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Un long parcours de YumeArashi



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» Auteur : YumeArashi - Voir le profil
» Créé le 22/04/2009 à 18:49
» Dernière mise à jour le 14/08/2009 à 13:11

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L'étranger
Je sentis une imperceptible vibration dans mon dos. La porte.

J'ouvre fébrilement les yeux. Il fait noir.

Je me trouvais apparemment dans ma chambre, j'en reconnaissais la baie vitrée, une des seules sources de « lumière » naturelle, le balcon, ma petite serre. Le ciel venait de revêtir pour de bon son manteau nocturne scintillant. J'étais dans mon lit. Brusquement je me redressai mais une douleur lancinante me raccrocha aux draps. La bataille récente m'était presque sortie de la tête. Je baissai le regard afin d'examiner mes jambes. On les avait maladroitement pansées puis enroulées dans un bandage blanchâtre, à présent souillé, je n'osai imaginer ce à quoi les chairs brûlées pouvaient ressembler. Autre constatation déroutante, j'étais irrémédiablement nue comme un ver. Mes joues s'empourprèrent à la simple pensée que ce put être...

Toc... toc toc.

« Marine ? » Souffla t-on.

Une ombre pénétra dans la pièce obscure, rampa jusqu'à ma couche et fit craquer une allumette. La mèche d'une bougie s'embrasa et le visage de Lionel se dessina peu à peu.

« Ça va mieux ? S'enquit-il.
- Il me semble. Que s'est-il passé ?
- Vous avez réglé un petit différend avec Ponyta puis elle t'a embarquée je sais pas où. Quand elle t'a ramenée, tu étais déjà au bord de l'épuisement si tu ne l'avais pas déjà atteint. Tu t'es évanouie, je t'ai transporté jusqu'à ton lit. J'ai du... enfin... tu vois, tes jambes... » Répondit Lionel en se grattant la tête, visiblement mal à l'aise.

Mes joues étaient déjà bouillantes mais cette vilaine chaleur ne se cantonna pas au lieu dit et remonta jusqu'aux oreilles qui, à leur tour, rougirent jusqu'à atteindre la couleur d'une borne à incendie.

« Hé ! J'ai pas pu faire autrement...
- Je n'ai rien dit du tout, dis-je, en pleine déglutition.
- Ton corps parle de lui même.
- Oh Lioooo ! Marmonnai-je en me cachant sous l'épaisse couverture molletonnée.
- Puis, t'es plutôt bien foutue.
- Tu sais quoi... Demandai-je en extirpant mon visage du drap avant d'y retourner penaude.. - Si j'avais toutes mes forces, tu aurais, à l'heure qu'il est, la trace de ma main imprimée sur ta joue pour euhnieuouus » Dis-je, volontairement étouffée par le tissu.

Le garçon se mit à rire aux éclats avant de détourner la conversation.

« J'ai rien compris. Donc. J'ai reçu un courrier de tes parents via Roucool. Cyrielle reste chez des amis et rentrera demain dans l'après midi. Quant à M. Flaver, le mont Sélénite lui donne du fil à retordre, il m'a dit de l'attendre pour le déjeuner de demain. Je me suis occupé du dîner, tout le monde est rassasié et je les ai briffés. La majorité étant plutôt des gens du troisième âge, ça les amuse de garder le secret. Tu as failli tuer de peur Mme Quiker. Ton « numéro » lui a rappelé le job de son fils. Elle a été la plus difficile à convaincre. M'enfin, tu la connais, hein ? Un clafoutis et ça va mieux. En ce qui...
- Et Ponyta ? L'interrompis-je.

Lionel marqua un temps d'arrêt, puis se racla la gorge. Cela semblait l'étonner, l'outrager même que je veuille des nouvelles du pokémon.

« Elle bouge plus. Elle ne mange pas. J'ai eu du mal à contrôler Magicarpe qui voulait lui faire la peau mais il a fini par se calmer. Il est space ce pokémon. - Il posa la ball du poisson de manière ostentatoire sur la table de chevet. - Autre chose ?
- Non, non. Merci de t'être occupé de moi. C'est... chouette.
- Avec plaisir. Je... vais aller me coucher. Bonne nuit.
- Oui, bonne nuit. »

Il quitta la chambre sur la pointe des pieds. Le silence revint. Je posai ma tête sur l'oreiller en soupirant et remarquai que la chandelle était toujours allumée. Quelques phalènes s'étaient introduits dans la pièce par la fenêtre entrebâillée et voletaient nerveusement autour de la flamme. Profitant de la clarté qu'elle offrait, je tendis le bras vers l'étagère et attrapai le gros volume relié de la Bibliothèque qui trônait devant tous les autres. Je n'eus pas la force de le feuilleter tant le geste grâce auquel je l'avais saisi m'avait épuisée. Je le lâchai : il produisit un bruit mat, creux, en rencontrant le sol qui se répercuta en écho lointain sur les parois boisées. Je soufflai sur la chandelle et les ténèbres reprirent possession de la chambre.

