Chapitre 31: Le village oublié
"Quelqu'un peut me rappeler ce qu'on fait ici ? demande Antoine.
-Encore une preuve que tu n'écoutes que ce qui t'arranges... lui répond Aurore.
-Je suis désolé mais je ne vois pas pourquoi on serait mieux dans la ville plutôt que dans une grotte ou une forêt... réplique mon ami."
Y'avait vraiment des jours ou Antoine avait l'art de faire suer tout le monde...
"Pour la huitième fois, Adrianne est morte dans un combat contre Sento. Ca fait deux mois qu'ici, on attend des dresseurs qualifiés pour finir ce qu'Adrianne a commençé.
-C'est à dire ?
-Faire des dresseurs de cette ville des gens capables de lutter contre Sento s'il viennent fourrer leur nez ici.
-Ah, d'accord, et donc, si ces dresseurs, c'est nous, on a de grandes chances d'être accueillis en amis, voire même cachés des soldats par la population.
-Et ben, conclut Silver, on dirait que t'as enfin compris. Ca tombe bien, on arrive à Vermilava."
C'est ainsi qu'après une nuit au clair de lune, ma fine équipe et moi, arrivons dans la ville qui nous hébergera, je l'espère, pour un bon bout de temps.
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//// 82 jours depuis le début des opérations ////
//// 56 jours depuis l´arrivée à Hoenn ////
En traversant le petit village de Vermilava, une sensation de gène s'empara de moi. Peut-être à cause de la chaleur qui régnait ici à cette heure pourtant matinale de ce début de Mars, ou peut-être parce que tout le monde nous scrutait depuis que nous avions passé la pancarte "Bienvenue à Vermilava, son volcan, ses cookies et sa championne au tempérament de feu" sur laquelle un petit malin avait tagué "championne qui s'est faite refroidir".
L'impression était bizarre, voire même oppressante. Un vieil homme cependant sembla se détacher de la foule et s'avança finalement vers nous.
"Bonjour voyageurs, je peux vous aider ? demanda le vieillard.
-Nous cherchons un endroit où nous installer et...
-Désolé, mais nous avons nos propres problèmes ici, nous coupa l'auguste personne.
-Nous sommes ici de la part de la... hum, de la part de la Nouvelle Armée, rajoutais-je un ton plus bas. Pierre nous a dit que nous pourrions finir ce qu'Adrianne avait commencé et qu'en échange nous serions hébergés à peu près convenablement.
-Il vous à dit ça ? fit l'homme avec un sourire. Sacré Pierre, il n'admettra jamais que même dans ces cisconstances, Vermilava reste le village le plus hospitalier d'Hoenn."
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L'homme fit un signe à la population du village, un signe du genre "Laissez tomber, ils ne nous causeront pas de problème." et immédiatement, les villageois repartirent chez eux. Je vis avec un peu d'effroi que certains avaient caché des couteaux dans leur dos et que si l'homme ne nous avait pas accepté, nous aurions été dans une impasse dramatique. Il nous demanda de le suivre.
"Vous arrivez un peu tard, fit l'homme. Adrianne a été remplacée ici. Même si elle restera toujours dans le coeur des gens, j'ai pris sa suite pour son projet de défense du village.
-Ah... fis-je gêné. Dans ce cas, nous n'avons pas de quoi payer notre séjour ici.
-Ne craignez rien pour ça. Je me doute que vous n'êtes pas venus pour faire du tourisme si vous connaissez Pierre. Vous êtes des rebelles tout comme nous, et vous pourrez rester ici autant que vous le voudrez."
Il y'avait dans ses yeux... comme une lueur d'espoir. Chose bizarre vu que nous n'avions même pas prouvé de quoi nous étions capables encore.
"Merci beaucoup, monsieur... Monsieur ?
-Mais c'est que j'en oublie les bonnes manières. Je suis l'ancien champion d'arène de Vermilava. J'ai repris du service quand on a su qu'Adrianne avait perdu la vie.
-Mais, je croyais que c'était son grand-père, l'ancien champion d'arène.
-C'est le cas, je m'appelle Alan et Adrianne est ma petite fille."
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Cet homme était le grand-père de la défunte championne ? Voilà qui expliquait son autorité sur le village.
"Enfin, je devrais dire "était ma petite-fille", rajouta t'il, l'oeil humide.
-Je suis désolé, m'excusais-je platement, je ne le savais pas... je ne voulais pas...
