous, et Evoli avec nous... A notre prochaine rencontre, nous montrerons à quel point ils ont grandi tous les deux, comme notre amitié. Qu'est-ce que vous en pensez ?
-Tu deviens une experte en amitié, Sam ! La railla Eléa devant son amie de plus en plus confondue.
Lucas resta un moment coi, avant de répondre à son tour, ravi, les fleurs de son sketch sorties de nouveau après une longue durée enfermées dans un placard.
-C'est d'accord pour moi ! Mais à la seule condition qu'on lui donne un surnom tous ensemble !
-Bonne idée ! Approuvèrent les anciens coéquipiers. Eléanore ouvrit son pokédex et chercha l'évolution du pokémon poisson. Elle poussa un cri de dégoût quand elle vit l'espèce de serpent d'eau aux tons saumons.
-Je propose serpent d'eau douce... Balança-t-elle, refroidie d'un coup.
-Les Milobellus sont connus pour briller en concours, analysa Daniel.
-Ce sera donc une étoile grimpante, affirma Samantha, sûre d'elle. Surtout avec un bon dresseur comme Lucas, il fera des étincelles !
Le brun parut plus attendri par le compliment que par la recherche du surnom.
-Vous voulez donc un prénom qui connote l'idée d'étoile ? Demanda Gabriel doucement.
-J'aime bien « mocheté ». Insista Eléa avant de se prendre un gentil coup de coude de Sam.
-Hoshi, ça veut dire étoile dans une autre langue, lança Lucas. Alors, ça vous plaît ?

Les enfants imaginèrent quelques instants les futurs combats du pokémon, s'interrogeant sur l'esthétisme de ce prénom. Au bout de quelques minutes, ils s'enthousiasmèrent et approuvèrent. Lucas mit un point final à la discussion en marquant au stylo indélébile le nouveau surnom du barpau. Un long silence respectueux s'imposa, presque sacré. Les enfants s'entre regardèrent à nouveau, sous les yeux bienveillants des adultes qui les entouraient, et ils se jetèrent une dernière fois dans les bras les uns des autres. Ils se serrèrent aussi forts qu'ils le purent, pour empêcher ce moment de s'achever, pour ne pas s'éloigner. Les scènes communes tournaient dans leurs mémoires. Ils avaient presque l'impression qu'un oiseau géant les protégeait de ses ailes aux éclats de leurs réminiscences. Les plumes aux couleurs des souvenirs voletaient, tournoyaient, les réchauffaient un peu, avant de les lâcher dans le monde séparément et prendre son envol. Un oiseau gracieux qu'ils reverraient, tôt ou tard, qui atterrirait près d'eux un beau matin, à moitié déplumé, prêt à reconstruire à nouveau des instants ensemble.

Les gamins reculèrent, s'éloignèrent les uns des autres, partant sans se retourner, sans pleurer. Une seule pensée en tête les faisait avancer avec autant d'assurance. Ils se reverraient.

Gabriel contempla les amis de son frère partir à l'horizon. Leurs petites silhouettes disparaissaient petit à petit, englouties par la distance. Il lança un regard torve à son aîné, qui poursuivait Régis en boitillant, de nouveau ailleurs, aux côtés d'un Lucas pensif, serrant la pokéball d'Hoshi avec un sourire béat.
L'atmosphère était presque trop solennelle, il ne put résister.

- Dis, Daniel, le bisou sur le front, ce n'était pas ce que te faisait papa avant chaque départ ?

Plusieurs Piafabecs s'envolèrent de la montagne, apeurés par le cri qui venait de résonner.

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Une jeune fille blonde souffla un bon quart d'heure, exténuée par son travail de toute une nuit. Cependant, le pont de fortune était enfin construit, et la digue consolidée. Déjà, un groupe inaugura le passage : une jeune femme aux longs cheveux noirs qui accompagnait son élève avec des taches de rousseur, arborant un bandana, et se dirigeant vers Carmin-sur-mer puisque l'arène était fermée.

