Qui veut manger du verre pilé ?
Je dédie ce titre aux professeurs de français et autres psychologues du dimanche. C'est pas pour rien qu'ils font des études, enfoiré !
Bref. J'ai récemment découvert le concept de Palais Mental (Dans la mnémotechnie, pas dans Persona, ignare.) Et je l'ai trouvé très interessant, quoique l'adpatant à ma sauce. J'ai donc sélectionné quelques souvenirs, mais aussi quelques concepts/trames de chaque année de ma courte vie pour en faire un texte ridiculement pompeux et torturé. Pas taper, j'étais en pleine crise dépresso-anxio-emo-"l'humanité c'est de la merde le monde n'a aucun sens toutes mes certitudes sont fausses j'vais me taillader les veines éloignez moi des fenêtres" (Le pire c'est que c'est vrai ; mais il y a être mal dans sa vie et le penser, et être mal dans sa vie et faire des grands smiles en se parodiant entre guillemets ;) qui, vous en conviendrez, est plus fun.)
Ahem. Le texte (Z'avez qu'a imaginer que tout le reste est en anglais mais que "le" est en français, comme dans un ragecomics. Oui ça fait pitié, balaras.)
[Vous êtes encore là ? Sérieusement ? Vous devriez prendre de la mélatonine. ]
***
Quelque part, au cinquième étage d'une bâtisse creuse. Un jeune homme descend les escaliers. Ses jambes sont emmaillotées de de nylon, ses mains piégées dans la dentelle comme des araignées mortes dans leur toile. Une trait blafard souligne son regard paisible, ce regard qui déconstruit, analyse et reforme les gens et les idées, ce regard perçant qui gèle les failles pour les faire éclater.
Du moins, c'est en ces termes que les autres le décrivent. Ceux qui vivent dans sa tête et dictent sa conduite. Oh, pas des voix, rassurez-vous, plutôt une multitude de consciences muettes jamais d'accord entre elles, qui s'entrechoquent et se disputent comme autant de coups de couteau assénés à leur hôte.
Les escaliers sont courbes, enroulés sur eux-même comme un serpent ivre. Ils descendent, s'enfoncent dans les entrailles d'une terre stérile, ils creusent le sol au fur et à mesure qu'il les descend. Il doit se souvenir. Les choses ne sont réelles qu'une fois nommées ; il en est de même pour ce qu'il ressent. Ses émotions doivent passer par les mots.
Premier étage. Une ébauche de lieu, à peine une cavité crayeuse bariolée de pastels, une perle vide bourdonnante d’innocence et dans laquelle résonne le bruit lointain d'une clochette. Un couffin protecteur sans fenêtre, la coquille d'un œuf à peine conscient. Pourtant, des paroles emplissent déjà l'air quasi centenaire.
Deuxième étage. Rien. Une porte fichée dans le béton sans lendemain. Aucune idée.
Troisième étage. Une grande cour de récréation peuplée d’étincelles, un rectangle de béton aux coins badigeonnés de gomme. Au fond, un petit jardin en friche dans lequel reposent trois oiseaux morts. Au centre, un canapé surplombé d'une petite toiture bancale ; quelques amis sont assis dessus. Des poteaux de béton colorés s'élancent vers le ciel en diagonale, lances rouges et jaunes qui vont percer le toit bleu. Les formes sont simples, les mots peu nombreux, les idées ne restent pas longtemps.
Quatrième étage. C'est une grande salle de classe, aux murs bleus ciels et aux larges baies vitrées qui déverse une pluie de lumière sur des livres. Des livres par centaines, par millier, des livres aux pages épaisses et aux couvertures pailletées, des enseignes de magasins, des lettres partout, qui se forment, s'attachent, s’emmêlent et hurlent leur message toutes en même temps. Des feuilles jonchées de signatures maladroites maculent le sol, un même nom répété mille fois au bout du feutre noir. Une cloche sonne.
Cinquième étage ; c'est un film. Il fait sombre. Quelques personnes sont assises sur les chaises devant l'écran, les yeux rivés sur rien tandis que des images sourdes se projettent en boucle. Des bancs, des mains qui se lèvent, un immeuble peint en arc-en-ciel et un vieux magazine de mode. Une silhouette ne regarde par le film, son dos épais courbé pour tapoter la tête d'une petite fille dont les élastiques sont plus épais que les couettes. Étoile de néons rouges ; box et moquette noire. Clichy.
Sixième étage. Mépris. Ennui. Une autre salle, aux murs verts en crépi arraché par le croassement des élèves. Les mains se lèvent pour réentendre ce qu'on a trop dit. Soupir. Au sommet d'une armoire placardée d'adjectifs, un classeur attends pour tromper l'ennui, mais c'est faux. Ses pages sont remplies de sons déjà connus et d'idées déjà comprises. Un appartement ; une chambre grande comme un placard, une fenêtre fermée et trois personnes qui pleurent. Chose stupide, à vrai dire : il n'habite déjà plus ici.
Septième étage. Quarante-deux pages de dragons maladroitement gribouillés, reliés par un brin de laine et une couverture de papier, le blanc de leurs pages soigneusement consignés de chiffres et de mots mal agencés. Une petite fille blonde aux yeux noisettes qui réussit en tout. Amertume futile.
