Chapitre 43: Bleu enfer
Au fond du camion, l'atmosphère était devenue lourde. Etait-ce dû au sang qui me montait aux joues ou à celui qui recommençait à couler de mon épaule ? Toujours était-il que la douleur me submergea et des larmes discrètes allèrent mouiller le plancher du camion. Le commandant s'était éloigné. Ce fut sa première erreur. Une fois que le gros de la souffrance fut passé et que je pus ouvrir les yeux sans qu'ils soient embués de larmes, je décidais de me ressaisir. Avisant un morceau de tôle qui s'était légèrement dessoudé du reste de la carrosserie, je finis de le décoller. Dans ma main, il faisait une dizaine de centimètres et malgré sa très fine épaisseur, il semblait assez affûté pour blesser quelqu'un si je m'en servais bien. Mais ce n'était pas ma première intention.
Je saisis le morceau triangulaire de manière à avoir la pointe la plus aigüe au niveau de mon index. Une fois cette position assurée, je songeais à ce que le commandant m'avait dit.
"Si je te disais la Base Fondmer, ca ne te dirait rien."
A moi non, mais à la Nouvelle Armée, peut-être bien que oui. Si jamais ils tombaient sur ce camion, s'il y'avait ne serait-ce qu'une infime chance pour qu'ils tombent sur ce camion, qui semblait voué au transport de prisonniers et de soldats, au vu des chaînes qui traînaient au dessus de ma tête mais qu'on m'avait épargné durant le trajet, alors ils sauraient ce qui s'est passé ici.
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Sur un coin du banc, qui n'était pas visible au premier abord mais qui était facile à trouver si on cherchait un peu, je gravais "Base Fondmer". Pour que la Nouvelle Armée sache que ce message était adressé à eux, je réfléchissais un instant, puis gravais en dessous: "A ceux qui portent le souvenir de Glacia".
Assez évident pour ceux qui comprenaient la référence, très peu pour les éventuels fouineurs qui viendraient y chercher des informations sur mes alliés.
Une fois ceci fait, je cachais la lame de tôle dans une poche de mon sac. Mais en me retournant, je me rappelais que je l'avais laissé avec mes balls et le DS sur le champ de bataille. Aussi, je cachais la lame dans ma poche arrière. Maintenant, j'avais tout le temps de contempler les lieux autour de moi. Discrètement, je me rapprochais du bord du camion. On m'avait laissé sans surveillance, mais il y'avait de grandes chances pour que je fus au milieu d'un complexe militaire.
Cependant, rien ni personne ne semblait veiller à l'extérieur.
Mon esprit me cria immédiatement "Tires-toi, il te faudra à peine une cinquantaine de mètres pour être à l'abri de l'influence du Crépuscule." tandis qu'une autre partie tambourinait l'alarme en disant "Imbécile, c'est un piège, tu as frustré notre gentil commandant-psychopathe et il n'attend que ta tentative pour t'exécuter !"
Alors, courir ou ne pas courir ? Risquer sa vie maintenant, ou espérer s'en tirer plus facilement une fois arrivé ? Alors que je repensais aux autres élus qui étaient sans doute prisonniers là bas, tout au moins une partie, ma décision fut prise. L'altruisme ne me réussissait pas bien, mais plusieurs cerveaux réfléchiraient mieux qu'un seul. Quelques en soient les risques, je partais !
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Heureusement pour moi, j'avais pris la bonne décision. Une poignée de secondes plus tard, deux soldats vinrent me réceptionner à la sortie du camion. Ils voulaient me tenir fermement de chaque côté, mais au vu de ma blessure, ils préférèrent opter pour une surveillance unilatérale tandis que l'autre resterait en retrait, le fusil à la main. Je devais être sacrément important pour qu'on ait tant d'égards envers moi.
Lorsque je posais le pied sur le sol, j'eus un moment de faiblesse, mon regard se troubla. J'avais du perdre une certaine quantité de sang et mon corps en souffrait. Mais j'avais encore assez d'énergie pour marcher si on ne me pressait pas trop. Nous contournâmes le camion, et je vis alors la silouhette massive d'un bateau militaire qui nous surplombait. Armé de plusieurs canons et de mitraillettes, il semblait évident qu'il pouvait contenir une centaine de membres d'équipage et presque deux fois plus de passagers, tout en gardant une place importante pour les armes et le reste.
On me poussa d'ailleurs à monter dans ce navire, et on me dirigea à travers de nombreuses coursives avant de me coller dans une salle avec pour tout mobilier une table et une chaise et même pas un hublot pour voir (ou s'enfuir) à l'extérieur. La pièce était uniquement ornée d'une ampoule qui donnait d'ailleurs de sérieux signes de fatigue, et bien sûr un dispositif Crépuscule. J'attendis ici une bonne demi-heure, et j'eus tout le temps de bien inspecter la pièce. Non pas pour m'enfuir, mais si l'occasion se présentait, une fois arrivé à cette fameuse base Fondmer, de faire un peu de raffut, celà pourrait toujours être utile pour libérer des élus et faire un peu de ménage. Je n'y croyais personnellement pas tant que ça, mais toute occasion était bonne à prendre.
