-12- : Réanimation
" Je vous laisse quelques minutes, les gars. On se revoit tout de suite."
Sandra se dirigea vers l'ascenseur d'un pas presque assuré. Elle n'avait jamais aimé vraiment les hôpitaux, ils lui donnaient des frissons dans le dos. Même les Leveinard, censés, en plus d'aider aux soins, dissiper les appréhensions des malades sur les hôpitaux, n'affectaient en rien cette répulsion que Sandra éprouvait. Elle qui n'avait jamais aimé ces Pokémon, heureux tout le temps, surtout quand il ne le fallait pas…
La porte s'ouvrit immédiatement. D'habitude il fallait attendre de nombreuses minutes pour le voir arriver. Chance. Elle entra, appuya sur un "2" qui s'alluma qu'une lumière rouge et laissa son dos se poser contre la moquette grise qui recouvrait la petite pièce.
«- Hey.»
Le bon côté de ces visites presque quotidiennes, si toutefois il y avait des bon côtés à cela, était qu'elles représentaient le moyen idéal, après le C.L.U.B et les cours, d'échapper aux réprimandes de sa mère. D'accord, ils avaient été idiots de faire confiance à cet inconnu, bien sûr que la situation dans laquelle ils se trouvaient tous – surtout Emma — était catastrophique, mais il n'était pas nécessaire de le leur rappeler dès qu'elle en avait l'occasion. Comme s'ils avaient pu se douter… Mais elle n'avait pas tort. Totalement raison même… Ils auraient du se méfier. Et heureusement qu'Alakazam était un bon Pokémon Psy. Heureusement qu'il avait la capacité de sentir l'énergie des êtres vivants pour les localiser, sinon ils ne seraient même pas dans cet hôpital à tourner en rond et à se lamenter. Sandra se sentit tout à coup mal à l'aise, prise d'une envie sévère de pleurer. Ses jambes se dérobèrent. Elle baissa la tête, tentant de se cacher de l'infirmière qui occupait la cabine, quand les portes s'ouvrirent, laissant apercevoir une équipe de médecins s'affairer pour entrer d'une chambre, voisine de celle d'Emma. A moins que…
- Il paraît qu'il y a de bonnes nouvelles avec Mackogneur.
Sandra resta estomaquée devant la scène qu'elle voyait. Elle avança d'un pas, sortant de l'ascenseur. Un pas timide, un pas hésitant, comme si ses jambes étaient éprises du même sentiment, du même choc. Elles restaient comme immobiles d'effroi, ne permettant pas à leur propriétaire de se déplacer, de vérifier que la chambre d'où elle regardait sortir et entrer les hommes en blanc, qui formaient un trafic inquiètent, effrayant, était bien celle de son amie. Le sac à main bleu de Sandra glissa le long de son épaule, chuta, à l'indifférence de la jeune femme. Il s'écrasa sur le sol, libérant Potions, Antidotes et maquillage…
- En espérant qu'Emma se rétablisse à la même vitesse qu'elle.
Le bruit causé par le chute du sac avait sorti Sandra de son effroi, libérant ses jambes par la même occasion. La jeune femme courait. Après l'espoir fou que tout ce à quoi elle était en train d'assister ne fût que des contrôles de routine. Après le temps qui peut-être allait lui manquer, à Emma, sur qui les médecins étaient en train de s'affairer, et ce sans que Sandra ni personne ne puissent y faire quoi que ce soit. Elle courait après ce médecin qui était en train d'entrer dans la chambre de l'hôpital et qu'elle voulait par tout les moyens suivre à l'intérieur…
Sandra arriva finalement devant la salle, tournant sur sa gauche. La salle entière était occupée par des médecins, des infirmières, qui, entassés autour du lit de leur patiente, donnaient l'impression que la chambre était une sorte de placard à balais dans lequel on aurait entassé tout les objets blancs existant au monde. Seul le haut du crâne de Emma était visible, laissant une sorte de tâche rouge macabre sur l'oreiller blanc. Sandra essayait de se déplacer, pour trouver le meilleur angle possible, pour voir le reste de son visage, mais il lui était impossible de ne pas être gênée par la blouse blanche d'un médecin qui vint lui occulter la vue.
Peut-être que si elle… Oui, là, comme ça. Il fallait juste qu'elle se… Ah !
Pourquoi a t-il fallu qu'il se mette là, lui ! Les gesticulations de Sandra furent interrompues par le bruit de succion provoqué par l'ouverture de la porte de la chambre. Deux femmes en sortirent en courant. Enfin, il était temps… La jeune fille se rapprocha de la porte, toujours ouverte. Juste histoire d'y passer la tête, juste histoire de voir l'état de Emma. La porte était si près. A portée de main, à portée d'ouïe. Le boucan de la salle ne permettait pas d'entendre quoi que ce soit clairement, de toute manière. Elle s'avança d'un pas, de deux. Elle allait franchir le porte lorsqu'elle percuta un mur de lumière bleue électrique. Un Leveinard la regardait derrière la paroi translucide.
- Hé ! Qu'est ce qu'il y a à la fin ?
- Arrête, espèce de poupée russe rose ! Laisse-moi !