***

Le matin, j'appelai Lionel qui m'apporta de nouvelles bandes stériles, avec lesquelles je refis moi-même mes pansements. Je parvins à retrouver un peu d'équilibre et même à marcher grâce à une unique béquille trouvée dans le cagibi par Okéoké après quelques heures de fouilles intensives. Il me fallu dix bonnes minutes, lorsque je n'en avais besoin de seulement trois en temps normal, pour m'habiller et cinq autres pour atteindre le rez-de-chaussée. C'est alors qu'une forte envie de voir du pays vint à moi sans crier gare : si l'occasion se présentait, je partirai faire quelques courses à Jadielle l'après midi, la ville étant le seul « pays » à ma portée, je pourrais ramener les livres empruntés à la Bibliothèque. Le café, le thé et le chocolat, versés dans les différents thermos prévus à cet effet, s'alignaient sagement sur la table de la salle à manger, entourés de plusieurs paniers de pain frais, d'une demie-dizaine de pots de confiture, d'une motte de beurre tendre et d'un panel impressionnant de vaisselle, évalué au nombre pile de pensionnaires soit une douzaine d'assiettes, verres etc... sans compter les hôtes. La pièce était propre, fraîche, accueillante, prête à assurer une journée complète de déambulations intempestives.
J'enfilai mon tablier au ralenti et me servis avec précaution une tasse de chocolat que je serrai dans mes mains, assise sur le rebord de l'évier. J'aimais ce genre de réveil tranquille et doux, ce genre de matins où le soleil brille, où les oiseaux chantent et les nuages dorment. Il fallut que le lait chaud brûlât ma langue pour que je retombe dans cette réalité qui était mienne. Je devais m'atteler aux tâches qui m'incombaient, la principale étant nourrir les pokémon. Je saisis un bout de pâte d'amande au cas où la faim me tarauderait en pleine besogne et la fourrai dans une des poches du tablier.
Je sortis de la cuisine et accoudée à la balustrade sifflai dans le petit appeau brun accroché à la poutre porteuse : la peinture vert pomme commençait à s'écailler, il fallait la repeindre. L'escouade volante arriva aussitôt, fière, altière, masquant le soleil de leurs grandes ailes. Je souris. D'un signe, les oiseaux m'accompagnèrent à la graineterie afin d'y prendre les charges à distribuer. Le travail fut exécuté à merveille grâce à une série d'actions coordonnées et une organisation impeccable. Je relâchai même les pokémon un peu plus tôt car je trouvais plaisant de nourrir les Etourmi, et autres bestioles à plumes, à la main.
Je pensai tout à coup à Ponyta. Avait-elle mangé ? Après les efforts de la veille, cela me paraissait essentiel. M'appuyant sur ma béquille, titubant comme une impotente, j'évoluais jusqu'à « l'enclos de la peur ». Comme je m'y attendais, la mangeoire était pleine. Je rejoignis le pokémon et pris appui contre l'abreuvoir.

« Tu ne manges pas... Qu'est ce que tu peux bien chercher à prouver bon sang ? Tu veux crever ? »

Je pris l'une des grosses granules au fourrage de son auge et m'approchai d'elle en effectuant une courbe. Au jour d'aujourd'hui, il était capital qu'elle se nourrisse, je ne voulais pas qu'il lui arrive malheur après tous mes efforts. J'avais très peur que les acquis d'hier n'aient été que de pures et simples illusions.

« Tiens, avale ça. S'il te plaît. » Fis-je en tendant la main.

Ponyta tourna la tête, jeta un rapide coup d'œil à ce que j'avais dans la paume puis reprit sa position initiale. Je fis un pas de plus, mes doigts fermement refermés sur mon « aide de marche ».

« Allez, je suis sure que tu crèves de faim. Mange ! tentai-je à nouveau. Je sais qu'au niveau goût c'est pas folichon – oui, j'ai déjà goûté à ce truc – mais c'est très nourrissant ! » fis-je sur un ton qui se voulait suppliant.

Aucune de mes prières ne parvenait à émoustiller l'appétit de Ponyta. Je mis les mains, enfin, la main valide sur la hanche correspondante et attendis. Je n'avais réussi qu'à me donner faim. Posément, j'extirpai mon encas de la poche ventrale du tablier et repris ma place sur le bois de l'auge. Je croquai dans la pâte à pleine dents. C'était un vrai régal. Le bruit attira l'attention du pokémon qui consentit enfin à m'accorder de une once d'importance. Les oreilles dressées, le nez au vent, il pivota et avança vers moi.

« Quoi ? Qu'est-ce que tu veux ? demandai-je inquiète. Ah non... Non, Ponyta non ! La pâte d'amandes c'est sacré ! On y touche p... Ahahahatchoum ! »

Il devait y avoir du pollen dans le coin. Étonnant, dans un champ de fleurs. Toujours fut-il que ma barre avait « inexplicablement » diminué de moitié... la demie portion restante étant couverte de salive chevaline. Tandis que la jument mastiquai avec ravissement le fruit de son vil larcin, je boudai dans mon coin avant de soudainement me rendre compte que Ponyta mangeait. Ce n'étaient pas ses granules mais qu'importait, elle mangeait.

