Chapitre 20: Rumeurs et délires
La tempète passée, Sophie et ses matelots remirent vite le bateau en état et nous continuâmes notre route encore une bonne semaine sans encombres. Iris et Silver semblaient vivre un bonheur incomparable depuis qu´ils s´étaient enfin avoués mutuellement leurs sentiments et rien ne semblait pouvoir les déranger.
En remontant dans la cabine où se trouvaient nos invités de la Nouvelle Armée, juste après la tempête, j´avais trouvé un petit mot disant:" Merci pour tout ce que vous avez fait pour nous... On vous attend là-bas avec impatience." Le mot n´était évidemment pas signé car on ne pouvait prendre aucun risque avec ce genre de choses mais nous sûmes tout de suite de qui il était...
Finalement, le bateau atteignit le continent pour le Nouvel An, et c´est ici que je reprends le fil de mon histoire...
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//// 16 jours après le début des opérations ////
Le soleil était déjà levé depuis plusieurs heures. A ma montre il était dix heures trente passées. J´avais terminé de m´entraîner avec Silver tôt dans la matinée et le froid ne me faisait plus aucun effet tellement ma peau était blanche et gelée. Sur le port du continent, la neige semblait être tombée en quantité dans la nuit, et tous les toits étaient recouverts d´une couche de poudreuse de plusieurs centimètres...
Le bateau était à quai pour permettre aux voyageurs de descendre et de monter durant toute la matinée. Une partie des matelots descendait à terre pour trouver de quoi faire un repas du Nouvel An honorable. Sophie vint me trouver sur le pont et m´interpella.
"Lilian, ca vous dirait de venir avec moi ?
-Les courses de Noël, c´est pas mon truc, surtout lorsque Noël est déjà passé...
-Je ne parle pas de ce genre de choses... Je vais à la pèche aux informations sur le quai...
-Aux informations ? C´est à dire ?
-Plusieurs matelots m´ont annoncé qu´à la télé ils passaient des choses qui ne sentaient pas très bon pour vous... Je vais vérfier ça par moi-même... Vous m´accompagnez ?
-Dit comme ça, vous m´intéressez beaucoup !"
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C´est ainsi que par le froid ambiant, je descendis du bateau avec la capitaine, chaudement emmitoufflé dans plusieurs épaisseurs. Nous descendîmes à la chasse aux ragots dans les rues de la ville. Le port semblait ne pas avoir de fin...
"Ca a l´air d´être un port très important, fis-je pour la conversation.
-En fait, tu as tout faux. Le port est le plus petit que j´ai jamais vu... Nous sommes entrés dans la ville quand nous avons quitté le bateau.
-Et le port ?
-Le port, c´est les quatres digues de béton que tu vois en entrant et le quai sur lequel nous avons accosté. Aucun hangar, et la capitainerie n'existe plus depuis belle lurette. Nous ne sommes pas dans une ville portuaire à l´origine. Dès que la guerre a commencé à se rapprocher du continent, les habitants ont construit un port de fortune pour partir loin, loin des conflits. Mais vu que personne n´a sorti le porte-feuilles pour faire un port digne de ce nom, c´est ça qui sert depuis quinze années maintenant."
Si l´atmosphère était tendue depuis aussi longtemps que ce port de fortune existait, alors il ne faudrait pas compter passer éternellement inaperçu...
"Les soldats sont nombreux ici ?
-Ils contrôlent les principaux postes importants et ils ont une petite force de frappe. A peine deux ou trois patrouilles de quelques gardes mais ca suffit pour entretenir la peur... Ils ne sont pas du genre à questionner avant de tirer si tu vois ce que je veux dire... Ah, voilà, c´est ici !"
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Sophie montrait du doigt (enfin, de sa moufle) un bâtiment d´apparence crasseuse, délabré et dont j´aurais pu croire que c´était une ruine inhabitée tellement la poussière sur la fenètre était en quantité importante. Mais avec un petit coup de coude, elle réussit à ouvrir la porte rouillée et m´invita à entrer.
"N´aies pas peur, le côté "ruines", c´est pour que les soldats ne nous remarquent pas. C´est un haut lieu de discussion "non-officielle" si tu vois ce que je veux dire."
Lui faisant confiance, je rentrais à sa suite dans ce qui ressemblait à un bar une fois a l´intérieur. D´ailleurs, une fois à l´intérieur, il faisait chaud, il y´avait de l´ambiance, et une propreté régnait sur les lieux, qui tranchait radicalement avec les couches de crasse que nous avions vu sur les facades.