Tout semblait aller pour le mieux, les habitants respiraient enfin après cette nouvelle aube, soulagés. Un seul point sombre restait sur le tableau. Elle n'avait trouvé Lucas nulle part. Marion s'affala au sol, agacée. La colère mélangée à la fatigue lui fit abandonner la lutte. Après tout, elle connaissait son cousin : plus borné que lui, il n'y avait pas ! Elle ne pouvait rien faire, et puisqu'il rêvait de la défier, elle le retrouverait forcément.

Elle se répéta cette excuse en boucle pour faire taire son inquiétude, tout en se dirigeant vers l'arène, point de rendez-vous avec Sacha. Sa mission avait déjà deux jours de retard, Twilight n'attendait pas. Peter ne l'accepterait pas, la mission Artémis était bien trop urgente pour être laissée si longtemps de côté pour une querelle familiale.

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Un couple marchait à vive allure lui aussi, traversant la plaine sans un mot.
La plus grande, à la silhouette svelte, aux cheveux noirs et aux pupilles d'onyx, restait totalement impassible. Elle marchait loin derrière le plus jeune, ne le perdant pas du regard une seule seconde, prenant sa tâche très au sérieux - même si son esprit menaçait de dériver depuis sa dispute avec Akira Yuki.

-Armand ! Ne t'éloigne pas ! Cria-t-elle. Ces plantes sont venimeuses, lâche-les tout de suite !

Le garçon au bandana se redressa, une poignée de plantes renfermée fortement dans le creux de son poing. Il arqua un sourcil et s'exclama :

-Calmez-vous, je suis fils d'éleveur, n'oubliez pas. Je connais les plantes, elles ne sont pas venimeuses, celles-ci.

Lily le rejoignit, mais coupée dans son élan, elle s'arrêta à quelques pas de lui. Les sourcils froncés, elle venait de se remémorer un souvenir similaire avec Akira et Shinobu. Une des nombreuses fois où ils s'étaient croisés dans leurs voyages initiatiques d'un an, et où Shin avait eu une intoxication parce qu'Akira avait cueilli les mauvaises herbes. Son cœur se serra, elle se réprimanda mentalement de songer à nouveau à lui. Songer aux bêtises des morts ne les ramenait pas. Son élève s'approcha d'elle et la dévisagea quelques secondes avant de soupirer, agacé par ces sautes d'humeur.

- Vous, vous êtes ailleurs... Commenta-t-il avant que des silhouettes à l'horizon n'attirent son attention. Oh des dresseurs, je vais en mettre un au défi !

Lily réalisa trop tard sa phrase, se demandant si Akira avait pu se sortir du mont Sélénite indemne, finalement. Elle dut courir à la suite de son élève pour le rattraper, mais ses jambes s'emmêlèrent les unes aux autres quand elle reconnut les ombres se dessinant devant eux. Elle avait sa réponse. Elle trébucha et se reprit vaillamment, à demi-assommée, perturbée par le poids des souvenirs. Du souvenir de sa rupture.

Non, elle ne voulait pas le voir, pas dans cet état, ça faisait encore trop mal, elle ne pourrait s'empêcher de se fâcher comme la dernière fois... Et cette fois, elle risquait vraiment de mettre fin à leur relation. Elle ne le souhaitait pas, elle ne désirait pas jeter dans le fossé les plus belles années de sa vie, aux côtés des Yuki, simplement en ne pouvant se maîtriser. Elle essaya encore et encore de chasser les images qui remontaient à la surface, de reprendre son calme, en vain. La panique, la tristesse évolua peu à peu en colère, en fureur à la fois contre elle-même et contre Akira qui provoquait toutes ces sensations. Elle devenait incapable de se contrôler en sa présence. C'était plus fort qu'elle, elle avait beau tout faire pour le lui cacher, elle ne savait plus comment réagir, et souvent, la colère battait trop vite sa raison.
Elle savait pourtant que c'était stupide, stupide de lui en vouloir pour des spéculations, pour des choses passées, qu'un souvenir douloureux ne devait pas entacher tous les autres remplis de joie, achevés ou futurs, mais c'était plus fort qu'elle.