« Dis moi... Ponyta. Si ça te dit, je te ramènerai autant de barres d'amandes que tu voudras, à condition que tu vides la mangeoire, si tu vois c'que j'veux dire. »

C'était sans doute trop simple, mais Ponyta semblait aller mieux. J'allais retenter une approche gustative via les granules mais un bruit assourdissant coupa mon élan humanitaire. Aux aguets, la jument piaffa avant de hennir, les naseaux dilatés. L'explosion présumée s'était produite aux alentours de la nurserie et je craignais qu'il soit arrivé quelque chose aux œufs. Mon coeur se mit à battre et je me dirigeai avec difficultés vers l'abri des bébés, d'un pas claudicant, maladroit. Mes jambes me faisaient mal à chaque fois que l'un d'entre elle se posait sur le sol. J'avais l'impression d'être pourvue de membres artificiels, de prothèses dont la rigidité annihilait toute sensation naturelle. Ponyta me suivait, j'entendais ses sabots marteler le sol sec et dur. Je n'y prêtais pas attention, le principal était d'atteindre la nurserie et de vérifier l'état des œufs. Je vis Lio au loin sortir de la maison en hâte, m'apercevoir sur la route, courir dans ma direction puis me prêter son épaule. J'arrivai en vue du bâtiment. A première vue, seul un mur non-adjacent avait été cruellement endommagé par on ne savait quoi. Les éoliennes avaient tenu bon, les seules choses qui indiquaient une collision étaient de petites stries irrégulières et ensanglantées qui rayaient verticalement les pilonnes blancs.
Je m'introduisis dans la nurserie alors que la poussière retombait à peine. Ponyta attendait dehors, je me m'en souciai absolument pas. Un rapide check up m'apprit que le système de contrôle d'identité se trouvait HS et le régulateur thermique indiquait 20°C dans chaque pièce.

« Lio ! Faut réparer ça à tout prix ! On a trois soucis principaux. L'hygromètre se règle derrière la couveuse plante, va jeter un œil et tente de redresser à 80% pour la salle plante, 20% pour la salle feu. Je m'occupe de la température. Oké, sort et appuie sur le levier d'arrivée d'eau. On va remplir à nouveau les bassins de la salle des aquatiques, essaie de redresser les œufs qui ont basculé. Lio, toi aussi.. »

Chacun effectua sa mission comme il pouvait, je remis à niveau la température grâce au système que je surnommai « SOS Pokémon » en attendant d'avoir réparé le générateur : Ponyta, qui semblait avoir compris que la situation était grave, réchauffait les couveuses avec des Flammèches. Lio rétablissait la chaleur humide et étouffante dans la salle des pokémon vivant habituellement dans des climats de forêts équatoriales et Oké adoucissait l'atmosphère avec les cuves d'eau fraîche. La chambre des « miraculés » était intacte. Elle rassemblait les pokémon nouveaux nés à peine éclos dont la croissance intra-œufs était plutôt mitigée...
La seule chose inhabituelle se résumait à la présence d'un homme en blouse blanche tâtonnant étrangement le sol d'une main tremblante. De l'autre, il frottait ses yeux embués et cernés. Ma botte heurta un objet qui émit un « CRAC » sonore lors d'une rencontre inopinée. Le bruit fit pivoter l'homme qui attrapa vivement et sans aucune douceur les binocles encore coincées sous mon pied, occasionnant ainsi une perte d'équilibre qui me fit basculer en arrière. Lio arriva à temps pour éviter que mes tempes ne causent ma mort. Le type se releva en prenant appui sur son genou, massa sa nuque sans doute endolorie et jeta de petits coup d'œil secs à droite, à gauche. Il respira profondément et parût tenter de se ressaisir. Enfin il daigna nous prêter attention, affichant un air contrit, mal à l'aise, fragile. Il trébucha plusieurs fois, comme s'il n'avait pas encore pris conscience de son corps.
De stature impressionnante, c'était un grand homme, physiquement irrégulier. Vêtu d'une blouse blanche mal taillée qui flottait autour de son cou fin, avant de ne pouvoir contenir ses épaules, incroyablement larges, pour enfin s'avérer être trop ample au niveau des hanches, lui donnait un air étrange, surnaturel. Son visage diaphane et émacié, soutenu par la pâleur de son apparent uniforme d'homme de laboratoire, était visiblement fatigué, son teint faisait penser à un celui d'un crâne dépourvu de la moindre parcelle de sa chair. Il me fit peur. Quelques secondes s'écoulèrent... durant lequel je ne pus détacher mes yeux des siens...

« Il va falloir que tu apprennes à discerner les intentions d'un homme rien qu'en observant son regard. Les yeux sont le miroir de l'âme. Tu y verras plein de choses si tu les fixes avec attention. Chaque mouvement du corps est important. Un homme finit toujours par se trahir. »

Ce regard était trop franc. Derrière cette gaucherie ostentatoire se cachait autre chose, une chose qu'il m'était alors impossible de définir. Ponyta fit quelques tours bilieux sur elle même avant de s'ancrer fermement au sol, gratifiant l'inconnu d'une œillade féroce.

« Qui... êtes vous ? »

L'homme ne cessait de s'agiter à présent. Il guettait les environs et finit par se diriger vers le trou béant qu'il avait laissé dans le mur vitré en le traversant. Lio le suivit en m'aidait à avancer.

