Chapitre 42: Déchéance
Antoine me regarde avec son regard des mauvais jours... celui qui dit tout et rien à la fois, qui exprime tristesse, colère, gène, honte, doute,... tout celà à la fois. Mais je sais ce qu'il ressent.
Silver, lui, est un peu plus pragmatique. S'il est sujet à une quelconque émotion, il le cache bien. Seule son épée a cessé de rougeoyer sur son flanc, mais il la tient toujours à la main. Il aurait peut-être préféré se battre plutôt que de subir ça. Mais je sais ce qu'il ressent.
Kim est en larmes. Elle sentait sans doute sa mort proche, et comme n'importe quelle gamine de son âge elle avait craint pour sa vie... S'effondrer comme elle le faisait, c'était un des plus sûrs moyens d'exprimer tous ces sentiments durs et refoulés. Mais quand elle m'a vu partir, elle n'a pas mis longtemps à retenir ses larmes. Elle ne veut pas avoir l'air triste. Mais je sais ce qu'elle ressent.
Iris ne me croyait sans doute pas capable de celà. Mais le fait est qu'elle ne se sent pas plus mal à l'aise que ça. Elle reste fière et droite, comme je l'ai toujours connue. Au fond d'elle, elle est en morceaux, sa fierté a disparu, mais même si elle est à fleur de peau, elle fait l'effort surhumain de ne rien montrer. Mais je sais ce qu'elle ressent.
Eva,... ah Eva, quel sort nous fait subir toute cette mascarade ? Je te retrouve à peine pour te voir une fraction de seconde, de loin, dans la nuit... et je te perds à nouveau. Je sais que tu seras bien avec tous mes amis les plus sincères, mais te perdre sera peut-être le plus dur pour moi. Toi, tu ne comprends pas tout, je te rassure, moi non plus. Tu te crois dans un mauvais rêve, et tu n'es peut-être pas aussi éloignée de la réalité que tu le crois. Toi, plus que tous les autres, je peux dire que je sais ce que tu ressens.
Aurore n'a pas encore compris ce qui se passait. Elle regarde fixement de l'autre côté, mais après avoir croisé le regard vide de mes compagnons, elle se retourne, regarde dans la même direction qu'eux et elle voit... La main devant le visage pour qu'on ne la voit pas pleurer, elle se sent fautive. La dure réalité lui tombe dessus à ce moment précis, et tout l'engrenage que j'ai soigneusement assemblé, elle le comprend maintenant. Le plus dur pour elle qui déteste les injustices, c'est de se dire que, aussi personnel que je fus durant cette opération pour retrouver Eva, je me suis mis en avant pour la protéger, pour tous les protéger. Je lui aurais au moins prouvé qu'elle avait tort, mais à quel prix ? De tous ceux-là, elle sait que c'est elle que j'ai choisi pour prendre la relève, même si Antoine reste la forte tête du groupe, et mener les élus à la victoire. Car, et c'est une chose encore plus bizarre dans ce moment de flottement, c'est elle qui sait ce que je ressens.
-------------------
"Au moins maintenant, sinon jamais..."
Au vu de la situation actuelle, je pencherai plutôt pour la deuxième solution.
-------------------
Le rêve se brise, et cet instant clôture le temps de l'insouciance et de l'invulnérabilité des Elus. Les réfugiés relâchent mes amis, Dante s'avance, je le reconnais au loin, lui et sa capuche, et il me lance un regard assuré. J'ai fait ce qu'il fallait pour les protéger, il fera ce qu'il faudra pour tenir sa promesse. Quant à Sento, ils honorent leur contrat eux aussi et déjà, la bataille est terminée, les blessés sont récupérés. Ils savent que s'ils ne font pas ce qu'ils ont promis, ils vont avoir à faire à une horde déchaînée de gens pour qui plus rien n'a d'importance, et cette fois-ci, les élus seront avec eux. Et la masse arrivera à surplomber les soldats, et même après de nombreux échecs, le Crépuscule tombera, et les Dieux même ne sauraient trouver les mots pour la furie qui rêgnerait après.
Je n'ai pas le sentiment du devoir accompli, même si de nombreuses personnes salueront mon courage, vraisemblablement dans un éloge funèbre, bla bla bla... L'échec est très dur et je ne fais que limiter la casse. J'ai toujours eu horreur des honneurs, et ce n'est pas maintenant que ça va commencer à me plaire.
