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» Auteur : fan-à-tics - Voir le profil
» Créé le 11/04/2009 à 16:13
» Dernière mise à jour le 27/05/2012 à 23:11

» Mots-clés :   Présence de personnages de l'animé   Présence de poké-humains   Présence de shippings

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Episode 20 : Un danger encore flou
Chapitre 20


« Allez, Akira, qu'est-ce que tu as acheté à Shinobu pour son intégration dans l'école de sociologie Pokémon ? »

Ce jour-là, Lily s'était penchée vers lui avec ses yeux noirs plein d'étoiles, les joues rougies par l'enthousiasme, ses cheveux voletant tendrement à chacun de ses mouvements joyeux. Ses lèvres roses s'étiraient en un sourire immense que personne n'aurait pu effacer. Du haut de leurs dix-neuf ans, ils revenaient de leur académie pour rentrer chez eux. Le sort les avait voulu voisins de quelques rues, qui plus est camarades de classe, et la suite avait été inévitable : ils sortaient ensemble depuis déjà trois ans.

La bonne humeur de sa petite amie, il la comprenait à moitié - du moins il l'avait cru. Pendant longtemps, il pensa qu'elle était heureuse parce qu'ils vivaient leur dernière année d'apprentissage et que depuis le début de l'année déjà, ils passaient une semaine sur deux dans une vraie école à enseigner à de vrais élèves. Apparemment, il avait eu tort sur toute la ligne. Elle se réjouissait pour son frère aîné, son meilleur ami.

- Moi, je lui ai rien acheté du tout, on n'est même pas sûr qu'il ait réussi le concours. Tu sais, c'est dur, ils prennent peu de gens... Lâcha-t-il avec une grimace. Je te parie même qu'il va se foirer lamentablement, comme l'année dernière, il va revenir en pleurs et on va faire une partie de gô pour se changer les idées, et après je l'aiderai probablement à trouver un appartement parce que les parents le chasseront de la maison ! Continua-t-il en plaisantant.
-Akira ! Tu devrais avoir confiance en Shinobu, il travaille énormément pour y arriver ! Il mérite d'entrer dans cette école ! S'offusqua Lily en pilant et en pointant du doigt sa poitrine comme si elle avait pu lui tirer une balle.

Yuki soupira et passa une main dans ses cheveux ténébreux, mi-longs, pas encore attachés en queue de cheval, puis passa une main sur son menton légèrement carré et mal rasé.

-S'ils recrutaient par rapport au mérite, pas de doute qu'il serait pris, mais la vie ça marche pas comme ça. C'est comme quand il a voulu entrer à l'académie de Jadielle, il a dû passer le concours trois fois, alors que moi je l'ai eu du premier coup, ce qui fait qu'on s'est retrouvé dans la même classe malgré notre différence d'âge et de mentalité. Tu ne peux pas dire le contraire.
-C'est sûr qu'entre toi et lui... Souffla Lily. C'est comme comparer un Ramoloss et un Farfuret.
-J'espère être le Farfuret. Lança Yuki, sachant parfaitement que ce Pokémon était réputé pour son intelligence et sa ruse.
-Non, tu es le Ramoloss. Répliqua Lily, intransigeante. Tu es trop paresseux pour être autre chose. Le cassa-t-elle.
-Aouch, ça fait mal, ça... Si tu continues, je vais croire que tu aimes Shinobu et pas moi.
-Ne dis pas n'importe quoi, je vous aime tous les deux mais de manière différente. Acheva-t-elle en lui souriant.

Pour confirmer ses dires, elle lui fit une bise au coin de la lèvre. Akira resta de marbre quelques secondes, perdu dans ses pensées.

Il avait beau dire ça sur le ton de la plaisanterie, Lily ne réalisait pas à quel point ses parents mettaient la pression à son frère pour le concours : s'il subissait un nouvel échec, nul doute que son père n'hésiterait pas une seule seconde à la déshériter. Pas que l'argent avait grande importance, sa famille n'était même pas spécialement riche contrairement à celle de Lily, mais tout résidait dans le symbole.

-Je suis sûre qu'il va réussir, moi, et ce soir on fêtera ça ! Continua la brune, ailleurs, imaginant la suite de la soirée.
-Je répète qu'il va se planter royalement ! Tant qu'il ne fera pas ce qu'il lui plaît réellement, il se plantera. C'est comme ça, il est en train de gâcher sa vie en suivant les ordres de nos parents ! Critiqua Akira, les sourcils froncés. Il est pas fait pour la sociologie !
-Ce que tu peux être défaitiste !

Brusquement, quelque chose vibra dans sa poche. Il chercha mollement son téléphone portable et regarda platoniquement l'écran informatif - c'était une habitude, ne pas répondre immédiatement pour être sûr de ne pas tomber sur quelqu'un à qui il ne voulait pas parler. Le prénom de Shinobu s'afficha en relief, suivit de l'information « 1 message texte reçu ».

-Tiens, on va avoir notre réponse ! Rit-il en ouvrant le fichier.

Lily se pencha vers lui et passa ses bras autour de son cou pour mieux voir. Malheureusement pour elle, la chevelure de son petit ami était aussi soyeuse et fournie que la sienne, et elle ne parvenait pas vraiment à voir ce qu'elle voulait. En revanche, elle sentit un frisson le parcourir et ses muscles se raidirent. Elle retint un rire et lâcha :

-Tu vois, il a réussi ! Et ça t'apprendra, mauvaise langue !

Mais cela n'avait rien à voir, elle le devina à son teint blafard, à son regard figé dans une expression indéfinissable, indéchiffrable. Un mélange de peur - non, plus fort, de crainte - de l'incompréhension, le refus, voilà ce qu'elle voyait dans la mer de ses pupilles prise dans la tourmente.

Elle relâcha son étreinte et arracha l'engin électronique de ses mains aussi facilement que s'il avait tenu un cahier de cours. Elle posa son regard avide sur le texte, ou plutôt le simple mot que Shinobu leur avait envoyé, et son sang se glaça dans ses veines.

« Adieu »

Les cœurs des jeunes adultes avaient loupé un battement, et sûrement un virage, ils venaient de se jeter dans un ravin. Akira fut le premier des deux à réagir : il abandonna son sac de classe et se rua vers sa maison. Lily l'imita, courant sans penser à reprendre son souffle. La porte vola, brisant la glace qui se trouvait derrière, mais sur le coup, ils s'en fichèrent pas mal. Yuki avait grimpé les escaliers, glissé sur le tapis et pénétré dans leur chambre si rapidement qu'il pensa que la prof de sport en aurait eu une crise cardiaque de le voir comme ça.

Son cri, appelant son frère, retentit dans toute la maison. Ils cherchèrent dans toutes les pièces, craignant de découvrir le pire dès que les gonds grinçaient. Il leur sembla plus d'une fois qu'ils allaient vomir de ne trouver aucun indice. Ils enchaînaient soulagement de ne pas voir Shinobu étendu par terre, puis la terreur paralysait leurs respirations devant l'évidence : il n'était nulle part.

