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» Auteur : fan-à-tics - Voir le profil
» Créé le 22/03/2009 à 20:18
» Dernière mise à jour le 30/04/2012 à 14:41

» Mots-clés :   Présence de personnages de l'animé   Présence de poké-humains   Présence de shippings

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Episode 19 : Retour à la maison
Chapitre 19



Les vertes prairies s'étendaient à perte de vue, et au pied de la montagne se dressaient de ci de là quelques arbres aux feuillages reluisants. Presque aucune habitation ne venait gâcher ce paysage, vierge de toute pollution.

Le soleil brillait, les nuages cotonneux formaient une sorte de domaine céleste au-dessus de leurs têtes, et la neige fondant petit à petit sous leurs pas déversait ses étincelles magiques jusque dans la boue.

Nos héros voyaient la vie en rose, et avaient tendance à magnifier tout ce qui les entourait après l'épreuve du mont Sélénite. En vérité, ils pataugeaient plus qu'ils ne marchaient, Eléanore se réveillait par intermittence, Daniel ne pouvait même plus avancer car sa cheville avait triplé de volume, et en plus les tons grisonnants des cieux les menaçaient d'un orage probable.



Heureusement pour eux, ils n'avaient plus besoin du sens de la vue à présent : déjà, sous cette couverture blanche, se découpait derrière l'éolienne et le mur de briques entourant la ferme familiale Kazamatsuri. Le toit rouge de la grange et l'immense demeure ressemblant à un chalet arriva bientôt.



La structure de poutres en bois soutenait trois étages, et la bâtisse semblait faite sur un plan loufoque : des parts entières de la maison étaient soutenues par de simples colonnes, formant plusieurs préaux incongrus, des poulies parsemaient la surface de manière hasardeuse, de sorte qu'un rideau de cordes couvrait la façade plus efficacement que les planches de bois. De temps à autre, les spectateurs intrigués croisaient une fenêtre ronde, dont le reflet semblait provenir d'un lac glacé, comme celui qu'ils entrevoyaient un tout petit peu plus loin, coupant les champs.

L'habitation s'intégrait parfaitement aux alentours, elle avait ce petit côté rustique des fermiers, et original à la fois. Un arbre centenaire enroulait ses racines auprès d'elle, étreignant symboliquement le premier étage, l'ombre de son feuillage et de sa ramure entourait la ferme, laissant parfois couler un rayon doré comme une cascade de lumière.

Les enfants voyaient le bétail d'Ecremeuh, de Tauros, d'Evoli, courir à ses pieds, s'abreuvant dans l'eau pure, se reposant dans le champs de boutons d'or, ou jouant entre les nœuds des racines gigantesques. Une véranda - non, plutôt une serre - abritait encore un peu plus loin une sorte de salon intérieur.

Samantha plissa les yeux, et perçut plusieurs rais colorés ; elle remarqua avec une émotion à la fois pieuse et admirative que des fresques de vitraux entouraient portes et fenêtres.



Lucas la tira de sa contemplation en lui faisant signe de la suivre avec un sourire. Son visage pâle et inquiet de la veille avait disparu - à son grand soulagement -, à présent il brillait d'une joie contenue. Samantha imaginait ce sentiment plus qu'elle ne s'en souvenait, car elle avait longtemps ignoré, détesté cet instant sans raison : le retour à la maison.



Elle posa un regard vers Eléa, assoupie dans les bras de son professeur, puis il coula sur le dos de Daniel et de son ami d'enfance, Gabriel lui soutenant le dos pour lui éviter la chute. Alors que la promesse du repos rendait un tant soit peu de couleur à Daniel, celui de son frère perdit toutes les siennes.

Ils pénétrèrent sur le terrain, franchissant la grille d'un pas confiant. Lucas posa Danny à terre qui eut un rictus douloureux. Il gonfla pourtant la poitrine, porta les mains en haut parleur autour de sa bouche et cria si fort, d'une voix si vive que Sam ne parvint pas à croire qu'elle provenait du même garçon à l'ouest qu'elle connaissait.



A son appel, plusieurs visages se détachèrent du décor. Salopettes et chapeaux de paille, fleurs dans les cheveux, germes de blé en bouche, ils se fondaient dans cette nature aussi aisément que les Pokémons, ils semblaient ne faire qu'un avec elle, à l'instar de leur demeure avec l'arbre géant. Samantha décompta quelques têtes rousses, puis blondes, et une brune, avant qu'une sorte de hurlement de guerre ne soit poussé. Un coup de vent multicolore fondit sur le dessinateur et l'emporta, le plaquant au sol plus violemment que tout ce qu'il avait subi dans la caverne.



-Danny ! S'écria-t-elle, mais sa surprise fut couverte par les éclats de rires, les caresses fraternelles qui assaillait le garçon.

Une nouvelle tête émergea de la cohue de chevelure et de câlins, et ils n'eurent pas le temps de voir deux yeux verts qu'un nouveau cri leur parvint :

-Gabby !

Et paf, le gamin de neuf ans se retrouva à terre également, étouffé par un plaquage tendre.

Yuki et Samantha eurent le même mouvement instinctif : ils reculèrent d'un bon mètre pour éviter de subir le même sort. Grand bien leur en fit, car à la suite d'un appel d'un autre visage indiscernable de la mêlée, une femme accourut, attrapa Lucas au vol et l'enserra de toutes ses forces dans ses bras.



Sam et Yuki décidèrent de s'éloigner encore un peu plus et observèrent les retrouvailles de loin par mesure de sécurité.

La mère de Daniel, une femme forte, pas très jolie, mais au visage marqué par la gentillesse et la compassion, était celle qui avait « capturé » Lucas. Elle ne ressemblait pas du tout à son fils, lui qui avait le visage plein de finesse : elle, était ronde, aux épaules et aux traits carrés. Des cheveux courts, bouclés, de la couleur du miel, et des yeux bleu azur, elle était l'exact opposé de sa progéniture.

La femme étreignit ses deux fils peu de temps après, et leur demanda comment ils s'étaient retrouvés. Gabriel inventa un mensonge qu'elle laissa couler avec indifférence, préférant montrer sa joie de les revoir. Lucas souffla à Sam qu'elle se nommait Lyndis, mais qu'ils préféraient l'appeler Lyn.



La mère ne remarqua pas immédiatement l'état de faiblesse de Danny, et elle se tourna vers ses invités. Lucas s'empressa de faire les présentations pour eux.

Il déversa un flot de noms continu au professeur et à son élève, pointant du doigt les visages tellement rapidement que plus d'une fois ils ne savaient pas exactement qui portait telle appellation.