« Peter... Peter Nomclast. Je viens de... Enfin tout cela n'a pas d'importance. »

Il se rua dehors. Là, un énorme pokémon au bec et aux griffes acérés gémissait. - « C'est un Rapasdepic » murmura Lionel - L'oiseau avait du percuter l'éolienne lors d'une hypothétique chute : les traces du sang qui devait sans doute être le sien se seraient déposées à ce moment.

« Tout va bien, je vais te soigner, murmura t-il doucement à l'impressionnant volatile avachi au pied du pylône.
- C'est votre pokémon ? Demanda Lionel, sur le qui-vive.
- Mon pokémon de voyage plus exactement mais cela revient au même. Fini les tergiversations futiles ! Il souffre ! Ne voyez vous pas que l'heure n'est pas aux bavardages ? Aidez moi, je vous prie. » répliqua l'homme sur un ton que je jugeai très désagréable..

Ce type avait beau avoir fichu un bazar inimaginable et écroulé un mur, je ne pouvais pas laisser le pokémon pâtir du mauvais caractère de son dresseur, aussi proposai-je de ramener Rapasdepic dans le hangar pour y panser les plaies les plus vilaines. Lionel, fort de son savoir homéopathique et curatif, s'appliqua à fourrer la pâte préparée au coeur des blessures les plus profondes. Un coup de vaporisateur bien placé par ci par la, et les heurts les plus superficiels ne furent plus que de mauvais souvenirs.

« Tu te sens mieux Rapasdepic ? Demanda M. Nomclast alors que l'oiseau étendait ses ailes. J'en suis heureux.
- Peut-être allez vous maintenant m'expliquer comment vous avez atterri dans la nurserie ? Le hélai-je en tapant du pied.
- Le vent.
- Le vent ? Quel vent ? Il n'y a pas eu une once de vent depuis plus de trois semaines ici. Répliquai-je, incrédule.
- Vous semblez être bien mal informée sur ce qui se passe au dessus de votre joli ciel cotonneux, réfuta l'homme un doigt sur la tempe. En altitude, il y a des courants d'air plus ou moins violents qui font dériver tout « poké-aviateur » amateur. Nous volions haut, nous étions... - il marqua lourdement une pause – pressés... Il y a eu des turbulences et nous avons du atterrir.
- Pourquoi ne pas être redescendu à basse altitude ?
- Nous n'avons pas vu les éoliennes, poursuivit-il sans se soucier de ma question. Nous les avons percutées et Rapasdepic s'est foulé l'aile.
- Et le sang ?
- Se prendre un poteau entraîne souvent des accidents physiques... »

Peter me gratifia d'un regard en surface doux et perturbé mais qui selon moi en disait long sur son état d'agacement. Je voulais en apprendre davantage sur ce type franchement glauque. Lionel qui le trouvait très affecté lui proposa de venir prendre un café et de manger un petit quelque chose afin de reprendre des forces. Peter accepta volontiers et suivit le jeune homme dans la cuisine où il s'attabla.
De mon côté, j'organisai la réparation de la Nurserie. J'appelai Sam, le camionneur et une heure plus tard, une livraison de matériaux de construction arriva dans la cour. L'équipe des « gros bras » fit son boulot de manière impeccable et en une heure supplémentaire, il ne restait plus que les régulateurs thermiques à réparer. Sam s'en chargea volontairement ayant sans doute quelques notions dans ce domaine. Il manquait probablement un bon coup de peinture sur le mur fraîchement bâti mais la nurserie était à nouveau fonctionnelle et c'était de bien loin le principal. Tandis que je m'acharnais avec les pokémon malgré le handicap que représentait ma béquille sous le lourd soleil de midi, les deux hommes bavardaient dans la cuisine. Lionel semblait absolument passionné par les propos de notre hôte surprenant et ce dernier affichait un sourire radieux, renversant au passage un peu de café sur sa blouse. Il jetait de temps en temps des coups d'œil contrits par la fenêtre jusqu'à ce qu'il se rende compte que j'observais ses moindres faits et gestes.
Je repensais à son argumentation plus que convaincante sur les aléas de la météo supra nuageuse. Il était vrai que je n'avais jamais volé avec quoique ce soit mais cela me semblait louche. Je devais me faire de fausses idées et je l'espérais : c'était agaçant d'être le porteur de mauvaises nouvelles en permanence.

« Marine !
- Oui ? Fis-je, m'extirpant difficilement de mes pensées.
- Euh, j'ai mis la table, on fait une omelette géante ce midi. Peter lis un bouquin dans la salle, je crois. Rapasdepic est rentré dans sa ball. Il va vraiment mieux. On fait quoi maintenant ?
- Je t'avouerai que j'en sais rien, je trouve ce Peter... étrange.
- C'est vrai que son arrivée n'était pas le meilleur moyen de faire bonne impression mais je trouve que c'est un gars sympa. Il étudie l'évolution des pokémon et leur capacités physiques. C'est intéressant.
- J'en doute pas Lio... Je n'en doute pas, répondis-je dans un murmure à peine audible. Bien ! Les règles de bienséance et de politesse nous obligent à être aimable et serviable avec lui. Maman aurait sans doute agit de cette façon. Tu gardes un œil sur lui quand même ?
- J'adore jouer les nounous, tu le sais bien, s'exclama Lio, ironique.
- Et c'est pour ça que je te confie cette tâche, super nanny. »