Akira repartit dans leurs chambres et vida le contenu des tiroirs par terre, il chercha dans une cachette connue d'eux seuls et ouvrit même les bols contenant les pions du jeu de gô. Il n'y avait plus rien, plus d'argent caché, plus ses affaires favorites, même plus ses Pokémons. Shin avait pris toutes ses affaires... Il tentait de fuir !
Lily n'eut pas le temps de comprendre - elle n'était même pas certaine de le vouloir. Son petit ami lui saisit le poignet et ils quittèrent la demeure au pas de course.

« Qu'est ce qui te prend ? Où est-il ? Akira, réponds-moi ! » Avait-elle hurlé avec la voix enrouée, mais sa phrase avait été emportée par le vent sifflant à leurs oreilles.

Le brun l'amena devant la gare de la ville, ils traversèrent le pont pour franchir le portail de fer forgé quand un détail attrapa l'attention de Lily.

Une chose qui flottait, coincée entre deux rochers, secouée par le courant, une casquette noire. Celle que Shinobu portait ce matin-là. Son image de lui arborant ce chapeau s'imprégna sur sa rétine.

Ses genoux avaient soudain subi à revers tout ce qu'elle leur avait fait endurer : ils cédèrent sous la fatigue, et elle tomba à terre. Avant que l'information ne monte au cerveau, avant qu'elle soit intégrée, avant qu'elle ne saisisse la moindre hypothèse, la moindre pensée, elle hurla.

Akira pila net et il vit la même chose qu'elle. Une seconde. Une seule seconde qui fut une éternité, tout devint blanc, son esprit se vida, il n'y eut plus rien, ni même peur, ni même tristesse. Puis, brusquement, tout revint, aussi fortement, aussi douloureusement qu'un choc électrique.

Il enleva sa veste et passa une jambe par-dessus la rambarde. Le sang de Lily ne fit qu'un tour, elle se jeta sur lui et l'empêcha de plonger. De toutes ses forces, elle le garda sur la terre ferme, à l'abri, elle lui cria de ne pas le faire, de ne pas sauter, qu'il allait se noyer lui aussi. Mais Akira ne l'écoutait pas, il lui répondait qu'il ne pouvait pas abandonner Shinobu, qu'il avait Staross, mais elle tint bon.Elle le supplia de ne pas mourir lui aussi.

La vitalité d'Akira s'évapora en même temps que cette supplique. Il eut l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds, que son être tout entier tombait en morceaux dans le gouffre noir du désespoir. Il tomba à terre, incapable de faire un geste, ses yeux rivés sur les affaires flottantes à la surface de l'eau.

Ce n'était plus son cœur qui battait dans sa poitrine, mais cette même phrase, cette même conviction, cette imploration : son frère ne pouvait pas être mort, ce n'était pas possible.

Les jours qui avaient suivi avaient été un enfer. Akira n'avait pas dormi, il avait aidé les équipes de recherches à fouiller le lac à l'aide de perches, il avait même lancé Staross, mais ils n'avaient ramené aucun corps, juste la casquette de son frère et son sac de cours avec la lettre de refus. La seule preuve qui laissait croire à sa mort fut qu'on retrouvât une pokéball dans une des poches du sac, celle de son premier Pokémon, de son meilleur ami, Chapignon. On le lui remit d'ailleurs, en annonçant qu'on stoppait les recherches.
Lily rendait visite à Akira tous les soirs, elle séchait certaines heures pour le rejoindre, elle passait des heures à aider la famille à la soutenir, mais en vain.
On ne trouva pas Shinobu.

Ses parents, deux personnes ambitieuses, corpulentes, brunes à la peau mate et aux yeux clairs, s'en sortirent plutôt bien. Pas qu'ils n'étaient pas malheureux - bien au contraire - mais toutes les larmes qu'ils versèrent devinrent représentatives de rage contre tel ou tel bouc émissaire. La mère, une femme robuste, droite comme sa conscience, criait justice auprès des autorités ; le père, carré, intransigeant, menaçait de procès quiconque l'approchait et crachait sur son fils aîné.

Un soir, il avait lancé, sous emprise de l'alcool :

« Au moins, on est débarrassé d'un bon à rien ! Akira, lui, il réussit ce qu'il fait ! ».
Yuki s'était levé et avait quitté la table, impassible.

On enterrait son frère - leur fils. Ne pouvaient-ils pas abandonner leur foutue ambition, leurs foutus projets concernant leur progéniture ? Juste cette fois, juste un instant ?

Mais Akira n'avait jamais été querelleur, et il n'avait plus la force de faire quoi que ce soit. Son cerveau était voilé derrière un brouillard insondable, il n'arrivait plus à réfléchir, plus à regrouper ses idées. A chaque instant qui s'écoulait, il se remémorait cette dernière journée, ces dernières années, essayant de trouver une faille, un indice de la part de son aîné annonçant son comportement, quelque chose qu'il aurait dû voir !

Voilà, voilà ce qui avait le plus inquiété Lily. Akira restait imperturbable, passant des heures à contempler le vide. Il n'avait pas versé une seule larme. Son visage restait le même, quoi qu'il arrive. Son regard, pourtant, était si lointain qu'il faisait presque peur.
En vérité, il était plongé dans un sentiment inexplicabl. Ce tissu d'émotions était bien trop complexe, bien trop lourd, trop enchevêtré sur lui-même pour que lui, alors qu'il s'y noyait depuis des jours, n'y comprenne grand-chose.

Une semaine après le drame, Lily était montée dans sa chambre, et elle l'avait trouvé là. Assis sur le sol, face au gôban, une partie inachevée devant lui. Il fixait le quadrillage de la table de jeu, tournant dans ses mains la pokéball de Chapigon de manière nerveuse. S'il n'avait pas respiré, on aurait pu le confondre avec une poupée de cire.
Elle s'était approchée de lui, s'était installée de l'autre côté de la table et avait joué un coup. Elle n'avait jamais été douée pour ce jeu - les deux frères la décapitaient en quelques tours, mais elle espérait le faire réagir. Son petit ami avait effectivement bougé. Il répondit au coup sur le gô, puis ses lèvres s'étaient étirées, pincées, et il avait parlé d'une voix rauque, étouffée par une souffrance retenue depuis trop longtemps :

-Ils ne le comprenaient pas. Ils ne faisaient aucun effort, tout ce qui les intéressait c'était les bonnes notes, tout ce qu'ils ont réussi à faire, c'est le détruire à petit feu. Il dépérissait lentement dans cette famille.

Lily caressa son visage, mais il ne parut même pas la sentir. Il était perdu, perdu dans toutes les images qu'il conservait de son frère. A présent, il le voyait parfaitement, tous ces petits riens, tous ces sourires faibles... Comment avait-il pu les ignorer ?
C'était si évident, pourtant...