Samantha parvint néanmoins à quelques repères : elle voyait les aînés, les triplés, tous roux, couverts de taches de rousseur, à la peau aussi pâle que leur génitrice, mais aux contours aussi fins que s'ils avaient été tracé par un artiste. La jeune femme qui se tenait un peu à l'écart de ce tumulte, avec un de ses frères, se prénommait Alice, elle et son double, Aaron, avaient les yeux bleus clairs. Le troisième de la bande, qui enlaçait ses cadets avec enthousiasme, présentait un regard noir comme l'onyx, et répondait au nom de Gaëtan. Sa plus jeune sœur, rousse également, lui ressemblait énormément, même si elle semblait plus jeune - Frédérique, ou quelque chose dans le genre. Malheureusement, après, le reste lui avait échappé, le cortège de faces l'avait déboussolée.



Yuki, en revanche, si au début, il avait été semé, avait rattrapé son retard : il voyait les jumeaux de onze ans, Frank et Marc, tous deux avec la chevelure de leur mère et aux yeux marrons. Ils se disputaient pour avoir un bras de leur aîné. Une autre petite aux cheveux noirs jais comme Daniel, mais avec des anglaises, aux yeux verts envoûtants, tentait timidement d'enlacer Gabriel, mais la rougeur sur ses joues montrait ses difficultés - il lui semblait que c'était Rebecca. Ensuite, venait une autre paire de jumeaux, ou plutôt de jumelles : elles, ne se souciant guère de l'avis des autres, tenaient fermement le jeune Gabby entre leurs bras, riant à gorges déployées. Leurs cheveux bouclés dorés voletaient au rythme de leurs rires synchrones, de longs cils encerclaient des pupilles vertes brillantes. Elles devaient avoir sept ans tout au plus, et s'il se souvenait bien, il s'agissait d'Armony et Victoria. Enfin, le plus petit, qui titubait pour se frayer un passage jusqu'à son grand frère adoré, la bouille rondelette de sa mère, les yeux azurs écarquillés, ses mèches blondes tressautant d'émotion suivant sa démarche peu sûre, se nommait sûrement Jimmy, le dernier de quatre ans.

La femme, Lyn, s'approcha de Yuki et lui serra la main avec entrain sous un soupir exaspéré de sa plus grande fille, Alice.



-Je suis heureuse de votre visite ! Alors, qu'est-ce qui vous amène à la maison ? Demanda-t-elle directement, le plus simplement du monde.

-Maman ! Ronchonna Alice. Rah, bon laisse tomber, je vais rejoindre Arthur, sinon il va découvrir que je sors avec lui juste pour qu'il nous aide au boulot de la ferme...

Elle fit un mouvement gracieux et s'en alla, sans plus accorder d'attention au retour de ses cadets. Sa génitrice l'ignora et reposa sa question. Yuki, pris au dépourvu, bafouilla une phrase incompréhensible.

-Mais encore ? Rit Lyn.

-En fait, Madame, enchaîna Samantha, nous avons eu un accident au cours de la traversée du mont Sélénite, et nous espérions que vous accepteriez de nous héberger le temps que Daniel et mon amie Eléa soient sur pied.



Le visage de la femme devint blême, elle fit volte face et s'agenouilla près de son fils, figée, avec une expression catastrophée.



-Mon chéri, que t'est-il arrivé ? Pourquoi ne me l'as-tu pas dit ? Nous t'avons fait mal, en te sautant dessus comme ça, non ? Lucas, tu n'as rien toi, j'espère ? Je ne t'ai pas blessé, hein ? Gabby, Gabby, tu es malade toi aussi ?

Ses questions, ressemblant plus à des suppliques, furent noyées sous un flot d'excuses ou d'inquiétude des enfants.

-Ce n'est rien Lyn, on va bien, Gabriel et moi ! La rassura Lucas avec un sourire sincère. En revanche, Danny a très mal à la cheville, et comme elle a enflé, on a préféré venir, surtout que notre autre amie a fait un malaise.

-Vous voulez que j'appelle un médecin ? S'écria Lyn.

Elle attrapa la jambe de son fils et examina le mal. La plaie ouverte était boursoufflée, le mince bandage et l'atèle n'avait pas suffi, et du pus s'en échappait, comme un énorme panaris. Elle palpa, hésitante, les contours de la blessure et Daniel retint un gémissement. Cependant, le garçon prit sur lui et répondit à sa mère aussi fortement qu'il le pouvait :

-Non, ce n'est pas la peine de dépenser l'argent inutilement, Oncle Tom a de bonnes notions en médecine, il devrait suffire.

-Mais il est parti vendre la récolte... Avec cette chute de neige soudaine, j'ai préféré ne pas tenter le diable et nous avons tout ramassé pour ne pas avoir de déficit cette année.

- On peut attendre son retour, assura Danny.



Sam se mordit la lèvre. Elle n'était pas aussi convaincue que lui : Eléa n'avait pas encore recouvré toute sa forme et elle craignait une nouvelle crise. Mais à sa surprise, Yuki approuva l'idée. Elle grimaça, et remarqua que Lucas faisait de même.



Le groupe se dépêcha de pénétrer dans la demeure familiale. Les plus petits les suivirent tandis que les autres partaient à nouveau s'occuper des activités fermières en s'excusant. Ils montèrent les escaliers en colimaçon. L'intérieur restait à l'image de la façade de la maison, tout semblait conçu en bois et en corde, les plantes étaient omniprésentes, le lierre grimpait et faisait office de papier peint. Des poutres barraient le passage en plein milieu du salon, mais vu les couvertures qui étaient posées dessus, près de la cheminée, elles permettaient de faire des cabanes aux enfants ou au moins de servir de corde à linge. Samantha n'avait jamais vu de maison aussi incongrue. Dangereuse, également, car garder autant de fauteuils moelleux, de tapis, de meubles en chêne près de la cuisinière ou de l'âtre ne montrait pas la plus grande sécurité, et pourtant, tout ici débordait de joie de vivre. Les murs renfermaient les sons des rires passés, le plancher branlait encore des cavalcades effrénées jusqu'à la salle de bain, les marques sur les paliers dénonçaient le temps qui avait passé aussi rapidement que les enfants avaient grandi.

Un sentiment étrange montait en elle à mesure que les grincements familiers de l'escalier rappelaient les disputes puériles qui l'avaient parcourue. Elle se demandait comment allait sa mère. Que faisait-elle, en cet instant ? Soignait-elle les Pokémons, où nettoyait-elle sa chambre ? Est-ce que, elle aussi, elle se remémorait à chaque tournant du couloir, dans chaque parcelle du centre, tout ce qu'elles y avaient vécu toutes les deux ?



