.•o°o•. Le meilleur des mondes possibles ~ Chapitre VII (Extrait)

Chapitre VII ~ La poussée d'Archimède
~ Parce que comme chacun sait, tout corps plongé dans un liquide en ressort mouillé.La lumière pâle du soleil perçait avec peine l'atmosphère pesante de Tokyo. Même si ses rayons se voulaient doux et chaleureux, presque réconfortants, seuls les plus tenaces parvenaient, affaiblis, jusqu'au sol pierreux. Les nuages étaient peu nombreux, mais vastes et opaques, ce qui assombrissait inexorablement le ciel d'après-midi.
Le silence se faisait dans la cité entière : les habitants avaient trop peur pour sortir de chez eux, ou même regarder par la fenêtre si le fléau n'était pas parti pour de bon. Car même s'il n'était pas réapparu depuis la veille, il avait attaqué ensuite Osaka. Donc il y avait une possibilité pour que ce fût loin d'être terminé. Un calme apparent planait sur la capitale nippone, bien qu'il fût évident que cette ambiance silencieuse était loin d'apporter la moindre once de sérénité. Personne n'osait briser toutefois cette atmosphère ombrageuse et remplie de désespoir : on ne troublerait certainement pas ce silence impunément. Cela pourrait attirer les
choses.
Et pourtant, soudainement, sans prévenir, apparut de nulle part comme une grande bulle liquide et transparente, visqueuse presque, qui flotta quelques instants à quelques mètres au-dessus du sol. La gravité reprit toutefois rapidement ses droits, et la sphère d'eau parut s'affaisser avant d'éclater, se répandant sur le goudron qui se trouvait au-dessous. L'eau ruissela sur la route, comme cherchant à fuir l'endroit où elle était tombée.
Toutefois, elle n'était pas apparue seule. Quelques corps gisaient désormais sur la chaussée, au beau milieu du chemin.
À quelques dizaines de mètres de là, un faible écho de trois petits cris de stupeur retentit. Témoins de ce prodige inexpliqué et pour le moment inexplicable, les enfants, bien cachés dans leur coin de rue sombre, dévoraient désormais des yeux la scène. Ils avaient été trop loin pour pouvoir distinguer précisément les corps qui étaient apparus en même temps que cette bulle gigantesque, mais lorsqu'ils virent un d'eux, un lycéen au teint mat, se relever douloureusement et tousser activement, ils le reconnurent sans véritable peine ; depuis qu'ils avaient formé leur club de détectives, il leur était bien évidemment impératif de connaître tous les grands acteurs qui leur faisaient concurrence. Ainsi, il fut rapidement opté qu'ils devaient aller voir de plus près ce qui se passait, puisqu'ils n'avaient probablement pas de grand danger à venir auprès de ces gens. Si le grand détective de l'Ouest Hattori Heiji était avec eux, alors ils n'avaient rien à craindre.
De son côté, dès que l'adolescent eut suffisamment évacué l'eau salée de ses poumons, ce qu'il maugréait dans divers marmonnements injurieux devint enfin un minimum intelligible. Il se releva avec peine, se remettant lentement de cette chute de quelques mètres puis, sans se rendre compte qu'il était observé, vint s'approcher de la jeune femme à ses côtés qui, de même, toussotait autant qu'elle le pouvait afin de pouvoir de nouveau respirer normalement.
Les trois enfants coururent toutefois à leur rencontre avant qu'il n'eût fait quoi que ce fût ; ils le harcelèrent aussitôt de questions plus ou moins banales ou étranges, qui eurent tôt fait de lui donner la nausée. Trop heureux d'avoir réussi à survivre à une tentative de meurtre par noyade, il fallait bien que ce ne fût pas pour autant une chance durable.
Pendant que l'Osakien tentait de garder son calme, totalement bouleversé par le cours imprévu des évènements, la jeune fille se releva à son tour, essorant négligemment sa couette bleue tout en observant d'un œil attentif les alentours, tentant de se situer et de comprendre ce qui avait bien pu arriver.
Le pégase azur était encore au sol, à quelques mètres, en train de toussoter. La ville dans laquelle ils se trouvaient était totalement déserte, et étrangement silencieuse. Elle reconnut quelques enseignes, qui étaient écrites en japonais. Et vu que ces gamins parlaient la même langue, elle devait supposer qu'ils étaient au Japon.