Elle se rappelait encore du lit froid dans lequel elle s'était réveillée, de la grande place qui lui restait en son absence. Elle sentait encore la solitude de leur appartement en ce matin indifférent à sa souffrance. Elle avait loué cet endroit après la mort de Shinobu, pour qu'Akira échappe à ses parents, pour qu'il se remette... Ils y vivaient depuis presque six mois. Elle-même était heureuse de pouvoir prendre son indépendance par rapport à ses parents aisés, de voler de ses propres ailes, même si le contexte donnait un goût amer à la liberté.

Armand se posta devant une de ses anciennes camarades de classe. Lily vit la concernée arquer un sourcil, l'air malheureux. Le professeur savait déjà qu'elle avait été son souffre-douleur pendant des années. Elle laissa pourtant couler. Si cette gamine n'affrontait pas ses peurs premières, jamais elle ne pourrait grandir sereinement. Son élève ignora royalement Silver, comme s'il avait oublié le visage d'une personne l'ayant battu à plate couture, et lança un défi, un match un contre un à sa rivale. Yuki poussa Samantha à accepter. Alors que l'adolescente obéissait et sortait un Kraknoix, le brun jeta une œillade innocente à Lily. Celle-ci détourna la tête et se concentra sur Armand qui appelait son Piafabec.

Lily plissa les yeux, son cœur se contractant. Elle s'était levée seule, elle avait d'abord cru à une blague en prenant le réveil. Il devait à peine être sept heures, si Akira était déjà debout, pour elle cela ne signifiait qu'une chose : elle avait loupé la fin du monde. Mais elle s'était lourdement trompée. Il lui avait fait le coup déjà plusieurs fois. Elle s'était précipitée sur le téléphone après la douche pour l'appeler, savoir où il se trouvait. Elle avait voulu s'assurer qu'elle n'avait pas rêvé de leur nuit, de peur de devoir à nouveau consulter un psy. Seulement, après les tintements répétitifs, inlassablement longs, c'était une autre personne qui lui avait répondu. Elle se remémorait avec les mêmes sentiments, les mêmes douleurs, chaque mot, chaque syllabe de cette discussion, chaque son en arrière-plan. Parce que c'était une voix de femme qui avait retenti à son oreille, pas celle de son ami. Cette garce avait lancé nonchalamment :

-Oui, quoi ?

Elle avait immédiatement détesté ce timbre aigu, parlant du nez.

-Je cherche à joindre Aki... Akira, il est là ? Avait-elle bafouillé, se tortillant à l'autre bout du fil, ayant l'impression d'être la plus grosse idiote que la terre ait jamais portée.
-Qui ? Avait miaulé l'inconnue.
-Le garçon à qui appartient ce portable ! Avait hurlé Lily, manquant d'arracher le fil sous l'impulsion.
-Ah lui ! Je vais le réveiller, il a pas pu dormir beaucoup et il ronfle, maintenant.

Et là, là les barrières avaient cédé. Elle avait perçu les grognements agacés d'Akira, les mêmes qu'il poussait quand elle le réveillait le matin pour se rendre en cours. Sauf que ce n'était pas elle qui le secouait tendrement pour l'obliger à se lever, ce n'était pas elle qui s'insurgeait contre sa flemmardise... Ce fut à une certaine Annie qu'il maugréa les insultes habituelles pour interrompre son cycle de repos. Même ça, même ça... Il le lui faisait aussi. Ses mains moites glissaient peu à peu sur le fil du téléphone, et quand elle entendit enfin la voix d'Akira, ensommeillée, sa gorge s'obstrua. Elle avait ressenti une fureur immense, déclenchée par la seule question innocente de son interlocuteur : « C'est qui ? ». Elle avait eu envie de lui crier ses quatre vérités, de le gifler. Qui cela pouvait-il être d'autres ! Combien de femmes voyaient-ils derrière son dos ! Il aurait au moins pu se montrer discret, abandonner ce ton condescendant !