Rebecca arriva la première en haut de l'édifice, Jimmy la suivit à quatre pattes, mais quand il voulut se redresser en haut du palier, il faillit tomber en arrière. Daniel, d'une main experte, l'attrapa par le col, le souleva de terre et le remit à l'abri en le gardant dans ses bras malgré sa blessure, sous un merci, soulagé, de sa mère.



La physionomie de Daniel avait changé. Elle n'aurait pu dire en quoi : il conservait cet air doux, regorgeant de bienveillance, mais son regard gentil et absent à la fois arborait une lueur, pas aussi vive que quand il parlait d'art, mais si éclatante qu'elle lui réchauffait le cœur. Etait-ce parce qu'il était chez lui ? Il avait retrouvé ses marques et ses habitudes, agissait à nouveau comme un père, il semblait même plus à l'aise dans ce cortège que sa génitrice.



Samantha repensa à l'infirmière Joëlle. Elle n'avait jamais arboré, quand elle était jeune, ce genre de regard devant elle : elle semblait le plus souvent hésitante, déboussolée, perdue face à ce petit être dont elle avait la charge. Ses caresses avaient toujours été mal assurées, comme si elle ne savait pas si elle en avait le droit, et pourtant, Sam ne pouvait douter qu'elle l'aimait. Daniel n'avait aucun problème de ce genre, lui, peut-être parce qu'il connaissait sa famille parfaitement.



Ils arrivèrent enfin devant une porte de frêne. Un écriteau indiquait qu'il s'agissait de la chambre de Daniel et Gabriel, et qu'il était interdit d'y fouiller. Samantha retint un pouffement, imaginant difficilement ce que pouvait être la vie avec autant de frères et sœurs. Elle pensait qu'effectivement, pour respecter la vie de privée de chacun, ce genre d'avertissement devait être indispensable - bien qu'elle connaisse leur inefficacité.

La pièce semblait immense également, une grande fenêtre donnait à voir l'arbre centenaire. Les rideaux de velours étaient bien inutiles, attachés dans un coin. Les fresques de vitraux laissaient tomber des lumières chaudes et des reflets colorés sur le plancher et le tapis, à tel point qu'ils avaient l'impression de marcher sur des figures mouvantes. Un mobile fait des restes des fresques pendait du plafond près de la lampe en un léger tintement pur.



Un matelas se trouvait devant la vitre, sur une estrade, et une bibliothèque garnie le contournait plus efficacement que l'amas de peluches. Un large bureau sculpté, doté d'un ordinateur et de tout le matériel qui va de paire, se trouvait dans un coin, près d'une armoire ouvragée. Les structures en bois formaient un dessin complexe, suivant la courbe des plantes grimpantes qui les décoraient et serpentaient le long des murs. Un dispositif ingénieux faisait couler de l'eau dans une sorte de gouttière intérieure. Le liquide s'écoulait paisiblement, arrosant automatiquement les bourgeons et les fleurs d'intérieur. Elle finissait sa course tranquillement dans un lavabo de bois, derrière un auvent illustré d'un Poissirène. Des sortes de dispositifs ingénieux se cachaient un peu partout, la preuve en était d'une sorte de mini bateau qui courait le long du chemin d'eau et faisait le tour de la pièce, attendant patiemment un chargement à livrer.



Samantha leva la tête, suivant la courbe du toit, et elle remarqua une mezzanine où était accrochée une bonne dizaine d'instruments de musique. Un autre lit se trouvait camouflé au dessus, encore une fois juste devant une fenêtre ronde entourée de vitraux.



L'ambiance de la chambre était chaude et réconfortante, un long dessin fait à la peinture décorait le plafond - probablement dessiné par Daniel - les volutes entouraient chaque aspérité du bois et lui donnait un éclat mystérieux. Quand ils refermèrent la porte derrière eux, Sam vit Lucas s'attarder sur une note, sur le seuil : plusieurs empreintes colorées tachaient le sol, des mains, avec des noms. Elle lut tous ceux de la famille, ainsi que celui de Lucas et Daniel côte à côte.



La mère de Daniel déposa son fils dans le premier lit, celui du bas, tandis que Gabriel montait à l'étage pour y déposer ses affaires. Elle fit ensuite signe à Yuki de venir et installa Eléa à côté de son fils. Elle leur expliqua que son frère reviendrait probablement vers les six heures, et qu'ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient en attendant, en tant qu'invités. Elle leur montra une porte, à peine visible derrière l'auvent, et leur expliqua qu'elle menait à la salle de bain des garçons. Sur ce, elle repartit en s'excusant, mais elle avait beaucoup de travail à cause de la neige. Elle sortit, les laissa derrière avec Jimmy, Rebecca et les jumelles, trop jeunes pour aider par ces temps durs.



Plusieurs minutes s'écoulèrent dans le silence le plus total, où chacun se contenta de fixer l'autre en espérant qu'il entamerait la conversation. Gabriel les observait du haut de son perchoir, d'un œil fatigué.

Finalement, ce furent les petits qui brisèrent le silence gêné.

-Dites, dites, vous devez montrer que vous êtes passés ! S'exclama Jimmy en zozotant.

-Oui ! Oui ! Tous les amis de Daniel doivent le faire ! Enchaînèrent les jumelles d'une même voix.

Lucas rigola et sortit un pot de peinture de la commode où reposaient quelques œufs Pokémons dans un tiroir faisant office de couveuse. Il prit les mains de Yuki et Sam, les plongea dans le liquide et les apposa sur le sol, juste à côtés de ses empreintes, puis marqua leurs noms après avoir tendu un chiffon pour qu'ils se nettoient.



-On fera la même chose à Eléa quand elle se réveillera, annonça-t-il. C'est la tradition, ici.



Un nouveau silence gêné s'imposa à la suite de l'évocation de leur amie. Celle-ci tressauta dans son sommeil. Yuki se leva et alla scruter les étagèrent pleines de CDs et de livres. Il en prit un au hasard et lut la jaquette.

Sam observa son manège avec lassitude et le cœur lourd, au bord des lèvres. Elle ne savait pas exactement comment formuler sa pensée, les interrogations s'emmêlaient les unes aux autres, elle ne parvenait pas à y mettre de l'ordre et à les distinguer. Ne sachant ni par où commencer, ni par quoi terminer, elle se mura dans sa réflexion.

Lucas caressait son médaillon. Gêné d'avoir à remettre la sincérité de son ami en doute, il n'osait pas entamer le dialogue.



Finalement, ce furent les jumelles qui, agacées par cet absence de mouvement, s'exclamèrent ensemble :



-Dites, vous avez attrapé des Pokémons ? Je peux les voir ?



Cette réflexion ramena les enfants à la réalité, et ils sortirent précipitamment les Pokémons qu'ils avaient capturés la veille.