-Ce n'est pas grave, me fit-il avec un long soupir. Personne ne se soucie plus de ce genre de choses de nos jours. Vermilava est devenu un village oublié. Vous n'êtes pas du coin, n'est ce pas ?
-On vient de Sinnoh, expliqua Aurore.
-Et qu'est ce que des enfants comme vous peuvent faire pour aider la Nouvelle-Armée ?
-Il se peut qu'on ait un but commun, répondit notre amie.
-Mais en parler ici serait aussi malvenu que de crier sur tous les toits que nous sommes des rebelles, rajoutais-je.
-Je vous comprends. Venez chez moi, vous serez à l'abri."
Suivant Alan, nous entrâmes dans un grand bâtiment à l'abandon.
"C'était quoi cette ruine avant ? demanda Silver curieux.
-Vous êtes sur le point de rentrer à l'intérieur de l'ancienne arène, nous expliqua l'homme."
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Je n'en croyais pas mes yeux, cette masure taguée en ruines était l'arène ?
"Que s'est-il passé ici ? demandais-je effaré en voyant l'état désastreux des lieux.
-Les champions sont des figures d'espoir pour les villages, nous répondit tout d'abord sybillinement Alan. Enlevez leur cet espoir et ils perdent tout le reste. En général ca vire très vite à la guerre civile. On appelle ça les villages oubliés ici.
-C'est à dire ?
-Quand un champion meurt, le village n'est plus aussi important qu'avant aux yeux de la Nouvelle-Armée. Et les villageois sont d'autant plus à la merci de Sento. Ce n'est pas un hasard si des villages comme Pacifiville ou Autequia ont été les premiers à tomber sous la coupe de Sento. Sans champion pour les guider, la population s'est divisée. Certains ont préféré fuir et les autres s'entretuaient. Sento n'avait plus qu'à finir les survivants et le territoire était à eux.
-Mais c'est terrible ? C'est ce qui est arrivé à Vermilava ? demanda Iris.
-C'est ce qui est EN TRAIN d'arriver à Vermilava. Adrianne n'était pas championne depuis si longtemps que ça. Quand je suis revenu, c'était la guerre civile ici. Mais avec mon aurorité, j'ai réussi à tempérer un peu les choses. Sauf que je ne suis pas le champion officiel. Vermilava n'est qu'en sursis."
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Les paroles dures d'Alan étaient néanmoins très justes. L'être humain livré à lui-même n'avait pour but que de survivre, et les autres, il s'en fichait.
"C'est la loi de la jungle, conclua notre hôte dans un soupir.
-Et vous ne pouvez pas prendre la place d'Adrianne ? Après tout, vous êtes bien un ancien champion, non ? demanda Kim.
-Ma petite, ce n'est pas si simple que ça. Un champion peut, de son vivant, léguer son titre à qui il veut. Mais une fois le champion mort, il n'y a que le maître de la ligue qui puisse désigner un nouveau champion. Et Pierre a bien des choses à faire en ce moment.
-Et toi Lilian, tu ne pourrais rien faire ? fit l'adolescente en se tournant vers moi.
-Je suis maître de Sinnoh, je n'ai aucun pouvoir à Hoenn, désolé. Les trois ligues fonctionnent chacune avec des règles différentes."
Alan tressaillit à ce moment.
"Maître de... Vous voulez dire que je suis en face du maître Pokémon de Sinnoh ? Mais dans ce cas, on peut peut-être sauver Vermilava !"
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Alan semblait tout excité. Il avait semble-t'il trouvé le moyen de faire quelque chose de bon pour sa ville.
"Si tu es effectivement le maître de Sinnoh, alors tu es la personne qu'il me faut.
-Je ne comprends pas. Je ne suis pas champion pourtant...
-Les gens ont besoin d'un chef pour survivre dehors, mais pas forcément de LEUR champion, tu comprends ? Les autres champions ont déjà bien à faire avec leurs villes, mais toi, tu n'as aucune ville à gérer ici. Tu pourrais me rendre un grand service en acceptant de t'occuper de la ville."
Les yeux brillants d'Alan me suppliaient d'accepter sa proposition. Pourtant, si je prenais la place d'Adrianne ici, je ne pourrais pas faire régner un semblant d'ordre sans me mettre en avant. Et me mettre en évidence, c'était me mettre en danger. Non, c'était nous mettre TOUS en danger, y compris les habitants de ce village.
"Vous devez comprendre que je ne suis pas à Hoenn parce que je n'ai rien à y faire, j'ai aussi un rôle à jouer et je ne serais pas toujours là.