Lily lui avait raccroché au nez sans y répondre, et elle s'était étalée sur le lit. Elle avait repensé à Shinobu, à tous ses souvenirs avec lui et son frère. Comment avait-il pu mourir, cet imbécile ? Et la laisser là, toute seule ? Sa mort avait tellement changé Akira, elle le reconnaissait à peine... La flemme dont il était victime - et dont il se moquait ouvertement - avait pris le contrôle total de lui. Il semblait amorphe, ensommeillé tout le temps, il réalisait à peine ce qui se produisait autour de lui. Et elle aussi, apparemment... Elle n'avait même pas été capable de voir que son petit ami la trahissait derrière son dos.

Samantha parut décontenancée par le choix de son adversaire. Un Pokémon de type Vol ne craignait pas ses capacités Sol, évidemment. Elle devait s'y attendre, face à Armand - après tout, il avait eu lui aussi son diplôme et avec une mention d'excellence. Elle se mordit la lèvre. Elle n'avait pas vraiment la tête à combattre, ses pensées se portaient toujours vers Eléa et son étrange maladie.

Elle porta une main à sa poitrine et se força à expirer profondément.
Eléanore, elle, ne devait pas être capable de sentir l'air gonfler pleinement ses poumons.
Elle secoua la tête vivement. Non, elle ne devait pas penser à cela, pas maintenant, pas contre Armand. Elle ne devait pas perdre contre lui.

Son amie, derrière elle, tenait toujours son bandana avec un sourire béat, à tel point que ce fut Silver qui l'encouragea, à la plus grande surprise de Gold - si on en jugeait par sa tête. Samantha se braqua, tâchant d'oublier ça une paire de minutes, le temps de montrer à Armand ce qu'elle valait. Elle connaissait déjà son style de combat, elle l'avait trop souvent subi pendant des années, avec les pokémons loués à l'académie. Quoi qu'il se passait, il attaquait, elle n'avait jamais entendu l'ordre « esquive » de sa bouche. C'était toujours œil pour œil, dent pour dent : on lui envoyait un Ultralaser, il répliquait avec un autre type de rayon.

Elle inspira à nouveau avant de froncer les sourcils et de lancer ses premiers ordres. Kraknoix éternua, changeant un instant de couleur, mais si Armand parut surpris, son professeur, elle, ne le remarqua pas du tout, plongée dans ses pensées.

Elle avait passé la journée emmitouflée dans une couverture, à zapper encore et encore, sans s'attarder sur la moindre chaîne, l'esprit perdu, sans pouvoir arrêter de pleurer. Elle se fichait du programme TV, du tournoi en direct de la Saint Valentin ! Elle s'en fichait, du retour du dresseur masqué ! Elle s'en fichait de cette fête commerciale à la noix !
Elle n'était pourtant pas une fille ultra romantique, elle voulait juste passer la soirée en tête à tête avec lui, elle ne lui réclamait pas des roses, même pas de cadeau, elle ne lui demandait pas des efforts insurmontables, juste de la respecter un peu ! Un tant soit peu !
Mais c'était trop pour lui.

-Merry ! Cria Armand à l'adresse de son Pokémon oiseau. Attaque Picpic !

Le petit aigle fondit sur sa proie, Kraknoix tressauta, sauta d'un pied à l'autre en attendant l'ordre de sa dresseuse. Alors qu'il se recroquevillait déjà sur lui-même pour se protéger un minimum de cette offense, la voix de Sam retentit enfin.

-Tourbi-Sable !

