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Whisky, cigares et bon goût. Ou pas.
de Drayker

                   



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Le déraciné
Spoiler
On a tous un endroit où rentrer.

La maison. Le foyer. Le chez soi. Vous savez bien de quoi je parle. L'endroit où l'on rentre après le boulot, après les cours, où l'on se pose et où l'on peut enfin souffler. L'endroit chaud quand il fait froid dehors, l'endroit frais quand c'est l'été. L'endroit dont on se met en quête après chaque soirée, l'endroit pour lequel on est prêt à se lancer dans une épopée épique placée sous le signe de l'ébriété. L'endroit où l'on ramène parfois quelqu'un, aussi. Un ami, un frère, un coup d'un soir.

Et bien lui, il n'en a pas, d'endroit comme ça.

A vrai dire, il n'en a jamais vraiment eu.

Oh, bien sûr, il a un père et une mère, comme tout le monde. Mais chez eux, ça n'a jamais vraiment été chez lui. C'était chez sa famille. Chez sa sœur, aussi. Mais pas chez lui.

Il faut dire qu'il n'a jamais vraiment été très famille. Alors quand elle a éclaté, ça ne l'a pas vraiment atteint. Il était déjà loin. Loin dans l'espace, un peu. Loin dans le cœur, surtout.

Tout du moins, ça, c'est ce qu'il s'est dit. Le chez soi de ses parents n'était plus un seul endroit, maintenant, mais deux. Pas très loin l'un de l'autre en distance. Diamétralement opposés dans le cœur. Il y avait deux camps, maintenant, deux chez soi qui se faisaient la guerre, et il fallait choisir de quel côté on était ou mourir au milieu. C'était ce que lui disait son père. C'était ce que lui disait sa mère. C'était ce qu'avait fait sa sœur. Sa sœur a choisi. Le reste de sa famille a choisi.

Mais lui, il ne voulait pas choisir. Leur chez soi n'avait jamais vraiment été le sien, et ça n'était pas près de changer maintenant qu'il y en avait deux.

Alors il n'a pas choisi de côté. Il n'a pas sauté dans l'une des deux tranchées, non. Il est resté debout, tout seul au milieu du no man's land, et il s'est éloigné.

Éloigné en distance, ça oui. Il en a mis, des kilomètres, entre lui et le champ de bataille. Des routes et des villes entières. Puis il a même interposé des pays entiers entre lui et eux.

Mais là encore, ce ne sont pas ses jambes qui ont le plus voyagé. Il parcourait l'espace avec son corps pour se les sortir de la tête, mais c'est son cœur qui a fui le conflit, plus vite que tous les autres.

Maintenant, son cœur est probablement si loin qu'il ne reviendra jamais. Si loin qu'aucune des nouvelles du front qu'il reçoit ne semble en mesure de le faire battre.

Grand-père est tombé dans les escaliers. Grand-mère a oublié qui tu étais. Ton oncle a oublié de respirer. Ton père n'est plus tout seul à la maison. Ta sœur a raté son année.

Il était loin quand tout ça est arrivé, et tandis qu'il avalait les kilomètres, le temps, lui, avalait sa famille, en arrachait des bouts, en ajoutait d'autres.

Maintenant, chaque fois qu'il regarde derrière lui, en direction de ce no man's land dont il a décrété ne pas faire partie, il voit les stigmates de la guerre, il voit les combattants fatigués par les procédures, il voit le sol ravagé par les éclats d'obus judiciaires, il voit de nouveaux soldats. Mais il ne reconnaît rien de tout ça. Et ça ressemble encore moins à son chez lui que lorsqu'il est parti.

Alors il est où, son chez lui, hein ? Il doit bien exister quelque part, ce foutu havre de paix. Cet endroit où il pourra poser son cœur volage et voyageur, congelé à force de rester exposé au froid de l'extérieur.

Il doit bien exister quelque part, non ?

Non ?

Il se le demande. En fait, non, il ne se le demande pas trop. Il a peur d'y réfléchir. Peur de dire qu'il avance juste parce qu'il faut avancer, et non pas parce qu'il veut aller quelque part.

Quand il y réfléchit trop, c'est pas très beau à voir. Il préfère avancer, le regard rivé droit devant soi. Avancer, toujours avancer. Tout droit. Ne pas regarder sur les côtés.

S'il le faisait, il verrait sûrement que les tranchées sont parallèles au chemin qu'il suit, qu'elles seront toujours là, à l'encadrer, à le suivre, à lui reprocher de ne pas avoir choisi un camp.

A vrai dire, il l'a sûrement déjà fait, regarder sur les côtés. Ça n'a rien de compliqué. Mais il s'est toujours vite dépêché de reporter son regard droit devant lui et de remettre ses œillères en place.

Ça se comprend, non ? Tous ces anniversaires, ces Noëls passés seul. Pas seul de corps, non, mais seul de cœur. Toutes ces fêtes sacrifiées sur l'autel de la route. Toutes ces occasions ravalées, en se disant que d'ici la prochaine, il aura trouvé un vrai foyer où célébrer.

Tout ça se révélerait être un sacré gâchis s'il regardait sur les côtés.

Tandis que son cœur fuit à toute vitesse en avant, loin de tout et étranger à tout le monde, étranger à son propre corps même, il commence à se dire que c'est peut-être ça, la vérité.

Peut-être que ça ne sert à rien, de marcher. Peut-être qu'il vaut mieux s'arrêter que de parcourir indéfiniment une route qui ne cesse de s'allonger.

Peut-être qu'il n'y a pas de foyer pour les cœurs déracinés.
Article ajouté le Vendredi 01 Décembre 2017 à 18h10 | |

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