« Tu les connais ? » vint-elle finalement demander au lycéen, paraissant totalement ignorer les trois enfants qui n'avaient toujours pas obtenu la moindre réponse à leurs questions.
Le détective se retourna vers elle, lui avouant que c'étaient des “amis” de Conan et qu'il avait déjà légèrement entendu parler d'eux, mais qu'il n'avait encore jamais eu l'occasion de les rencontrer en tête à tête. Après avoir dit cela, il s'était aussitôt retourné vers eux, commençant de leur demander ce qu'ils faisaient là ; mais les écoliers refusaient de s'expliquer avant qu'ils ne fussent renseignés sur l'affaire en cours, à laquelle Conan et Ran semblaient mêlés, et à laquelle visiblement il avait lui aussi pris part.
Soupirant face à un petit groupe qui paraissait si entêté, les deux adolescents comprirent sans difficulté qu'ils ne parviendraient pas à s'en défaire de sitôt ; mais après tout, cela n'était peut-être pas si mal. Puisqu'ils avaient apparemment changé d'univers par un moyen encore inconnu, il était toujours préférable d'avoir quelqu'un sur qui on pouvait compter... mais pourquoi des
gamins ?
Une fois que Rainbow Dash fut complètement réveillée à son tour, les enfants changèrent de cible, se ruant avec un mélange de stupeur et d'émerveillement vers la créature azur à crinière multicolore sans lui laisser le temps de comprendre ce qui se passait. Les aînés regardèrent d'un air blasé le petit groupe se désintéresser d'eux pour venir entourer la pauvre pégase, et bien que Tsubasa parut presque soulagée d'en avoir fini avec eux pour le moment, tous deux commencèrent à réfléchir sérieusement sur ce qui avait pu se produire, et sur ce qu'ils pouvaient faire pour y remédier. Car même si Hattori était conscient qu'il était rentré dans son univers, il n'en voyait pas réellement l'intérêt sur le moment ; puisque le mystère se déroulait ailleurs, il s'agissait presque même d'un handicap que d'être coincé chez lui.
« En tout cas, en attendant, on devrait aller voir le vieux, lança-t-il au bout d'un instant. C'est la meilleure chose à faire.
- C'est qui ?
- Il s'appelle Agasa, ou un truc comme ça. C'est un voisin de Kudo. En tout cas, si quelqu'un peut nous tirer d'affaire dans l'immédiat, c'est sûrement lui. Après, j'irai sûrement prévenir mon père à Osaka, mais ça va être une autre histoire. »
Un long cri aux nuances caractéristiques d'un appel à l'aide vint finalement clore leur discussion. Les
Detective Boys lui posaient décidément du fil à retordre, apparemment ; à contrecœur, les adolescents se décidèrent à aller tirer d'affaire la ponette. De toute manière, ils savaient qu'ils ne pourraient réchapper aux interrogations de ces gamins.
« Sérieux, vous pourriez pas leur demander de me lâcher ? Je comprends même pas ce qu'ils racontent ! »
Le détective tiqua soudainement.
Il n'y avait pas prêté attention au départ, mais cette fois il n'y avait plus aucun doute possible : elle avait parlé avec un accent américain bien prononcé, en
anglais.
Donc le TARDIS ne traduisait plus ce qu'elle disait. Donc il fallait probablement en déduire qu'il n'était pas dans les parages.
Donc ils n'avaient peut-être aucun moyen de changer d'univers, ni même d'entrer en contact avec les autres. Ils n'avaient même aucun moyen de savoir où ils étaient, voire s'ils étaient toujours vivants.
Profondément dérouté, le lycéen demeura immobile durant quelques dizaines de secondes supplémentaires, pesant les conséquences de cette redoutable vérité. Il ne remarqua pas que Tsubasa, elle, s'était approchée avec lassitude du petit groupe, commençant à réprimander les gamins d'un ton détaché.
Mais comme elle parlait japonais, la ponette paraissait de plus en plus effrayée de ne pouvoir comprendre la moindre parole, qu'elle lui fût adressée ou non.
Finalement, une fois tiré de ses pensées, il se décida à s'approcher à son tour.