-J'aurais dû... J'aurais dû le soutenir, lui faire comprendre ça, qu'il avait aussi des qualités, au lieu de tout le temps le taquiner... Je ne vaux pas mieux qu'eux...
-Ne dis pas ça ! Répliqua Lily, sans comprendre ce dont il parlait.
-J'aurais dû... J'aurais dû avoir confiance en lui ! J'aurais dû être un meilleur frère... Si seulement... Si seulement on pouvait revenir en arrière ! Si seulement je pouvais changer ça ! Juste ça !

Une larme s'écrasa sur le gôban. Lily recula, la poitrine déchirée. Akira pleurait. A présent, c'était un peu tard pour songer à quel point il avait été un mauvais frère avec lui, à ne jamais faire d'effort, à ne jamais l'écouter...

Une autre larme roula sur sa joue.

-Si seulement ! Si seulement il était toujours là ! Je donnerais... Tout ce que j'ai, tout sans hésiter ! Je lui cèderais ma foutue intelligence, si c'était possible ! Il en ferait de toute façon meilleur usage que moi ! Je.. Je...
-Akira, ça suffit !

Elle l'avait enlacé. Elle s'était mise à sangloter également. Il refusait d'y croire, il refusait d'entendre son propre discours, il refusait de l'enterrer. Si cela avait été en son pouvoir, si seulement ça avait été en son pouvoir...

-Toute la volonté du monde ne le fera pas revenir... Souffla-t-elle malgré elle.

Et pourtant son corps acceptait ce que son esprit refusait.

Yuki avait fondu en larmes dans ses bras. C'était tellement injuste. Il ne supportait pas l'idée de ne plus jamais le revoir, le taquiner, même le fait qu'il ne jouerait plus le rôle de sa conscience !

La vie était si fragile. Le matin de sa disparition, il avait eu l'air si en forme, si plein de vie, il lui avait même souri, ils avaient ri ensemble ! Ils avaient trouvé un équilibre dans leurs vies, dans sa vie ! Comment tous ses plans, tous leurs rêves avaient-il pu s'évanouir en un seul sms ?Il était si jeune, il avait à peine vingt et un ans, il avait toute la vie devant lui, et Akira n'avait jamais vu une personne si méritante, si adorable, si généreuse...

Pourquoi avait-il fait ça ?

Quelques heures plus tard, ses parents leur avaient annoncé qu'ils allaient organiser des funérailles pour Shinobu, vu qu'il avait commis un suicide à coup sûr.

Akira avait encaissé la nouvelle sans même ciller.

Une dizaine de jours plus tard, il dût supporter ce pseudo enterrement, sans corps, avec un cercueil vide, un tombe vide et même pas d'entête funèbre sur le marbre. Des personnes qu'il n'avait jamais vu, qui se souciaient à peine de lui étaient venu le pleurer hypocritement, espérant croiser Lily, ou ses parents, histoire de pouvoir trouver en eux des relations bénéfiques. Akira n'avait jamais autant haï un jour, pas même le dimanche de Pâques où il devait se lever pour aller à la messe. On enterrait son frère, son ami, sans même se soucier de qui il était, sans même lui laisser une chance de survie ! Pas un mot ne fut prononcé sur ce qu'il avait fait, tout le monde d'ailleurs ignorait ce qu'il était et tout ce dont il avait souffert !

C'était horrible d'agir ainsi, mais tout au long de la cérémonie, il ne put soutenir la vision de ce trou qu'on remplissait peu à peu, une vraie mascarade. Cette tombe n'avait aucun sens... Qu'affichait-elle ? Un nom, une date ? Elle ne renfermait même pas un corps, elle ne montrait pas toute la peine qu'impliquait la perte de cet être cher.
Alors, Akira avait contemplé Lily, de long en large, il ne l'avait pas quitté des yeux, la détaillant des pieds à la tête dans sa robe de deuil de dentelle. Il se demanda si elle se serait fait aussi belle pour sa propre mort, mais il ravala bien vite sa pensée. Il s'accrocha juste à cette vision, et se noya à nouveau dans cette mer insondable, retenu à la surface par cette simple présence floue.

Ils avaient perdu du poids, ils se laissaient aller, ils n'allaient même plus en cours.
Après la cérémonie, Lily le rejoignit devant la tombe.

-C'est ironique... Balbutia-t-il.
-Oui... Répondit-elle.
-Cette tombe ne contient rien... Continua le brun. Je n'ai jamais eu une chance de le comprendre du début à la toute fin : même sa mort reste dans le noir complet pour moi !

Pourquoi avait-il pris toutes ses affaires si c'était pour se suicider ? Pourquoi avait-on juste trouvé Chapignon et son sac de cours ? Etait-ce un accident ? Pourquoi personne n'avait vu son frère, alors ? Une personne qui se fait agresser, ça se remarque !

Il était stupide, ça ne servait à rien de savoir la vérité maintenant de toutes façons, savoir ne le ramènerait pas.

-Ne dit pas ça. Chuchota-t-elle.
-Mais qu'est-ce que tu en sais, de toute façon ? Tu es chiante, tu peux pas arrêter de me coller et aller voir ailleurs s'il y est ?! Hurla-t-il. Je... J'en ai marre, je veux rester seul avec lui... Laisse-moi...

Lily grimaça, retenant un sanglot. Elle tenta de lui attraper la main, mais il la repoussa. Elle fit alors quelques pas en arrière, puis elle ajouta, sans le regarder dans les yeux :

-Tu n'es pas le seul à souffrir, Akira... Moi-même, je dois dire qu'avouer mon amour à une tombe vide... Enfin, laisse tomber.
-Je savais que tu nous aimais tous les deux... Il aurait été préférable que tu sortes avec lui, il serait peut-être encore parmi nous... Maintenant, laisse-moi. Murmura-t-il.


La silhouette fine de sa petite amie disparut, et Akira resta là, immobile, jusqu'à ce que son portable vibre dans sa poche. Amorphe, il loupa l'appel, mais quand il écouta sa boîte de réception de message vocal, il n'osa y croire. C'était la voix de Shinobu.

« Akira ? On dirait que, comme d'habitude, il est impossible de te joindre sur le portable, tu changeras jamais... » Il eut un rire. « Je suis désolé, je ne t'ai pas appelé plus tôt, je me suis enfui, j'ai changé de nom, je viens d'emménager quelque part grâce à mes économies. Je vais vivre une nouvelle vie. Encore une fois pardon, cette décision doit te paraître lâche, et idiote, mais je crois que... Je n'aurais pas supporté le regard de papa après cet échec, et je me suis dit qu'il préférerait un fils mort plutôt qu'un incapable en fuite. Les dernières semaines n'ont pas dû être faciles pour toi, j'espère que vous avez retrouvé Chapignon, et que c'est toi qui t'en occupe... heu... que dire ? Je t'envoie mon nouveau numéro pour que tu puisses me joindre au cas où... Ne dis rien aux parents, et à Lily aussi : elle ne me le pardonnerait pas... » Il marqua un pause, puis avec une voix enrouée, il acheva son discours : « Je t'adore Akira, si j'avais pu... Enfin, c'est trop tard, maintenant... Merci. »

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Le soleil se faisait peu à peu avaler par les gloutons nuages gris, avides de chaleur. Une fine pluie tomba sur Azuria, l'eau écrasant des quantités de neige et l'emportant avec elle dans son ruissellement sans fin. Un éclair gronda au loin.
Mais Yuki n'aurait su dire s'il avait vraiment frappé ou si ce n'était qu'une illusion auditive due au choc. En désespoir de cause, il pria pour qu'il soit réel et que le suivant vienne vite le foudroyer sur place.

