Il marchait [texte]
Agathos venait de descendre du train. Après six heures passées à rêvasser, à se laisser porter par les douces mélodies de musiques en tout genre, il foulait du pied la terre du quai. L’air frais de la nuit vint réveiller une vague de frissons sur son visage, qui se propagea en rouleaux jusqu’à rencontrer une des chapes de tissus protégeant une partie du corps d’Agathos.
Sa vision était agréablement déformée par la douce musique qui berçait ses oreilles et qui le faisait flotter ; tout était distordu pour le mieux, tout le négatif du monde s’envolait sous ses yeux. Rien n’était mauvais, rien n’était dérangeant, rien n’était grave, sauf les notes de sa musique.
La rue dans laquelle il marchait lui semblait resplendissante. Il avait traversé le hall de la gare sans vraiment y songer, la tête dans la lune, la lune éclairant ses pas. Il se souvint des paroles de l’un de ses cours : « Cette gare a été reconstruite il y a quelques décennies, elle est hideuse », lui avait-on dit en géographie.
Mais… C’était faux, tout ce qu’il y a de plus faux. Cette gare était à la croisée du monde, pensait Agathos. Elle permettait de lier les mondes, de lier les cultures entre elles, espace à la croisée des chemins qu’elle était. La Porte de sa ville était symboliquement franchie régulièrement par ces merveilleux trains qui, malgré leurs défauts, avaient le mérite de relier inlassablement les plus belles villes du monde.
Une fois arrivé à l’air libre, il eut le choix de prendre ou non les transports en commun pour rentrer chez lui. Ses foulées de plus en plus vivaces l’emmenaient loin de ses préoccupations et c’est naturellement qu’Agathos choisit de dédaigner ce tram qui reprit bientôt sa traversée de la ville. Il eut un pincement au cœur, car il ne pouvait pas profiter de rejoindre ses frères, Nantais, il ne pouvait pas toucher du doigt l’origine de la beauté de sa ville : à savoir ses habitants.
Battant le pavé avec douceur, mélancolique, fier, heureux, en sécurité, il remarquait la beauté des bâtiments qui l’environnaient. D’une part le château, au milieu de la ville, splendide héritage du passé, portant sur sa façade une réplique de la voûte céleste en guise d’habit de parade.
D’autre part, les allées sinueuses illuminées de vieux lampadaires à l’allure intangible et gracieuse. Elles appelaient Agathos à le faire se plonger plus en profondeur dans ses pensées ; la végétation qui les environnait semblait se parer de ses plus beaux atouts pour le séduire et lui montrer les plus beaux aspects de la nature.
Agathos ferma les yeux, il connaissait le chemin. Rien ne pouvait lui arriver par une si belle nuit. Il sentait la présence des passants qui rentraient eux aussi dans leurs foyers. Il montait sur le rebord d’un trottoir nouvellement construit, et il sentit chaque imperfection de ce travail artisanal ; mais plus que les défauts de ce travail artisanal, il avait le sentiment d’être relié à ses frères par tous les détails de cette œuvre d’art avec laquelle il était en connexion, et qui le portait à travers la ville.
Sa pensée était diffuse, légère comme l’air qui l’environnait. Il se sentait bien, tout simplement. Et il marchait…
Article ajouté le Lundi 11 Mars 2019 à 20h01 |
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