Lionel me quitta, voyant qu'il ne pouvait rien dire de plus. J'étais absolument certaine qu'il saurait se débrouiller, et j'entrepris de balayer la terrasse, sous le regard brûlant de Ponyta, plantée, droite comme un « i » dans son enclos, en apparence inoffensive, les yeux à demi clos. Pourtant je savais qu'elle jaugeait tout de sa place. La poussière que soulevaient les mouvements réguliers du balai me piqua les yeux. Je posai l'objet et me dirigeai en boitillant vers l'accueil sans grande conviction. Les jours où mes parents s'absentaient, on observait à coup sûr une baisse phénoménale des effectifs de fréquentation de la Pension. Tant mieux. Du travail en moins.

***

Le temps filait à la vitesse d'un escargot sur un chemin sec, ou d'un escargot tout court. Dans les prés, on entendait que le bruissement du vent dans les hautes herbes, le chant discret de la brise dans les feuilles de tilleul... Seul un individu osait troubler cette quiétude, cette sérénité.
Après un copieux repas, qui plus était bien arrosé, Peter s'était lancé dans une tirade enflammée sur la reproduction des pokémon. J'avais tout d'abord commencé par l'écouter, affichant un air intéressé tandis que je cogitais à toute allure. Puis au fur et à mesure qu'il déballait ainsi son savoir en « pavés oraux » moroses et indigestes, je me pris à souhaiter qu'il se taise. Pour Lionel, avachi sur sa chaise, les coudes sur la table, la bouche ouverte, la tête posée au creux de l'une de ses mains, dans un état d'ataraxie béate, ce discours avait l'effet d'une séance d'hypnose.
Oké et moi avions trouvé l'alternative « je-fais-la-vaisselle-en-musique ». Armés d'une éponge et d'un torchon, d'une vieille radio à piles et d'un tablier, nous nous trémoussions en rythme derrière les « apprentis conférenciers » que notre manège ne semblait absolument pas perturber.

« He's gone, but I know he'll come back ! STAY STAY STAY WITH MEEEE... RATTATA ! »

Ce refrain « endiablé » nous permit de tester quelques pas de danse. Il s'avéra que Oké groovait à mort quand il se déhanchait frénétiquement en cadence avec la musique. Ayant éprouvé par tous les moyens possibles et imaginables ses théories douteuses, Peter conclut brillamment :

« Les oeufs sont donc le seul et unique moyen. Tous les pokémon sont ovipares ! Ceci est ma conviction la plus intime et bientôt, cela sera prouvé. »

Je voyais bien mal un Wailord pondre en pleine mer. Pour certains pokémon, la question ne se posait pas. Or de la à généraliser une telle chose...

« C'était réellement passionnant. Bien qu'à mon avis il existe des exceptions étant donné...
- Balivernes ! » Le coupa l'homme en blouse blanche et à présent brune par endroits.

Il allait avoir besoin d'une bonne lessive pour faire partir ces vilaines tâches. Peter, visiblement épuisé intellectuellement parlant, ôta ses lunettes, les posa sur la table et se massa le front en grommelant. Lionel se leva pour porter les tasses à l'évier et passa devant moi, l'air penaud.

« Tout va comme tu veux ? Lançai-je moqueuse.
- Marine...
- Tu feras gaffe, t'as une impression manuscrite sur la joue, lui fis-je remarquer en désignant sa peau.
- Serait-il possible de me reposer à présent ? Demanda le scientifique, les mains jointes derrière sa nuque.
- Oui ! M'écriai-je sans masquer mon enthousiasme. Il y a des chambres libres au deuxième étage, celles qui n'ont pas de pancarte. »

Tandis que Peter grimpait l'escalier, j'attribuai à Oké une tâche spéciale. Je ne l'avais jamais vu combattre ou se servir des ses capacités psychiques mais je comptais surtout sur sa gentillesse et son attention. Le petit pokémon bleu écouta soigneusement les instructions avant de se rendre lui aussi au second étage où il avait pour mission de surveiller les moindres faits et gestes de M. Nomclast.

« Marine, va falloir que t'arrêtes ta parano, là !
- Tu accepterais chez toi un gars que tu ne connais ni d'Ève, ni d'Adam, qui débarque en défonçant les murs et te sors, histoire de t'amadouer, de te prouver que tu risques rien, des trucs abracadabrants sur la reproduction pokémon ? Un type dont tu ne sais rien, et qui, malgré son apparence inoffensive, pourrait être le premier des malfrats et te faire sauter la cervelle en moins de deux. Argh... »

Ma cicatrice recommençait à picoter mon bras. C'était bien ma veine : en plus de la douleur aux membres inférieurs, et de cette béquille encombrante, il fallait que je me retrouve quasiment invalide. Je n'avais pas le temps de me reposer, mon cerveau m'indiquait qu'une foultitude de tâches restaient à accomplir...