Huitième étage. Une scène de théâtre, noire, entourée de gradins désormais familiers. Un amoncellement de corps beiges et bruns au centre comme une masse de chair fondue, bras sur torse, tête sur pied, yeux fermés et souffle léger, les habits bicolores tranchant trop fort sur les murs obscurs. Quelques mains qui cherchent, qui soulèvent, qui appellent, un chant contre la propriété s'élève. La Terre est rouge.
Neuvième étage. C'est un opéra, cette fois. Des enfants entrent et sortent par les grandes portes, vêtus de couleurs folles et poussant de petites trilles. Une bannière monte à gauche. Une dispute éclate ; la portière de la voiture claque, les routes défilent, le silence s'étire, une déposition est vomie par l'imprimante cassée. Deux jours en avance.
Dixième étage. Il fait trouble ; des vapeurs de conscience tourbillonnent dans un vieux séchoir ou discutent deux filles en smoking et quelques garçons en dentelles tandis que le vent fait voler les cartons contre la vitre du soupirail. Redda Toxique ; une main sur la hanche, un sourire vicieux, rire des camarades. Je t'attends à la sortie.
Onzième étage. Chacun chez soi au fond de son écran ; mèche grasse sur l’œil et expulsion du serveur. On rigole, on rigole, chaque jour les morts s'abattant à leur compteur sinistre. Une console à la main, la nuit tombe et une chouette hulule. L'ordinateur s'allume. Idées noires sur dossier blanc ; un pigeon mort s'empale à la fenêtre.
Douzième étage. C'est une boîte, scellée d'une paire de ciseaux et plantée d'un ruban en lapin. Gémissements d'agonie sur piano - Max Richter joue le requiem. Réclusion. Autour, les autres tombent. Personne n'en sortiras indemne ; chaque semaine une famille est brisée. Ils disjonctent, s'agitent, la violence éclate. Rabelais n'y est pour rien. La Crise n'y est pour rien. La Crise est le quotidien, la génération est sacrifiée, dépecée, envoyée au front d'une guerre perdue d'avance contre les erreurs du passé. Les bandes de certain drapeau volent au vent, séparées par l'amitié.
Le jeune homme descend encore. Incertain.Il n'y a plus rien d'autre après qu'un puits noir, sans fond, un puits tordu comme ses idées et lisse comme son visage. Il s'ennuie, s’assoit sur les marches, mains martelant frénétiquement le clavier plat face à l'écran basse qualité, les rondes d'une boite à musique grinçant aux écouteurs. Malgré toutes ces bouteilles de rhum, tous les chemins mènent à la dignité. Lui n'en est pas sûr. Lui penses très bien savoir comment tout cela va se terminer. Un an. Un an qu'il se prépares à cette annonce, ce message, ces trois mots au fond d'une boîte mail, un an qu'il a peur d'échanger et de recevoir, peur de maintenir ce lien si ténu qu'il a passé des années à déconstruire en fuyant le téléphone. Ghost.
Et aujourd'hui, il recommence. Alors, il s'abandonne au clavier, laisses une partie de lui filer au bout de ses doigts, il se laisse ressentir à travers les mots, ignorant des larmes invisibles qui coulent de ses yeux, causées par la douleur de celles, bien pire, qui lui rongent la gorge à l'acide depuis des années. Une boule, une pointe, un poignard, un nœud dans les cordes vocales acide qui l'empêche de dormir et fait saigner ses poignets.
Mais il faut se reprendre. Placer ici une jolie métaphore du costume, ici enfiler un masque, là approfondir un peu ce sentiment de douleur, pour toucher le lecteur, rendre tout ça superficiel et en faire un joli texte. Il écrit pour s'exprimer, il se tait chaque fois plus. Parce qu'il n'y arrives pas. Il n'y arrives plus. Les mots justes s'enfuient, les jolies tournures se fanent, l'inspiration s'amenuise et l'imagination se dessèche. Ils sont vitaux.
Et le voilà qui dramatise. Qui n'arrives à parler de sa souffrance qu'à l'aide de jolis mots quand, il le sait, les autres vivent soixante-trois fois pire et se taisent. Et comment conclure ce texte ? Avant, l'idée lui serait venue. Une jolie phrase poignante, un peu glaçante, un peu cynique. Bah.
Page blanche de l'angoisse, seconde mort.
Je dois enfin payer, c'est là mon triste sort.
Je meurs une seconde fois quand mes mots se tarissent.
Mon rythme se dégrade, mon style devient trop lisse.
Où sont passées ces belles phrases, ces grands mots,
Où sont passés ces messages poignants et leurs idéaux ?
Plus rien ne sonne juste, tout se décrépit.
Passage à vide qui m'ôte mon esprit.
Les jours de rien balaient leur dépression,
Le style s'appauvrit ; alors meurt l'expression.
J'ai noirci des pages sur ce vide entier,
J'ai ragé, j'ai crié, j'ai pleuré, imploré,
J'ai supplié qu'enfin me soient rendues mes idées.
Mais plus rien ne me vient ; tout est plat, tout est fade.
Et tout s'enfuit au loin ; tout est vain, tout maussade.
Article ajouté le Lundi 15 Février 2021 à 21h05 |
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