Je suis conduit à l'arrière d'un camion de transport, on ne m'enchaîne même pas. Le Crépuscule trône tel un trophée sur le toit du camion, je suis sans armes, et blessé. Ils savent pertinemment que toute tentative de fuite se solderait par ma mort. On peut dire tout ce qu'on veut, mais si ce jour reste dans les mémoires, ce sera une grande victoire pour Sento. Tout le monde part, tout le monde se met en branle, et tel un seul homme, les militaires quittent le champ de bataille, alors qu'au loin, les premiers rayons d'un soleil plus que pâle se lèvent et illuminent les tentes. Même lui est triste de ma capture. Je ne savais pas que j'avais des relations si haut placées...
-------------------
Celà faisait maintenant plusieurs heures que nous roulions. J'avais laissé tomber tout espoir de fuite, d'évènement miraculeux. La dernière fois qu'un miracle s'était présenté à moi, c'était lorsque l'arrivée de Sento avait provoqué une panique suffisament importante pour me laisser les quelques secondes nécessaire à ma fuite. Mais au lieu de profiter de ce sursis pour nous faire tous partir, j'avais voulu jouer les altruistes et chercher Eva. J'en payais le prix maintenant. Alors à l'avenir, plus de miracles, merci...
Dans les petits interstices sous la bâche du camion, je voyais passer les lumières et les bâtiments... Lavandia, une petite pensée pour Ed, Pierre et les autres, et puis le bruit des vagues, l'odeur du sel... un pont entre Lavandia et la maison du maître des baies... fraîchement construit, si on en jugeait les bruits incessants de marteaux-piqueurs... et puis la pluie, et les cahots... direction Cimetronelle.
Nous avancions maintenant sous une pluie battante. Chaque caillou sur la route en terre faisait trembler les roues aux amortisseurs inexistants qui transmettaient le choc aux durs bancs de bois sur lesquels j'étais assis avec les soldats chargés de mon escorte.
J'avais une vague idée de ma destination. Dans le meilleur des cas, s'ils savaient qui j'étais, et quel rôle j'avais à jouer, je finirais dans une prison bardée de dispositifs Crépuscule avec l'impossibilité totale de m'enfuir, dans l'autre cas, je n'étais pour tous ces gens qu'un simple fauteur de trouble et je finirais exécuté d'ici peu sous cette pluie battante. Mais quelque soit mon avenir, je n'avais pas envie de montrer que je souffrais à aucun de ses imbéciles. Non pas pour jouer les durs, mais parce que je m'accrochais vainement aux derniers fragments de fierté qui restaient encore en moi et parce que je n'aurais jamais montré à l'ennemi un point faible qu'il pourrait exploiter.
-------------------
Les bonnes vieilles habitudes du dresseur reprenaient finalement le dessus sur l'élu... Peut-être pas pour longtemps, mais j'avais déjà cette certitude en tête. Montrer à l'ennemi où frapper était la première erreur. La suivante était en général fatale, d'où l'intérêt de ne jamais commetre la première.
Mon bras m'élançait de plus en plus, et désormais, chaque mouvement de mon épaule ne pouvait se faire sans qu'une intense douleur n'irradie tout mon corps. Cependant, il y'avait au moins un aspect positif à cette immobilisation forcée, je sentais que le sang ne coulait plus. La cicatrisation commençait à opérer et me permit d'espérer. Aurore ne guérirait sans doute jamais cette plaie, il faudrait se contenter des moyens du bord. J'étais encore bien loin d'être au meilleur de ma forme, mais une once d'espoir traversait mon coeur, et les quelques miettes de fierté firent des petites, qui s'ajoutèrent à celles déjà présentes pour reformer le plastron de mon honneur pourtant bien tordu par la défaite.
Petit à petit, je redevenais moi-même. Je n'avais toujours aucun espoir pour plus tard, mais je redécouvrais petit à petit toutes les fonctions de mon cerveau que j'avais ignoré en m'adonnant à mes pouvoirs. Tactiques, feintes, stratégies de combat,... Certes, je n'avais pas mes Pokémon avec moi, mais le fait que je puisse retrouver, au milieu du bazar qui régnait dans mes neurones, un semblant d'organisation état un bon présage. Si j'arrivais à monopoliser ce qu'il fallait au bon moment, peut-être que je resterais en vie jusqu'à cette fameuse bataille finale. Finalement la seule limite que nous avions en tant qu'élus, c'était celle que nous nous imposions. Je réfléchissais à nouveau tel un vrai dresseur, pas comme un super héros qui doit sauver le monde. Tout celà me semblait tellement absurde, tel un mauvais rêve qui se finissait tragiquement...