Le Pokémon resta neutre quelques instants, puis sourit. Comme toujours. Ce qui n'apaisa pas la colère de Sandra. Au contraire.
- Mais tu ne vois pas que c'est pas le moment ! Arrête-moi ce sourire niais et laisse-moi passer ! Cesse cette attaque SUR LE CHAMP !
Leveinard souriait. Malgré les protestations, malgré l'énervement palpable de la personne qui criait devant elle. Sans se douter que c'était précisément cela qui causait cette situation. Obéir aux ordres du Dresseur avant tout.
Dans un geste violent et bref, Sandra dégaina une SuperBall qu'elle brandit en l'air.
- Mademoiselle !
Sandra porta son regard sur la femme qui s'était extirpée de son placard à balai. Bonnet blanc, masque, blouse. Le parfait attirail du médecin.
- Docteur ! Dites à votre Pokémon de cesser sa Protection tout de suite ! Sinon…
- Sinon ? répliqua la femme-médecin très calmement. Dois-je vous rappeler que toutes les PokéBall sont scellées à l'entrée de l'hôpital, et ce pour éviter précisément ce genre d'accident ?
La jeune fille regarda sa SuperBall ainsi rendue inutile quelques instants, puis son interlocutrice, avant de rebaisser le bras. Qu'elle pouvait être idiote !
- Bien, reprit la femme, son sourire caché par son masque. Vous êtes son amie ?
- C'est exactement ça ! Et je veux la voir !
- Votre amie est actuellement prise en charge par…
- Comme si je ne voyais pas ce que vous êtes en train de faire ! mentit Sandra. Laissez-moi !
- …toute l'équipe que vous voyez derrière moi, continua la femme, sans ciller. Nous tentons de la maintenir…
- La maintenir ?! hurla l'autre, sa voix couvrant celle de son interlocutrice. Et ce n'est pas dans ce genre de cas qu'on essaye de prévenir les proches ? Si c'est pas dans ce genre de cas, alors c'est quand ? A la morgue ?
Sandra bouillonnait. Elle ne comprenait pas pourquoi tout le monde était aussi calme. Le Leveinard, à la limite… Mais ce docteur, ce professionnel… Comment pouvait-elle lui parler comme ça ?
- Écoutez, mademoiselle. Je crois…
- Et moi je crois que c'est parfaitement le moment de prévenir ! L'interrompit-elle. Vous me dites que mon amie est entre la vie et la mort et vous arrivez à être si calme ?
- Entre la… dit le docteur, son regard traduisant une certaine incertitude.
- C'est la seule réaction que vous avez ?! VOUS ETES IMMONDES ! hurla Sandra, avec toute la rage qu'elle ressentait en ce moment, amplifiée, si cela était possible, par le stress et la peur.
- Nous sommes en train de la sauver, coupa le médecin. Elle s'est réveillée.
- Explique-moi, Pierre ! Qu'est ce qui se passe ?
- Elle…
Sandra était sonnée par la nouvelle. Elle ne bougeait plus, la surprise la réduisant à l'état de larve inactive.
- Vous avez entendu. Elle est réveillée, reprit la docteur d'un ton un semblant impatient. Cependant, il se peut que son réveil ne se fasse pas dans les bonnes conditions. C'est pour cela qu'il faut absolument que je rejoigne mon équipe. Si vous voulez bien m'excuser…
- Oui, oui… Bien sûr…
- Docteur Jacobson ! On a besoin de vous ! fit une voix dans le placard à balais, comme une illustration de ses propos.
- Levienard ! ordonna la femme.
Le Pokémon cessa son attaque et revint vers son Dressseur. La porte se ferma dans son habituel bruit de succion. Sandra erra quelques instants dans le couloir, encore choquée de l'annonce du médecin. Tout cela était incroyable. Ils avaient tellement espéré ce moment que, maintenant qu'il était en train d'arriver, c'était comme un rêve qui se passait. Impensable. Irréel… La jeune fille resta pendant un certain laps de temps dans ce couloir à déambuler, à chercher son esprit. Puis, elle eut un sursaut de conscience. Pierre et Alex. Le père d'Emma. Il fallait prévenir tout le monde. Sandra se dirigea vers l'ascenseur en sautillant presque, le cœur et le corps redevenus léger comme un ballon de baudruche que l'on aurait détaché d'une ancre. Elle attrapa au vol l'anse de son sac, laissant deux ou trois Potions à la charge d'un Leuphorie qui passait par là.
- Tu peux les garder ! cria Sandra à son attention, un sourire de Leveinard aux lèvres.
Elle arriva dans l'ascenseur et appuya pour l'appeler. Il vint immédiatement. Jour de chance, décidément. Son sourire s'accentua.
- Alex, arrête. Lâche-moi. Laisse-nous tranquille.
Les portes de la cabine s'ouvrirent presque tout de suite après que Sandra ne fût entrée. Sur le hall. Pierre et Alex étaient là, à portée de vue. Ils discutaient, apparemment. Sandra courut à leur rencontre. Bonne nouvelle, avec Pierre qui semblait froid. Décidément. Quoique… A mesure qu'elle se rapprochait d'eux, il lui semblait que cette discussion était un peu trop violente pour en être une. Pourvu que… elle accéléra.
