Chapitre 64: Incidents diplomatiques
"Tu n'es qu'un idéaliste de plus..."
"Tu n'as pas connu la mort..."
Autant de phrases assassines qui revenaient dans mon esprit. Mes mains bouillonnaient, mais toujours aucun pouvoir à l'horizon. Là où d'autres se seraient inquiétés d'un tel silence, je me contentais de serrer les poings, vides de toute force surnaturelle si ce n'est d'une haine profonde. Et c'était tant mieux pour le maître de Hoenn, qui aurait pu finir décapité dans cet accès de colère soudain. Mais même sans capacités, je restais un humain, et un humain frustré...
Mon poing vola vers la figure de Pierre. Avant même qu'il n'arrive à proximité, je sus que le maître allait l'arrêter, mais peu m'importait, il fallait que tout sorte.
"C'est tout ce que tu me donnes ? continua t'il à provoquer, mon poing coincé dans sa main. Je suis donc si insignifiant pour toi ? On m'avait dit que tu pouvais être bien plus fort."
Dans l'entrée de la grotte, personne n'osait interrompre le silence de la discussion, même pas Antoine, conscient que tout ce qui se passait dépassait le stade même du "potentiellement risible".
Il voulait me provoquer ? Très bien, ca se ferait ici et maintenant.
"Mon pouvoir est bien plus grand que celui que tu m'attribues, fis-je sans même essayer de retirer ma main. Si tu ne veux pas déclarer cette guerre, je le ferais moi-même, au nom de Sinnoh.
-Et tu t'écraseras comme une mouche contre le pare-brise de Sento, parce que tu seras seul et impuissant. Tu te crois fort, mais tu n'es même pas capable de me mettre en danger, moi, un "simple" dresseur, un de tes homologues."
C'en était trop. L'homme devait laisser la place au manipulateur dans cette affaire. Plus le temps pour les nécociations, il fallait, ne m'en déplaise, passer aux menaces.
"Je te tue en trente secondes, toi et toute ta cliquaille de dresseurs.
-Pari tenu... fit le maître du monde en guerre, pari tenu."
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Le silence fut brisé par le choc de cette révélation: un défi à mort, sans doute pour éprouver mon "bluff".
"Je te laisses le choix des armes, fit Pierre. Fais attention, comme tu l'as vu, le contact, ca me connaît."
A sa grande surprise, je restais calme, impassible. Ce que je m'apprêtais à faire, c'était du suicide... Mais en ce moment, les missions suicidaires, ca me réussissait. Dans mon dos, je fouillais dans la poche latérale pour en sortir ce bon vieux DS.
"Tu comptes me battre avec ton joujou métallique ? demanda t'il."
Sans lui répondre, je lançais une communication avec Feli-Cité. Très vite, Arno s'afficha sur mon écran.
"Ah, ca tombe bien Lilian, je voulais...
-Pas maintenant Arno. J'ai besoin de toi... J'ai un plan du tonnerre, ne discutes pas mes ordres, c'est clair ?
-Bien monsieur... fit-il plus par surprise que par réelle convenance."
Je lâchais le DS des yeux pour les porter sur mon adversaire.
"Il n'a nullement été question de se battre à la loyale, Pierre.
-Je le sais bien, tu n'es qu'un lâche.
-Mais un lâche qui peut faire très mal. Je ne veux pas te battre Pierre, je veux te tuer, t'anéantir."
Retournant sur le DS, je proférais la plus terrible menace qu'il m'ait été donné de faire dans ma vie:
"Arno, tous les dossiers que nous avons sur la Nouvelle Armée à Sento. Je veux qu'ils sachent tout..."
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Tout celà avait été trop loin, je le savais, mais maintenant, il était trop tard pour reculer, Pierre ne se ferait que plus de joie de voir que je n'avais pas pu porter le coup fatal.
"Je n'y crois pas une seconde.
-Pierre, il a les moyens de le faire, fit Antoine, brisant le dialogue, et pour la première fois vraiment inquiet. Mais je le suivrai jusqu'au bout. Je ne te connais pas, mais Lilian, il vaut mieux être avec lui que contre lui."
Il avait résumé le consentement silencieux de tous mes amis Sinniens. Trop déstabilisés pour m'en empêcher, et trop fidèles pour prendre le parti de mon adversaire.
"Pierre, stop, fit Spectra. Ton avis est primordial pour conserver la cohésion du conseil, mais on peut s'en passer avec Damien. Lilian a raison, et il est assez désespéré pour faire ce qu'il dit. Aragon le voulait, Marc parlera pour Glacia, et je me porte dans leur sens. On a trois voix sur cinq.
-Quatre, fit remarquer Damien. C'est complètement dingue, mais à côté de l'agression que nous venons de subir, ce n'est qu'une juste réponse. Je veux plus me cacher comme un trouillard.
-C'est notre pays et on le défendra, fit Voltère.
-Au nom du conseil de Sinnoh, continua Lucio, nous approuvons la décision du maître du conseil. Cette annonce a valeur immédiate et officielle.
-Vous allez pas vous y mettre non plus, fit Cynthia, tentant de calmer le jeu comme elle le pouvait."