La masse d'air partit en vrille de sa gueule béante aux dents acérées, le Piafabec se vit alors emporté et repoussé par la force d'une tempête de sable sortie de nulle part. Il fut malmené, tourbillonnant au gré des vents contraires avec les grains de poussière. La tête dut lui tourner rapidement car son plumage tourna au vert. Armand se mordit la lèvre. Cela n'aurait pas dû toucher son pokémon, normalement, mais cette capacité faisait partie des exceptions. Samantha connaissait son tableau par cœur. Cependant, le garçon ne se laissa pas faire, il leva le bras et ordonna de suite :

-Poursuite !

Lui aussi, il avait appris les avantages et défauts des move-set de ses pokémons. Poursuite suivait l'adversaire : il pouvait traverser tous les remparts qui se dressaient sur son chemin avec cette attaque. Le Pokémon aigle donna un coup d'aile majestueux, et il fondit droit sur le crabe orangé. Alors que son corps allait se heurter au mur de sable, le pokémon disparut pour réapparaître de l'autre côté, déterminé. Samantha ferma la bouche, puis la rouvrit aussitôt, son pokémon paniqué perçut alors cette injonction :

-Feinte !

Armand se crispa. Elle ne pouvait pas prendre son mouvement et le retourner contre lui ! Pourtant, alors que Piafabec se jetait sur son opposant, celui-ci disparut l'espace d'une seconde pour réapparaître derrière son dos et le frapper de toutes ses forces. Armand recula de deux pas. Puis, les mâchoires serrées, il répliqua :

-Aéropique !
-Tourbi-Sable ! Répéta à nouveau Samantha, instantanément.

A nouveau, son Pokémon se prit le cyclone colérique de plein fouet et fut refoulé, culbuté en l'arrière, contraint de renoncer à son attaque. Armand maugréa et se mordit le pouce. Ce n'était pas censé se passer comme ça. Normalement, c'était sa stratégie, ça ! Pas la sienne !
Les regards des deux dresseurs se croisèrent, le gamin sentit ses jambes trembler, comme si les pupilles bleues argentées de l'adolescente devant lui menaçaient de l'aspirer, de l'avaler, de le dévorer tout entier. « Je connais chacun de tes mouvements ». Voilà ce qu'il y lut. Un frisson lui remonta le long de la colonne. Il déglutit, il se retourna pour chercher du soutien auprès de son professeur encadrant mais celle-ci était absorbée par la vision d'une fleur particulièrement laide.

Les minutes, les heures s'étaient écoulées bien lentement, ce jour-là. Elle s'était réfugiée dans les souvenirs pour ne plus souffrir, mais à la simple idée qu'ils soient eux aussi entachés par le mensonge, les pleurs revenaient.

Finalement, alors que le crépuscule teintait d'une belle couleur rose le ciel du quartier chic de Jadielle, la sonnette de l'entrée avait retenti. Lily s'était levée tel un automate, elle avait saisit le paquetage qu'elle avait réuni entre les sanglots, et elle avait entrouvert la porte.

Akira se tenait sur le seuil, il lui souriait comme de rien, les traits tirés, fatigués. Il portait un cadeau enrubanné sous le bras. Il l'avait regardée et murmuré : « J'ai oublié mes clefs ce matin, je suis content que tu sois encore là pour m'ouvrir, sinon j'étais dans la mouise ! ». Il lui avait tendu le cadeau en lui souhaitant une joyeuse Saint Valentin. Comme si de rien n'était. Comme s'il n'avait jamais rien fait ! Les sanglots stagnants dans sa gorge étaient brusquement remontés, plus coupants qu'un millier d'aiguilles acérées. Elle aurait voulu ne jamais rien savoir, continuer à ne se douter de rien, à vivre avec lui dans l'ignorance, et paradoxalement maintenant qu'elle connaissait les raisons de son absence tout en elle le criait, elle n'était plus capable de supporter cette vie. Lily lui avait alors jeté un regard aussi noir que sa colère, que sa peine, auquel il avait répondu par un haussement de sourcils, étonné par sa réaction.

