Il préfère décrire des villes qui ne lui appartiennent pas plutôt que des polynômes cyclotomiquesMais à ma décharge c'est chiant, le cyclo.
Il y a... un an, purée... je parlais de
trois narrateurs pas vraiment très présentables, et je considérais de les étudier. Au final, je ne m'y remets qu'aujourd'hui, et y'en a six. Dans l'ordre, Corbeau, Anguille (ou Sombrero), Frêne (ou Capone), Rouge-Gorge, Ver (ou Borsa), et Guêpe, trois anciens et trois nouveaux.
Je ne donne toujours pas leurs noms, principalement parce que j'ai pas envie et que je trouve ça drôle de les renommer à chaque fois, par contre je peux citer leurs problèmes : le premier a oublié son sens moral dans un tiroir, le second n'en a jamais eu et a quand même réussi à le perdre, le troisième est plus patient qu'une pierre et à peu près aussi utile, la quatrième est complètement insupportable même pour les standards de drama queens de ses pairs, la cinquième veut toujours commettre des crimes de guerre à l'échelle la plus haute possible, et la sixième se bidonne à chaque fois qu'on lui fait confiance juste parce qu'elle a l'air gentille. Je ne m'étais pas rendu compte que je les avais classés, tiens.
Source :
A Practical Guide to Evil, qui a failli me coûter mes partiels l'année dernière, tout ça pour que ce soit un space-op' qui s'attaque à ceux de cette année. (Au fait, Ver ne peut pas s'empêcher de lâcher un spoiler parce que c'est une emmerdeuse, mais c'est trois fois rien. Guêpe spoile aussi, mais pas de façon assez claire pour que ça soit gênant. Et Anguille, c'est Anguille, vous vous attendiez à quoi ? Il appellera ça un foreshadowing et vous indiquera le numéro de son avocat, qui vit apparemment dans une poubelle sur la grand-place et s'appelle Diogènes Sextus.)
Je me souviens de cette ville quand elle n'était encore qu'un bourgeon naissant. Elle est vieille, bien qu'encore bien vive ; assez vieille pour que la poussière amassée sous les toits de ses vieilles demeures ne se souvienne plus de quelle paire de bottes l'a mise là. Ignorez les marchés, les poumons, le cœur battant. Ce sont les pierres qui disent l'âge d'une ville. Les pierres solitaires du quartier blanc, pour elles ainsi nommé. Par décret, une seule carrière peut fournir l'ossature de toute nouvelle maison là construite. Un vieux camouflet de la noblesse, reposant sur la rareté et la blancheur de la pierre pour asseoir sa puissance, et s'assurer que seules les familles assez anciennes pour mériter le respect puissent s'asseoir à Blanchepierre. Orgueilleux, pourtant pas idiot. Avec le temps, la carrière s'est épuisée, sans que la loi ne tombe. Le quartier s'est sédimenté. C'est le sort de toute ville, paralysant d'abord les fondations, et remontant un jour jusqu'aux toits.
C'est bon, l'autre con a fini de radoter ? On s'en bat la race de Blanchepierre, c'est le Puit qui décrit le mieux Laure. La misère, mes bons amis, c'est dans la misère que vous lirez la vérité nue des empires et de leur charogne. On peut sortir du Puit, quoi que ce soit plus facile d'y entrer. On peut aussi y tisser des liens, ce qui est à la fois une bonne chose pour les habitants et une assez mauvaise pour les régents. Si vous n'avez pas peur des rats et de la bierre de pisse (sérieusement, c'est pas dans ce genre de quartier que vous serez content d'avoir un verre à la patte), vous devriez arriver avec un peu de boniment et quelques piécettes (deinarii d'argent, le coin n'est pas assez pauvre pour tourner au cuivre et vous ne
voulez pas leur filer de l'oseille étrangère), vous pourrez vous payer une place dans une arène vaguement souterraine et encourager des glandus qui se foutent sur la gueule. (Ils ne séparent pas les genres, et en vrai aux poings il y a de sacrées teignes dans cette ville : c'est mieux que l'épée si vous êtes du coin, les gens ont le temps de se forger une carrière.) Question indispensable, est-ce que tout ça est légal ? Non. Est-ce que les autorités sont au courant ? Oui. Est-ce que vous les avez payées pour rentrer ? Oui encore ! Voilà, vous savez tout ce qu'il faut savoir. Débrouillez-vous avec le reste et prenez du rab de vieux con radotant.