"On est où ? demandais-je."
Avant que Sophie ne puisse me répondre, une voix tonitruante retentit.
"Pas possible, mais on dirait bien la petite Sophie ?"
L´homme qui avait parlé se tenait derrière le comptoir. A son attitude, je supposais que c´était lui le tenancier de ce petit pub.
"Et on dirait bien que mon vieux forban de Tommy est toujours fidèle au poste, répondit Sophie.
-Alors,... "capitaine", toujours à voguer à travers mers et océans ? fit-il avec un grand sourire.
-Toujours, qu´il pleuve, vente ou neige. Quoi de neuf ici ? "
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L´homme massif abaissa ses yeux sur moi...
"Oh, j´allais oublier, fit Sophie je te présente mon ami qui m´accompagne, Tommy, voici..
-Frédéric, enchanté ! fis-je en tendant ma main."
Le géant eut un regard méfiant envers moi, puis il regarda Sophie qui d´un signe presque imperceptible lui fit comprendre que j´étais un homme de confiance. L´homme changea radicalement de ton...
"Je t´appellerai Fred, c´est bien ça Fred. Et si je peux te donner un conseil, ne donnes plus jamais ton nom comme ça, c´est un coup à finir en taule en moins de temps qu´il n´en faut pour le dire.
-Frédéric, c´est le nom qui est sur mes faux papiers d´identité, répondis-je... Mais mon vrai nom, je le garde pour moi et pour une poignée d´amis. Désolé pour vous, mais si Sophie a confiance en vous, je me dois de me faire une idée par moi-même.
-Jeune homme, tu es fort malpoli... mais tu as une tête bien pleine ! Et laisse-moi te dire que c'est pas la politesse qui va te sauver la vie ici."
Le mot "résistance" me fit frémir... Dans les livres d´histoire, les résistants finissaient tous soit par être oubliés soit par être abattus froidement dès qu´ils n´avaient plus rien à avouer. Mais nous étions plus forts et surtout plus malins que les résistants des livres d´histoire... Du moins, je l´espérais...
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"Ici, tu es le bienvenu, me fit Tommy. Ce petit bar n´en a pas l´air mais il est le plus grand lieu de rassemblement des résistants du continent.
-A ce propos, tu as des nouvelles fraîches du front ? demanda Sophie... Surtout en ce qui concerne la nouvelle armée.
-Ma pauvre, j´ai peur que les nouvelles ne soient bien mauvaises."
A ces mots, je craignis le pire. Celà faisait une semaine que Marc, Damien et les autres étaient repartis à Hoenn. Pourvu qu´ils ne soient pas morts, sinon, je m´en serais voulu toute ma vie de ne pas les avoir convaincus de rester. Si, pour sauver ma couverture, je devais y laisser la vie de mes alliés alors autant courir tête baissée au milieu du champ de bataille, ce serait moins dangereux pour eux.
"Ils sont... morts ? demandai-je...
-Non, la seule victime c´est Herr General... enfin, la seule que nous ayons vu à la télé.
-Tu veux dire que... ca a été filmé en direct ?
-Tu vois Sophie, fit le robuste gaillard, quand je te dis que sut ton bateau tu es dans un monde à part..."
Il se retrourna vers moi et expliqua:
"Le tyran a proposé un débat à la Nouvelle Armée... Un débat télévisé... J´ai tout de suite su que c´était un piège mais eux ils ont eu l´air de croire que ca pourrait peut-être épargner des vies. Et puis on s´est très vite aperçu que ce n´était qu´une vaste mascarade quand une balle a traversé la tête de Herr General."
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"Pardon, demandais-je, mais c'est qui, Herr General ?
-Peu de gens connaissent son nom, et ceux qui le connaissent sont bien souvent déjà morts. Il est avec Hoenn. Un maniaque des règles militaires, un peu agaçant sur les bords mais un tacticien de guerre hors pair... Enfin, tout ça c´était avant qu´il ne meure... En tout cas, ils vont être sacrément embêtés...
-Pour quoi ?
-Ben pour écrire un nom sur sa pierre tombale pardi !"
Les autres personnes autour de nous éclatèrent de rire ("Imaginez la stèle: Herr Général, aussi raide une fois mort qu´il l´était déjà quand il vivait encore" lança un des clients) Une faillit même s´étouffer en riant dans sa bière... Mais devant mon air consterné, Tommy se ravisa.
