Nuit de glace
Il faisait toujours sombre, mais je sentais que mes yeux ne tarderaient pas à s'y acclimater cette fois-ci. L'air était froid et humide. Il y avait comme une odeur de… moisissure. Mais où donc étais-je tombée?
Je distinguai finalement les contours de barreaux devant moi. L'endroit me faisait penser aux cachots d'une vilaine sorcière. En tendant l'oreille, je parvins à discerner un petit « ploc » régulier de gouttes d'eau qui devaient tomber du plafond. Et soudain, j'entendis une respiration…
Je voyais suffisamment bien maintenant pour distinguer l'homme qui me faisait face. Il était de l'autre côté des barreaux, et je devinai bien que c'était moi la prisonnière. Il avait un trousseau de clefs dans sa main. Pourtant j'étais sûre que ce n'était pas un geôlier, et je ne me trompais pas.
« Viens avec moi et ma bande, on s'enfuit! Me lança l'inconnu. »
Il déverrouilla la porte et je le suivis, sans chercher à comprendre. Nous marchâmes tous deux dans une espèce de couloir pendant un moment, où nous passâmes à plusieurs reprises devant d'étranges cristaux lumineux incrustés dans le mur. Nous finîmes par déboucher sur l'entrée de ce que je décidai d'appeler une grotte. Il y avait d'autres gens, probablement ladite bande. Ils étaient tous en haillons, mais je remarquai alors que mon jean et mon t-shirt avaient disparu : les frusques que je portais étaient elles aussi sales, déchirées, puantes et de nature douteuse.
C'est alors que je commençai à avoir envie de entrer chez moi. Toutefois, je n'eus pas le temps de me lamenter : toute la populace s'en allait sans moi, me laissant seule dans le froid et l'obscurité. Je me hâtai de les rejoindre, et je déboulait alors sur la forêt… Il y faisait encore plus froid. A certains endroits, la lueur argentée de la lune transperçait la masse des arbres tordus, comme torturés. Le bruissement des feuilles d'un noir d'encre donnait un caractère vivant au bois. Parfois, le hululement d'une chouette dissimulée par la nuit nous faisait sursauter, et des yeux rouges perçaient l'ombre, disparaissant trop vite pour qu'on les sache réels. Une odeur de ténèbres maudites flottait dans le vent glacé. Les buissons nous jouaient des tours tant ils semblaient avancer, nous encercler… Les doigts crochus des vieux chênes nous attrapaient les vêtements au rythme de la brise… C'était terrifiant. Dans le groupe, certaines personnes battirent en retraite dans la grotte, tout tremblants de peur. Une fille visiblement de mon âge semblait hésiter : elle jetait des regards angoissés de tous les côtés, ne trouvant aucune solution préférable. Moi-même pas très rassurée, de décidai d'aller la voir.
« Salut, chuchotai-je, intimidée par l'immensité de l'endroit. »
Elle sursauta et dirigea vers moi ses yeux bleus terrifiés. Elle émit un vague « b'jour » presque inaudible.
« Tu sais où on est? continuai-je. »
Elle secoua négativement la tête et recommença à scruter les profondeurs de la nuit.
« Et sinon… hasardai-je. »
Elle me regarda à nouveau, et son léger mouvement de tête fit ondoyer ses longs cheveux blond platine.
« Je pensais qu'on pourrait essayer de se sortir de là ensemble, parce que… Tu sais, l'union fait la force et… Et tout ça… »
Je me tus et me mis à me ronger les ongles, attendant son verdict.
« Pourquoi pas, me répondit-elle d'une voix douce et timide. Et puis je crois que les garçons ne nous ont pas attendues. »
C'était vrai. Ils avaient tous déguerpi.
« Bon, bah, on va par où? Demandai-je intelligemment à ma nouvelle amie.
- Là-bas, on dirait on chemin. Mais il fait tout noir, on devrait peut-être attendre que le jour se lève…
- Sûrement pas! Aller, viens! »
Comme elle ne paraissait pas convaincue, j'ajoutai :
« Moi, je suis une pro de la forêt! »
C'était, bien entendu, totalement faux.
« Au fait, je m'appelle Karine, et toi?
- Moi c'est Lucy. »
Cela faisait bien une heure que nous marchions, et on commençait à être fatiguées. Je bâillait, elle aussi, quand soudain, on entendit un grand « splaf! » : quelque chose, une espèce de boule, était tombée devant nous. Ça avait des plumes et c'était tout ébouriffé. Après moult gigotages, la chose réussit à se mettre sur pieds. Sur un pied, même. La bouboule s'avéra être l'énorme tête de ce qui devait être un oiseau. Il y avait un petit bec et, juste au-dessus, deux grands yeux. Deux grands yeux oranges qui nous scrutaient, et un air sévère donné par d 'énormes sourcils noirs. La ridicule créature s'équilibrait grâce à deux toutes petites ailes, qui ne devaient sûrement pas lui permettre de voler. Et pour finir, on distinguait trois plumes en éventail en guise de queue derrière cette erreur de la nature.
« Hoot! Hoot! »
Ainsi, c'était la race de hiboux du coin. Pauvre petite chose. Lucy, elle, paraissait enchantée :
« Ooooh comme il est drôle! A ton avis, il veut quoi?
-Nous embêter probablement… Je ne vois pas de quoi d'autre il pourrait être capable. »
La créature parut vexée : elle s'envola laborieusement et zigzagua en ma direction… Pour aller s'écraser contre mon front. Puis elle tomba au sol comme une pierre avec un regard de shooté, tandis que je vacillai et tombai en arrière. Sur les fesse, ça faisait mal! Lucy se précipita, non pour m'aider à me relever, mais pour secourir la pitoyable petite chose. Une fois redressée, je soupirai à la vision du monstre pathétique dans les bras de sa « maman ».
« Dis, ça te gène pas si je l'emmène avec nous? me demanda innocemment mon amie.
- Nan, nan, pas du tout…
- Hoot! Hoot »
De sa place, le piaf me narguait.