Daniel libéra même toute son équipe tandis que Sam lâchait Kraknoix et Kirlia - qu'elle félicita en retard pour son évolution.

Le groupe observa longuement les nouvelles créatures. Ils n'y croyaient pas eux-mêmes de leurs exploits. Certaines personnes mettaient des années, voire gâchaient leurs vies sans parvenir à leur niveau. Bien sûr, ils avaient conscience qu'en quelque sorte, ils avaient triché : ce n'étaient pas des shiney de naissance. De plus, seule la chance avait permis de les rencontrer et de les sauver, mais le résultat restait le même.

Daniel possédait entre ses mains cinq shiney, et Sam un demi qui, à chaque hoquet, changeait de teinte.

Bizarrement, l'exploit leur paraissait encore trop grand pour en saisir toute l'ampleur.

Daniel savait parfaitement qu'il avait bien agi : en les capturant, il les avait protégé. Néanmoins, il ne parvenait pas à intégrer le fait que les petites créatures lui appartenaient à présent, avec toutes les responsabilités qui allaient avec.



Samantha les examina lentement, précautionneusement, mais ne nota aucune blessure grave ; les signes de mauvais traitements étaient évidents, et les Pokémons avaient besoin d'une alimentation plus équilibrée, d'amour, mais pour le reste ils lui apparurent normaux, si on oubliait encore une fois la couleur. Daniel contempla son équipe avec une grimace. Si Sam venait d'hériter d'un Pokémon sol très utile pour orner son blason, lui avait à présent beaucoup trop de créatures sous sa coupe ; qui plus est, il ignorait s'il était capable de s'en occuper correctement. Les shiney mangeaient-ils différemment ? Avaient-ils besoin de soins complémentaires ?



-Que vas-tu faire avec tout ça ? Tu ne peux pas les abandonner... Constata Lucas.

-Sans oublier Barpau... J'espérais te le donner, vu que tu sembles apprécier les Pokémons eau... Continua Samantha. Mais ça te fait beaucoup de Pokémon, sans oublier que c'est un bébé : il a besoin de plus d'attention que les autres.

-Il n'arrivera pas à s'occuper d'autant de bestioles. Compléta Gabriel d'en haut.

-Danny a réussi à s'occuper de nous tous, il peut y arriver ! S'exclama la petite Rebecca, le rose teintant ses joues.

-Non, il a raison, Beccy. En plus, je ne suis pas en état de supporter ça maintenant avec ma cheville, et le plus important dans l'élevage c'est le début, là où on pose les bases.



Yuki se tourna vers eux, sans lâcher pour autant le CD qu'il tenait. Sur la couverture, on pouvait lire « Yoite », ce qui signifiait « vent du soir » ; c'était une sorte de petite histoire contée par un artiste du coin, illustrée dans un livre complémentaire et chantée, pour endormir les petits.



-Effectivement, tu as raison Daniel, je n'en attendais pas moins de toi : tu connais tes limites et tu penses avant tout au bien-être des Pokémons. La question est maintenant de savoir ce que vous allez faire d'eux. Il est impensable de les abandonner comme ça.

-Hors de question ! Crièrent tous les enfants présents, furieux à cette simple idée.

Yuki eut un sourire, fier d'eux.

-Le problème reste entier, on a beau dire qu'on ne le fera pas, tu ne peux pas en garder autant. Lança Lucas.

-Et si je t'en donnais quelques uns ? Proposa Daniel.

Son ami grimaça, il ne savait pas exactement comment réagir face à des Pokémons étranges et il était certain que son camarade s'en sortirait mieux que lui pour ça.

-Je vais garder Barpau pour le moment, je suis la plus apte à m'occuper d'un bébé. On verra plus tard pour lui, mais c'est une bonne idée de confier quelques uns à d'autres dresseurs de confiance, responsables, adultes...



Les visages se tournèrent vers Mr.Yuki avec un sourire entendu ; celui-ci, peu dupe, s'assit en tailleur en grognant : « Ouais, c'est ça, moquez-vous ! ».

Daniel se plongea dans ses réflexions, observant ses pokéballs, en proie à un dilemme.

La tension et la mélancolie du gamin devint palpable, encombrant l'air dans la pièce.



-Ecoutez, je ne sais pas... Et je suis fatigué pour l'instant. On y réfléchira plus tard, allez faire un tour, je vais dormir un peu. Lâcha-t-il en se grattant la joue.



Lucas et Sam s'entre regardèrent, sachant parfaitement qu'il présentait une excuse pour être seul. Néanmoins, même s'ils auraient voulu savoir ce qu'il leur cachait, même si leurs poitrines se gonflaient d'amertume devant son comportement, ils étaient plutôt soulagés par cette proposition qui retardait l'échéance.

Ils ne voulaient pas briser quelque chose en choisissant mal leurs mots, ce retard leur permettait de préparer leurs questions. Ils jetèrent un coup d'œil à Eléa, qui respirait à nouveau difficilement dans ses songes. Puis, jugeant qu'ils ne pouvaient rien faire d'autre, ils se levèrent.



Soudain, Rebecca s'écria :



-Non ! Tu m'avais promis de m'emmener voir le monsieur qui a écrit Yoite à ton retour, grand frère !

-Beccy, je suis désolé je... Commença Danny.

-Tu vois bien qu'il ne peut pas, dans son état ! Tu n'es pas idiote, pourtant ! Gronda Gabriel avec le regard aussi foudroyant que Zeus du haut de son perchoir.

-Mais il m'avait promis ! Il sait bien que je l'adore, c'est pas juste... Sanglota la petite. Tu fais toujours tout pour les autres et rien pour moi.

Daniel fronça les sourcils, et son ton dur sidéra l'assemblée :

-D'une : Rebecca, je fais autant pour toi que pour tous les autres, Jimmy non plus je ne l'ai encore jamais emmené à un spectacle, pareil pour Vicky et Mony ! Alors ne dis pas de bêtise. De deux, je suis désolé mais tu vois bien que même si je le voulais je ne pourrais pas le faire !

-Hey, moi aussi je voulais voir le monsieur qui a écrit Yoite ! Tu vois, on en fait pas tout un plat ! Se moquèrent les jumelles.

-Les filles n'en rajoutez pas une couche. Menaça le garçon avec un regard noir.

Rebecca baissa la tête, honteuse - et retenant ses larmes, vu les tressautements mous de ses épaules.

Yuki contempla le manège puis demanda doucement :

-C'est loin l'endroit où elle veut voir cet auteur ?

-A peine dix minutes à vélo, il habite tout près, je le connais et il est très gentil. Mais je ne veux pas qu'elle y aille toute seule : c'est dangereux, il faut traverser un passage dans la forêt. Expliqua Daniel.