Sans un bruit, Pierre, pour la première fois déstabilisé depuis longtemps se tourna vers Ed.
Sans plus de fioritures, il lâcha:
"Quel est ton avis là dessus, Edouard Barson ?"
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Ed était recroquevillé entre les deux camps. Ne jamais prendre à parti un potentiel tueur en série était une des choses que je m'étais plutôt promis, mais en tant que seul "civil" à n'avoir pas connu tout celà, on ne pouvait rien lui imposer, au vu de tout ce qu'il avait déjà subi. Il prit son temps et une longue inspiration, comprenant que son choix allait être le vecteur d'une décision d'une ampleur jamais vue auparavant.
"J'ai perdu mon père, commença t'il. Et j'ai rencontré Grahyena. Ma mère était "morte" selon tout le monde. Je savais qu'elle était vivante, avant qu'elle meure une deuxième fois. cette fois-ci pour de bon. Tout ce qu'il me reste d'eux, c'est ces Pokémon, fit-il en montrant les pokéball à sa taille. Je pourrais mourir demain que personne, enfin... presque personne me regretterait, fit-il avec un regard vers Flora. J'ai laissé tomber l'idée de sauver tout le monde y'a longtemps, quand on y pense: quand j'ai vu mon père mourir, quand j'ai vu ma mère, quand j'ai vu Glacia, Isaac, Aragon... Quoi que t'en dises, Pierre, personne n'est irremplaçable dans cette guerre, y compris moi."
Il fit un pas... vers moi, en silence, et il se posa à côté de moi.
"Y compris TOI.
-Tu quoque, mi filii, fit Pierre avec un accent pathétique. Tu me poignardes dans le coeur.
-Mais tu n'es pas César, Pierre, rajoutais-je. Il avait été élu dictateur, si je me souviens bien de mes leçons. Et toi, tu n'es qu'un conjuré, j'ose espérer que tu ne diras pas le contraire. Mais tu préfères vivre dans l'idée que tu pourras sauver tout le monde un jour, plutôt que de sauver ceux qui peuvent l'être maintenant, libre à toi."
Dans le silence qui suivit, la voix d'Arno fut entendue par tout le monde:
"Je ne veux pas vous gêner, fit-il, mais je m'apprête à envoyer des dossiers vitaux à l'ennemi, alors vous vous décidez franchement, s'il vous plaît.
-A trois, Arno...
-Reçu !
-Un... Deux..."
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Pierre restait imperturbable. J'allais plomber nos chances de réussite aussi si je les trahissais. Mais je n'y pensais que maintenant, trop tard. Il avait perdu, il nous avait perdus, tous.
"Vous pouvez d'ores et déjà vider vos barillets dans vos têtes dès ce soir, ce sera la moins douloureuse des morts. Peut-être même se souviendra t'on de nous tous comme des héros qui n'en pouvaient plus de voir leur peuple souffrir."
Flora serrait fort la main d'Ed. Elle aussi nous avait rejoint, avec tous les dresseurs, maintenant. A vrai dire, tous les gens ici se tenaient, se soutenaient, sauf Pierre, qui restait de plus en plus seul.
"Content de t'avoir connu Pierre, je penserai à toi quand tout sera fini, finis-je. Arno...
-Ca suffit, fit Pierre avec une larme au coin de l'oeil."
De toute ma vie, c'était la première fois que je le voyais être ému. Sur les livres, il ne paraissait pas souriant, ni même heureux, il paraissait juste grand.
"C'est bon, puisque c'est ce que vous voulez tous, on a qu'à aller mourir maintenant au lieu d'attendre plus longtemps."
Un soupir de soulagement s'empara de nous. Pierre stoppa court à toute effusion de sentiments, mais la perle salée qui mouilla le sol de la grotte l'avait déjà trahi. Tout le monde se congratulait déjà dans un soupir de soulagement alors que je remerciais Arno, lorsque l'instinct se réveilla enfin.
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Dans mon dos, Pierre avait lancé un poing vengeur à son tour. Les réflexes à nouveau aiguisés, je le saisis au vol avant qu'il n'atteigne sa cible, laissant tomber le DS au sol pour pouvoir mieux contrôler mes mouvements. Lorsque les mains se rencontrèrent au vol, ce fut à moi de lui dire:
"On a un plan ! N'oublie pas que quelque soit le jugement que tu aies sur moi, je suis AUSSI un maître, pas un dépressif suicidaire."
A terre, je ramassais le DS avant de faire signe à mes amis. On partait, cette fois-ci, on avait enterré les derniers cadavres qui traînaient dans les placards, enfin... presque tous.
"Et toi, n'oublies pas que tu m'as humilié devant mes subalternes, tu as une dette envers moi", commença t'il alors que le soleil frappait mon visage.
Sans me retourner, les yeux fermés devant sa puissante chaleur qui me chauffait le corps, je répondis:
"Vue la dette que tu avais envers Cynthia, on va dire que Sinnoh et Hoenn sont quittes."
L'ancienne maîtresse de Sinnoh sembla tiquer:
"Comment tu sais que...