Armand se ragaillardit. Et puis quoi encore ? Il l'avait toujours battue à l'école, même si les combats pokémon n'étaient jamais notés. C'était le seul domaine où il la surpassait. Il ne perdrait pas ça. Il brandit le bras et s'exclama :

-Merry, on retente le coup ! Attaque Poursuite, puis Furie !

A nouveau, l'air siffla, la tempête de sable fut transpercée, traversée par un éclair noir. Le Piafabec fondit sur sa proie tel un avion de chasse, et alors qu'Armand s'attendait à ce qu'elle utilise de nouveau l'attaque Feinte pour esquiver, Samantha sourit en lâchant :

-Kraknoix, attaque Eboulement !

Le Pokémon frappa le sol de sa patte et la terre meuble se fendilla, avant de ployer sous sa volonté. Des monceaux de roche s'envolèrent sous la pression, craquèrent sauvagement, et s'effondrèrent droit sur le volatile. Le sang d'Armand se glaça dans ses veines. C'était un coup direct dans la faiblesse ! Normalement, ce pokémon ne maîtrisait pas une telle capacité ! Il réagit au quart de tour : il devait éloigner son pokémon de la zone à risque, et atteindre le Kraknoix. Celui-ci ne tenterait pas cette technique si près de lui.

-Poursuite !

Malheureusement pour lui, il vit Samantha pointer du doigt un endroit précis à son pokémon. Son regard se planta à nouveau dans celui de sa peur enfantine. « Je connais tous tes mouvements ».
Le Piafabec réapparut pile à cet emplacement et les rochers s'abattirent impitoyablement sur lui sous les cris paniqués de son dresseur.
Armand se précipita vers son compagnon et l'extirpa de cette tombe de cailloux avec précaution, les bras frémissants, encore tout tremblant de cette impression nouvelle face à la gamine qu'il avait si souvent persécutée. La concernée alla rejoindre son Kraknoix et le cajola pour le féliciter. Elle avait su lire les réactions de son Piafabec. Evidemment, une attaque telle que Poursuite, qui accélérait considérablement la vitesse une brève seconde pour percer les défenses, ne pouvait se faire qu'en ligne droite. Elle avait dû capter l'axe de son pokémon avant qu'il ne disparaisse.

Son rival frissonna. Elle menait le combat depuis le début. Il vit alors les amis de Sam se jeter sur elle pour la complimenter de son combat. Son professeur encadrant lui frotta le crâne avec un rire. Armand se tourna vers Lily. Celle-ci, remarquant la fin du combat, vint prendre le Pokémon blessé et elle le soigna gentiment, sans un mot, sans une plainte ou une remarque pour son élève. Elle se situait bien loin de ce champ de bataille.

Elle lui avait lancé ses affaires à la figure et balancé son cadeau par terre, l'avait giflé magistralement et toutes les digues avaient lâché. Elle s'était effondrée comme ce matin, exactement comme ce matin, la plaie aussi vive, aussi suppurante qu'aux premiers instants. Akira était resté debout, complètement perdu, et là, là elle avait vu son beau visage défait par la tristesse également. Elle n'oublierait jamais ce qu'il avait murmuré devant elle :

-Je préférais quand Shinobu était là... Lui, il aurait pu me dire ce qui te fait souffrir...

Etait-ce d'entendre de nouveau ce nom devenu un tabou entre eux, ou simplement la douleur encore trop vive de la perte de cet être cher ? En tout cas, elle s'était redressée et elle avait hurlé à pleins poumons :

-MAIS IL N'EST PAS LA ! ET IL NE SERA PLUS JAMAIS LA ! J'EN AI ASSEZ !