Ses lèvres se pincèrent, puis se tordirent en une grimace. Il était maudit, c'était la seule explication possible à ce coup du sort.

-Monsieur, j'ai froid... Allons vite le voir ! Murmura Rebecca, la jeune sœur de Danny, en lui tirant les cheveux. Elle grelottait. Lui aussi.
-Tu sais quoi ? Je vais te laisser près de la porte. Moi, je t'attendrai dehors ! Proposa-t-il d'une voix tremblante.
-Non, j'ai peur d'être toute seule, je ne saurai pas quoi lui dire, s'il vous plaît ! Le supplia-t-elle.

Mais il n'y avait rien à en tirer. Akira le savait, ses jambes ne bougeraient plus, ses genoux semblaient faits en coton, et un goût âcre, amer, horriblement trop familier, envahissait sa gorge. Elle ravivait des souvenirs qu'il préférait oublier. Son frère, il venait de retrouver Shinobu, lui qui était mort, qui avait disparu, qui l'avait trahi trois ans auparavant !
Que pouvait-il dire ? Comment pouvait-il réagir ?

Les différents scénarios de retrouvailles qui s'imposèrent à son esprit lui parurent plus ridicules les uns que les autres... Et puis, il ne voulait pas lui parler, il ne voulait pas le voir, il ne désirait même plus avoir à faire avec lui.

Il posa Rebecca à terre, et il s'apprêtait à partir, à s'enfuir le plus loin et le plus vite qu'il pouvait, comme un lâche égoïste, quand, brusquement, une voix qu'il reconnut aisément les interpella.

-Hey, vous êtes fous, vous, là dehors ! Vous allez choper la mort, à rester là par ce temps ! Venez vous abriter ici en attendant que ça passe !
Mais les mots sortirent tous seuls.

Il n'aimait pourtant pas le sarcasme, cela entraînait trop facilement des disputes et c'était fatiguant, mais cela lui échappa. Comme si cette phrase, cette douleur contenue en lui était sortie de son corps, un peu comme le pus d'une plaie infectée. Dégoûtante, basse, pathétique, il lâcha :

-Ça te va bien de dire ça, Shinobu.

Il se retourna, et fixa son aîné quelques secondes. Son cœur battait tellement lentement dans ses oreilles qu'il crût qu'il allait s'arrêter pour de bon.

Le jeune homme, aussi pâle qu'un cadavre, écarquilla des yeux.

Il apparaissait plus que jamais comme efféminé, avec ses grands yeux bleus ébahis, ses cheveux soyeux noir jais, trempés par la pluie, et son pull en laine trop large que Lily lui avait offert lors de son dix-septième anniversaire.
Il se souvenait d'ailleurs qu'elle l'avait fait très grand pour qu'il puisse le porter encore longtemps - elle avait oublié que les garçons ne grandissaient plus, passée une certaine période. Oui vraiment, avec ce pull qui lui arrivait jusqu'aux genoux, il aurait pu croire qu'il avait une sœur.

Ah c'était pas vrai, était-il incapable de garder son calme, son sérieux même dans une situation pareille ? Il était fâché, fâché ! Bon sang, il n'était pas rancunier, mais il y avait des limites.

Pendant qu'Akira se demandait si son cerveau fonctionnait correctement, Shinobu, en face de lui, avala sa salive. A la grande surprise de son cadet, il s'écarta de son passage, ouvrit la porte d'entrée, et dans un sourire fragile mais sincère, il balbutia :

-Eh bien... Dépêchez-vous, tous les deux. Je ne voudrais pas que vous soyez malades par ma faute... Surtout toi.

Akira eut un frisson, reconnaissant ce visage plus que jamais. Une évidence le frappa : malgré toute sa colère contre lui, Shinobu lui avait terriblement manqué.

-Une aussi mignonne fillette, je m'en voudrais ! Acheva son frère en prenant une Rebecca écarlate dans ses bras.

Le sale...

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Les sons de pas précipités envahirent la maison avec un grande « discrétion ». Des cris s'élevèrent un à un, provenant du salon. Les questions et leurs réponses fusèrent : « Vous avez rentré tous les Pokémons ? – Vous avez barricadé portes et fenêtres ? Les plantes ! Allez éteindre l'arrosage automatique ! – Les serres sont consolidées ? Tu parles d'un temps de Caninos, la météo est totalement déréglée ! Oh mon dieu ! Gaëtan, va attacher les Tauros et les Ecremeuh, ils risquent de paniquer avec la tempête qui se prépare ! Aaron, ouvre le passage pour que les Pokémon puissent entrer s'ils ont peur ! ALICE, DIS A TON PETIT AMI D'ENLEVER SES MAINS DE... !! »

Gabriel, sur son lit, soupira en entendant sa sœur hurler sur le nouveau de la semaine. Nul doute qu'il ne tiendrait pas plus de deux jours, celui-là. D'après ce qu'il avait compris, il n'était même pas doué pour aider les travaux fermiers... Alice avait un don pour manipuler les hommes, mais il y avait des limites très très très courtes à sa patience.
Il se retint de se jeter par la fenêtre quand il perçut la voix de sa mère qui criait à Aaron qu'elle ne voulait pas des Tauros dans le salon, aussi effrayés soient-ils.
Oui, il était définitivement revenu à la maison.

Bon sang, il fallait qu'il trouve vite un moyen de se barrer.

Son ordinateur portable sonna, les analyses sur les ex Pokémons de labo venaient enfin de se terminer. Il ouvrit le fichier et le lut attentivement.
Autour du matelas qui lui servait de couchette, des dizaines de machines électriques jonchaient le sol de la mezzanine, toutes faites par lui-même - après tout, il voulait être sûr de leur efficacité. Il avait pris la liberté de faire quelques tests basiques à tous les Pokémons pendant qu'ils passaient sur la machine de soin.
Une fois sa besogne terminée, il se massa les tempes avec lassitude. Il ne voyait rien, qu'est-ce qui avait bien pu les transformer ? Il pouvait juste voir que leurs capacités physiques avait été augmentées par il ne savait quelle magie, et leur capacité à évoluer, de ce fait, semblait restreinte. Ils avaient dépassé depuis longtemps le stade de puissance qui permettait le changement. Peut-être qu'une émotion forte pourrait leur faire surmonter cette barrière, mais Gabriel en doutait.

Décidément, ce voyage improvisé avec son frère était plein de mystères. Celui-ci émit un grognement dans son sommeil. Gabriel fit le cochon pendu et jeta un coup d'œil à ce qu'il devenait. Tous les Pokémons du groupe dormaient dans le lit avec Eléa, serrés contre elle, et Daniel fixait la scène, essayant tant bien que mal de protéger sa cheville meurtrie.