-Oh, je ne sais rien de cette dette, mais je sais qu'elle existe. Il n'y a qu'a voir comment vous vous regardez avec Pierre. Au minimum, c'est une brouille entre bons amis qui date d'il y'a tellement longtemps que vous ne voulez plus vous parlez que le strict minimum. Mais pour moi, même les brouilles avec tes meilleurs amis ne te murent pas dans un tel silence. Et ca correspondait bien à ton comportement avec Hélio alors si c'était pas le grand amour, ca le remplaçait bien.
-Comment tu peux dire ça ? Tu n'as aucun respect pour les choses dans la vie ? Même pas les plus nobles ?
-J'ai perdu ma raison de croire en ces choses hier, alors que lui là-haut pointait exactement au même endroit, fis-je en regardant le soleil."
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Cynthia mit un petit moment avant de comprendre. Lorsqu'elle se rappela quand, elle, elle avait cessé de croire en celà, elle me prit la main d'un air désolé:
"Je... commença t'elle.
-Tu ne diras rien, parce que ce serait réveiller les douleurs du temps passé. Et qu'on a tous décidé de faire table rase du passé, tu te souviens ? "
Gênée, elle retira sa main, alors que dans l'autre, Arno beuglait maintenant:
"Quelqu'un va m'écouter ? A la base, je cherchais à vous contacter, moi aussi.
-On t'écoute, fis-je.
-Tu as devant toi l'élite de Sinnoh et d'Hoenn, alors vas-y, réenchérit Cynthia.
-Quand tu étais enfermé Dieu sait où, commença l'expert informaticien, on a revu tout ce qu'on savait sur les Elus. On s'était contenté de jeter un oeil aux noms qui étaient sur les dossiers sans les ouvrir. On avait déjà trop de difficultés à rester discret. Mais quand on a enfin eu la liaison avec les Antennes de Voilaroc, on a fini par retomber dessus et à les fouiller de fond en comble.
-Quelles sont les nouvelles ?"
Arno prit une inspiration longue et profonde. Il ne faisait ça que quand il avait peur que ce qu'il dise lui porte préjudice, et je le savais.
"
Tout d'abord, une qui semble importante. Le pouvoir se transmet automatiquement à quelqu'un d'autre si celui qui l'avait vient à mourir.
-Ca, je suis au courant depuis ce matin, fis-je. Mais il faut dire que c'est Kyogre qui a fait le boulot, donc à côté, je ne peux pas t'en vouloir.
-Très bien, par contre, ton orque bleu géant ne t'a pas dit que l'ancienne élue de Glace était quelqu'un de très influent. Mais Sento ne savait pas encore que son pouvoir serait transmis, c'est pour ça qu'ils l'ont tué.
-Et qui était cette élue ? demanda Cynthia."
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Derrière nous, une voix timide se leva, à vrai dire, un cri de Pokémon. Il me léchait la main lorsque je me retournai pour voir un Kaimorse, accompagné de son nouveau dresseur.
"Marc, tu vas bien ? demandais-je.
-J'ai écouté votre conversation. J'ai toujours refusé de croire que c'était ta faute, même si tu me l'as présenté comme tel, fit-il sans nous voir, caressant le phoque d'un air distrait. Mais qu'elle ait été tuée pour ça...
-Tu veux dire que ?
-L'élue de glace est Glacia Weyll, princesse des royaumes gelés et maîtresse des pôles, fit Arno dans le mini-ordinateur. Tout du moins était, car ce n'est pas le plus intéressant."
Je laissais l'assistant électronique de côté, posé sur le sol. Glacia était donc morte pour quelque chose ? Et pas pour rattraper un accroc que nous avions fait à la toile du temps en voulant sauver Aurore ? Apparement, Marc fit le même raisonnement que moi.
"Pierre est borné, mais c'est aussi moi qui l'ai poussé à ne pas te faire une confiance absolue. Parce que j'ai cru que tu l'avais fait. Que c'était ta faute si elle était morte. Mais je me suis convaincu que quelque en soit la raison, c'était des mains des sbires du Tyran qu'elle était morte. J'étais à deux doigts de l'avoir au Mont Argent et je savais que c'était lui. Tu n'as fait que sauver ton amie comme j'aurais sauvé Glacia si je l'avais pu, je te l'ai dit."
Il tendit une main tremblante, que je saisis, sautant sur l'occasion. Il avait fait son deuil, j'attaquais le mien, on se comprenait, rien de plus.
"Bon, on en revient au scoop ? fit Arno. Ca intéresse personne de savoir qui Sento a désigné comme la remplaçante de Glacia ? "
Tous les trois, nous nous tournâmes vers l'écran. Le choc fut de taille lorsque la photo remplit l'écran.
Et nous de répondre tous en coeur:
"Et il a fallu des mois à tes gusses pour trouver ça ? Vous êtes virés, fit Cynthia.
-Ouais, je crois qu'on a merdé sur ce coup, réenchérit Arno.
-Oh, les cons, fis-je seulement."
Car sur l'écran, même avec dix ans de moins, on reconnaissait la photo d'identité de l'ancienne princesse de Sinnoh, la photo de Cynthia...