-------------------
Je gardais espoir, détrompez-vous, mais je gardais uniquement l'espoir de rester en vie. Tout le reste était une page tournée. Certainement, mes amis s'en sortiraient, j'avais confiance en Aurore pour ça. Au besoin, il y'avait encore des renforts à Sinnoh... Mais il faudrait certainement plusieurs mois pour les faire parvenir jusqu'ici...
Ah, Sinnoh. Je comprenais maintenant ce que nous disaient les grands voyageurs comme Kimera, la championne d'arène d'Unionpolis... Elle avait parcouru des dizaines de fois les îles de Kanto, Johto et Hoenn avant que tout ne change, mais elle ne se sentait jamais aussi bien que chez elle. Et aussi beaux furent les paysages qu'elle découvrait, aussi amicaux étaient les gens qu'elle rencontrait, elle avait toujours au fond du coeur un pincement pour la terre qui l'avait vu naître. Alors que l'ivresse des combats et des victoires glorieuses se dissipait, je ressentais finalement ce mal-être, cette sensation si dérangeante et à la fois tellement pleine de bons souvenirs...
Mais déjà, le camion quittait la route sous la pluie, pour entrer dans la jungle urbaine, le mot était bien adapté, de Cimetronelle. A peine le temps de sentir les odeurs des grands épicéas que nous étions déjà ressortis. Je n'avais jamais visité cette ville, mais je la croyais impraticable rien qu'à vélo, alors imaginez l'angoisse en camion. Pourtant, la traversée fut rapide et sans aucun arrêt. La folie guerrière de Sento n'avait semblait-il d'égale que son envie maladive de modernisation.
Il était simple pour un Maître Pokémon de gérer l'île dont il était le gardien, grâce aux nombreux Champions d'arène qui étaient sous sa responsabilité et qui pouvaient agir vite et en s'adaptant à un territoire qu'ils parcouraient depuis leur plus tendre enfance, mais pour un dictateur qui voulait tout contrôler par lui-même, il était certain que tous les reliefs d'Hoenn devaient le rendre malade.
-------------------
Tout le monde s'efforçait de vivre en fonction de la nature particulière de ces îles volcaniques, mais pour le Tyran, ca devait être la nature qui devait vivre en fonciton de ses ambitions. Pour lui, c'était un moyen de montrer qu'il était tout-puissant, pour ses "sujets" les habitants d'Hoenn, ce n'était qu'un affront de plus fait à leur civilisation ancestrale. Je songeais avec peine à tous ces gens, venus des quatre horizons, d'Hoenn, de Kanto ou de Johto, et dont les cultures étaient bafouées par un chef auto-proclamé, dont l'autorité ne dépendait que de son armée surpuissante... Encore une aberration de plus... comme on savait en faire souvent apparement ici.
"On peut savoir pourquoi tu souris ? me demanda un des gardes, avec une haleine à faire pâlir n'importe qui.
-Je ne souris pas, répondis-je du tac au tac, je fais des grimaces à cause de la douleur... et peut-être aussi à cause de ton odeur..."
Le soldat leva la main, mais j'étais confiant. S'il me touchait, je saurais qu'on n'avait pas besoin de moi... Par contre si...
"Soldat, asseyez-vous, et toi, petit impertinent, tais-toi."
Par contre, si son supérieur lui ordonnait de ne rien faire, alors j'avais une chance d'être plus important pour eux...
"Toutes mes excuses, fis-je cependant, c'est que je n'ai pas l'habitude d'être fait prisonnier. Vous comprenez, ca me rend un peu nerveux...
-Tu feras moins le malin quand tu seras arrivé à...
-SOLDAT, SILENCE !"
-------------------
D'un côté, les ordres du commandant me confortaient dans ma position, de l'autre, j'aurais bien aimé pour une fois que le soldat en dise juste un peu plus. Son supérieur ne l'avait pas tant incité à se taire parce qu'il me provoquait, mais plutôt parce qu'il allait révéler un détail sensible. Si j'arrivais à en savoir un tout petit peu plus, peut-être que je pourrais laisser un message... Peut-être...