Akira n'avait plus rien dit, son regard s'était assombri et fermé à double tour. Elle avait sangloté comme une enfant, comme une idiote devant lui sans qu'il n'esquisse le moindre mouvement pour la consoler. Elle était atteinte par la peste ou quoi ? Elle le répugnait à ce point là ? A tel point qu'il n'osait même plus la consoler alors qu'elle pleurait par sa faute ? Il lui en voulait encore parce qu'elle lui avait dit qu'elle était amoureuse de Shinobu le jour de son enterrement ? Il lui en voulait parce qu'elle avait été honnête, contrairement à lui ? Les mots sortirent de sa bouche, assommant toujours plus son petit ami de questions, et alors que son visage se décomposait peu à peu après chaque interrogation, alors qu'il se retrouvait peu à peu dos au mur, les plaintes s'atténuèrent. Lily avait pris son visage entre ses mains et elle avait soufflé, comme une évidence :

-Je préférais quand nous étions simplement amis...

Plus elle y avait songé, plus elle se confortait dans cette idée : quand ils étaient amis tous ensemble, loin de l'adolescence, loin des troubles de leurs cœurs, alors ils avaient été heureux, insouciants... Cela n'avait jamais été la félicité, mais au moins ils pouvaient se faire confiance l'un l'autre, compter sur l'aide de chacun. Comme avant leur foutu voyage initiatique. Akira avait alors répondu, enfin, à cette dernière phrase qui ne demandait même pas de réplique :

-Moi aussi, je préférais quand nous étions simplement amis....

Tout avait été dit, il n'y avait donc plus rien à ajouter. Le cœur de Lily s'était pincé une dernière fois avant de s'alléger brusquement. Elle s'était redressée, et elle l'avait chassée de sa maison en criant qu'elle ne voulait plus le voir chez elle, que c'était son appartement et celui de son petit ami, pas le sien. Elle s'était laissée tomber de nouveau sur le lit, jusqu'à ce que le téléphone ne sonnât. Elle avait décroché avec appréhension et la voix d'Akira avait lancé :

-Dis, je viens de me faire éjecter par ma petite amie... En tant qu'ami, tu veux bien que je squatte chez toi en attendant d'en trouver un à moi ?

Elle lui avait raccroché au nez, furieuse. Elle avait oublié que même en tant qu'ami, Akira était insupportable.

Sam accourut vers Armand pour savoir si elle n'avait pas blessé gravement son Piafabec, inquiète de le voir si silencieux suite à une défaite. Akira la suivit.

L'air se glaça. Le garçon au bandana se renfrogna, il pointa Sam du doigt et s'écria, le rouge de la colère teintant ses joues, blessé dans son orgueil :

-Tu crois peut-être avoir gagné ? Mais c'était juste un coup de chance ! On se reverra devant l'arène de Carmin sur mer ! Et là, tu verras, je te mettrai la raclée du siècle !

Il reprit sans douceur son pokémon dans ses bras et partit à grands pas, la tête basse, grommelant des insultes à tout va. Samantha resta figée quelques secondes avant de plaquer ses mains sur ses hanches, agacée par cette réaction plus que gamine. Elle ne remarqua pas son professeur s'approcher de Lily. Elle put juste voir le regard noir que la concernée lui lança en retour et entendit distinctement :

-Je n'ai pas envie de te voir, Akira. J'en ai assez de faire semblant.

Et sur ce, elle planta là le brun, abasourdi, avant de suivre son élève colérique. Alors que leurs silhouettes s'éloignaient déjà, Yuki murmura :

- Tu n'as jamais su faire semblant... C'est stupide...

Sa phrase fit écho dans son esprit, et il se souvint de son visage furieux lors du concours quand elle lui avait répliqué : « Eh bien je suis stupide ! ». Il plongea ses mains dans les poches de son jean et ses épaules s'affaissèrent. Il se demanda une brève seconde qui était le plus stupide des deux. Elle qui était incapable de poser les questions qui la tourmentait directement, ou lui qui ne voulait pas y répondre simplement pour protéger son jardin secret.

Il y eut un long silence qui suivit cette rencontre, et il dura jusqu'à la nuit tombée.