- Tu ne mérites même pas de nous parler. Ni de rester au chevet d'Emma. Dégage.
Sandra se stoppa net. Droite comme un "I", la tête baissée. Tous les mots de Pierre étaient comme des couteaux empoisonnés qu'il avait lancé sur Alex. Les deux garçons s'étaient tournés vers elle avec un sourire censé dissimuler leur trouble. La jeune fille détourna son regard des leurs et lâcha les mots.
- Emma, elle est sortie du coma.
Ceux-ci résonnaient dans le hall, vidé du peu de bruit qui l'animait par les propos de Alex et Pierre.
- Elle… chuchota presque Alex.
Son amie ne répondit pas. Elle lui tournait même le dos, la tête baissée. Il y eut un silence insoutenable durant quelques minutes.
- Sandra… je suis… tenta Pierre
- Tu es désolé, hein, c'est ça ?! Non, mais franchement, les garçons ! Qu'est ce qui s'est passé dans votre tête ! Vous n'êtes pas assez intelligents pour pouvoir vous parler au lieu de vous mettre sur la gueule ! Mais qu'est-ce que vous voulez ? Que tout le monde explose ? Mais je vous signale que c'est pas DU TOUT le moment de vous engueuler ! Pas quand Emma est dans cet état ! Et vous aviez tout le temps de vous dire vos quatre vérités ailleurs qu'ici !! On est dans un hôpital, tout de même ! Non mais, A QUOI VOUS PENSIEZ ?!
Les deux idiots la regardaient avec des yeux exorbités, ceux de Pierre devenant encore plus ronds que d'ordinaire. Leur visage montrant un mélange de honte et de surprise presque impossible à décrire. Alex lança un regard à son "ami" qui ne lui rendit pas. Il tenta un :
- Sandra…
- Maintenant on va tous se calmer, avant que l'on ne nous foute à la porte. Regardez voir la pagaille que vous avez mené ! cria t-elle en montrant touts les infirmières qui les dévisageaient, certaines avec l'air de se demander s'ils n'étaient pas fous, tous les trois à crier en plein milieu d'un hall d'hôpital, d'autres avec un air méprisant. Notre amie est en train de se réveiller et elle n'attend que de voir ses potes lui sourire à son réveil ! Allez, bande d'idiots ! Et dans la bonne humeur !
Les trois se dirigèrent en direction de la chambre, le silence se sentant si bien entre leurs trois esprits chamboulés.
Ils attendirent de nombreuses minutes devant la porte, regardant le cortège de personnel hospitalier passer et repasser, dans l'horreur et la crainte que cela ne se passe mal. Ils ne disaient rien bien sûr, surtout qu'avec les évènements passés… Sandra était encore chamboulée de la succession des sentiments qu'elle avait éprouvé. Pas seulement ce jour-ci, mais depuis deux mois déjà. Mais ça s'arrangeait. Heureusement. Elle allait enfin pouvoir se lever le matin sans ce mal de ventre qui la poursuivait. Qui ne la poursuivrait plus. La porte s'ouvrit. Un médecin s'approcha d'eux trois. Il y eut des sourires, des "mercis". Puis…
"Bonjour."
Ce simple mot avait accueilli Sandra et les deux garçons dans la chambre d'Emma. Elle était toujours allongée dans son lit d'hôpital, le buste levé et adressait un sourire faible à ses amis. Faible mais franc.
- Alors, qu'est ce que vous avez ? demanda t-elle d'une voix faible. Vous avez passé tellement de temps devant ses niaiseries que vous en êtes tombé malade ?
Elle désigna du regard le seul privilège qu'on puisse avoir dans un hôpital, quoique un peu étonnant dans les chambres d'un service de Réanimation. La petite télévision suspendue au mur diffusait les images d'un couple brossant un Galopa sur un fond de musique se voulant montrer toutes les émotions que les acteurs tentaient, presque en vain, de sur-jouer. "Les Flammes du GalopAmour"…
Il y eut des sourires quelque peu confus. Puis, sans même savoir pourquoi, tous éclatèrent de rire. Un rire libérateur, anesthésiant. Qu'il était bon de pouvoir évacuer tout le stress causé par le coma, ne plus penser à rien, pendant un instant. Sandra crut même voir les tensions entre Pierre et Alex se dissiper, voire même disparaître. Même Emma riait. C'était bon signe. Elle allait bien mieux.
Cependant, celle-ci cessa rapidement, se tenant la poitrine en esquissant une grimace de douleur.
- Qu'est ce qu'il y a ? s'affola Pierre.
- C'est rien, c'est rien. Que s'est-il passé après que je ne sois…
- Emma, je crois que…
- Je devrais me reposer ? J'ai passé deux mois dans le coma, Sandra. Je crois que je me suis suffisamment reposée. Racontez-moi.
Cette dernière se retourna vers les deux garçons qui avaient exactement le même air. Étonné et chamboulé. Elle revint à Emma :
- Bon, voilà ce qui s'est passé…