« Marine, Marine, Marine ? Susurra Lionel avec un regard débauché.
- Quoi encore ?
- Ça te dirait pas un petit duel ?
- Duel de quoi ? Demandai-je sans grande conviction.
- Dis moi que tu le fais exprès, je t'en conjure ! S'écria t-il en haussant les sourcils.
- Pokémon ? C'est non. Je n'ai qu'un poisson à peine frétillant qui ne tiendra pas trois secondes hors de l'eau.
- Et si tu combattais avec euh... »

Ponyta broutait toujours tranquillement dans son pré, les oreilles aux aguets. Cela m'apparaissait inconcevable que ce pokémon rebelle accepte des ordres venant d'une autre personne qu'elle même. Puis, je n'avais pas la force de lui demander ce service, sans doute préférais-je ménager les acquis de la chevauchée pour quelque chose de réellement important.

« Lio... Non, c'est non. Je ne veux pas me battre.
- T'as peur ? C'est ça en réalité, tu crèves de trouille. T'es pas capable de diriger un pokémon parce que tu n'y connais rien, tu ne sais rien de ce monde et tu ne te cultive pas parce que ça ne t'intéresse pas. Quoique si ! Il y a bien une chose qui t'intéresse et cette seule et unique chose c'est toi et toi seule.
- Répète un peu pour voir ?! Je respecte les pokémon autant que je respecte les gens qui en valent la peine, peut-être même plus. Pour l'instant, je n'ai rencontré aucun pokémon qui soit aussi mauvais que certains Hommes. S'il s'entichent de dresseur au cœur belliqueux ou machiavélique, c'est parce qu'ils l'aiment et en cela, ces bêtes sont peut-être bien cent fois plus fidèles que n'importe quel ami humain ! ET SACHE LE, JE HAIS LE CHANTAGE !

J'avais beau me la jouer détendue, je ne supportais pas ces allusions. Depuis quand fallait-il combattre avec un pokémon pour prouver aux autres qu'on les aime. Envoie t-on ses amis au combat ? Que prouve un tel geste ? J'étais prête à rétorquer quand je vis Lionel sauter prestement. Il bondit à nouveau, laissant passer à un mètre de lui un rai de flammes crépitantes. Un seul pokémon était assez proche pour produire cette attaque sans qu'elle perde de sa puissance. Bon sang, elle se réveillait quand je décidais de faire la morte. Nos caractères étaient apparemment bien différents.

« Y'en a une qui n'est pas de ton avis... » murmura Lio, un sourire vicieux sur les lèvres. Match un contre un ! Oké VS Ponyta ! Goooo Oké !
- J'aimerais qu'on me demande mon avis avant !!! »

Ne se souciant absolument pas de moi, Ponyta prit place dans la cour en face de Okéoké, tout sourire, et comme à l'accoutumée, gai comme un pinson. Vue de derrière, elle était terrifiante. Le calvaire du combat du débutant recommençait. Le seul avantage notable était sans doute Ponyta, et quand je disais Ponyta, je ne parlais pas de ses capacités mais bien et bien du pokémon en lui-même. En lui brûlait un feu féroce, un brasier qui semblait ne jamais pouvoir s'éteindre et c'était la qu'il puisait cette détermination inébranlable. Je n'avais rencontré que peu de pokémon en dehors de l'environnement familial mais selon moi cette qualité ne se trouvait pas chez tous ses semblables. J'étais prête à rabattre le caquet de Lio.

« Oké ! Prépare Voile Miroir !
- Vive Attaque, Ponyta !
- Oké, switch ! Riposte !
- Trop lent ! » Jubilai-je.

Quelques instants de réflexion et ce chargement malhabile m'en apprit davantage sur les effets des deux attaques. Il fallait jouer sur la vitesse et la déstabilisation. Ponyta frôla Okéoké. Ce fut assez pour lui faire perdre l'équilibre. L'attaque bouclier ainsi préparée se brisa sans remplir une once de son devoir.

« Augmente la vitesse ! Écrasement puis Danseflamme !
- Oké analyse ses attaques et alterne en fonction, je suis la ! »

Ponyta était démesurément trop rapide pour Okéoké. Aucune des attaques du petit pokémon bleu n'atteignait sa cible tant le cheval se mouvait vite. Il se retrouvait tantôt pris au dépourvu, tantôt pris au piège. Je voyais le visage de Lionel crispé, hargneux de l'autre coté du « ring ».

« Courage Oké, on va l'avoir ! Attaque dès qu'elle te touche, vas y au feeling ! »

Ce fut le moment que la jument choisit pour lancer le tourbillon ardent. Dès qu'il effleura Oké, ce dernier s'empressa de riposter avec Voile Miroir. La trajectoire était la bonne, Ponyta fut frappée de plein fouet et projetée dix mètres plus loin. Je ne comprenais pas comment l'attaque avait pu être aussi efficace soudainement.