Il remarqua le soudain intérêt de son cadet et lâcha gentiment :

-Je n'arrive pas à m'endormir.

Il observa la tempête à l'extérieur.

-J'espère que Lucas est à l'abri...
-Tu as encore mal ? Tenta son frère.
-Tu t'inquiètes pour moi ? Plaisanta Danny.

Mais au vu de la tête désabusée que lui renvoya le petit, il comprit qu'il se trompait complètement. Il avait dû le déranger dans son travail, ou bien le fait qu'il ne dorme pas retardait un quelconque plan. Il reprit alors sa contemplation d'Eléanore assoupie, protégée entre toutes les petites créatures.

-C'est incroyable... Eléa a vraiment un don avec les Pokémon, ils lui font confiance si aisément, comme si c'était une des leurs.

Gabriel observa la gamine. Si là, elle était calme à cause de son état, il se souvenait bien de son regard sauvage lors des batailles. Bizarrement, si Eléa était en fait un Pokémon, cela ne l'étonnerait même pas. Mais cette hypothèse défiait toute logique.
Néanmoins, si son cadet trouvait qu'Eléa ressemblait à un Pokémon de par son énergie, Daniel, lui, avait une toute autre vision des choses.

Elle avait ce il-ne-savait-quoi que possédaient les créatures, cette confiance enfantine, cette naïve pureté et générosité. Une certaine loyauté également.

Mais à quoi pensait-il ? Il perdait la tête. Un être humain, un Pokémon et puis quoi encore ?

Daniel caressa la tête de Salamèche qui ronronna. Ses prunelles se perdirent dans le lointain.

-Qu'est-ce que tu comptes faire ? Demanda son frère. Tu n'arrives pas à te décider, c'est pour ça que tu n'arrives pas à dormir, avoue.
-Oui.
-C'est à cause des Pokémons, de ce qui est arrivé, ou d'elle ?
-Un peu de tout, je crois. Répondit calmement Daniel. Je ne sais plus quoi faire. J'aime chacun de mes Pokémon, je ne veux pas les abandonner, mais... Et puis, je ne sais plus quoi penser non plus. Jusqu'à présent, je me disais que je pourrais l'aider en restant avec elle, mais j'ai pas servi à grand-chose. J'ai même fini par être un poids.

Gabriel détourna la tête, totalement insensible à ce discours d'états d'âme qui ne le concernait pas. Son cerveau bouillonnait sous son crâne, et pas seulement à cause du sang qui y affluait par effet de gravité.

Il voulait continuer à rester près de son frère, il voulait découvrir d'où venait cet étrange signal, le mystère des Pokémons shiney et, pourquoi pas, tirer avantage de l'identité de cette fille. Il devait être réaliste, ce n'était pas en restant ici qu'il y parviendrait.

-Danny... Je veux partir en voyage initiatique avec toi. Lâcha-t-il au bout d'un moment.
Son frère releva la tête, et on aurait dit qu'il venait de voir un Pokémon légendaire.

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Lucas posa l'assiette sur la table. Il analysa la situation à l'extérieur avec appréhension. Samantha goûta le repas avec délectation. Décidément, Lucas savait cuisiner comme personne.

-J'espère qu'on pourra rentrer avant le retour de mes parents... Maugréa-t-il dans sa barbe.
-Tu ne veux vraiment pas les voir ?

Il ne releva même pas et vint s'installer en face d'elle, silencieux. Samantha baissa les yeux, et continua de manger. Elle attendit patiemment que l'ambiance tendue s'estompe, puis ils se remirent à parler d'un autre sujet comme si de rien n'était.
Pour avoir vécu une expérience semblable, elle savait comment réagir : elle n'allait pas le forcer à parler de blessures douloureuses, sous peine de les rouvrir.
Ils débattirent donc sur le cas d'Eléa pendant une bonne demi-heure, mais sans parvenir à une réponse. L'air était déjà chargé d'électricité, mais quand un éclair gronda au loin, ce fut le pompon, et Lucas se redressa d'un bond.

Un autre retentit.

Lucas sursauta à nouveau.

-Ça ne va pas, Lucas ? Demanda Sam, effrayée par sa réaction.
-H-Hein ? N-non, non ! T-Tout va bien ! Balbutia-t-il, blanc comme un linge.

Un nouveau grondement lui hérissa les poils.

-Lucas, tu as peur de l'orage ?
-N-No-N-ON ! J-j'ai, j'ai juste le mauv-mauvais souvenir de, enfin tu-t-tu sais !
-Lucas... insista Sam.

Maintenant qu'elle y repensait, elle ne l'avait jamais vu lors d'une soirée orageuse, et puis avec les évènements de la veille...
Cette fois, elle n'eut même pas besoin d'entendre le son : un éclair zébra le ciel et s'abattit dans le jardin à quelques mètres de la fenêtre. Le brun eut une réaction inattendue, il hurla et s'élança dans le couloir vers la sortie.

-Lucas ! S'écria Sam en s'élançant à sa poursuite. Qu'est-ce que tu fais ?
-Je rentre chez Daniel ! T-Tout de suite ! Je veux pas être seul ici !

Il saisit la poignée de la porte, mais celle-ci s'ouvrit devant lui sans qu'il ne la pousse. Une jeune fille blonde sur le seuil observa la scène avec stupéfaction.

-Lulu ? Balbutia la nouvelle venue.

Samantha rattrapa son ami juste à temps et le retint par les épaules. Il tremblait comme une feuille.

-Ah... Tu as toujours peur des orages ? Et chiotte !

Elle ferma la porte derrière elle et l'aida à se relever. Elle l'accompagna jusqu'au salon où elle le couvrit. Samantha s'assit près de lui.
Il se recroquevillait sur lui-même au moindre son.

-Ma-Marion, qu'est-ce que tu fais à la maison si tôt ? Demanda-t-il entre deux hoquets, s'excusant auprès de Sam pour son comportement stupide actuel.

La jeune blonde qui fermait tous les stores de la salle se retourna avec une mine grave.

-Je... J'espérais arriver plus tôt, je voulais voir tonton et tantine avant qu'ils ne partent me chercher. Mais il faut croire que Rapasdepic n'a pas été assez rapide...
Samantha parut perdue, Marion sembla enfin se rendre compte de sa présence et se présenta.
-Mais dis moi, que tu es mignonne ! J'espère que mon crétin de cousin ne t'a rien fait ?
Elle brandit le poing en guise d'avertissement pour le concerné.
-Non... Lucas est un grand ami, même si là, il n'est pas...
-Oui, faut pas faire attention, il fait son cinéma, comme d'habitude, il fait un sketch.
-Marion, qu'est-ce que tu fais là ? Redemanda le brun avec le plus de force dont il était capable.
-Les parents rentrent vers quelle heure à ton avis ? Ils ont leurs portables ? Je vais utiliser le téléphone alors...
-Marion !

La blonde se tourna vers son cousin et avec un sourire sadique elle cria :

-BROUAM !