"Désolé, mais on vit la guerre tellement souvent qu´on a appris à la tourner en dérision... C´est le seul moyen pour tenir.
-Sans doute, je vous comprends... Et pour les autres ? Ed, Pierre ?
-Pierre a réussi a se téléporter, on l´a tous vu en direct live, par contre pour ton copain Ed, ce nom ne me dit rien... Non, il n´était pas sur le plateau...
-Ouf, pas de pertes...
-Attends, me corrigea le géant, c´est pas fini. Le débat c´était que le début,... Depuis minuit, heure locale Hoennique, Sento a déferlé sur le continent. La guerre est repartie de plus belle, et on n´a aucun signe de vie de la Nouvelle-Armée depuis..."
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Je m´affalais sur un siège sous le coup de la douleur psychologique... Disparus, tous... Celà voulait-il dire qu´ils étaient... morts ? Tous ?
"Je ne sais pas s´ils sont tous hors-course, termina Tommy, mais une chose est sûre, il y´a eu pas mal d´agitations et à leur place, je me cacherais, même si des gens doivent mourir pour ça... Parce que si ce sont eux qui meurent, Hoenn... non, pire, partout, tout sera fichu d´avance...."
Oui, c´était ce que j´aurais fait à leur place... Je n´étais peut-être pas dans leur tête, mais Pierre était un maître Pokémon, tout comme moi... Il savait quand il fallait combattre et quand il fallait admettre sa défaite, pour mieux se relancer derrière.
"Tu veux qu´on reste là un petit moment ? demanda Sophie... Le bateau ne partira que pour midi... et sans moi, il n´ira pas loin.
-Non, il faut que je partes tout de suite, on n´a pas...
-Oh là, ralentis, jeune homme... fit Tommy. Tu ne tiendrais pas deux mètres sur tes jambes. Reste là cinq minutes, c´est ma tournée.
-C´est pas de refus, vous auriez un chocolat chaud ?
-Ah non, pas de ça maintenant, c´est pas ça qu´il te faut..."
Il nous laissa un instant et de dessous le bar, il sortit une bouteille pleine d´un liquide inconnu. Sous mon nez, il remplit un verre à moutarde à ras-bord.
"Tiens, ça, ca apaisera tes tracas."
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Du verre émanaient des odeurs plus que fortes. C´était de l´alcool à brûler au bas mot... 400 degrés minimum... Mais par politesse, je ne pouvais refuser. Je pris le verre dans ma main et d´un geste, je le renversais dans ma bouche.
"C´est ça, petit, cul-sec !"
Je n´ai jamais bu de détergents dans ma vie, mais ce verre a du avoir le même effet sur mon tube digestif. Brûlant tout d´abord mon gosier, il laissa ensuite une sensation de chaleur et de... propreté dans mon ventre... Mais ce n'était rien comparé aux vapeurs. Un shoot aux vapeurs d'alcool vous met à terre bien plus vite que l'ingestion du verre lui même. Et croyez-moi, il arrive un degré d'alcool à partir duquel ca fait mal aux facultés mentales.
"Ca vaut son pesant de cacahouètes, n´est ce pas ? Fabrication maison, un demi-litre de vodka, un quart de wisky, et un autre de vin chaud. De la poudre de piment pour relever le tout et un dé à coudre de jus de pomme pour donner un peu de goût..."
J´avais bu ça ? D´accord, je pense qu´il n´allait pas falloir tarder, sinon en plus d´oublier ma peine j´allais bientôt oublier comment marcher correctement...
"On sent bien la pomme... fis-je sans plus aucune voix tellement la mixture m´avait assomé sur le coup.
-C´est ça, mon gars, maintenant, tu fais partie des grands alors profites-en, l´alcool est, avec les femmes, bien sûr, le seul privilège que Dieu a donné aux hommes sur cette Terre.
-Bon, ben je crois qu´on va y´aller avant que notre nouvel "homme" ne soit assez ivre pour alerter les gardes, conclut Sophie."
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Tommy nous remercia de notre visite et nous souhaita bonne chance dans notre aventure.
"Si tu es si costaud que je l´espères, repasses un jour par ici, je serais ravi de te payer un autre petit coup...
-On y pensera, Tommy, fit Sophie en me tirant presque derrière elle...
-Désolé, Sophie, fis-je avec le peu de conscience qu´il me restait encore, j´aurais du dire non... Mais la politesse.