-Je peux l'emmener, ça ne me dérange pas, j'adore les enfants et elle a l'air d'y tenir à cette visite.

Rebecca sursauta, ses yeux verts brillants d'espoir.

-C'est vrai ? Il peut ? Dis Daniel, dis oui, s'il te plaît !

Le jeune garçon regarda alternativement sa sœur et le professeur. Il avait quelques réticences à la laisser dans les mains d'un type pareil, mais cela lui faisait tellement plaisir. Le visage du gamin indiquait clairement ses doutes quant aux aptitudes d'Akira.

Mais il céda et accepta à contrecœur. La petite sauta de joie.

-Et nous, alors ? Je veux aussi aller voir le monsieur ! S'écrièrent les jumelles.

-Non, c'est le jour de Rebecca. Laissez-la seule trente secondes, elle a besoin d'espace, elle. Répliqua Daniel avec dureté.

-Non, on veut y aller ! Et si tu dis non et bien j'irai toute seule ! Firent-elles d'une même voix.

Elles allaient s'enfuir mais Daniel fut plus rapide qu'elle, il attrapa la bouteille d'eau qui traînait et les en aspergea de la tête aux pieds. Les deux gamines pilèrent, catastrophées. Elles frissonnèrent, se crispèrent, puis, d'un seul coup, elles hurlèrent :

-MAMAN, DANNY M'A ARROSEE, VIENS LE PUNIR !!

Tandis que ses cadettes partaient à la recherche de leur génitrice, Danny se tourna vers ses amis et lança calmement : « Voilà, vous pouvez partir tranquille : elles sont occupées à autre chose pour au moins les deux prochains jours. »



Sur ce, le groupe quitta la pièce, laissant seuls Gabriel, Daniel et Eléa se reposer.

Yuki sourit et emmena donc la petite Rebecca voir son idole, sous le sourire ému de Samantha. Elle était étonnée de voir le brun se bouger pour un autre que lui-même. Peut-être avait-il retenu la leçon avec l'aventure de la grotte ?



En réalité, pas du tout. Yuki n'avait juste pas envie de rester dans une maison avec des gosses qui se disputent à tout bout de champ, et puis cet artiste l'intéressait, alors ayant jugé le pour plus attrayant que le contre, il avait proposé. Mais ça, mieux vaut le taire.


Lucas vit Jimmy repartir jouer dans sa chambre après avoir quémandé un gâteau à son frère. Il observa Sam, qui ne trouvait rien de mieux à faire que d'attendre dans le couloir, appuyée contre le mur, qu'on l'appelle. Elle avait l'esprit ailleurs, probablement dirigé vers Eléa ou sa mère. Il réfléchit quelques minutes, laissant les cris des Ecrémeuh venant de l'extérieur combler le vide de conversation. Puis, au bout d'un temps, d'une petite voix, il lança :



-Ca te dirait de venir chez moi ? C'est pas loin, on y est dans dix minutes à vélo. Je te ferai visiter un peu.



Samantha le regarda avec hésitation, puis elle décida d'accepter : attendre ici ne faisait qu'attiser son inquiétude, elle avait besoin de se changer les idées, et de parler avec Lucas. Elle avait l'impression, la certitude même, que seul lui pouvait comprendre ce qu'elle ressentait en cet instant.



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Quelques minutes plus tard, Sam se tenait sur le porte-bagages du vélo de Lucas. Le garçon l'avait laissé là le jour de son départ et il n'avait eu qu'à le récupérer. Il avait passé un coup de fil chez lui pour vérifier qu'il n'y avait personne qu'il risquait de déranger, avait dit au revoir à Lyndis, et à présent, ils filaient comme le vent.



Samantha n'avait jamais été très adroite sur ce genre d'engin : la dernière fois, elle avait failli se faire renverser par une voiture, mais avec Lucas aux commandes, elle n'avait pas vraiment peur. Juste un peu. Progressivement, Azuria apparaissait devant eux, plantée dans la vallée. Les habitations s'élevaient une à une, en rang, convergeant vers l'arène et la rivière de la Grotte Origine.

Dans quelques jours, ils allaient devoir affronter le champion, là-bas. Du moins, elle l'espérait. Elle s'agrippa à la veste de Lucas, le moral au plus bas.

Le garçon jeta un coup d'œil par-dessus son épaule pour voir comment elle allait, mais encore une fois, il ne rencontra que son regard absent, perdu dans ses inquiétudes. Lucas se mordit la lèvre et fixa l'horizon devant lui.



-Dis moi... Qu'est ce que tu penses d'Eléa ? Bafouilla-t-il.

Sam sursauta et frissonna, comme s'il venait de prononcer la phrase qu'elle redoutait depuis toujours. Le jeune garçon eut peur un instant d'avoir fait une erreur en lui confiant son interrogation à voix haute.

-Je ne sais pas vraiment... Lâcha-t-elle. Sa dernière crise était... terrifiante. Et ce n'est certainement pas son excuse que je vais croire : elle a quelque chose, quelque chose de bizarre mais surtout de dangereux.

Son emprise sur son blouson se resserra et il la vit trembler.

Il détourna le regard et déclara d'une voix froide :

-Oui, je suis d'accord avec toi... Je suis même sûr que Yuki et Daniel savent ce qu'elle a et qu'ils nous le cachent. C'est pour ça qu'ils ne veulent pas qu'on appelle de médecin.

Samantha hocha gravement de la tête.

-J'en suis arrivée à la même conclusion. Ils... Ils doivent savoir qu'appeler un médecin ne sert à rien.

-Maintenant, il faut savoir si cela ne sert à rien parce que c'est fatal, ou juste inoffensif. Expliqua Lucas avec une voix faible.

-Et pourquoi ils estiment que l'on n'a pas à savoir.



Ils s'arrêtèrent devant une maison. Lucas mit pied à terre et aida Sam à descendre avant d'aller ranger le vélo. Il sortit les clefs et ouvrit le portail.

La demeure n'avait rien à voir avec celle de son ami - au contraire. Elle était rectangulaire, stricte, pas un seul grain d'originalité ne venait la différencier des autres. Le toit noir contrastait avec les murs de briques et les balustrades en fer forgé. Elle était simple, en colombage, avec un balcon, probablement un jardin camouflé derrière, et elle percevait la présence d'un grenier à cause d'une fenêtre qui émergeait de la structure de cuivre ciré.

Ils pénétrèrent dans l'habitation sereinement. Encore une fois, Sam ne put que constater la grande différence avec celle de Danny. Ici, les salles s'alternaient une à une, un long couloir vide menait à la cuisine, au salon, la salle de bains, le bureau et au bout l'escalier. Toutes les peintures et la moquette avaient des teintes grises ou pâles. Même les meubles étaient soit blancs, soit noirs. Sam avait l'impression d'être entrée dans un vieux film avant la pellicule couleur, avant le son, avant que les acteurs n'aient le moindre sens du goût.