Le brun se recroquevilla sur lui-même en frissonnant.

-C'est toujours aussi simple de me débarrasser de toi. Commenta-t-elle.

Elle eut un rire et, brusquement, d'autres personnes pénétrèrent dans le salon.
Sam reconnut aisément les personnes qu'elle avait vu sur le cliché. Lucas, derrière elle, baissa la tête et murmura un « Merde, merde, MERDE ! » Assez fort pour que les trois autres puissent l'entendre tout de même.

-Lucas ! S'exclamèrent les adultes présents avec surprise. Marion !

Les retrouvailles auraient probablement pu être émouvantes, si les protagonistes avaient eut un mouvement tendre envers leur progéniture, mais ils demeurèrent droits, pétrifiés.

-Heu... Bonjour papa, maman...

Un nouvel éclair et Lucas fut coupé dans son salut.
Samantha fit un bref signe de la main et essaya de calmer son ami.

-Mon chéri, comment vas-tu ? Marion, que fais-tu ici ? On s'inquiétait en ne te voyant pas arriver à la gare ! S'exclama le père.

Ils ne remarquèrent pas l'état de leur fils.

Samantha avait déjà vu ça, ils n'avaient rien en commun, pas même un véritable passé, c'étaient ni plus ni moins que des étrangers qui ignoraient tout des réactions de leurs propres enfants. Les mots tendres comme « mon ange » ne servaient qu'à camoufler leurs lacunes dont ils connaissaient l'existence mais qu'ils ne parvenaient pas à combler.

La mère de Lucas fixa longuement le brun et avec une grimace elle se tourna vers la blondinette, probablement pour lui demander de l'aide afin de parler à son enfant, mais la jeune fille ne lui en laissa pas le temps.

-Maman, Papa, il faut absolument que vous quittiez Kanto !
-Quoi ? S'écrièrent toutes les personnes présentes.

Un autre éclair retentit dans le lointain.

-J'ai déjà tout préparé, j'ai loué une maison à Sinnoh pour vous tous.
-Mais enfin, Marion, qu'est-ce qui te prends ? Et notre travail, on ne peut pas l'abandonner, ne gaspille pas ton argent sur un coup de tête comme ça, tu es devenue folle ? Lança froidement l'homme.
-Pour votre travail, j'ai déjà tout préparé, ne vous en faites pas. Vous recevrez bientôt votre ordre de mutation... Il faut que vous alliez préparer vos affaires, je demanderai à une entreprise quelconque de s'occuper des meubles et du reste. J'aimerais que vous partiez aujourd'hui. Déclara-t-elle, impassible.

Les adultes semblaient pétrifiés par la réaction de leur « fille », et ils la contemplaient avec effroi. Samantha elle-même n'en revenait pas. Une si jeune femme ? Etre capable de faire tout ça ? Elle devait être folle, c'était impossible. Les parents devaient penser la même chose qu'elle.

-Ne dis pas de bêtises, Marion, tu es bien incapable de faire une telle chose... C'est bon, où est la caméra cachée ? Demanda la femme avec un rire nerveux.
-Je ne plaisante pas du tout. Vous semblez oublier que je fais partie du Conseil des Quatre de Kanto et Johto, rien n'est plus simple que de faire muter un avocat et un juge comme je l'entends. Ça vaut aussi pour toi, Lucas, je veux que tu changes immédiatement de lieu pour ton voyage initiatique. Un badge est un badge, peu importe l'endroit. Tu pars aussi pour Sinnoh.
-Hors de question ! S'exclama Lucas en se levant d'un bond.

Un éclair le fit se rasseoir instantanément.

-On n'est pas à ton service, pour qui tu te prends ?! Je n'ai aucune envie de déménager ni même de me séparer de mes amis ! La gloire t'est montée à la tête !
-Lucas, parle sur un autre ton à Marion ! S'emporta son père. Marion, explique ton attitude tout de suite. Quelle mouche te pique ? Je croyais que tu venais ici initialement pour voir un de tes collègues qui devait se trouver dans le coin cette semaine ?

La blondinette baissa les yeux vers son cousin, ses prunelles marrons ne reflétaient qu'un peu de tristesse, mais surtout de l'inquiétude.

-Oui, normalement je devais voir Sacha... Mais un évènement imprévu est survenu hier... Il faut absolument que vous quittiez le continent ! Je vous en supplie, je fais ça pour vous protéger.
-Ma chérie... Tu sais que tu peux tout nous dire, qu'as-tu fait ? Tu es tombée dans la drogue, le dealer te poursuit ? Tu peux nous faire confiance, tu le sais, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour t'éviter la prison ! Lança la femme.

Samantha resta sceptique quant à l'efficacité de cette remarque.

-Maman ! S'offusqua la blonde.

Elle se rattrapa et mit la main devant sa bouche avant d'observer la réaction de son cousin, mais celui-ci ne fit rien.

-Je veux dire, reprit-elle... Bon, je vais vous expliquer...

Elle parut réfléchir quelques secondes à ses paroles, analysa les lieux pour y dénicher la moindre trace de micro espion, puis avec un soupir lâcha :

-Vous connaissez notre maître du type dragon dans le conseil ? Peter.
-Tu veux dire Lance ? Rectifia son père adoptif.
-Ah oui, c'est vrai, excusez-moi j'ai pris l'habitude de l'appeler par son deuxième prénom... Enfin bref, hier il faisait une démonstration à Hoenn, à Eternara, et...

Son visage se tordit sous la difficulté des révélations, et ses membres tremblaient. Les paupières plissées, elle tentait de retenir des larmes de frayeur.

-Ma chérie ? S'enquit l'homme strict.
-Et... Alors qu'il faisait un combat de démonstration, quelqu'un a tenté de le tuer ! Si une civile n'avait pas vu le coup partir, il serait mort à l'heure qu'il est ! Alors qu'elle était emmenée d'urgence à l'hôpital, elle a disparu, elle ne doit plus être de ce monde, les assassins lui auront mis la main dessus !

Samantha sentit l'air de la pièce se glacer. Chaque inspiration devint coûteuse, les mots semblaient geler avant d'être assimilés, les mouvements se firent plus lents, la marque s'estompa peu à peu. Une seule constatation s'extirpa de la paralysie du froid en Samantha : elle n'aurait pas dû entendre ça.

Marion chercha à nouveau ses mots et reprit, chacun de ses gestes paraissait fendiller cette ambiance fragile et glacée comme du verre.

-Nous sommes presque certains que la Team Opale est derrière tout cela ! S'ils commencent à s'en prendre à Peter, ils ne vont pas tarder à s'occuper des autres. Nous, nous pouvons nous défendre ! Mais je refuse de voir ma famille être prise en otage ! Il y a un QG d'Opale à Carmin sur mer, c'est beaucoup trop proche de vous...

Elle s'inclina, joignit les mains pour prier et fondit en larmes en s'écriant :

-Je vous en supplie, il faut que vous partiez de ce pays !

« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

Des voix lointaines se querellaient.
Elle ouvrit un œil, battit des paupières.
Un mal de crâne l'assaillit.