"Où m'emmène t'on ? demandais-je."
D'abord le silence. Personne ne me regardait, pas un soldat n'osait croiser mon regard.
"Suis-je donc aussi méprisable que ça pour qu'on ne m'adresse même pas la parole ? "
Finalement, le commandant daigna distiller un semblant d'informations à mon sujet.
"Tu sais, jeune homme, des gens comme toi qui se sacrifient pour la santé de leurs camarades, on en voit pas souvent par ici. La règle du chacun pour soi est de mise en général. Surtout quand on sait les punitions qui sont infligées aux rénégats. Les prisons de Sento ne sont pas des maisons de repos, tu sais ? Au mieux, si tu ne sais rien, on te laisse croupir au fond d'un trou avec un peu de pain rassis... Mais si tu es quelqu'un d'important, alors tu peux t'attendre à de belles scéances de torture pour te faire parler...
-Au sujet de ce "sacrifice" comme vous dites, c'est ce que n'importe quelle personne sensée aurait fait. Si vous aviez attaqué malgré ma rémission, vous n'auriez été qu'un boucher sanguinaire parmi tant d'autres. Et là, tous vos hommes n'auraient rien pu faire face à la furie que vous auriez provoqué. Je savais juste qu'en faisant ce que j'ai fait, je laissais la vie sauve à pas mal de personnes... Un homme en prison plutôt que toute une population de plusieurs centaines de personnes mortes... Le calcul est très vite fait..."
-------------------
Le commandant se cala contre la carrosserie du camion, et prit un air dédaigneux particulièrement énervant...
"Tu sais, jeune homme, la guerre, ce n'est pas que du calcul...
-Non ? Vous rajouteriez quoi en plus comme donnée ? L'affectif ? Il me semble que ce n'est pas votre fort à Sento..."
A ces mots, les soldats se tinrent prèts à me frapper si l'ordre leur en était donné, mais le commandant éclata au contraire de rire.
"Et téméraire en plus... Tu gravirais vite les échelons si tu venais de notre côté... Laissez soldats, ce garçon n'insulte personne, il ne fait que dire la vérité qui dérange après tout. Il fera moins le malin une fois arrivé à la base Fondm..."
Ah ? On avait fait un pas de plus, base Fond de ? Manifestement, je n'en saurai pas plus... Autant changer de sujet... On reviendrait plus tard aux sujets sensibles. Le commandant se lança dans un long monologue sur sa vision de la guerre.
"Avant de devenir soldat, j'avais des activités un petit peu délictueuses, si tu vois ce que je ve dire. C'est dur de vivre ici. La vie est compliquée... J'ai tué des gens, fait entrer des clandestins, vendu des gens aussi. "Peut-être qu'ici, les choses seront différentes" m'étais-je dit en rentrant dans l'armée. Et tu vois le résultat, fit-il en montrant ses soldats... Je fais la même chose, sauf que j'ai des hommes sous mes ordres, et que je monte en grade si je le fais bien..."
-------------------
Les soldats éclatèrent de rire alors que nous arrivions à Nénucrique. Le commandant reprit la parole.
"C'est ici que nos chemins vont se séparer, jeune homme. Tu auras été fort divertissant, mais j'ai des ordres..."
Le camion se garait dans un entrepôt sombre. Il était temps de poser la question sensible.
"Où m'emmène t'on ? demandais-je de but en blanc.
-Si je te disais la Base Fondmer, ca ne te dirait rien, et de toute façon, je te laisserai découvrir ça par toi-même. C'est assez particulier paraît-il. Mais tu es quelqu'un de très particulier, si j'ai bien compris mes ordres... Ca sera une bonne demeure pour les quelques... prochaines années dirons-nous..."
Le camion s'arrêta brusquement. Tous les soldats descendirent et le commandant resta en arrière, pour me sussurer à l'oreille.
"Profite bien de ton séjour, jeune homme.... ah, et ça c'est parce que comme tu l'as si bien dit, je n'ai aucun affectif...."
"Ca" c'était sa main qui enserrait mon épaule blessée comme un étau.
Elle se remit à saigner. Je retins un cri.
"Allons, ne dis rien, un seul mot et mes soldats pourraient croire que tu tentes une évasion, ils seraient bien obligés de te tuer... Crois bien que ca me désolerait."
-------------------
"Allez, bon voyage..."