Le jeune garçon décolla quelques post-it accrochés au mur, vérifia que cela ne le concernait pas, puis les remit à leurs places. Il lui expliqua que petit, il communiquait plus avec ses parents par le biais de post-it de ce genre que face à face.

-Il faut partir avant quinze heures, sinon ma mère va rappliquer. Déclara-t-il après avoir lu un message.

-Tu n'as pas envie de la voir, pour lui dire que tu vas bien ?

-Non. Elle sera avec Marion, que je lui parle ou pas ça reviendra à la même chose.



Samantha haussa un sourcil, étonnée. Elle ne connaissait pas vraiment ce que cela signifiait, ni même ce que cachait ce commentaire, mais étrangement, cette phrase trouva écho dans son esprit.



Il lui fit visiter la maison, le premier étage où il y avait la chambre de ses parents et celle de sa cousine avec une autre salle de bains, puis il ouvrit une trappe du plafond et fit descendre une échelle d'acier rétractable. Il l'aida à y grimper. Au dessus, comme une chambre de bonne des films, sous la charpente, il y avait sa chambre. Un lit se dressait dans un coin, son bureau près de l'unique fenêtre, des affiches collées un peu partout, un tapis, un radiateur, une bibliothèque et une petite télévision. Cette pièce, contrairement aux autres, était un peu plus joyeuse, avec des couleurs. Elle voyait des dizaines de couvertures de laine sur le sol et sur les murs. Il lui expliqua que c'était pour l'isolation, et qu'en plus, il aimait courir et y glisser. Effectivement, quand Sam tenta de faire un pas, le sol mouvant lui fit perdre l'équilibre et elle se retrouva sur les fesses.



Elle marcha un peu, vit quelques livres stratégiques ainsi que des fiches complètes sur les Pokémons, des cassettes pédagogiques, mais ce qui la surprit fut de trouver des dossiers dans un carton abandonné près de la corbeille.



-Mes parents sont avocat et juge, ce sont leurs affaires, principalement des divorces ou des cas de maltraitances, rien de vraiment intéressant... Tu veux manger ? Je vais faire quelque chose. Viens, on descend.



Il prit la main de son amie et l'emmena dans le salon où il lui demanda d'attendre le temps qu'il prépare à manger. Sam remarqua que cela faisait longtemps qu'il n'avait pas agi aussi normalement avec elle : plus de sketch, ni de phrase grandiloquente sur leur « amour ». Elle soupira et se demanda si elle avait le cœur gros parce que ces pitreries lui manquaient ou bien parce que cela voulait dire que Lucas était plus affecté qu'il n'y paraissait...

Elle jeta un coup d'œil circulaire à la pièce, et son regard se posa sur un cliché ornant la cheminée. Elle pouvait voir une femme de la trentaine, très belle, aux longs cheveux châtains, retenus en une queue de cheval basse. Elle semblait fine et son regard dur acier disait le contraire de sa physionomie frêle. Son mari se tenait strictement, droit à ses côtés, les cheveux noirs, retenus en arrière, la face et les épaules semblant avoir été sculptées dans du marbre. Ses yeux noirs ne laissaient apparaître aucun sentiment, comme s'il ne voulait montrer aucune faiblesse pour ce portait de famille.

Une petite fille en robe bleu pâle se trouvait entre eux, les cheveux blonds coiffés strictement, les yeux marrons impassibles. Elle aussi semblait déconnectée de la réalité, son visage froid comme la glace, son corps immobile dans une stature parfaite.

Et dans tout ce fatras, elle reconnut enfin Lucas, à côté de son père, lui arrivant à peine aux genoux. En costume avec cravate, il arborait une mine exaspérée et renfrognée, regardant ailleurs - n'importe où, mais pas vers l'objectif, murmurait sa frimousse sans sourire. Sam vit avec plaisir que le gamin ne mettait pas encore de gel dans ses cheveux à l'époque, et qu'il était adorable avec ses mèches qui tombaient un peu partout.



Un bruit attira son attention - Lucas venait de sortir les casseroles. Honteuse, elle se détourna de la photo et revint vers la télévision. Elle nota alors que le magnétoscope tournait. Curieuse elle alluma la télé. Ils devaient avoir mis à enregistrer quelque chose, se dit-elle. Elle se demandait quoi, mais elle se trompait : il n'enregistrait rien du tout, ils avaient juste visionné quelque chose et oublié d'éteindre l'appareil.



Les images s'imposèrent à l'écran. Une bande d'enfants jouait dans un jardin ; visiblement ils fêtaient l'anniversaire de l'un des leurs. Un gâteau au chocolat trônait sur la table de pique-nique et des yeux gourmands le fixaient, retenant leurs souffles, guettant la moindre opportunité pour en chiper une part.

Elle reconnut dans la foule Lucas, vêtu d'un t-shirt tellement grand qu'il menaçait de marcher dessus. Il s'amusait avec des Evolis près des balançoires, avec un autre gamin que Sam supposa être Daniel.



Les gamins donnaient à manger aux Pokémons et ne s'intéressaient pas vraiment aux autres, parfois un des petits les rejoignait, posait une question ou deux puis repartait aussi sec vaquer à ses occupations. Une voix venant du caméraman retentit, celle d'une femme de toute évidence :



-Alors mon chéri, il te plaît ton anniversaire ?

-J'aurai préféré le faire le bon mois, mais il est cool, merci d'avoir invité Danny maman, répondit le gamin en caressant la tête du garçon en face de lui.

-Dis-moi, tu ne veux pas jouer avec les autres enfants ? Demanda-t-elle encore.

Le petit contempla l'assemblée avec une tête dubitative puis retourna auprès des Evolis en lançant :

-Non merci, je les connais pas.

-Quoi, tu les connais pas ? Enfin, ce sont tous nos voisins, Lucas chéri...

-Je sais, mais je joue pas beaucoup avec eux, ils sont pas marrants.



La femme poussa un soupir et changea de sujet.



-Allez, on va ouvrir tes cadeaux et manger le gâteau ? D'accord, mon ange ?

-Ouais !



Sur ce, l'assistance entama l'habituelle chanson. Apparemment, alors que les parents s'efforçaient de faire ça bien, les gamins, eux, prenaient plus de plaisir à ruiner la mélodie. Daniel avait du mal à suivre le rythme et, au final, il éclata de rire. On partagea le gâteau, la plupart des gamins partirent le dévorer goulûment dans leurs coins tandis que Lucas et Daniel se partageaient leurs parts - les Evolis héritèrent de la moitié de chacune. La mère de Lucas, toujours l'appareil braqué vers son fils, murmura dans sa barbe quelque chose d'incompréhensible concernant Danny, puis lança :



-Allez, les cadeaux maintenant... J'espère que ça va te plaire !