-Moi aussi j´aurais du te dire non, mais un: c´est le boulot de tes parents et deux: je préfères que tu comprennes les effets d´un alcool bien corsé chez un ami plutôt que chez un ennemi qui pourrait te soutirer des informations une fois ivre. Et la politesse, comme Tommy l'a dit, c'est parfois à mettre de côté.
-Et trois: me laisser découvrir par moi-même les effets de l´abus d´alcool, n´est ce pas cap´tain ?
-T´es peut-être raide mais t´as encore de la jugeotte toi."
Mes yeux fonctionnaient encore correctement et j´arrivais avec l´appui de Sophie à avancer droit. Mais j´étais comme sur un nuage, loin du monde. Devant moi, les gens semblaient distants... loin...
Par erreur, je bousculais un homme un peu plus âgé que moi, en pull rouge. Je grommelais des excuses mais ma bouche me lâcha. Du coup, il me regarda d´un oeil mauvais... Il se passa ainsi plusieurs minutes et le bateau semblait toujours aussi loin...
"On arrive bientôt ? demandai-je.
-Plus qu´une centaine de mètres. Il est temps, moi aussi je n´en peux plus."
Sophie me guidait, alors j´en profitais pour regarder derrière. L´homme au pull rouge était à distance de nous, mais il semblait qu´il m´en voulait pour tout à l´heure... Ou alors, il m´aurait reconnu ? Oh non, pas maintenant.
"Sophie... Derrière... le garçon au pull rouge... Il nous suit.
-C´est ça c´est ça, j´y penserai."
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Quelques minutes plus tard, j´entendis sous mes pieds un bruit métallique, preuve que nous avions atteint la passerelle du bateau. Sophie me confia ensuite au soin d´Antoine qui passait par là...
Elle s´éloigna de moi et en quelques secondes elle quitta mon champ de vision très réduit. Mais en regardant derrière moi, je reconnus le pull rouge... On nous suivait, c´était certain...
"Toine... arretoi !
-Oui, d´accord, je m´arrête, mais ne vomis pas sur mes chaussures, s´il te plaît.
-Nan, pas envie dvomir... Jdois tparler...
-Je t´écoute, mais je crains le pire.
-Le garçon avec le pull rouge...
-Y´a personne avec un pull rouge ici...
-Nan, sur les quais..."
Antoine se pencha par dessus la rambarde.
"Oui, le gars qui parle au soldat ? "
Qui parle au soldat ? Bien que j´étais passablement amoché, mes connexions neuronales firent leur travail avec certes plus de temps, mais le résultat qui sortit fut implacable.
"Kekun... Rah... Quelqu´un sait... Le gars en rouge, il sait qu´on est à bord... Et je crois qu´il m´a reconnu..."
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J´avais utilisé mes derniers neurones encore non imbibés d´alcool pour cette phrase. Je ne tenais presque plus debout et ma vision se floutait par moment.
"Allez, arrête tes délires, tu sais que la parano c´est normal quand on est un peu dans les vappes, on comprend pas tout ce qui se passe autour de soi alors on se fait des films..."
Cependant, en me relevant, je jetais un dernier coup d´oeil derrière moi. Le pull rouge bougea... Un dernier effort de netteté... Là ! Maintenant, je voyais que le jeune homme en rouge indiquait notre bateau au garde et avait le doigt pointé sur moi...
"Et là, j´ai rêvé ou il m´a montré du doigt ? demandais-je à Antoine.
-Je crois que j´ai vu la même chose que toi, fit-il inquiet... et c´est ça qui me préoccupe. Je vais demander à Sophie de partir au plus vite, mais d´abord, dans ta cabine, je ne veux pas te laisser seul dehors dans ton état."
Je me rappelle vaguement avoir grimpé des marches, avoir vu la porte d´une cabine s´ouvrir... Une cabine dans laquelle j´avais vu le visage de Silver... Et allongé sur mon lit, la matinée défila devant mes yeux comme, dit-on, celà se produit juste avant de mourir...
Dans ma petite mort, je revis un grand homme qui me versait un liquide dans un verre, je revis une scène dans laquelle un homme prenait une balle dans la tête, une autre, imaginée cette fois-ci, dans laquelle toute la Nouvelle-Armée était à terre... Je m´endormis avec l´image d´un pull rouge me montrant à un soldat... Le sens se comprenait vite. J´étais bourré, pas stupide... On avait été repérés...