-Adrianne se battait aussi... sinon elle ne serait pas morte. Vous n'avez pas besoin de rester là tout le temps. C'est le fait de savoir que toi, tu es là pour eux qui pourra les maintenir en état. Je t'en supplie. Si tu n'acceptes pas,..."
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La voix du vieil homme se perdit dans le silence de l'arène dévastée. D'un côté, je ne pouvais pas le laisser seul. Il avait déjà perdu sa seule héritière, et il risquait de perdre tout ce qu'il possédait si le village partait aux mains de l'ennemi. Mais en même temps, tant que Sento était dans les parages, j'avais les mains liées. Kim vint me voir, et me surprit encore par sa perspicacité.
"On sera toujours surveillés. Même si on détruit l'Aurore, on ne détruira pas tous les satellites. Ils auront toujours un oeil qui traînera. Il ne verra pas nos pouvoirs mais sera peut-être capable de nous reconnaître. Alors il te faut oser maintenant, ou repartir chez nous si la peur t'empèche d'agir. Si tu ne peux pas aider Vermilava, tu ne pourras rien faire d'autre. A mon avis, tu peux voir ça comme un test."
En plus de lire en moi comme dans un livre, elle était diablement mature et réfléchie. Devant de tels arguments, je ne pus qu'accepter, à la grande joie d'Alan. Mais s'il n'y avait ne serais-ce qu'un seul espion dans la population, tout était fichu.
"Il faut organiser une grande fête pour ça. Il faut que Sento sache que le peuple a confiance à nouveau en quelqu'un pour qu'ils n'aient pas l'idée d'attaquer. Il le faut pour que Vermilava vive."
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Bien que je sois plutôt réticent à l'idée d'un grand banquet, Alan m'assura que personne ne me reconnaîtrait. Pour eux, je ne serais qu'un champion de Johto que la nouvelle armée n'aurait pas mobilisé à cause de son jeune âge. Et les personnes qui m'accompagnaient étaient les dresseurs de mon arène.
C'est ainsi que sous une nuit étoilée de ce début de Mars que je fis la connaissance de nombreux villageois de Vermilava. Les dresseurs d'Adrianne avaient péri avec elle dans la bataille ou dans une autre, mais le village connaissait quelques figures importantes qui maintenaient un semblant d'ordre dans le village. Sans eux, Alan n'aurait rien pu faire. Il y'avait Anna, la vieille vendeuse de produits à base de plantes, aux mêmes effets que les potions classiques mais, au bas mot, deux fois moins cher, Adolphe, le gérant des sources chaudes, un peu bourru au premier abord mais très amical après quelques verres. Enfin, il y'avait les soeurs jumelles Solène et Hélène, responsables du téléphérique du Mont Chimnée. Une véritable micro-société s'était installée ici et c'était sans doute cette faculté à se débrouiller sans les autres qui les sauverait de cet isolement du à la guerre.
Il devait être aux alentours de huit heures du soir quand je pus enfin quitter la table après avoir rencontré toutes les ouailles du coin. J'en avais pour ainsi dire marre, et je m'éclipsais au profit de la nuit qui cachait dans son obscurité tous ceux qui ne la craignait pas.
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Le paysage était d'habitude morne. La nuit ne faisait que mettre en évidence les explosions de bombes partout autour de nous. Mais dans ce repli de la montagne, on ne voyait que le ciel et les arbres autour de nous. On aurait même pu trouver jolie cette vue avec la pleine lune qui éclairait les nappes de brume au sommet des sapins.
"Vous savez déjà où se trouvent les bons endroits par chez nous, fit une voix cristalline dans mon dos."
Je me retournais. Derrière moi, une forme s'avança. Sortant de l'ombre d'un arbre, elle laissa apparaître son visage. C'était une fille d'environ mon âge, aux cheveux dont je n'arrivais pas à distinguer la couleur dans cette semi-obscurité, mais des mèches pales ressortaient sur un fond sombre, sans doute châtain... Le reflet de la lune dans ses yeux les faisait briller telles deux flammes.
"Je viens souvent ici, pour être vraiment à l'écart de la civilisation. On dit bien que Vermilava est un des villages les plus calmes d'Hoenn, mais je le trouve encore trop agité à mon goût.
-Désolé, je ne savais pas... Je… je vais vous laisser seule, bafouillais-je gêné par mon intrusion… ou peut-être par son visage si... Allons Lilian, ce n'est pas le moment de penser à ça !