« Maman, enfin ! Il n'a que neuf ans et il n'a même pas de Pokémon ! Il ne peux pas partir avec nous ! »
« Mais puisque tu en as trop, donne m'en un ou deux ! En plus, comme ça, tu pourras garder un œil et sur eux et sur moi ! »
« Parce qu'en plus, tu pars avec nous ? »
« Evidemment, je suis trop petit pour partir sans chaperon, hein maman ? »
« N'exagère pas Gabriel... Daniel, il a raison, je veux bien qu'il parte en voyage mais seulement avec toi »
« Mais... Et la ferme ? »
« Je ne fais rien dedans, ça ne changera pas grand-chose »
« Et... Et... Mais, et l'école ? »
« Je n'y vais pratiquement jamais, et de toute façon tu sais bien que je vous suivrai avec ou sans votre approbation. »
« Là... Voilà pourquoi je préfère donner mon accord tout de suite, ça évite de voir une partie de la maison exploser pour couvrir une éventuelle fugue... »
« Mais non ! Je suis pas en état de le protéger ! »
« Daniel, s'il te plaît, ne fais pas l'enfant... »
« Alice, ne te mêle pas de ça ! »

Elle se releva, la moitié de sa vision semblait obscurcie par un voile ténébreux. Elle secoua la tête pour chasser ce nuage opaque et elle finit par voir plus clairement où elle se trouvait. Une masse chaude vint demander des caresses sous son bras et y enfouir sa tête. Elle sourit, reconnaissant Ash, elle l'étreignit, les muscles vibrants de douleur et de courbatures.
L'esprit toujours engourdi, elle se contenta de savourer cette présence rassurante auprès d'elle, oubliant les questions principales... Que faisait-elle ici ?

-Daniel, ton amie est réveillée !

Elle reconnut la même voix que tout-à-l'heure. Une bonne femme grassouillette vint s'asseoir auprès d'elle, et alors seulement elle vit que Daniel se trouvait juste à côté d'elle.
Son corps se réchauffa à la simple vision de son ami.
Jusqu'à ce qu'elle remarque qu'une autre personne la contemplait de loin.
Miyu, flottant dans les airs, la fixait avec des yeux ronds.

-AAAH !!!

Elle se jeta en arrière.

-Q-Q-qu'est-ce que tu fais là ?? S'écria-t-elle.

Daniel écarquilla les yeux, confus de causer tant de troubles à Eléa.

-Eléa ?

Inquiet, il posa sa main sur son front. Malheureusement pour lui, l'ami imaginaire d'Eléa s'approcha d'elle également, et avec un rire, il lança :

-Eh bien, je m'attendais à plus de reconnaissance après t'avoir soignée...

Ce n'était pas normal d'entendre des voix, alors voir un double masculin et converser avec lui, qu'est-ce que c'était ? Eléa rougit comme une tomate. Elle ne l'avait plus revu depuis ses six ans, pourquoi revenait-il en ce moment ?

-DEGAGE ! Elle donna un violent coup de pied au concerné, qui passa totalement au travers de lui et heurta le pauvre ventre d'un Daniel perdu.
-Mais enfin, qu'est-ce qui te prends, Daniel ?! Ecarte-toi d'elle ! S'exclama une rouquine. Excuse-moi, mais se réveiller avec un garçon dans son lit, ça fait toujours un choc, la première fois !
-Mais c'est mon lit... Balbutia le gamin.

Eléanore n'en démordait pas. Miyu observa la scène et lança platoniquement :

-Ouille, c'est dans ce genre de situation qu'on ne regrette pas d'être juste un esprit...

La rouquine, Alice, se rapprocha d'Eléa et vérifia sa température avec précaution. Elle parut songeuse et déclara avec gentillesse et moquerie à la fois :

-Ne fais pas attention à mon crétin de frère... Tu as un peu de fièvre. Viens, tu vas prendre un bain et après tout ira mieux, on te passera des vêtements chauds et tout s'arrangera.

Elle lui prit la main et la mena dans une autre pièce. Les jambes fébriles, la respiration lourde, Eléanore laissa derrière elle son ami avec sa mère et Gabriel. Alors seulement une question lui vint à l'esprit...

Qu'est-ce qui s'était passé ? Pourquoi avait-elle perdu connaissance ?

« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

Lucas resta silencieux tout au long du chemin du retour. Samantha, de même, n'osait plus dire un mot, elle avait l'étrange impression que tout risquait de s'effondrer si elle ouvrait la bouche.

Le père de Lucas, devant le refus de celui-ci de rester chez eux pour la nuit, avait décidé de les ramener chez Daniel. Le silence était pesant, encore écrasé par le poids du discours de Marion.

Personne n'avait osé répondre à la supplique de la blondinette, mais Samantha avait bien vu dans leurs yeux de la peur. Les parents suivraient probablement le conseil. Mais Lucas ?
Samantha regarda son compagnon qui tentait de ne plus sursauter dès que retentissait un éclair. Les sourcils froncés, il paraissait déterminé. Elle espérait de tout son cœur que ce ne soit pas à les quitter.

Le père freina. Il ouvrit la porte tout en essayant de s'abriter du vent. Ils sortirent. Alors que Lucas partait déjà, son père lui attrapa le bras.

-Lucas... Nous allons suivre le conseil de Marion, donc si tu veux nous rejoindre à Sinnoh, tu connais le numéro de Marion pour lui demander notre nouvelle adresse... Fais attention à toi.

Il le lâcha et repartit. Le brun resta muet, et se dépêcha d'aller sonner chez les Kazamatsuri, impassible. Samantha le suivit, inquiète. Venait-elle s'assister à une sorte de scène familiale entre le fils et le père ? Ils étaient tellement froids, chez lui, qu'elle se le demandait.

Samantha, le cœur lourd, était entrée dans la ferme. Pourtant, même à l'abri de la pluie battante et de l'air glacé, rien ne changea.

Les frères et sœurs de Daniel les accueillirent avec enthousiasme, le feu crépitait déjà dans la cheminée. Une rouquine pleine de taches de rousseur leur fit la bise, contente de les revoir, et elle leur proposa un chocolat chaud.
On leur prit la main et on les fit s'asseoir dans les immenses canapés moelleux. Les plus petits sortirent la tête de leurs « cabanes » de tissu et les y invitèrent s'ils le désiraient.
Le visage de Lucas se métamorphosa peu à peu, l'orage continuait de gronder au loin et pourtant, il parut moins effrayé.

-On s'inquiétait pour toi, Lucas, quand on a entendu la foudre ! Lança le dénommé Gaëtan dans un rire alors qu'il aidait à tasser les Wattouat apeurés.

Samantha s'approcha des Pokémons moutons et caressa leurs fourrures avec délectation. Leur pelage doux et chaud lui réchauffa les entrailles.

Lucas eut un sourire. Samantha rit. Frédérique arriva avec les tasses de chocolat et trébucha à cause d'un jouet qui traînait. La famille éclata de rire.

