Folies et Rumeurs – Journal intime d’un Pifeuil de Ikaros XIII

Dixième journée de l'automne.
Hier soir me fut attribuée ma première mission. Mon père était venu nous rejoindre, Cyprès et moi, au rocher où nous nous entraînons habituellement. « Un petit groupe de Abo rodait dans les parages et c'est à vous de définir leurs intentions. Au cas où celles-ci seraient mauvaises, votre mission sera de les éloigner des villages. », nous annonçait-il, d'un ton neutre, toujours avec le même regard impénétrable. « Vous serez sous la responsabilité de Baobab, il vous assistera en cas de danger ». Je n'osais pas répliquer. Cyprès le fit à ma place : « Si je puis me permettre, monsieur, je doute que ce soit une sage décision d'ajouter Baobab à notre groupe, vu que nous ne nous entendons guère ces temps-ci ». Mon père écoutait machinalement, sans broncher, et répondit tout aussi strictement : « Vos affaires personnelles ne doivent en aucun cas perturber vos missions, et encore moins nuire à la sécurité du clan ! Que vous vous adoriez ou haïssiez, cela ne doit en aucun cas affecter votre mission ». Il avait été suffisamment clair, je pense, car Cyprès recula d'un pas et baissa la tête. « Vous serez sous sa responsabilité et ne contesterez en aucun cas son autorité ! », ajouta-t-il.
Au coucher du soleil, nous partîmes tous trois. On sentait une certaine tension dans l'air. En effet, comme le disait Cyprès il y a quelques jours, Baobab n'en faisait plus qu'à sa tête : il lui était arrivé de contester l'ordre du Second Conseiller, son père, ce qui lui valut d'être amplement sermonné. Depuis, il restait silencieux, et les seuls mots qu'il parvenait à prononcer n'étaient que jurons et mots incompréhensibles. Autant dire que, pendant que nous parcourions le sol à la recherche des Abo, les deux frères ne se parlèrent guère, ni même s'adressèrent-ils le moindre regard. Les premiers mots que j'entendis furent : « Il y en avait un ici, je l'ai vu s'enfoncer dans la terre ». Je courus vers Cyprès, tandis que Baobab lui se contenta de tourner la tête. Pendant qu'il tournait la tête, un Abo sortit dessous terre, derrière lui. « Derrière toi, Baobab ! Retourne-toi, vite ! » s'écria Cyprès. Baobab se retourna, forma entre ses mains une balle d'énergie et la lança sur le serpent. Celui-ci s'effondra et deux autres surgirent là où il était tombé. Cyprès et moi eûmes le réflexe de les bombarder de feuilles. Avant même qu'ils n'eurent le temps de replonger sous terre, ils s'écroulèrent à leur tour sur le sol. Baobab nous adressa à nouveau un regard, sévère et indifférent, mais sans le moindre signe de gratitude.
Nous fouillions les alentours sans découvrir d'autres Abo. Nous arrivâmes finalement dans une clairière, éclairée au clair de lune, au milieu de laquelle des Onix avaient installé de grandes pierres en cercle. Nous regardâmes le ciel. Il n'y avait que des points lumineux, dont on ne savait pas reconnaître lesquelles étaient des étoiles et lesquelles n'étaient que des Muciole ou Lumivole. Quel calme majestueux au son de Crikzik…
Soudain, une bourrasque de vent arriva, nous propulsant au sol. C'est là que nous le vîmes. Un gigantesque serpent vert arpentant le ciel, ce déplaçant d'un mouvement lent et majestueux, le corps orné d'un motif scintillant, linéaire…
Les légendes disaient que lorsque cette créature apparaissait, c'était pour prévenir d'un conflit.
Au moment où ce serpent passa au-dessus de nos têtes, Baobab s'entoura d'un halo lumineux étrange, et changea de forme : il était devenu un Tengalice.