«
Ne, tu peux lui demander si c'est des vraies plumes ? C'est tout doux ! » s'extasia la petite enfant en se frottant contre les ailes de la ponette qui était plus grande qu'elle d'à peine une ou deux têtes.
Hattori soupira face à la futilité de cette question face au grand problème qui leur faisait face ; et pourtant, comme elle insistait, il dut se résoudre à traduire :
« Elle te demande si ce sont de vraies plumes, lâcha-t-il en anglais.
- Dis-lui que si elle me lâche pas d'ici dix secondes, je lui fais passer le mur du son. »
Plutôt que de traduire fidèlement, il jugea utile de se contenter de prendre Ayumi dans ses bras, lui affirmant d'un ton ressemblant à celui que les adultes prenaient lorsqu'ils conseillaient les enfants que le
gentil poney n'aimait pas vraiment les papouilles. La petite fille parut déçue, mais accepta de se tenir à l'écart une fois reposée au sol ; les deux garçons firent de même, ce qui laissa enfin le pégase respirer.
« Bon, on récapitule, lança alors le détective en anglais d'un ton fatigué, se massant le crâne pour tenter d'éloigner la nausée qui le prenait de plus en plus. On s'est retrouvés ici sans savoir comment ni pourquoi, on est bloqués à Tokyo, apparemment dans le quartier de Beika... La meilleure chose à faire pour le moment serait d'aller voir Agasa
Hakase...
- C'est pas comme si on avait le choix, appuya la candidate. Si tu sais où il est, alors plus tôt on y sera, mieux ce sera.
- C'est justement ça le problème. Je ne suis pas allé si souvent que ça à Tokyo, et vu que je ne connais pas le quartier dans ses moindres recoins, je ne sais pas du tout où nous sommes et dans quelle direction nous devrions aller. Ça pourrait nous prendre un quart d'heure comme des heures entières de marche avant de retrouver la bonne rue. »
Les trois anglophones se retournèrent vers les petits gamins qui, vexés d'être écartés de la discussion à cause de la barrière de la langue, s'étaient écartés et marmonnaient ce qui semblait être des hypothèses inintelligibles et farfelues entre eux.
Hattori poussa un long soupir, comme s'il s'agissait d'une véritable plaie.
« Bon, puisqu'on n'a pas le choix... »
Il s'approcha du petit groupe, leur expliqua calmement la situation, puis leur demanda s'ils pouvaient les aider en leur servant de guides dans une ville qui leur était en grande partie inconnue. Les
Detective Boys hésitèrent, se concilièrent dans quelques longs murmures inaudibles, puis se retournèrent enfin et acceptèrent ; à condition toutefois qu'ils soient mêlés dans cette affaire,
parce que sinon c'était pas juste.
Alors qu'ils commençaient déjà à partir et que les aînés suivaient les petits Tokyoïtes, le lycéen finit par reprendre la parole, en anglais.
« Au fait, je voudrais juste m'assurer que je ne me trompe pas pour les noms : toi, c'est Rainbow Dash, et c'est Kazanari-han, c'est ça ? »
La candidate se figea soudainement.
«
“—han” ? C'est quoi ça,
“—han” ?
- Ben, “—han” dans le style “—han”, quoi. Tu sais, dans le style “—chan”, “—kun”, “—han”.
- C'est “—san”,
baka. Pas
“—han”.
- Ah oui, c'est vrai, vous dites ça dans le Kanto... »
Tsubasa croisa les bras.
« Je veux bien ne rien dire à propos de ton accent, mais appeler les gens “—han”, c'est juste...
bizarre.
- Mais c'est quoi ton problème ?! Beaucoup de gens disent “—han” à Osaka, tu sais !
- Tu sais que y'a que les vieux qui disent ça ?
- Et
alors ?
- Alors c'est ringard. »
Hattori craqua finalement, serrant les poings.
« QUI EST RINGARD ?! »
Voletant à leurs côtés, Rainbow Dash poussa un long soupir. Pourquoi fallait-il qu'elle tombât sur
eux ? En plus, étant donné qu'ils avaient repris leur discussion en japonais, elle avait totalement perdu le fil de leur conversation ; elle allait être totalement perdue en permanence à cause de la langue, et cela l'insupportait plus que tout.
« Vous êtes sérieux... »
Ce séjour à Tokyo allait s'avérer long, très long... atrocement long.
~ À suivre ~