On déballa les présents ornés de nœuds et enroulés dans du papier doré. Lucas remercia un à un les invités pour les jouets, Danny lui offrit un manuel illustré sur l'élevage qui le fit sourire de toutes ses dents. Après quelques minutes, le garçon regarda sa mère - donc l'objectif - et demanda :



-Je ne trouve pas votre cadeau de toi et papa, vous l'avez caché ?

La femme rigola :

-Non, mon chéri, papa arrive avec.

On sonna à la porte et elle cria d'entrer. La voix d'un homme leur parvint, il annonça qu'il apportait la surprise en question. Lucas s'approcha de sa mère et attendit avec les yeux brillants, mais son visage se décomposa peu à peu. La mère changea de cible et pointa son mari avec l'objectif. Une gamine entra dans le jardin, affichant un grand sourire et lança avec joie :

-Surprise cousin ! Content de me voir ? J'ai fait une pause dans mon voyage rien que pour venir te voir !

Ses cheveux blonds lâchés virevoltèrent quand elle vint enlacer le petit Lucas devenu blanc comme un linge.

Sa mère fit un plan vers lui et demanda joyeusement :

-Alors, il te plaît notre cadeau ? C'est pas bien ça ? Je savais que Marion te manquait !

Lucas eut un rictus désolé et balbutia qu'il adorait avec une voix bien molle. Sa cousine le relâcha et alla vers le gâteau pour prendre une part. Sa mère arrêta de filmer Lucas et revint auprès de Marion pour qu'elle lui raconte le début de son voyage initiatique.



Samantha vit au coin de l'image Lucas retenir un sanglot et Daniel le consoler gentiment.

Elle eut le cœur serré.



Après plusieurs minutes de récit de Marion, la mère suivit la petite cousine s'accroupir auprès de Lucas et demander :



-Dis Lulu, tu ne préférerais pas aller jouer avec les petites filles là-bas plutôt qu'avec des garçons ? Regarde comme elles sont mignonnes !

Le brun tourna la tête et fronça les sourcils en voyant la blonde.

-Non, les filles c'est embêtant, elles ont une voix super aigue qui fait mal au crâne, elles tapent alors qu'on a pas le droit de répondre et en plus elles ne font que jouer à la poupée ! Daniel est dix fois mieux.



Samantha faillit faire un infarctus - d'ailleurs, la mère de Lucas eut la même réaction qu'elle :



-QUOI ?

Le cri de la femme lui perça les tympans.

-CHERI ! CHERI, VIENS VOIR LUCAS ! Mon bébé, mon ange qu'est-ce que tu racontes encore ? Souffla la femme en caressant son fils.

-Je dis juste que les filles c'est nul, je préfère les garçons.

-C'est de son âge, tantine, c'est normal. Tenta Marion avec un sourire, mais la concernée l'ignora.

-Tais-toi Marion, ça ne te regarde pas, cette histoire ! Siffla la même voix d'homme qui correspondait au père de Lucas. Le petit, étonné de la réaction de son géniteur, eut le regard qui s'illumina à la suite de cette phrase.

-Lucas chéri, pourquoi tu dis ça ? Tu sais, les filles c'est très bien aussi, c'est même mieux que les garçons ! Continua sa mère.

-Pourquoi ? Demanda-t-il.

-Parce que tu te marieras avec une fille plus tard, et pas avec un garçon ! Avec une jolie femme, pas avec Danny, tu m'entends ? Expliqua l'homme.

-Mais Danny, au moins, il crie pas.

Le rire de Marion leur parvint et les parents la sommèrent de se taire à nouveau sous le visage ravi de leur fils.

-Mais mon bébé, les filles ça sait faire des petits plats, ça... Tu verras quand tu seras grand, allez dis-moi que tu préfères les filles aux garçons... Balbutia la femme.

- ... ça te fait plaisir, si je dis ça ? Demanda le gamin.

-Oui, extrêmement plaisir, d'accord mon ange ? Tu préfères avoir une fille avec qui te marier plutôt qu'un garçon ? Enchaîna le père.

Lucas jeta un coup d'œil à Daniel qui haussa les épaules, signe qu'il ne comprenait pas plus cette histoire, puis le brun se retourna et fit le plus beau sourire que Sam lui ait vu.

-D'accord ! Quand je serai grand, je trouverai une jolie fille et je me marierai avec, les filles sont mieux que les garçons !



La bande sauta et s'arrêta, le magnétoscope éjecta l'objet de son ventre. Sam la prit et lut la note d'intention :

« Anniversaire de Lucas » était barré, on pouvait voir comme nouveau titre, en rouge « Match Pokémon Marion/Lucas ».



Samantha rangea la cassette près des autres et éteignit le poste pour se remettre dans le canapé, la tête dans les nuages. La réaction des parents étaient un peu trop grosse... Etaient-ils homophobes ? Probablement, mais à l'âge du gamin, c'était normal de penser comme ça, il n'y avait pas de quoi en faire un plat.

Elle se remémora le visage de Lucas quand il avait vu ses parents gronder cette « Marion ». Son regard se perdit dans le vague. Etait-ce donc là la raison profonde pour laquelle Lucas courait après les femmes ? Elle ne savait pas vraiment, elle n'était pas psy et refusait de se donner ce genre de titre. Néanmoins, elle ne pouvait s'empêcher de croire que ce jour-là avait une part non négligeable dans l'attitude de son ami.





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Le professeur Yuki marchait mollement le long du chemin, la gamine devant lui trépignait d'impatience et supportait difficilement la lenteur de son tuteur.

Akira bâilla volontairement et ralentit son allure pour la faire enrager. Rebecca grogna, courut vers lui, attrapa sa main et tira de toutes ses forces pour l'obliger à aller plus vite. Yuki eut un rire.



-Allez, monsieur ! Allez, plus viiiitee ! Siffla-t-elle alors qu'elle poussait et se donnait à fond sur sa main pour le motiver.

-Oh non ! Qu'est-ce qui m'arrive ? Je crois que je fais une crise cardiaque ! Je ne peux plus avancer ! S'écria le professeur, et dans un rire il s'effondra à terre, plaquant la petite. Celle-ci se dépêtra avec une grimace et lui donna un coup de pied mou pour le bouger, mais il tint bon et fit le mort.

-C'est pas drôle, monsieur ! Je sais que c'est pas vrai ! Lâcha-t-elle en croisant les bras avec une moue renfrognée.