-Eh bien, eh bien, quelle joie de vivre ici ! S'exclama Lyndis en descendant les escaliers. Elle s'arrêta et vint étreindre Lucas et Samantha - à son grand dam.

-Vous tombez à pic, votre amie s'est réveillée, elle est en train de prendre un bain avec Alice.

Samantha se redressa, et une vague de soulagement s'empara d'elle. L'espace de quelques instants, elle oublia toutes ses interrogations. Elle se tourna vers Lucas avec son plus merveilleux sourire, celui-ci y répondit et lui murmura gentiment :

-Tu vois... Si je ne voulais pas voir mes parents, c'est parce que ceux que je considère comme ma vraie famille sont tous ici...

Il marqua une pause, sérieux, et ajouta :

-Voilà pourquoi je ne partirai pas de Kanto.

« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

Le feuillage des arbres alentours mugissait sous la force du vent, et les troncs s'entrechoquaient les uns aux autres. Un grondement sourd semblait avertir que la terre allait s'ouvrir d'un instant à l'autre.

C'était dans ces moments-là que l'on est heureux de se trouver à l'intérieur, pensa Gold.

Il avala une gorgé de soupe chaude en observant le ciel noir et grumeleux à travers la vitre. Le groupe s'était dépêché d'atteindre Azuria, et ne pouvant pas utiliser Vol pour se rendre directement à Carmin sur mer à cause de Chris et Angie, ils s'étaient résignés à parcourir la route à pied ou en autostop. Peut-être en train ?
Ils avaient le temps : avec cette tempête, hors de question pour eux de sortir du centre Pokémon. Le brun grommela.
Il avait mal dormi la nuit dernière : avec la neige, il n'avait pas pu sortir son sac de couchage pour sommeiller à la belle étoile, mais comme il n'avait pas de tente, il avait dû en partager une avec Silver.

Le rouquin, déjà de mauvaise humeur, avait établi une ligne de défense entre eux. A son plus grand plaisir car, fâché, Gold ne voulait pas le voir. Mais savoir qu'il se trouvait juste à côté de lui toute la nuit l'avait empêché de fermer l'œil. En plus, l'ex voleur bougeait en dormant et la barrière protectrice n'avait pas servi à grand-chose. Gold s'était levé avec un œil au beurre noir.

Et évidemment, Silver refusait d'admettre qu'il en était responsable...

-On ne risque pas de prendre trop de retard avec ça ? Commenta Angie à côté de lui.
-On est plus à ça près, de toute façon, répondit-il sèchement.
-Vous avez l'air fatigué, monsieur Gold... Vous devriez aller dormir, comme monsieur Silver. Ne vous en faites pas, Chris et moi nous surveillerons le centre !

Le brun suivit son conseil avec réticence, mais il était fatigué, il ne pouvait le nier. Et puis, il n'y avait rien à craindre pour Chris et Angie, il savait qu'ils tiendraient parole.

Bizarrement, quand il vit l'homme aux cheveux blancs demander à l'infirmière s'il pouvait l'aider, il remit en doute son jugement, mais il abandonna ses questions, préférant écouter l'appel irrésistible de sa couchette.

Il entra dans la chambre qu'ils partageaient à quatre. Silver se reposait, allongé sur le matelas, mais il avait les yeux ouverts, et il regardait la plume que lui avait donné cette fille, l'air ailleurs.
Gold sentit la colère revenir. Il oubliait encore leur mission première. Pour le plaisir de le déranger, il claqua la porte.

-Arrête de penser à elle, pense plutôt à la mission. Rétorqua-t-il.
-Je ne pensais pas à elle, je pensais à cette plume. Se défendit le roux.
-Mais ouais, c'est ça... Se moqua Gold. Et moi, je suis le boss de la team Rocket.
La blague ne fit pas sourire le roux.
Gold s'installa sur le lit d'en face et lança :
-J'ai reçu un message de Peter... Tu l'as reçu aussi, non ?
-Oui... Ça devient grave.
-Et Sacha qui est injoignable... Tu penses qu'il s'est fait avoir ?
-Je ne sais pas et je m'en fiche... Lâcha Silver.

Gold fit la moue, furieux, puis il s'exclama :

-C'est vrai que, à part cette fille, rien ne t'intéresse !

Son coéquipier se leva, le visage fermé. Il s'avança vers Gold et lui remit la plume argentée qu'il contemplait un peu plus tôt.

-N'importe quoi ! Garde-la puisque c'est ça, de toute façon tu as déjà la mienne. Je m'en vais.
-Attends ! C'est donc bien une Silver Wing ? La plume du Pokémon Lugia ?
-A ton avis, crétin ? Répondit Silver.
-Je la mets avec la Rainbow Wing ? Demanda-t-il en enlevant sa casquette.

A l'intérieur, cousue délicatement à la doublure, on pouvait voir une plume jumelle à l'autre, mais dont les teintes changeaient constamment, oscillant entre les tons rouges et les couleurs pâles, tel un arc-en-ciel.

-Tu es débile ou tu le fais exprès ? Si tu les mets ensemble, tu risques d'appeler un Pokémon légendaire... Garde-la juste à l'abri, je la reprendrai après la mission de la team Opale. Allez, je vais voir ce que font les deux idiots...

Il allait quitter la pièce quand Gold se redressa et le retint par le bras, serrant fortement pour l'empêcher de s'enfuir. Le roux grimaça mais ne se retourna pas.

-Qu'est-ce que tu fais ? Lança-t-il rudement.
-Silver... Ton plan... Tu ne penses pas, au vu des derniers évènements, que l'on devrait le remettre à plus tard ? Juste le temps de demander des renforts ! De demander l'accord de Peter, pourquoi pas de vérifier si Sacha est en vie et attendre qu'il nous aide.

Silver frissonna.

Il avait raison, cela s'annonçait beaucoup plus dur que prévu, ce serait idiot de se jeter dans cette histoire comme ça, mais...
Il songea à cette fille, qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à sa mère.
Il serra les poings.

-Deux jours... Sacha devait retrouver je ne sais qui ici, cette semaine... On l'attend deux jours et c'est tout, après on fait comme c'était prévu, avec ou sans lui, et bien sûr pas un mot à Peter. Déclara-t-il froidement.
-Mais c'est de la folie ! S'emporta Gold. Tu vas te faire tuer !
-C'est mon problème et ça m'est égal ! S'écria le roux en se dépêtrant de la prise du brun.
-MAIS PAS A MOI !

Gold essaya de rattraper à nouveau le bras de Silver, mais dans la précipitation, il s'approcha de très près du coude de l'adolescent. Celui-ci fit un pas instinctif en arrière et plaqua sa main sur son bras pour le protéger, une expression terrifiée sur le visage.
Gold pila net, surpris.
Le roux, déstabilisé, chercha une excuse, puis balbutia :

-Tu... tu me donnes mal au crâne, je m'en vais !

Il quitta la pièce.

Gold, seul, se rassit sur le lit.

Malheureusement, que ce fut à cause du bruit de la tempête ou à cause de toutes ses questions, il ne parvint pas à se rendormir.