Zut, des contrôleurs!
On avait de plus en plus de mal à soulever nos pieds. On avait si peu d'énergie qu'on se sentait glisser dans le sol. Hoot hoot - il répétait tout le temps ça, alors Lucy l'avait baptisé ainsi - se mit brusquement à agiter ses ailes en piaillant, et sa maîtresse, qui comprenait mieux que moi le langage des bêtes, baissa les yeux. Elle gémit :
« Karine, rega-arde…
- Hein? »
Sous nos pieds, il y avait plein de boue. Il y en avait tellement que l'on s'enfonçait dedans, et ça paraissait plutôt profond. J'essayai de me dégager… Impossible. Et le piaf, plein de bonne volonté, tentait de tirer Lucy vers le haut, mais la seule chose qu'il réussit à faire, c'est de lui arracher quelques cheveux. On était coincées!
« A l'aide!! Cria judicieusement la protectrice des piafs stupides.
- Oui, à l'aaaiide!!
- Au secours!!
- On est bloquées!! »
Comme personne n'arrivait, je décidai d'employer les grands moyens :
« ON EST DE JOLIES BLONDES EN DETRESSE!!!
- Mais qu-qu'est-ce que tu racontes !? »
La jeune fille innocente rougissait de honte, quand on entendit non loin de là :
« Où ça les canons?
- Tu vois Lucy, heureusement que je suis là! ON EST ICIII!!
- Oh non, il a fallut que ce soit un mec qui nous entende… »
En effet, un petit homme rondouillard au crâne légèrement dégarni avançait vers nous. Il portait une drôle de combinaison, genre nettoyeur des cages du zoo ou autre chose. Ses petits yeux noirs pétillèrent en nous voyant.
« Eh ben oui, d'vraies blondasses! Moins douées qu'vous, y a pas!
- Sympa, le hobbit, marmonnai-je, vexée.
- Vous aurez pu vous dégager toutes seules, en tournant sur vous-mêmes! »
Lucy, plus confiante que moi, s'exécuta en première et, surprise, l'astuce loufoque marcha. Dès que nous fûmes à sa portée, le bonhomme nous tira par les manches de nos immondes loques et nous passa des menottes. Je me hâtai de protester :
« Mais ça va pas ou quoi?!
- Hi hi, qu'est-c'que l'patron s'ra content quand moi, Basile, c'ui dont tout l'monde se moque, aura enfin ram'né c'te satanées voleuses de pokémons! Vais avoir une promo, enfin! Fini, l'sale boulot de contrôleur du fichu marais!! »
Le piaf nous suivit tant bien que mal tandis que je m'exclamai « Et zut! »
On était toutes penaudes en face du gardien du Grand Marais, visiblement un titre de prestige, qui écoutait nos explications vaseuses sans grande conviction.
« Vous voyez, nous expliqua-t-il pour la énième fois, le problème, euh, c'est que trop de gens font comme vous en s'imaginant que deux ou trois pokémons en moins, euh, ce n'est pas grand-chose. Mais certaines espèces ici sont en voie de disparition, euh, vous voyez? Il faut les protéger, vous voyez?
- Mais puisqu'on vous dit qu'on est pas des voleuses! M'exclamai-je, énervée.
- Monsieur, s'il vous plaît, implora mon amie, on est fatiguées, on a froid et on a mal aux pieds!
- Mais, euh, c'est qu'on ne peut pas faire d'exceptions, vous voyez? »
L'homme était visiblement très embarrassé.
« C'est que, euh, je connais une dame qui accueil chez elle des SDF pour les aider à trouver du travail, euh, vous voyez?
- Oh monsieur, on sera extrêmement utiles à la société! Nous exclamâmes-nous, toutefois perturbées par la mention « SDF ».
- Et, euh, il faudra être gentilles avec Mme Dubuisson, euh, vous voyez?
- Oui monsieur! »
Le gardien nous fit signe de le suivre et nous allions sortir quand le contrôleur, appliqué à sa tâche, lança :
« Mais, chef! C'sont rien qu'des canailles! Y faut les mettre en taule! »
Notre guide bienveillant se retourna, considéra son subordonné avec étonnement puis se tourna vers nous pour nous demander :
« Euh, quel âge avez-vous?
-14 ans, monsieur, dis-je sur un ton de petite fille modèle.
- 13 ans, renchérit Lucy.
- Elles sont jeunes, vous voyez? Je pense que, euh, les enfants ne méritent pas la prison, euh, vous voyez? »
Le petit homme grassouillet se renfrogna et abandonna. Notre bienfaiteur nous conduisit à l'extérieur de son bureau et nous fit entrer à l'arrière d'une fourgonnette aux couleurs de son uniforme. Le moteur crachota, puis le véhicule démarra. De sa place au volant, le gardien nous lança :
« Installez-vous confortablement, euh, la nuit va être longue, vous voyez? »
Nous nous assîmes sur des caisses en bois qui se trouvaient là, et ne me sentant pas prête à dormir, je demandai à mon amie :
« Alors, comment es-tu arrivée là? »