« Hé ouais, ça fait trois plombes qu'elle court, mais sans endurance et sans entraînement, ta stratégie affaiblit considérablement le sprinter. Du coup, plus il bouge, plus il perd de forces, plus il est vulnérable.
- Et toi tu es légèrement trop sur de toi. Il en faut beaucoup plus pour nous foutre à terre... en entre autre de la concentration ! Ponyta ! Lance Flammes ! »

Tout se passa ensuite très vite.
Oké fut frappé par les flammes et mis au bord de l'épuisement total. Celui ci se releva tout de même et sur ordre de son dresseur envoya une offensive qu'il appela Prlvt Destin. Lionel jubilait mais ce qui m'importait était la santé de Okéoké, titubant, essoufflé, les yeux à peine ouverts...

« J'abandonne.
- QUOI ?! S'étrangla Lionel.
- T'as pas vu la tête de Oké ? Il n'en peut plus !
- Marine !!! Je le connais depuis plus longtemps que toi, je sais comment il est ! Ne me donne pas de leçons et finissons ce combat bon dieu !
- Trop tard, j'abandonne, c'est mon dernier mot.
- Mais c'est quoi ton cirque la ? Madame a peur de perdre alors elle déclare forfait ? Bravo, en plus d'être faible tu es lâche. »

Cette dernière réplique me fit très mal. En temps normal, je me serais contentée de partir la tête haute mais il m'avait profondément blessée et ce ne fut pas ma main, mais mon poing que Lionel reçut en plein visage. J'entendis l'os de son nez craquer sous mes doigts. Tant pis, il l'avait cherché. Qui de nous deux ne respectait pas l'autre. J'étais de nature pacifique, j'évitais les conflits à chaque fois que cela était possible mais dans certaines situations, je ne pouvais pas me contrôler. Si cet acte avait un mérite, c'était sans doute celui de m'aider à grimper dans l'estime de Ponyta qui avait reprit des forces. C'était loin d'être ma principale occupation mais c'était un réconfort non négligeable.



***


J'avais hâte que mes parents reviennent. La liberté que l'on m'accordait était un cadeau mais parfois aussi un véritable poison. La Solitude et Moi ne nous aimions pas vraiment. Le soutien parental était nécessaire. Je m'accoudai à la barrière, près de l'enclos et profitai des derniers rayons du soleil. A cette heure ci, tout baignait dans une lumière « liquide » orangée, chaque élément du paysage prenait une teinte différente : les pâquerettes revêtaient une robe couleur de miel, les pâturages se nappaient de brun chocolat, le ciel paradait, fier de ses nuances chaudes et ravissantes... Même la béquille devenait moins laide.
Lionel arriva derrière moi, enjamba la barrière et vint s'adosser au bois dur. Les mains dans les poches, un mouchoir dans la narine et le nez à présent légèrement décalé, il attendait quelque chose. Le vent léchait doucement ses longues boucles brunes et ocres, venait titiller ses paupières qui se fermaient doucement sur ses beaux iris noisette.

« C'est joli hein ?
- Oui. - Il prit une inspiration – Excuse moi.
- Mouais... Je ne suis pas toute blanche non plus. »

Un silence léger s'installa entre nous. Je ne savais pas s'il réfléchissait ou s'il profitait du paysage à tel point que discuter ou même répondre brièvement ne soit possible. Oh ! Son nez était mieux... comme ça.

« Ça... ça va tes jambes ? Articula Lionel, visiblement mal à l'aise.
- Moins bien que le bras mais c'est largement supportable, je serai totalement guérie dans deux ou trois jours. Après il n'y aura plus que des courbatures.
- Fais voir ton bras. »

Tandis qu'il effleurait la peau de mon bras, je frissonnai. Cette endroit était devenu très sensible, les chairs se reconstituant doucement, et je ne pus réprimer un sursaut. Il leva la tête et plongea ses yeux dans les miens.

« Tu guéris étrangement vite. Ça aurait du prendre plus de temps. Puis c'est drôle que la cicatrice ait cette tête. »

En effet, à la place d'une figure brouillonne et informe se dessinait quelque chose de plus structuré que l'on pouvait apparenter à une seule et unique flamme. D'un autre côté, je sentais que Lionel tournait « autour d'un pot » imaginaire et que cela ne présageait rien de bon.

« C'était quoi cette attaque ?
- Prlvt destin ? Hum... Si Oké avait été mis KO, Ponyta l'aurait été automatiquement aussi. C'est une technique infaillible et...
- … très lâche, conclus-je. Tu voulais me parler de quelque chose ?
- Oui, c'est assez important en fait.
- Je t'écoute, répondis-je en pivotant vers lui de telle manière que je sois face à lui.
- Et bien, c'est difficile à dire, chuchota t-il en rougissant. Bon voilà, je...
- YOUHOUUUUUUU ! »

Sur le pas de la porte de la cuisine, à environ trente mètres de nous, Peter agitait ses bras dans tous les sens. Effrayée, une bande de Roucoups prit son envol bruyamment. Cyrielle se tenait aux côtés de l'homme, le visage radieux comme à l'accoutumée. Elle avait du rentrer lorsque nous nous battions, Lionel et moi.

« …
- Oh, maman est la. Ça me fait penser que je devais aller en ville aujourd'hui. J'irai demain puis tu viendras avec moi hein ? Oh, au fait, que voulais-tu dire ?
- Rien d'important... se ravisa le jeune homme.
- Tu as dit que ça l'était il y a à peine deux minutes !
- Non, je te le jure. On verra ça plus tard.
- Comme tu veux »

Je pris appui sur ma béquille et clopin-clopant, sous les yeux ébahis de ma mère, rejoignis la cuisine, Lionel sur les talons.

