Son Dernier Mot
Depuis quatre semaines, l'école avait commencé pour Félin. Mais son envie d'y aller avait cessé deux jours après qu'il ait obtenu son Evoli. C'est tout à fait raisonnable de faire passer son pokémon de compagnie avant les devoirs, pensa-t-il. Mais n'allait-il pas avoir des ennuies pour les mauvaises notes qu'il allait obtenir ? Peu importe se disait-il. Du moment qu'il arrivait à bien dresser son pokémon, le reste lui importait peu, tout du moins, pour l'instant.
Son professeur s'inquiétait. Elle dut convoquer les parents de Félin pour en parler un peu. Pendant que Félin et son frère adoptif s'entraînaient à se battre avec leurs pokémon, leurs parents s'étaient rendus à l'école de Félin pour en savoir un peu plus des inquiétudes données brièvement au téléphone par son professeur.
- Merci d'être venus monsieur et madame Verrik, dit-elle réconfortée. Ce travail si … incompréhensible, si imprécis, ne ressemble pas du tout à ce qu'il dit en classe ! Tenez, regardez, tendit-elle. Ses trois premières notes sont catastrophiques. En revanche, les cours sur les pokémon, il les réussit plutôt bien.
- Que pensez-vous de cela mademoiselle ? demanda le père de Félin (elle haussa les épaules avec un gros soupire). Je savais qu'on allait avoir des petits problèmes avec ce gamin, dit-il enfin après deux minutes de silence. Enfin, continua-t-il après que sa femme l'ait regardé d'un air "c'est toi qui voulais un fils moins parfait, je te rappelle", des petits problèmes mais fallait que ça commence par les cours !
- S'il te plaît, chéri ! Tu étais le premier à le vouloir dans la famille. Tu le trouvais amusant, innocent et câlin. On peut l'aider, je suppose, soupira-t-elle.
Le professeur et le père de Félin se jetèrent un regard comme si tout cela était sans espoir. Soudain, Drew se leva et dit à son mari :
- Chéri, on doit parler de tout cela à Félin pour résoudre ce problème au plus vite. Si dès la primaire, il a du mal à s'en sortir, qu'est-ce que ça serait au lycée ?
Elle prit le bras de Preston et se précipita chez elle, sans même dire au revoir au professeur de Félin.
- Pourquoi te précipites-tu comme ça ? demanda Preston à sa femme une fois dans la voiture. Un enfant qui a des difficultés, enfin je veux dire, moi aussi j'en ai eu…
- Oui, ben ce n'est pas le moment de te comparer à cet enfant ! interrompit Drew. Le professeur a dit qu'à l'oral, il parlait à merveille. Les tournures de ses phrases, le vocabulaire.. d'ailleurs comment sait-il tout ça ? Non, j'irai lui demander moi-même, dit-elle en s'agrippant davantage au volant.
En arrivant devant leur jardin, ils virent Déz allongé sur l'herbe et sur lui, Félin avec les mains autour de son cou. Pris de panique, ils se hâtèrent de descendre de la voiture. En courant, ils entendaient des rires et un « je t'ai bien eu ». Sur place, ils comprirent qu'ils ne faisaient que de s'amuser. Le père était inquiet des premiers gestes de Félin : d'abord l'école. Il en avait strictement plus rien à faire pensa-t-il. Ensuite des jeux de combats ! Mais avant qu'il ait eu le temps de conclure quoi que se soit, sa femme l'interrompit en lui disant avec un sourire jusqu'aux oreilles :
- Ce n'est pas magnifique ça, Preston ? Dire qu'au début Déz acceptait mal la présence de Félin, dit-elle en oubliant l'inquiétude qu'elle avait par rapport aux notes de Félin. … Dis tu m'écoutes ?
- Hein ? Euh… oui ! Mais tu ne trouves pas que Félin réagit de plus en plus bizarrement ces derniers temps ?
- C'est qu'un enfant, Preston ! Arrête de t'angoisser, le rassura sa femme. Laisse-le vivre un peu. Moi, la seule chose qui me préoccupe c'est la santé de ces deux enfants ; Tant qu'ils vont bien, je ne me soucierai pas davantage.
Preston se demandait si elle ne se contredisait pas elle-même. D'un coup elle voulait une réponse concrète vis-à-vis de ses notes et tout de suite après elle changeait d'avis ! Mais il pensait qu'elle avait tout de même raison : s'en faire de trop n'était pas bon pour la santé de toute façon se dit-il. Cependant, il avait tout de même préféré, après quelques minutes de réflexions en regardant Félin qui avait toujours le dessus sur Déz, une discussion avec son fils adoptif pour être sûr de bien régler le problème, et ainsi éviter les malentendus.
Au dîner, comme d'habitude, Félin mangeait avec ses mains. Bien que ses parents adoptifs avait tenté de lui apprendre à utiliser des couverts pour manger à table, Félin était bien plus adroit avec ses mains. Sa nature féline avait pris le dessus sur ce point-là se dirent-ils et ils avaient donc décidé de ne pas le changer et lui laisser agir ainsi. Effectivement, au moment de l'adoption, Preston et Drew savaient parfaitement que Félin était morphologiquement pas un humain à part entière. Les médecins et les vétérinaires avaient conclus que cet enfant était composé de cellules humaines et de cellules félines. Ils avait appris également qu'il n'y avait pas forcément de cellules dominatrices et que l'éducation allait jouer beaucoup sur son comportement futur. Mais apparemment, ses parents avaient tout de même l'impression que son instinct félin était plus souvent présent que l'humain. Comme ce soir-là, Félin avait le droit d'être accompagné d'Evoli pour dîner sans trop avoir eu besoin d'insister. Drew et Preston résistaient mal aux souhaits de Félin. Son regard les hypnotisait presque à chaque fois.
En voyant Evoli qui avait bien grandi depuis, Drew félicita Félin de son bon dressage. Preston, étant le seul à vouloir interroger Félin sur son comportement, ne pouvait aborder le sujet sans que sa femme ne lui fasse une réflexion sur son doute. De plus, il ne voulait pas faire d'histoire. La paix dans leur maison y résidait depuis deux générations et la troubler le rendait un peu maladroit vis-à-vis de cette « tradition ». De plus, le rire de cet enfant complétait l'ambiance familiale qu'il avait toujours souhaité avec quelques paroles maladroites parfois qui animaient davantages les sourires des deux autres membres de la famille, et lui-même. Il dut donc perdre son courage et finir ce qu'il restait dans son assiette.
Après le repas, Preston mit Déz puis Félin au lit pendant que sa femme se douchait. Pendant trois secondes, il crut avoir le courage d'en parler avec Félin avant qu'il aille se coucher. Mais l'innocence reflétait dans ses yeux et le « bonne nuit mon p'tit papa » avait complètement adouci Preston. A son tour, il lui souhaita bonne nuit et l'embrassa sur son front. Félin lui prit par le cou avec délicatesse (comme un expert) et lui murmura « je t'aime » accompagné d'un léger ronronnement. Son père, ému par l'amour de son fils, se laissa envahir du plaisir qu'il prenait à être aimé par son enfant qui n'était pourtant pas le sien. Même son enfant ne lui avait jamais dit cela, pensa-t-il : Déz avait parfois bien raison d'être jaloux de Félin ! Après ce câlin inoubliable, il laissa son fils adoptif (que lui considérait comme son propre fils) dormir et partit se coucher à son tour en comprenant mieux comment sa femme avait pu céder à demander des explications à Félin même sous l'emprise de la colère cette après-midi.