Le général trouvera étrange l'emplacement de la citadelle, à première vue comme jetée là alors qu'un modeste éperon quelques quartiers plus loin offrait une meilleure position. L'artiste pourra y voir les reflets de l'histoire. Le passé de Laure ne lui a pas donné l'habitude de se reposer sur une citadelle : si les murs tombent, c'est la fin. Et pour les entamer, il faut d'abord mater les forteresses gardant le pays, car Laure n'est pas dans une position faible. Non ; si la citadelle existe seulement, c'est par défi, précisément contre l'éperon où elle n'est pas, et où en vérité l'on a bien peu bâti. Ce sont en fait les restes d'une montagne, soulevée par un millier de sacrifices pointilleux et abattue par un autre. Les habitants ont récupéré ses pierres, jetant celles qui ne pouvaient être sauvées, et se servant des autres pour construire cette citadelle. La marque même des affres passées se fait insulte aux dangers de l'avenir. Alors quoi d'étonnant à ce que le gouverneur étranger se soit installé là ? De peu de valeur militaire, cette ville est un symbole, un symbole en son cœur, et la posséder exige de manier la langue des métaphores.
La ville descend paisiblement vers le nord, un quartier de pêcheurs construit de bois, lançant à toute heure une barque sur le Lac d'Argent. On doit aux nuits remplies de lune d'avoir influencé sa couleur, mais une autre raison nage en l'eau. C'est un poisson mystique : d'une simple écaille de son dos, il fait le bonheur et la chance des sots. Donc, son commerce est allé bon train et forcément, son nombre baissait. Mais un poisson magique se doit de se faire un peu plus malin que la poiscaille qui prolifère et ne peut pas faire un autre choix : il apprit à déjouer les pièges. Aujourd'hui, seul un homme retors pourra l'attraper en premier lieu. Il marque donc toujours la sagesse, en ce que la moindre maladresse est un pêcheur qui perd à son jeu.
C'est une ville qui a ses hauts et ses bas. Vous vous attendez à quoi, quand la plèbe fait confiance à ses envahisseurs avant ses gardes ? En même temps, 'faut les regarder. Les Légions ont établi leur campement aux portes, pas stupide, et dressé une simple palissade de bois autour de leurs tentes. L'aspect fait très miteux, mais il s'agit en fait d'une meilleure défense que les murs de pierre, plus facile à reconstruire et bardée de pièges et d'échardes. Y'a pas beaucoup de couillons qui ont tenté de l'attaquer, et même si la plupart ont bel et bien réussi à pieuter au moins un légionnaire, ils ont tous été pendus ensuite, ce qui est assez proche d'un plantage complet. D'un autre côté, il faut voir les baraquements de la garde municipale : crasseux. Les habitants ne les traitent guère mieux que des rats et c'est réciproque : il faut dire que les gardes sont à la solde exclusive du gouverneur, qui s'engraisse d'autant de flouze qu'il peut en imaginer et étouffe sa ville à petit feu pour des querelles de pouvoir mesquines. En même temps ce n'est pas sa ville, plutôt son fief, et peu lui importe que les gardes se croient tout permis aussi longtemps que les intrigues politiques au pays roulent bien. Il devrait se méfier : il sera pendu avant la fin de la semaine. Son successeur se fera exploser, je crois, et celui d'après sera crucifié. Je l'aime bien, la petite ; elle ne règne pas qu'à moitié comme le vieil effrayé.
Mais pour l'heure, notre histoire et la sienne n'a pas commencé. Elle n'est encore qu'une fille de bar et une orpheline, courant de ci de là entre le Puit et les quartiers plus respectables, ramenant son maigre salaire (et ses mises significatives) à la Maison qui l'abrite. C'est un bâtiment neuf, pas bien recherché, mais pas encore aussi brut et épuré que le sont les entrepôts où d'autres contrées rangent leurs compétences. On l'a construite il y a vingt ans et elle commence à s'éveiller : ses parquets grincent un peu, ses volets claquent parfois, les bâillements d'un dormeur qui s'éveille et se prépare à une veille longue de plusieurs siècles. Car elle endurera, cette Maison. Laure s'est vue apprendre que chaque âme errante est précieuse, et elle ne va pas tarder à comprendre que chaque âme perdue est dangereuse. Dans les pas pragmatiques mais bienveillants de cette Maison, marchera une dynastie qui prendra garde de ne jamais oublier d'où elle vient.
Alors débutons ce conte, avec un couteau dégaîné après minuit et un coup de poing atterrissant vers dix-huit heures...
Article ajouté le Mercredi 27 Septembre 2023 à 19h17 |
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