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La pièce était très basique, un gros pavé rectangulaire, des gros boulons de partout pour maintenir les plaques de ferraille les unes avec les autres. Une table, un chaise, une ampoule, un Crépuscule. Ca y'est, on avait fait le tour. La lourde porte était fermée de l'extérieur, et en bonne porte étanche, on ne devinait rien de ce qui pouvait se passer de l'autre côté. J'aurais pu me noyer s'il y'avait eu un défaut dans la coque que ça n'aurait alerté personne. A un moment, je me demandais même si ce n'était pas ça que les soldats voulaient en m'amenant ici. Je ne connaissais pas l'anatomie du bateau par coeur, mais vu le nombre d'escaliers descendus, j'étais nettement en dessous du niveau de la mer...
Après cette attente, donc, la porte s'ouvrit finalement dans un crissement de rouille. A ma grande surprise, ce fut une jeune femme qui traversa l'encadrure. Elle tranchait radicalement avec l'ambiance militaire que j'avais vu jusque là.
"Vous voulez bien me suivre ? me demanda t'elle"
C'était tout ? Pas de "Venez ici !","Allez, dépéchez vous !", "On vous attend!" et autres délicatesses militaires, aussi gentilles à entendre que "Au pied fifi !" ?
"Et si je ne veux pas ? demandais-je
-C'est dans votre intérêt, mais si vous ne voulez vraiment pas, je m'en vais...
-Attendez, je ne voulais pas dire ça, désolé... Ma blessure me rend un peu nerveux... La douleur, vous comprenez ?
-Je suis là pour ça, figurez-vous. Vous me suivez alors ?"
Acquiesçant d'un signe de tête, je me relevais du coin de la pièce où je m'étais calé avec son aide, et je la suivis comme elle me le demandait.
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Dans le couloir, la surprise fut encore plus grande de ne trouver aucun militaire qui escortait la jeune femme.
Alors que nous parcourions les coursives, je lui demandais:
"Vous n'avez pas peur que je vous tue, ou que je me serves de vous comme otage ? demandais-je un peu directement.
-On a toujours cette peur, mais vous savez, je ne fais que vous faire du chantage, pas de confiance de votre part, pas de soins...
-Logique, mais bon, ca change de la menace avec armes..
-Détrompez-vous, je sais aussi manier le pistolet si le besoin s'en fait sentir. Vous avez été touché il y'a combien de temps ?
-Je ne sais pas l'heure exacte, mais c'était un peu avant le lever du soleil... Du moins, si la journée d'aujourd'hui n'est pas terminée, j'ai l'impression d'avoir passé des siècles dans ce camion."
La jeune femme eut un petit rire, ce qui m'étonna encore plus.
"Oh, vous savez, vous auriez fait le trajet en carrosse, ça vous aurait paru trop court... Mais bon, je pense que ça date quand même d'aujourd'hui vu votre état de cicatrisation... Vu l'heure que vous m'avez donné, il ne devrait y avoir aucun problème...
-Pour quoi faire ? "
Pour toute réponse, elle s'arrêta, ouvrit une porte, et m'invita à entrer.
"Voyez-ça par vous même, nous sommes arrivés."
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J'hésitais un instant, et si c'était un piège ? Si on me faisait rentrer dans une salle de torture en me convaincant avec une jolie fille ?
"Allez, n'ayez pas peur, je passe devant si vous voulez... Je suis infirmière à bord depuis presque six mois, et je peux vous assurer que je n'ai jamais tué personne."
Ainsi, ce devait être la salle de soins. Je la suivis finalement pour découvrir que c'était bien plus que ça. Un véritable bloc opératoire trônait dans une moitié de la pièce, et un chirurgien, tout du moins un homme en blouse qui ressemblait à un chirurgien semblait avoir fini une intervention. Il se lavait les mains dans le fond de la salle.
"Vous avez opéré quelqu'un ?
-Non, mais ca ne saurait tarder, fit l'infirmière. Enlevez votre maillot. Je vais désinfecter la plaie."
Je m'exécutais alors que le docteur dans le fond de la pièce semblait se préparer pour quelque chose. Le douloureux picotement du désinfectant me rappella soudain à mon corps.
"Et bien, quel tir propre... Vous avez de la chance, fit la femme dans mon dos. Il y'en a qui font plus de dégâts que ça... Ca sera facile à enlever...
-Enlever la balle ? Mais vous allez faire ça comment ? "
Derrière le billard, le docteur me lança:
"Je pensais faire ça avec les scalpels que je suis en train d'arranger, mais si vous voulez, je peux essayer de faire levier avec un pied de biche... mais je ne garantis rien.
