6) Guérir avec quelqu'un ... bénéfique ?
Une assiette faisait face à Elise. Elle était peu remplie, mais c'était déjà un énorme effort pour la jeune femme d'avaler tout ça. Son visage tendu qui se débarrassait peu à peu de sa pâleur maladive se tourna vers un homme en blouse blanche.
« - Je dois vraiment manger tout ça ?
- Vous savez, vous avez fait des progrès. Vous ne pouviez plus rien ingurgiter avant. Forcez vous un peu, mais pas trop. Il ne faut pas que manger soit un exercice difficile pour vous. »
Facile à dire ... se dit Elise. Elle saisit sa fourchette, piqua un petit morceau et l'approcha de ses lèvres. Elle avala avec difficulté, sa gorge toujours un peu irritée la faisant souffrir.
« Continuez. Pour vous. »
- - -
Keippaku venait régulièrement rendre des visites à Elise. Cette dernière était assez froide avec l'adolescent, car le souvenir de sa main giflant la joue de celui-ci était ... assez honteux. Elle s'en voulait, et n'arrivait pas vraiment à donner des formes à ses sentiments. Ruminant ses soucis dans son lit, elle sursauta lorsqu'elle entendit une main se poser lourdement sur la poignée de la porte. Celle-ci semblait indécise. Pas sure de pouvoir affronter la femme malade qu'il y avait derrière. Pas sure d'avoir les forces pour combattre ce sentiment de culpabilité. Elise entendit quelques chuchotements, et une voix d'homme grave. Une voix qu'elle connaissait et reconnaissait entre mille.
Enfin, la poignée de bois peint s'abaissa, et la porte laissa apparaitre un infirmier.
« - Je me doutais que ce ne serai pas lui, pensa Elise. »
Mais soudain, elle vit la silhouette de l'homme qui avait parlé derrière l'infirmier. Des cheveux châtain clair en désordre. Des yeux marron foncé, presque noirs. Un visage aux traits tirés. Une cravate dénouée qui pendant d'une poche d'un pantalon à pinces. Elise n'avait plus aucun doute. D'un coup de reins, elle se leva de son lit, et enfin, elle pu exprimer ce qu'elle ressentait.
« - Jo … John ! John, John, c'est toi ? Tu es venu ... s'écria t-elle, au bord des larmes.
- Oh, Elise, excuse-moi .... Excuse-moi. »
L'envie de demander à son frère jumeau de la faire sortir de cette prison blanche la tentait. Mais celle de pouvoir enfin se jeter au cou de celui-ci, de tout lui raconter, de reparler de ses souvenirs douloureux, de pleurer, triompha pour le moment. Prenant un air professionnel qui lui venait de son statut, John ordonna aux médecins de le laisser seul avec la patiente. Ceux-ci se dépêchèrent de sortir de la pièce en indiquant bien à John qu'il devait les appeler au moindre problème. Il acquiesça puis s'approcha de sa sœur.
« - Elise ... je m'excuse encore. Tu es dans cet état par ma faute et ...
- Ce n'est pas ça ! Tu n'y es pour rien !
- Mais alors, pourquoi ... pourquoi ? »
Elise ne sut pas trouver la réponse. A la place, elle prit son frère jumeau dans ses bras. Ses larmes cristallines coulaient sur la chemise blanche de John. Ce dernier les remarqua et essuya le visage de sa sœur avec un mouchoir.
« - Elise, raconte-moi s'il te plait. J'aimerais savoir pourquoi.
- Eh bien ... »
La jeune femme peinait à trouver les mots pour expliquer à son frère. Elle formula une phrase dans sa tête, puis reprit :
« - J'ai ce souvenir ... quand nous avions 10 ans ou 9 ans ... et que nous sommes partis ... mais c'est très flou. Et ... je me souviens ...
- De quoi ?
- D'un pokémon ... d'une Delcatty. Tu t'en souviens ?
- Vaguement, oui. Mais pourquoi tu t'es rendue malade comme ça ? Quel est le rapport avec Delcatty ?
- En fait ... »
Sa jumelle lui raconta tout. Dans les moindres détails, même les choses inutiles, futiles. Les souvenirs qui ressurgissaient faisaient mal à John. Il se rappelait leur douleur, leur peur, leurs maigres espoirs ...
« - Mais tout de même, Elise. Ce n'est pas une raison. »
La jeune femme se souvint, sans vraiment savoir pourquoi, du temps ou encore il l'appelait sœurette. Avant qu'il ne soit toujours en déplacements. Avant que son travail ne prenne une place plus grosse que celle de sa famille dans sa vie. Repensant à ceci, elle s'énerva un peu :
« - Si. C'en est une. Tu n'as vécu la même chose que moi. Tu ne peux pas savoir.
- Mais enfin ! J'étais avec toi, nous étions 24h sur 24 ensemble !
- C'est faux ! C'est quand même moi qui t'ai proposé de partir, qui t'a redonné espoir ! Sinon, tu ne serais jamais parti ! Et puis, moi, au moins, j'essayais, avec elle, de trouver des solutions ! Et c'est seulement après que tu as accepté !
- Elise ! Ce que tu dis ne se suit pas ! Tu dois être fatiguée avec ses médicaments, c'est pour ça. »
Elise s'énerva alors vraiment. Son frère niait l'évidence, changeait de sujet. C'était à cause des douloureux souvenirs qui revenaient, mais elle ne le comprit pas comme ça.
« - John ! Arrête ! Arrête de divaguer ! Et d'abord, je ne suis PAS FATIGUÉE ! » Cria Elise en se levant d'un bond.
- Mais arrête-toi ! Tu dois rester coucher, tu le sais bien ! Tu n'es pas remise !
- Tu viens ici pour me narguer, hein c'est ça, tu es libre d'aller où tu veux toi. Tu ne dois pas rester ATTACHE A UN LIT, toi !
- D'abord, tu n'es pas attachée, et je ne viens pas ici pour te narguer ... »
John essayait vainement de raisonner Elise, mais trop tard. Elle était déchainée, et sa colère avait repris le dessus. Elle voulait sortir, ne plus être surveillée sans arrêt, ne plus être comme un animal en cage. Celle-ci agrippa John de ses frêles bras, et l'empêcha malgré son état d'appeler un infirmier.
« - NON ! C'est entre TOI et MOI ! Pas avec un INCONNU ! « hurla-elle en insistant sur les mots.
Mais trop tard. Les cris avaient alerté le personnel qui débarquait dans la chambre et qui immobilisa Elise. Cette dernière chercha machinalement des pokéballs à sa ceinture, et se souvint qu'on lui avait confisqué ses pokémons jugés dangereux à son entrée. Une raison de plus qui faisait qu'elle ne supportait pas l'hôpital.
Les infirmiers administrèrent un calmant à Elise puis demandèrent à John de regagner la sortie. Celui-ci regardait Elise, peiné.
« - Tu me le payeras, John, tu me le payeras. »
Celui-ci jeta un dernier coup d'œil à sa jumelle, puis dirigea son regard vers la porte.
« - Je suis désolé. »
Et il parti sans se retourner, mais avec plein de pensées pour sa sœur dans sa tête.