« Marine ! Mais qu'est-ce que tu as fait ? Je pars deux jours et je te retrouve en morceau ?
- C'est rien maman. Un petit accident, tu sais combien je suis maladroite.
- Tu vas tout m'expliquer et vite. - Elle jeta un coup d'œil à mon bras avant de reprendre de plus belle. - Et ça ? C'est aussi un accident ? Tu t'es jetée sur la gazinière alors qu'elle était allumée ou quoi ?
- Maman, il s'est passé... beaucoup de choses en ton absence et, sincèrement... je n'ai pas du tout envie d'en parler. Je compte sur toi pour faire passer le message à papa. Je-vais-bien, répondis-je en détachant bien chaque syllabe.
- Lionel ? Fit Cyrielle.
- C'est son choix ! Oh ça ? Une petite chute malencontreuse, ça arrive de se casse le nez hein ? » se défendit-il en levant les bras en l'air.

Ma mère n'était absolument pas satisfaite mais elle se radoucit lorsque Peter lui adressa la parole. Tandis que les deux interlocuteurs faisaient la causette, je murmurai un « Merci » à peine audible à Lionel qui dut lire sur mes lèvres et rougit à nouveau. Je nous servis un verre d'eau et consultait l'horloge. Il fallait préparer la tambouille. Ce soir, c'était Julienne et légumes et un peu de poule au pot. Pendant ce temps, ma mère faisait chauffer l'eau et entretenait la dialogue avec Peter avant de m'apostropher soudainement.

« Pas de soucis aujourd'hui ?
- Euh, non, tout s'est bien passé, déclarai-je après une brève œillade vers Lionel.
- Et la Nurserie ?
- Si tu sais pourquoi me demander, maman, soupirai-je.
- M. Nomclast m'a raconté qu'il avait accidentellement atterri dans un des murs, je suis vite allée l'inspecter et, miracle, il n'y avait rien. Comment l'avez vous réparé ?
- J'ai fait jouer mes relations, annonçai-je sur un ton théâtral. Sam, - mais si maman le camionneur - est venu nous livrer des parpaings. J'ai demandé un coup de pouce aux pokémon qui ont des biceps plus gros que leur tête et hop.
- Bieeeen. » Répondit-elle avec un grand sourire.

Peter se cachait honteusement derrière un journal féminin. Je devais parler à Cyrielle de mes impressions sur ce type mais Lionel m'envoya un vigoureux coup dans le dos qui m'obligea à garer le silence. Mon père débarqua dans la cuisine à point nommé en sueur, le visage sale et les ongles noirs. Un « air baiser » à ma mère et il fonça dans la salle de bain des gérants après s'être platement excusé auprès de tout le monde. Lionel mit la table en compagnie de Peter, rattrapant chacune des assiettes que ce dernier laissait échapper.
Le repas se déroula tranquillement, dans la joie et la bonne humeur. comme la semaine arrivait à sa fin, la plupart des pensionnaires avaient récupéré leurs Pokémon et étaient rentrés chez eux. De ce fait il ne restait pas grand monde à table. Phil et Peter tentaient de faire rire les convives et ce fut réussi : tant et si bien que je relâchai mon attention envers le scientifique. Après tout, c'était peut-être un homme plein de bonne volonté. Je commençai même à me détendre et décontracter mes maxillaires quand Lionel interrompis la bande de gais lurons pour prendre la parole.

« Je tenais à vous dire que mon mois de réservation s'achève comme vous le savez tous. Je pourrais le renouveler mais l'envie de voir du pays est plus forte. Je voulais vous remercier de votre accueil et il m'était impossible de partir sans vous dire à quel point vous êtes adorables. Vous allez me manquer mais je suis certain que nous nous reverrons. Merci encore. Torti, Oké et moi mettront les voiles à l'aube.
- Lionel, le plaisir est partagé, éructa Phil en levant son verre. Tu as été exemplaire durant ton séjour, très serviable et la Pension te sera toujours ouverte. Bonne chance dans ta quête, petiot.
- Bonne chance, » répétèrent les pensionnaires.

Tous sauf moi. Ils trinquèrent. Le cliquetis du cristal résonna dans ma tête, en écho, des échos stridents, grinçants, désagréables. Je n'avais plus envie de toucher à mon assiette et je m'abstins avec brio. Je me savais épiée, mais qu'importait. Je sortis de table plus tôt, débarrassai mes couverts et montai difficilement dans ma chambre sur la jambe la plus valide, le teint blafard, prétextant de douloureux maux de ventre. Une fois la porte close, je m'y adossai et mis la tête dans mes mains. Puis je me jetai sur mon lit, oubliant la latte de bois, et me retournai. Au plafond brillaient encore les petites étoiles fluorescentes que j'avais eu tant de mal à coller lorsque je ne mesurais qu'un mètre vingt. J'entendis un pokémon hurler. Le même sans doute que la nuit passée avec Ponyta. Depuis cette nuit d'ailleurs, je me sentais différente. J'étais fatiguée...