-Ce sera douloureux, demandais-je.
-Ah, les miracles de l'anesthésie générale vont éluder cette question épineuse."
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Je me relevais d'un bond de la table d'examen.
"Quoi ? Vous allez m'endormir ? Pas question !"
L'infirmière me rappela à l'ordre.
"Attendez, je n'ai pas fini de nettoyer la plaie...
-Pas question qu'on m'endorme... fis-je effaré.
-Dans ce cas, pas question qu'on vous opère, fit l'homme derrière son masque de chirurgien. La douleur serait insoutenable, et l'anesthésie locale ne sera pas très appropriée.
-Mais, je ne...
-Ecoutez, fit calmement l'homme, je sais qu'à Sento, les docteurs ont la réputation de faire des expériences douteuses sur des cobayes comme vous, mais si ca peut vous rassurer, je ne suis ni Sentonien, ni psychopathe.
-Qu'est ce que vous faites là alors ?
-Doc et moi avons été faits prisonniers durant un raid dans un camp de rebelles, m'expliqua la jeune femme. On avait le choix entre finir nos jours en prison et travailler ensemble pour Sento. On ne nous a rien imposé, pas de matériel, pas de "surveillants" pendant qu'on intervenait, on était tout de même relativement libres, alors nous avons accepté de sauver des vies, même si c'était celles de ceux qui avaient tué tous les hommes que nous soignions sans état d'âme."
Je comprenais enfin le ton si particulier que notre conversation avait. Eux mêmes étaient des prisonniers un peu particuliers.
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"Mais docteur,...
-Appelez moi Doc, comme tout le monde, à la base je suis pharmacien, vous savez. J'ai du apprendre la chirurgie un peu par hasard. Docteur Garrand, ca sonne faux non ?
-Et moi, c'est Tia, au fait, fit remarquer l'infirmière.
-Bref, reprit Doc, si nous n'intervenons pas maintenant, vous ne pourrez pas vous faire opérer là où nous allons. Ils n'ont pas le matériel pour extraire la balle et votre bras ne tiendra pas. On peut le soigner maintenant et vous pourrez vous resservir de tous vos doigts d'ici une semaine si tout va bien..."
Pendant un moment, j'eus une hésitation. Je voyais décidément le mal partout... Après m'être raisonné, j'acceptais finalement.
"Ah, voilà un jeune homme raisonnable, monsieur ? demanda doc
-Lilian... pour vous servir...
-Et poli en plus, rajouta Tia... Que demander de plus ?
-Je crois que c'est déjà pas mal, reprit l'homme en se dirigeant vers la table d'opération. Va te changer Lilian, il y'a un vestiaire avec une chemise d'hôpital.
-Et mes habits ?
-Tu les retrouveras à ton réveil, ne t'inquiète pas. Un bon coup de lessive et ce sera bon."
Mince, je pouvais laisser tomber mon plan avec le bout de tôle.
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Quitte à tout perdre, autant garder leur confiance.
"Dans ce cas, je peux laisser tomber tout ce que je comptais faire avec ça, je suppose, dis-je en laissant tomber mon poignard improvisé.
-Ah, c'est vrai que c'était bien tenté. Je me demande même comment tu as fait pour garder ça sur toi tout ce temps sans que personne ne le trouve...
-Je l'ai trouvé en chemin... Mais je...
-Tutututu, pas un mot de plus, m'imposa doc. Je ne veux rien savoir, je suis chirurgien, pas témoin de quoi que soit. On oubliera très vite ce bout de tôle, une fois qu'il sera parti à la poubelle. Va te changer et reviens laisser Tia s'occuper des derniers préparatifs."
J'obéissais sagement aux ordres, quittant mes vêtements pleins de sang pour endosser une chemise d'hôpital pleine de trous. Je ressortis de la cabine.
"Désolé pour les trous, mais on n'en a que deux qui tournent, fit Tia. Et l'autre est pire..."
Durant les derniers préparatifs, j'appris que Tia et doc étaient tous deux de Sinnoh, mais avaient quitté très vite le pays quand on avait demandé des volontaires pour soigner des blessés. Après avoir croisé un rebelle de ce qu'on appellerait aujourd'hui la Nouvelle-Armée, ils s'étaient retrouvés à lutter indirectement cotre Sento en soignant ses opposants et avaient fini ici après les raids sur leur camp.
"Allez, maintenant, c'est l'heure de dormir, m'expliqua Doc. Quand tu te réveilleras, on ne sera plus là alors bonne chance et porte-toi bien. Tu es quelqu'un qui ira loin..."
Je m'allongeais sur le billard. Tia fit les derniers préparatifs et posa finalement la perfusion d'anesthésique... Elle me fit un dernier signe d'adieu de la main... Et tout se brouilla très vite, je plongeais finalement dans un sommeil profond en quelques secondes...