-Non,... ne partez pas... Enfin, se ravisa t'elle, gênée, je veux dire, vous ne me dérangez pas du tout. J'aime être à l'écart de la frénésie des villes, mais il y'a bien la place pour deux personnes ici. Enfin, si vous voulez bien vous joindre à moi."
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Acceptant cette invitation avec joie, je fis plus ample connaissance avec elle.
"Vous êtes de Johto, dit-on... Pourtant vous ne semblez pas être comme nous, enfin, je veux dire, pas comme ceux qui côtoient la guerre tous les jours..."
Etait-ce un piège ? Ou était-elle juste réellement curieuse ? Et peu importe après tout, comme me l'avait dit Kim ce matin, ne fallait-il pas prendre des risques ?
"Vous m'avez démasqué. Mes amis et moi venont de Sinnoh, mais nous sommes... comment dire, un peu...
-Particuliers ? Je me doute bien que pour qu'Alan vous accepte parmi nous, vous ne devez pas être des étrangers comme ceux qu'on croise tous les jours.
-Très bien, vous êtes soit très renseignée, soit très intelligente. Y'a t'il encore quelque chose que vous ne saviez pas de moi ? fis-je en plaisantant."
Elle éclata d'un rire plus pur que le cristal.
"A vrai dire... aussi paradoxal que cela puisse paraître, je connais certaines choses, mais pas les plus basiques, comme votre nom.
-Lilian, et à ce propos, si on doit apprendre à se connaître, si on laissait tomber le "vous".
-Très bien, Lilian, si tu veux. Je m'appelle Eva."
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Elle ne semblait pas comme les autres habitants du village. Cette jeune femme n'avait pas le même regard qu'eux. Elle ne semblait pas nous accueillir comme si on n'était que des bouches de plus à nourrir.
"Eva, c'est un plaisir... fis-je en portant un toast avec une coupe de champagne imaginaire."
A nouveau un sourire, et même à la pâle lueur de la lune, il brillait à mes yeux comme une étoile. Etais-je en train de perdre pied ? Si c'était ça, alors c'était délicieusement grisant.
"Comment est Sinnoh ? C'est la seule région qui n'ait pas encore succombé à la folie de la guerre, enfin c'est ce qu'on raconte.
-Pour tout te dire, fis-je avec un soupir, celà doit faire trois mois que je n'ai plus revu ma terre natale, mais elle me laisse toujours des souvenirs aussi puissants."
Discutant ainsi de tout et de rien, j'appris ainsi qu'elle était tout comme moi une "invitée", recueillie par le village quand elle avait fui le sien il y'a quelques années déjà. Elle assistait la gérante du magasin de plantes médicinales et avait petit à petit trouvé sa place ici. Elle n'était jamais retourné chez elle depuis car la guerre faisait rage, et une femme seule de son age était vulnérable, car certains soldats n'avaient aucune morale à prendre tout ce qui leur tombait sous la main, y compris les choses les plus pures de ce monde.
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"Tu y retourneras un jour... Tu retourneras chez toi, lui promis-je. Quand cette guerre sera enfin finie, tout le monde rentrera chez soi et on essaiera de tout oublier...
-Es-tu bien sûr qu'oublier ce qui s'est passé soit la meilleure des solutions ?
-Je crois que non, mais il est parfois nécessaire de tourner la page pour pouvoir en écrire une nouvelle. On ne peut pas effacer certaines choses. Mais on peut réécrire par-dessus."
Elle soupira et son souffle s'embua dans l'air froid du soir. Le printemps n'était pas pour tout de suite.
"Tu as raison, moi aussi, parfois, j'aimerais tout oublier et recommencer ailleurs."
Elle frissonna. De colère ou de froid ? Dans les deux cas, une attention un peu amicale saurait l'apaiser. Je quittais ma veste et discrétement, la posais sur ses épaules avant de m'en aller. Elle avait besoin d'être seule même si elle n'en disait rien. J'étais déjà éloigné de quelques mètres lorsque j'entendis un timide "Merci".
"Ce n'est rien, la gentillesse est la seule chose qui enrichit quand on la partage.
-Je ne parle pas que de ta veste... Tu pourrais très bien être chez toi à l'abri à l'heure qu'il est. Alors merci d'être venu nous aider..."
J'eus beau partir me coucher, je ne réussis pas à m'endormir, et ces paroles pleines d'espoir resonnèrent longtemps dans ma tête, sur fond d'un visage d'ange nommée Eva.