-Si, si, c'est vrai, je te jure que je ne peux plus bouger, là ! Tant pis ! Ce sera pour la prochaine fois ! Plaisanta-t-il en se mettant sur le dos.

-Vous parlez ! Vous voyez bien que vous êtes vivant ! S'exclama Rebecca, toute triomphante. Allez, debout ! Je veux voir monsieurYoite.

-Qui te dit que je ne suis pas un mort vivant, hein ?

La gamine vira au blanc.

-C'est pas vrai... Vous mentez, ça existe pas les morts vivants... Bafouilla-t-elle.

-Tu es prête à courir le risque ? Sourit-il.

Cette fois, Rebecca cligna des yeux et recula d'un pas. Yuki eut un rire et se releva avant de l'attraper et de la mettre sur ses épaules.

La petite hurla de terreur.

-Allons, je rigolais ! Tu vois, je suis tout ce qu'il y a de plus vivant ! Si tu me disais plutôt pourquoi tu tiens tant à voir ce monsieur ?

Rebecca le fixa avec ses grands yeux verts, cherchant la trace d'une supercherie sur son visage, puis elle lui tira les joues pour être sûre qu'il ne s'agissait pas d'un masque.

-Si tu continues, c'est toi qui a des chances de mourir... Menaça Yuki.



Rebecca se redressa d'un geste, ses couettes brunes et bouclées suivirent le mouvement gracieusement. Akira ne put s'empêcher de songer à Sam face à cette petite. Peut-être n'était-elle pas aussi mignonne qu'elle à son âge - son élève avait toujours eu un côté sérieux et fragile à la fois. Il lui suffisait d'un rien pour l'effrayer, pour l'ébranler, et pourtant, elle s'efforçait toujours de garder cette réputation, cette allure d'adulte.



-Maman n'a jamais le temps de me poser sur ses épaules. Commenta Rebecca doucement. Elle le fait à Jimmy, mais moi elle dit que je suis trop grande et qu'elle a autre chose à faire.

-C'est vrai que tu es lourde, fais un régime ! Rétorqua Akira.

-Méchant ! S'exclama la gamine.

-D'accord, d'accord je me tais. Et puis c'est faux, à ton âge il faut manger plein de gâteaux et de bonbons, faut en profiter ! Mais dis-moi, tes frères ne peuvent pas te prendre dans leurs bras, eux ?

-Si... Souffla Rebecca avec honte.

-Alors pourquoi veux-tu que ta mère se fasse mal à te porter ? Tu peux lui faire des câlins à la place, deux fois plus que les autres.

-Mais non, elle a un nouveau amoureux pour ça ! S'emporta Rebecca.

-Ce n'est pas ça que j'entendais par « câlins »... Murmura Yuki, décontenancé. Passons, c'est chouette, tu vas avoir un nouveau papa, alors !

-Alice me dit de pas me faire d'illusions, sinon je vais être triste.

-Pourquoi dit-elle ça ? Ce n'est pas très gentil. Lança Yuki.

-Elle, quand elle était petite, elle a voulu appeler Monsieur Nathaniel « papa », et maintenant c'est plus notre papa, donc elle est triste. Expliqua sobrement la petite.



Yuki se remémora une discussion similaire avec la « mère » de Samantha. En tant que professeur, il avait voulu voir l'environnement dans lequel elle vivait et rencontrer l'infirmière pour lui parler des problèmes de sa fille à communiquer avec les enfants de son âge. De fil en aiguille, ils s'étaient mis à se voir chaque semaine pour parler de Sam, et un jour, il lui avait demandé pourquoi elle ne refaisait pas sa vie avec un homme. Elle lui avait répondu qu'elle ne voulait pas infliger un autre changement à Sam, un espoir incertain à elle qui devait vivre dans l'inconnu chaque jour, et qu'elle ne voulait surtout pas la blesser davantage.



Plus tard, il avait vu la fillette passer dans le couloir et elle lui avait demandé si c'était de sa faute si sa mère n'était pas heureuse.

Les enfants avaient tous une façon différente de réagir aux mêmes maux : certains se blâmaient, d'autres se muraient dans le silence, certains devenaient agressifs... Au final, tous souffraient autant si on ne les aidait pas.



-Mais je suis contente d'aller voir monsieur Yoite ! Merci de m'accompagner, personne pouvait à la maison.

-Tu l'adores, ce monsieur ?

-Oui ! Il est super, c'est Danny qui me l'a fait écouter. Tous les soirs, maman me passait son CD pour m'endormir avec ses chansons, ou alors elle me lisait une de ses histoires !

-Tu aimes ce chanteur parce qu'il a réuni ta famille ?

-Non. Parce que ses chansons sont jolies et que quand je les écoute je pense à maman et à Danny, et à papa un peu aussi.

Yuki sourit.

-Danny aussi, il aime bien ce chanteur parce que les paroles sont rigolotes et importantes, il m'a dit de retenir cette phrase avant de partir « Le bonheur ne se trouve pas en lingot, mais en petite monnaie. » (*paroles appartiennent à Benabar*).

Yuki resta silencieux un instant puis demanda doucement :

-Et tu sais ce que ça veut dire ?

-Oui, que je dois récolter les sous qui traînent partout !

Akira retint un rire.

-Pas exactement, ça veut dire que si tu veux être heureuse dans la vie, il faut se concentrer sur les petits biens qui t'arrivent tous les jours au lieu d'attendre des gros éternellement.

-Des petits biens ?

-Par exemple, si tu te fais gronder par...

-Alice !

-Par Alice, si tu te fais gronder par Alice durant la journée et que tu es malheureuse à cause de ça, pense au bisou que t'a fait ta maman ce matin pour te réveiller, à ton frère qui t'a lu une histoire, aux Pokémons qui ont joué avec toi, et tout ça...

-Mais ils font ça tous les jours...

-C'est justement pour ça, comme ça tu seras tous les jours heureuse. Tu vois ?

Rebecca baissa la tête, digérant les paroles du professeur, concentrée.

Soudain, le professeur s'arrêta devant un portail. De deux étages, un escalier extérieur menait à une véranda qui faisait office d'entrée, le garage se trouvait au rez de chaussée. Il regarda la boîte aux lettres pour être sur de ne pas se tromper et son sang se glaça.



« Shinobu Jobert »



Un frisson lui remonta la colonne vertébrale, et comme pour confirmer ses craintes, une silhouette se dessina derrière la paroi de verre de l'entrée. Un garçon qui avait entamé sa vingtaine depuis longtemps, aux cheveux noirs jais, courts, encadrés de deux mèches noires, à la carrure féminine, aux traits si fins qu'on aurait pu le prendre pour une femme et aux yeux bleus océan.



Sur le coup de la surprise, il souffla :



« ça m'apprendra à rendre service... »